Nous avons un peu le sentiment de participer à la discussion générale d'un projet de loi à part entière, même si nous ne débattons en réalité que d'une toute petite partie du texte qui nous occupe depuis plusieurs semaines en commission spéciale, puis dans cet honorable hémicycle.
Nous avons affaire à un sujet sensible, sur lequel personne ne détient de vérité. Je suis assez admiratif et envieux de ceux qui pensent en détenir une, moi qui ai toutes les peines du monde à me forger une petite conviction. Il me semble bien délicat de dénoncer de prétendus incertitudes ou atermoiements du Gouvernement sous prétexte qu'il se demande s'il faut remettre en cause telle ou telle pratique. Quand on file tout droit, c'est perçu comme de l'entêtement ou de l'obstination ; mais sitôt que l'on se remet en cause en écoutant les préconisations des uns et des autres, on se voit reprocher d'hésiter ou de tergiverser… Il faut passer au-delà de ces considérations.
Il me paraît également souhaitable de laisser de côté les références historiques un peu douteuses telles que le IIIe Reich ou le régime de Franco, évoqués tout à l'heure par Charles de Courson, dans lesquels, faut-il le rappeler, il n'existait pas de contrôle de constitutionnalité… Au passage, ce dispositif semble finalement recueillir les faveurs de notre collègue qui compte bien que si ces dispositions ne sont pas conformes, le Conseil constitutionnel se chargera de nous le faire savoir – ce dont, bien évidemment, nous prendrons acte.
Pour me forger ma toute petite conviction dont je veux vous faire part ici avec beaucoup d'humilité, j'ai, comme vous, beaucoup écouté toutes les personnes qui nous ont sollicités, en venant nous voir ou en nous appelant, pour nous faire état de leurs doutes et de leurs préoccupations. Après avoir entendu tous ces témoignages, j'étais très partagé. Cela dit, quand on est législateur, il faut bien se décider à un moment. J'ai donc fini par me forger une conviction.
Lorsqu'un sujet de réflexion me pose des difficultés d'ordre intellectuel, j'ai recours à divers procédés qui m'aident à trancher la question qui m'est soumise. Par exemple, j'essaie de faire un bilan coût-avantages : j'étudie le rapport entre les coûts que les mesures vont entraîner et les avantages que l'on peut espérer en tirer. Je fais également un test de proportionnalité, en me demandant si ces mesures sont proportionnelles au but poursuivi. Surtout, j'appréhende la disposition normative dans sa dimension dynamique, dans la mesure où le législateur fait le droit non pas pour le moment m auquel il légifère, mais pour les moments qui suivront.
Or ce serait, me semble-t-il, faire preuve de courte vue que de ne pas prendre la mesure de la situation qui se dessine sous nos yeux depuis quelques années, et dont on peut notamment se rendre compte en observant le monde arabo-musulman, dans lequel le rapport à l'enseignement prend une forme très particulière. Il serait très préjudiciable de refuser de voir cela. Le nombre de personnes qui ne sont pas inscrites à l'école devrait grimper de façon exponentielle dans les prochaines années, tout simplement parce que, dans une partie du monde arabo-musulman, la scolarisation des jeunes filles n'est pas prévue au programme et que celle des jeunes garçons doit être circonscrite à un contexte de religiosité extrêmement marquée. Nous aurions une responsabilité face à l'Histoire si nous ne prenions pas en considération cette réalité.
Cela pose d'ailleurs le problème du contrôle, dont on dit aujourd'hui qu'il ne coûte pas cher. Qu'en sera-t-il demain lorsqu'un, voire deux millions d'élèves ne seront plus scolarisés et qu'il faudra procéder aux vérifications a posteriori ?
Lorsque j'essaie de me forger une conviction sur une question particulière, je me demande ensuite quels enjeux elle recouvre – celui de la préservation de la liberté de quelques milliers de personnes en l'occurrence. On peut très bien comprendre que celles-ci y soient profondément attachées et je respecte à tous égards cette préoccupation légitime. D'un autre côté, il faut aussi, et c'est l'objet de ce projet de loi, préserver la cohésion sociale tout entière, s'assurer que demain nous ferons encore société. Dès lors, il convient de lire le texte, indépendamment de ses convictions, et d'examiner, d'un point de vue technique, les mesures proposées et le contenu du dispositif normatif sur lequel nous devons nous prononcer en tant que législateur.
Le projet de loi prévoit ainsi de remplacer la simple déclaration par la délivrance d'une autorisation préalable. De telles procédures existent déjà dans bien des domaines relevant du droit public.