La santé au travail, éternel marronnier – ou plutôt, serpent de mer – dans le monde du travail, a été réformée à de nombreuses reprises, sans jamais, il faut bien le dire, satisfaire ni les chefs d'entreprise, ni les salariés : les premiers, parce qu'ils constataient un rapport coût-efficacité peu satisfaisant ; les seconds, parce qu'ils la jugeaient peu utile et y voyaient une perte de temps plus contraignante que profitable.
Face à cette situation insatisfaisante, les partenaires sociaux ont entamé des discussions et sont parvenus, en décembre dernier, à un accord national interprofessionnel. En général, les lois issues de tels accords sont les plus efficaces et les plus simples à appliquer. Il faut donc se féliciter d'un tel consensus, et rester le plus proche possible de l'accord trouvé, sous peine, bien sûr, de dénaturer le texte initial.
La présente proposition de loi s'articule autour de quatre axes : une prévention renforcée, la fourniture d'une offre qui constitue un socle de services pour les entreprises, la lutte contre la désinsertion professionnelle, et une gouvernance du système de santé réorganisée. J'aborderai ici les trois premiers.
Prenons-les dans l'ordre : la prévention renforcée, tout d'abord, relève du bon sens. Mieux vaut prévenir que guérir : pareil adage populaire ne saurait mentir. Tandis qu'elle était, jusqu'alors, principalement tournée vers la réparation, la médecine du travail se réorientera donc vers une mission de prévention ; tel est l'objet du titre Ier et des sept premiers articles. Le médecin du travail est un acteur clé de la sécurité au travail. Renforcer son rôle de prévention, c'est évidemment aller dans la bonne direction – j'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, s'agissant notamment du travail de nuit, en l'intégrant dans le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail. Un bémol, toutefois : améliorer la mission de prévention de la médecine du travail, c'est très bien, mais encore faut-il avoir des médecins. En 2018, on pouvait déjà regretter que la France ait perdu 30 % de ses médecins du travail en dix ans, et que 75 % d'entre eux aient plus de 55 ans. Prévoir, comme vous le faites à l'article 4, d'élargir les nouvelles prérogatives des services de santé au travail, notamment à « des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination », c'est très bien sur le papier, mais peut-être pas très réaliste dans les faits.
Passons au deuxième axe : une offre qui constitue un socle de services pour les entreprises, recentrée sur leurs besoins principaux. De nombreux rapports ont signalé la trop grande hétérogénéité, qualitative et quantitative, de l'offre des services de prévention et de santé au travail, pour les entreprises comme pour les salariés. Le socle prévu par le présent texte comportera trois missions : la prévention des risques professionnels, le suivi individuel des travailleurs et la prévention de la désinsertion professionnelle.
S'agissant du suivi individuel des travailleurs, je me pose quelques questions. Vous souhaitez ainsi que la médecine du travail ait accès au dossier médical partagé du salarié, mais j'estime qu'il faudra l'accompagner de sérieuses garanties. En effet, même si l'alinéa 8 de l'article 11 prévoit que le travailleur peut s'opposer à l'accès à son dossier médial partagé par les professionnels chargés du suivi de sa santé, cet accès pourrait avoir des conséquences négatives pour lui, notamment au moment d'une embauche.
Enfin, le titre III prévoit de mieux accompagner les publics vulnérables et de lutter contre la désinsertion professionnelle, avec deux mesures phares : autoriser la téléconsultation pour le suivi des travailleurs – c'est une bonne chose dans le monde de l'entreprise, me semble-t-il – , et instaurer une visite médicale de mi-carrière. Je sais que cette dernière disposition fait débat ; pour ma part, elle me paraît une bonne idée, notamment pour tous ceux qui ont des conditions de travail difficiles. J'ai déposé un amendement pour que le suivi individuel de l'état de santé des salariés multi-employeurs, qui occupent des postes identiques avec des risques équivalents, soit mutualisé : ainsi, la réalisation d'une visite par l'un des employeurs serait valable pour l'ensemble des employeurs concernés – encore une fois, c'est une question de pragmatisme et d'efficacité.
Permettez-moi une dernière précision, qui a son importance : le renforcement de la prévention en santé au travail ne doit pas seulement concerner les travailleurs salariés, mais aussi les indépendants. Là encore, c'est une proposition guidée par l'efficacité ; j'espère que, comme les autres, vous saurez l'entendre.