La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant l'ordonnance no 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (nos 2637 et 3831).
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Le projet de loi ratifiant l'ordonnance no 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs a fait l'objet d'un accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 4 février dernier.
Je veux remercier la sénatrice Agnès Canayer, rapporteure du texte pour le Sénat, pour la sincérité et la qualité de nos échanges.
Cette réforme, attendue depuis longtemps par les professionnels auxquels je veux rendre hommage pour leur engagement sans faille auprès de la jeunesse, n'a été que trop repoussée.
Il s'agit d'un projet de loi particulier, puisqu'il nous est demandé de ratifier une ordonnance. Dans le cas présent, le Parlement a pris toute sa place : je veux vous en remercier, monsieur le ministre de la justice, ainsi que votre prédécesseure, Mme Nicole Belloubet, car vous avez eu le courage d'engager cette réforme et de tenir votre promesse d'y associer pleinement les parlementaires.
J'en viens maintenant à la présentation du contenu du texte sur lequel le Sénat et l'Assemblée nationale sont tombés d'accord. Pour rappel, la création du code de la justice pénale des mineurs poursuivait trois grands objectifs : consacrer les grands principes reconnus par le Conseil constitutionnel et placer la France en conformité avec la Convention internationale des droits de l'enfant – CIDE ; mettre en place une procédure simple, plus rapide et plus lisible, pour les mineurs en généralisant la césure pénale ; réorganiser les dispositions applicables pour permettre au juge des enfants de faire du sur-mesure.
Le Sénat a conservé l'essentiel des apports de l'Assemblée nationale. Parmi eux figurent la présence obligatoire de l'avocat aux auditions libres, l'interdiction de l'usage de la visioconférence pour le placement en détention provisoire, l'extension de la mesure de couvre-feu, la possibilité d'exercer un contrôle visuel sur les effets personnels des mineurs placés, la faculté pour le juge d'ordonner le retrait des autres parties lors de l'examen de la situation personnelle du mineur et la simplification des règles de cumul entre les mesures éducatives et les peines.
Le Sénat a aussi enrichi le texte transmis par l'Assemblée nationale en adoptant de nouvelles dispositions qui reflètent les différentes sensibilités politiques sur le sujet. Nous avons conservé plusieurs d'entre elles, la plus importante étant le report au 30 septembre 2021 de l'entrée en vigueur de l'ordonnance. L'inscription dans la loi de la définition du discernement nous a également semblé judicieuse tant il s'agit d'un pilier fondateur de la nouvelle architecture du code. Il en est de même de la possibilité de numériser le dossier de personnalité et d'y donner accès au personnel du secteur associatif habilité : cela facilitera la circulation des informations entre les acteurs de la justice pénale des mineurs.
Dans un souci de clarification, nous avons retenu une série de dispositions adoptées par le Sénat : la date de mise en place des mesures éducatives devra être communiquée au mineur à l'issue de son audience de culpabilité ; des représentants légaux pourront être convoqués par tout moyen ; les règles d'effacement du casier judiciaire des dispenses de mesures et des déclarations de réussite seront assouplies ; le stage de responsabilité parentale pourra être prononcé, en complément de l'amende, à l'encontre des parents qui ne défèrent pas aux convocations. Le texte qui vous est présenté reprend ces différents apports.
Sur quatre points, cependant, nous sommes revenus sur le texte voté par l'Assemblée nationale. Premièrement, nous avons rétabli la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes que le Sénat avait souhaité redonner au juge des enfants. Deuxièmement, nous avons rétabli la compétence du juge des libertés et de la détention – JLD – sur le contrôle du placement en détention provisoire, afin de garantir le procès équitable sans mettre les juridictions de petite taille en difficulté. Troisièmement, nous sommes revenus sur la compétence de principe que le Sénat avait attribuée aux établissements du secteur associatif habilité car, si celui-ci est essentiel, nous ne pouvons lui confier l'ensemble des mesures prises par la PJJ – protection judiciaire de la jeunesse – , notamment celles qui relèvent de la mission régalienne de l'État. Enfin, dans un souci de lisibilité, nous avons supprimé le rétablissement par le Sénat de la remise à parent, car le nouvel avertissement judiciaire assurera la même fonction.
Mes chers collègues, ce texte présente le meilleur du travail des deux chambres. Nous serons attentifs à la qualité de la mise en oeuvre de cette réforme, l'une des plus ambitieuses du quinquennat : nous apporterons, en tant que parlementaires, tout le soutien nécessaire à sa bonne application par les juridictions. Je vous remercie pour votre écoute et vous invite avec enthousiasme à voter en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOC et Agir ens.
Je suis particulièrement honoré d'être devant vous pour, je l'espère, l'adoption définitive par l'Assemblée nationale d'un texte consacrant une avancée historique pour la justice pénale des mineurs en France, celui ratifiant l'ordonnance du 11 septembre 2019. Demain, ce sera au tour du Sénat de se prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire – laquelle, je ne peux que m'en féliciter, est parvenue à un accord. Ce sera l'aboutissement des débats qui nous ont animés de longues heures ici même, mais aussi de plusieurs années, voire décennies, de travail, comme je l'ai souvent dit devant vous.
Je ne peux commencer mon propos sans rendre un hommage appuyé au travail de ma prédécesseure, Nicole Belloubet. Les conditions particulières de l'amorce de cette réforme ne laissaient pas présager un tel succès. Ce résultat est votre oeuvre commune, la sienne, mais, j'ai l'immodestie de le croire, également un peu la mienne. Je veux donc lui dire et vous dire ma fierté et mon émotion de faire aboutir les engagements du Gouvernement dans une construction qui, je le crois, fera date.
Si le consensus obtenu montre le travail et l'implication de toutes et de tous, il met surtout en lumière notre capacité à enjamber les clivages lorsque l'essentiel – l'avenir de nos enfants – est en jeu. Vous avez été convaincus par les nécessités de cette réforme et, en tenant compte des attentes fortes de nos concitoyens à l'égard de la justice des mineurs, vous avez su dépasser des positions parfois historiquement ancrées. C'est pourquoi vous pouvez être fiers d'adopter un texte qui, au-delà des caricatures, modernise radicalement la justice pénale des mineurs en lui donnant le cadre qu'elle attendait depuis longtemps, renforçant la primauté de l'éducatif tout en permettant une réponse pénale cohérente et encadrée dans des délais de procédure.
Je garde en mémoire les vifs débats autour de la notion d'intérêt supérieur du mineur, désormais introduite dans l'article préliminaire du code de la justice pénale des mineurs. Je tiens d'ailleurs à souligner que les débats parlementaires, ici comme au Sénat, ont grandement enrichi le texte, alors que des craintes d'un débat muselé s'étaient exprimées : il n'en fut donc rien. Là encore, je dois vous remercier, monsieur le rapporteur Jean Terlier, pour votre infatigable engagement auquel la réussite de ce texte doit beaucoup, et je remercie pour la même raison Mme la députée Alexandra Louis.
Je me permets aussi d'envoyer un salut particulièrement appuyé à tous les membres du groupe de contact, qui ont exprimé, pendant de longs mois, la voix de leur groupe politique, rendant ainsi possible la convergence que nous appelions tous de nos voeux. Je retiens en effet de nos échanges la volonté commune de renforcer la confiance dans la spécialisation des professionnels de l'enfance, notamment celle des juges des enfants qui a fait l'objet de débats intenses. L'un d'entre eux a eu pour objet la compétence du tribunal de police, limitée finalement aux seules infractions de faible gravité.
Vous avez également fait le choix de l'équilibre entre spécialisation et impartialité du juge, en transférant au JLD la compétence du placement en détention provisoire du mineur avant le prononcé de la culpabilité.
Je rappelle enfin l'importance des débats sur la présomption de responsabilité à treize ans, question complexe qui, là aussi, a désormais trouvé une réponse équilibrée, à savoir le maintien d'une présomption simple qui laisse au juge spécialisé l'analyse du discernement au cas d'espèce et selon une définition reprise désormais dans la partie législative du code de la justice pénale des mineurs.
S'ouvre maintenant une nouvelle étape, celle de la mise en oeuvre de la réforme : son entrée en vigueur a été, à la fin de la navette parlementaire, reportée au 30 septembre 2021. Soyez assurés que ce délai supplémentaire sera mis à profit par tous les services du ministère de la justice pour former les acteurs de terrain. Des moyens supplémentaires ont été alloués en amont et la mission d'accompagnement de l'inspection générale de la justice se poursuivra durant les prochains mois auprès de tous les tribunaux.
Le signal de votre adhésion au texte est le premier pas essentiel pour la réussite de la mise en oeuvre de la réforme. Je m'engage ici solennellement à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que nous puissions prochainement saluer ensemble les effets bénéfiques de cette réforme historique pour les juges, les éducateurs, les parents et, surtout, nos enfants.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
Il ne restera finalement pas grand-chose des échanges avec le Sénat, si ce n'est le décalage au 30 septembre 2021 de l'application de la réforme, fortement réclamé sur ces bancs, l'état des moyens de la justice et de la PJJ – en dépit des quelques efforts consentis par le Gouvernement, nous sommes extrêmement loin du compte en la matière – ne permettant pas sa mise en oeuvre dès le 31 mars prochain.
Cette réforme consacre une vision technocratique de la justice fondée sur la gestion des flux. Le but est d'aller plus vite, l'accélération des procédures étant, par principe à vos yeux, gage de meilleurs jugements. Comme si la démonstration se suffisait à elle-même.
L'engorgement des tribunaux, spécifiquement pour les mineurs, conduit à une fuite en avant : « Allez, allez, on se dépêche, les piles de dossiers commencent à s'accumuler ! ». On le voit bien avec la circulaire de novembre dernier demandant leur apurement – comme si, finalement, le travail accompli jusqu'à présent n'avait aucune espèce d'importance ; comme si on pouvait appuyer sur le bouton reset en dépit des êtres humains, en l'occurrence des enfants, qui sont derrière chacun de ces dossiers.
Quant à la spécialisation, qui était pourtant censée guider nos travaux et dont l'article liminaire rappelle le principe, elle se sera fracassée sur le tribunal de police. Les sénateurs l'avaient pourtant remise sur le devant de la scène, mais tout cela a disparu lors de la commission mixte paritaire. Pourquoi ? Dans les couloirs, on me dit que la spécialisation, dans l'idéal, ce serait parfait, « mais vous comprenez mon bon monsieur, on n'a pas les moyens, les juges des enfants sont déjà suffisamment surchargés, laissez le tribunal de police mettre des amendes, si peu éducatives soient-elles »… Le prisme répressif a donc logiquement pris le dessus sur nos travaux, puisque nous ne parlons pas d'un code de l'enfance, mais d'un code de la justice pénale des mineurs.
On ne peut que constater que vous avez eu, pour ce faire, l'assentiment de la droite au Sénat – ce qui n'était pas gagné. Je vous laisse en tirer les conclusions politiques qui s'imposent. Surtout, plus surprenant peut-être – et qui est sans doute la cause de l'emportement du ministre – est le quitus donné par Marine Le Pen, laquelle approuve ce texte, comme elle l'a rappelé à cette même tribune. Drôle de duo, drôle de tandem que voilà : Éric Dupond-Moretti et Marine Le Pen !
Nous avions évoqué un âge – 13 ans au moins – en deçà duquel un mineur ferait l'objet d'une présomption irréfragable de non-consentement et ne pourrait donc pas se voir appliquer de mesures pénales. À cette revendication de plusieurs députés ou sénateurs et de ce que l'on appelle la société civile, il a été répondu que, même en dessous de 13 ans, il fallait pouvoir évaluer le discernement d'un mineur. On ne sait jamais ! Au passage, j'ai été surpris que le ministre, dès le début de nos travaux, justifie son rejet de cette présomption irréfragable par le fait que les mineurs qui commettent des délits ou des crimes ont besoin de voir un juge. Quelle méprise ! Comme si seuls les mineurs pouvant faire l'objet de mesures pénales étaient confrontés au juge ! C'est méconnaître ce que fait un juge des enfants : la plupart du temps, il ne fait pas du pénal, mais du civil, des mesures d'assistance éducative.
Voilà ce qu'il fait au quotidien. Je vous le redis, monsieur le ministre, au cas où vous en feriez la découverte.
Pour ma part, ce que j'ai découvert en voyant le reportage de France 3 sur l'aide sociale à l'enfance, ce sont les conséquences des mesures éducatives les plus souvent prononcées : des enfants placés dans des foyers dans des conditions qui nous font nous demander comment ils vont pouvoir s'en sortir dans la vie.
Ainsi, en votant ce texte technocratique de gestion des flux, on ne fait pas que passer à côté de l'Histoire : on passe à côté de la souffrance de nombreux enfants.
Puisque le temps m'est compté, …
Heureusement !
… je terminerai en disant qu'un enfant qui commet un crime ou un délit, c'est d'abord et cela reste un enfant.
C'est bien ce que j'ai dit.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant »
Presque un siècle a passé depuis la mutinerie des enfants bagnards de Belle-Île-en-Mer, racontée par Jacques Prévert dans son célèbre poème. Depuis, beaucoup de choses ont heureusement changé ; la protection judiciaire de la jeunesse s'est en grande partie construite, avec l'ordonnance de 1945, contre ce qui prévalait une décennie plus tôt. Pourtant un siècle plus tard, à chaque fait divers, à chaque drame impliquant des mineurs délinquants, une même meute virtuelle – « les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes » – , aiguillonnée par des responsables politiques et médiatiques, se lance dans une surenchère répressive.
Or l'enfance délinquante est d'abord une enfance en danger et la protection de l'enfance et de la jeunesse est notoirement défaillante. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, soit près de 3 millions ; ce chiffre n'a pas baissé depuis dix ans et risque d'augmenter massivement dans les prochains mois. Au moins 75 000 enfants sont victimes de mauvais traitements chaque année ; un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents ; 165 000 sont victimes de viols ou de violences sexuelles chaque année. Ces violences concernent tous les milieux sociaux.
Dans de nombreux départements, comme en Indre-et-Loire où il faut attendre quatorze mois pour qu'un enfant en danger soit protégé, l'aide sociale à l'enfance est sursollicitée et sous-financée. Un SDF sur quatre est un ancien enfant placé ; 30 % des moins de 30 ans utilisant des services d'hébergement temporaire et de restauration gratuite sont des anciens et des anciennes de l'ASE – aide sociale à l'enfance. Or, alors que les moyens de l'aide sociale et de l'accompagnement restent insuffisants, les professionnels de la protection de la jeunesse déplorent toujours plus de répression et toujours moins d'éducation en matière judiciaire. Dans la tribune signée en décembre dernier par plus de 200 d'entre eux, ils appellent les parlementaires à ne pas céder au simulacre de débat parlementaire que représente ce texte, aussi inutile que dangereux.
Aïe, aïe, aïe.
Un simulacre de débat tout court, tant est patente l'absence de réelle concertation avec les acteurs et les actrices de terrain. Ce sont leurs mots que vous refusez d'entendre, monsieur le ministre. Mais ne vous en déplaise, ils marquent bien à quel point le Gouvernement et la majorité se moquent du débat démocratique, comme cela a été le cas pour toutes les réformes réactionnaires engagées depuis le début du quinquennat malgré les prétendues consultations organisées pour les faire approuver. Le choix de la voie des ordonnances, associée à une procédure accélérée qui réduit le Parlement au rang de chambre d'enregistrement, suivant les desiderata de Jupiter, va d'ailleurs dans le même sens.
Sur le fond, contrairement aux propos du ministre de l'intérieur, qui parle à longueur d'antenne d'ensauvagement, la délinquance des mineurs ne cesse de baisser depuis les années 2000. Le taux d'enfermement est pourtant très élevé, démontrant la sévérité de la justice pénale des mineurs, alors que la répression devrait être l'exception. La France est déjà le pays le plus répressif d'Europe en la matière ; ce texte l'engage encore plus dans cette voie.
Comme l'a rappelé notre collègue Bernalicis, cette réforme n'est en vérité motivée que par des objectifs comptables, auxquels s'ajoutent quelques éléments d'électoralisme ainsi que l'adhésion idéologique désormais avérée de la Macronie aux idées de la droite extrême et de l'extrême droite.
Aller plus vite avec des effectifs réduits, telle est l'antienne appliquée depuis trois ans à tous les secteurs à peu près. Or le seul moyen d'accélérer les délais de jugement sans augmenter les effectifs est finalement de réduire les droits fondamentaux des personnes poursuivies – des enfants, en l'occurrence. C'est le choix qu'a fait le Gouvernement en reléguant au rang de simple exception le principe cardinal de la justice des mineurs que constitue l'excuse de minorité.
C'est de magistrates et de magistrats, de greffiers et de greffières, de travailleuses et de travailleurs sociaux dont manque la justice des mineurs. La protection des mineurs manque tout autant de moyens humains et financiers, qui permettraient de prévenir les passages à l'acte délinquants, puisque 85 % des enfants pris en charge par un ou une juge et par la protection judiciaire de la jeunesse ne récidivent pas à la majorité.
L'accélération de la réponse pénale, présentée comme un progrès, se fait en réalité au détriment du temps éducatif. Cette réforme conforte l'abandon progressif de la spécificité de la justice des mineurs, avec un alignement sur la justice des majeurs. « La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » proclame le préambule de l'ordonnance de 1945. Votre texte, monsieur le ministre, poursuit l'abandon de cette maxime. Une fois au pouvoir,
Rires sur quelques bancs du groupe LaREM
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Nous voici arrivés au terme d'un long processus qui nous aura conduits, soixante-quinze ans après, à revenir sur une ordonnance qui fera date : celle du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Les travaux qui ont précédé la révision qui s'achève ont commencé depuis longtemps déjà. C'est votre illustre prédécesseure, Christiane Taubira, qui avait initié un processus de concertation sur la justice des mineurs, reprenant la méthode utilisée pour la réforme pénale de 2014 ou pour l'élaboration de la loi du 18 novembre 2016. Mme Belloubet a poursuivi l'ouvrage et vous le terminez, monsieur le garde des sceaux.
De nombreux professionnels, des universitaires, des élus, des représentants du milieu associatif et de nombreux acteurs de la société civile se sont mobilisés. Un état des connaissances a été dressé afin de dépasser les présupposés et les malentendus, les peurs et les fantasmes, qui font du jeune délinquant l'une des figures contemporaines du mal, pour reprendre les termes du précédent président de la commission des lois, Dominique Raimbourg. Celui-ci s'était très tôt mobilisé sur ce sujet, notamment à l'occasion de sa participation à la commission Varinard.
Avant toute chose, je veux dire que notre société porte la responsabilité du devenir de sa jeunesse, en particulier de celle qui connaît le plus de difficultés. Nous devons, pour adapter l'ordonnance de 1945, dont j'ai eu l'occasion de relever qu'elle avait inspiré plusieurs de nos voisins européens, conserver le principe fondamental qui l'a inspiré, celui de la primauté de l'éducatif sur le répressif, parce qu'un adolescent n'est pas un adulte et parce que la société a la charge de l'éduquer et de lui faire sa place de citoyen. Rappelons-nous la mise en garde du défenseur des droits, Jacques Toubon : « [… ] vouloir charger la justice de tout ce que la société n'est pas capable de faire par ailleurs, c'est assurer à la fois l'échec de la société et celui de la justice. C'est plus spécialement le cas quand il s'agit de la justice pénale des mineurs. »
La justice des mineurs a connu d'importants changements depuis son origine en 1945 ; je n'y reviendrai pas en détail, mais je souhaite simplement en évoquer les principaux tournants. Le premier a été opéré au début des années 1990 avec la reconnaissance par la loi de la mesure de réparation. Cette mesure fait désormais l'objet d'un consensus chez les professionnels de justice et son développement a été important. Une approche pédagogique et citoyenne considère la responsabilisation du mineur comme la finalité d'un acte éducatif ; le juge et l'éducateur travaillent à l'éveil progressif chez l'adolescent de sa responsabilité et de ses capacités. Malgré cela, le débat public continue à se focaliser sur une pénalisation accrue des réponses à apporter à la délinquance juvénile.
Le second tournant intervient plus tard, avec le traitement systématique de toutes les infractions commises par les mineurs dont les juridictions sont saisies. L'augmentation importante du traitement pénal des infractions commises par les mineurs et la succession de lois plus répressives auraient pu conduire à une augmentation des sanctions les plus fortes, notamment des décisions d'incarcération. Si leur nombre n'a finalement pas augmenté, en revanche celui des mineurs placés dans des établissements plus contraignants a connu une forte hausse. Peu à peu, dans les mesures proposées, la sanction a été intégrée à l'objectif d'éducation des mineurs. Ce nouvel équilibre est instable, ce à quoi la réforme proposée aujourd'hui ne porte pas remède. Certes, nous nous devions de nettoyer l'ordonnance de 1945 des incohérences accumulées au fil des multiples modifications, d'autant que celles-ci n'ont fait que creuser l'écart entre l'esprit du texte d'origine et sa difficile application. Mais nous nous devions aussi d'en conserver la philosophie.
La philosophie de l'ordonnance de 1945 était de tenir compte de la personnalité de l'enfant et de son environnement, au sens le plus général. À l'époque, il y avait des familles en grande souffrance et des enfants qui erraient dans les rues. Le monde d'aujourd'hui est marqué par sa complexité ; il est devenu l'environnement de l'enfant et il est bien difficile de répondre à la question de savoir ce qui est juste dans la société qui entoure celui-ci. Les inégalités de chance ou de traitement sont si grandes que parfois, la réparation sera vécue par le jeune comme une aggravation de la situation.
Dès lors, il ne saurait y avoir de bonne sanction sans éducation préalable ; si une sanction est nécessaire, elle doit s'inscrire dans une dynamique composée à parts égales d'éléments éducatifs et curatifs, même dans le cas des sanctions les plus graves.
La réforme issue de l'ordonnance du 11 septembre 2020, dont le chemin législatif s'achève, entérine une tendance : faire en sorte que la justice des mineurs s'accommode des règles des majeurs, avec des références multiples au code pénal et au code de procédure pénale. Une certaine porosité s'est invitée entre la justice des mineurs et celle des majeurs ; les multiples exceptions procédurales qui relèguent l'éducatif en arrière-plan en sont la preuve. La justice des mineurs a pour objectif premier de faire sortir de la délinquance les adolescents dont elle est saisie ; un objectif plus éloigné consiste à les rendre capables de remplir demain leur rôle dans la société. Je suis partagé entre le doute qu'elle satisfasse à ces exigences, et l'espoir jamais abandonné qu'elle y parvienne. La réponse est entre les mains de celles et ceux qui lui donneront son vrai visage tout au long de la chaîne judiciaire. L'avenir nous dira si la confiance que nous leur accordons suffira à gommer les vices de ce texte. En attendant, l'abstention reste pour moi une posture de sagesse, même s'il était nécessaire d'aboutir enfin à un texte.
Un enfant délinquant est avant tout un mineur en danger : telle est l'idée qui a inspiré les rédacteurs de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Or le nouveau code de la justice pénale des mineurs que l'on nous demande d'adopter s'éloigne, selon nous, des choix ambitieux pour l'avenir de l'enfant en difficulté faits au lendemain de la Libération, qui établissaient une réponse équilibrée combinant éducation, prévention et répression.
Ce nouveau code s'éloigne en effet de l'esprit de la déclaration des droits de l'enfant de 1959 qui précise : « l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée ». Il s'éloigne également de l'inspiration humaniste qui ne considère pas l'enfant délinquant comme un adulte miniature, et veut qu'on ne juge pas ses actes de la même manière. En outre, pour les enfants délinquants, les mesures éducatives constituent le coeur de la réponse judiciaire, et les mesures d'enfermement l'exception ; or dans ce texte, les exceptions au droit commun de l'enfance délinquante permettent d'appliquer une procédure pénale qui se rapproche de celle des adultes.
Pour améliorer la rapidité de la réponse pénale des mineurs, nous n'avons pas besoin d'un nouveau texte, les solutions sont connues. Il s'agit par exemple de répondre aux juges du tribunal pour enfants de Bobigny, qui réclament à cor et à cri que les postes vacants de juges et de greffiers soient pourvus : ils gèrent en moyenne 600 dossiers, soit plus du double de ce qu'il est humainement possible de suivre. Il faut également renforcer la protection judiciaire de la jeunesse pour pallier le déficit d'éducateurs et le retard abyssal pris dans l'application des mesures ordonnées par les tribunaux. Loin des effets de manche, en finir avec la paupérisation rampante de la justice pénale des mineurs serait bien plus efficace qu'une énième réforme menée sans véritable diagnostic, dans l'urgence, et en catimini.
Quelques rares dispositions méritent d'être saluées, notamment celle issue d'un amendement du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui prévoit que chaque enfant entendu puisse être assisté d'un avocat, même en cas d'audition libre. Toutefois, plusieurs avancées obtenues au cours de la navette ont été évacuées en commission mixte paritaire, comme le fait de confier à un juge des enfants, et non au juge des libertés et de la détention, la décision de placer un enfant en détention provisoire, ou encore celui de donner au juge des enfants la responsabilité des contraventions les moins graves – elle a finalement été confiée au tribunal de police.
En revanche tous les écueils, unanimement désignés par les professionnels de l'enfance en danger, sont confirmés : les dérogations et les exceptions sont légion, et la nouvelle procédure de césure est encadrée par des délais irréalistes, donc inapplicables en l'état de notre justice des mineurs. Faute de moyens, et à cause de l'encombrement des tribunaux, la tentation sera grande pour les parquets de recourir à l'audience unique. Enfin, que penser du report au 30 septembre de l'entrée en vigueur de la réforme ? La date du 31 mars était bien évidemment impossible à respecter, mais qui peut imaginer que notre justice sera prête six mois plus tard ?
Comme la commission mixte paritaire l'a souligné, cette réforme ne sera applicable que si elle est accompagnée des moyens humains et matériels que nous attendons toujours.
Les travaux de la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, dont Marie-George Buffet était la rapporteure, ont mis en évidence la nécessité de redéfinir les missions, le rôle et les liens de coopération de l'aide sociale à l'enfance. Nous aurions pu le faire, si nous nous étions attelés à élaborer un véritable code dédié à l'enfance, traitant de l'enfance en danger dans son ensemble, du civil au pénal, conformément à la demande du comité des experts des Nations unies. C'est de cela que notre société a besoin.
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Ce débat est donc un rendez-vous manqué, et c'est pourquoi nous voterons contre la ratification de l'ordonnance. Nous le regrettons, mais nous considérons que notre pays n'est pas suffisamment riche de ses enfants pour s'offrir un tel ratage.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
Qu'y a-t-il de plus important que nos enfants, nos jeunes, nos « minots », comme on dit à Marseille ? Quelle réponse notre justice doit-elle apporter aux adolescents qui enfreignent la loi, et parfois même la défient ? Dans ma vie présente d'élue et dans ma vie passée d'avocate, comme d'autres, j'en ai souvent rencontré, parfois même accompagné : il n'y a pas de réponse simple pour s'adapter aux parcours de vie singuliers, parfois tortueux, d'adolescents qui, malgré leur jeune âge, ont parfois déjà beaucoup vécu. Aussi la justice doit-elle pouvoir répondre au cas par cas, en composant avec nos principes, ceux-là même qui fondent l'ordonnance de 1945.
Le nouveau code de la justice pénale des mineurs est l'aboutissement d'un long travail de fond. Le constat était simple et partagé depuis longtemps : l'ordonnance de 1945, réformée à une quarantaine d'occasions, avait perdu en lisibilité et en cohérence. On peut dire que le chemin a été long, et même laborieux ; le code de justice pénale des mineurs a été d'abord une idée, puis un projet, et après des années de cheminement, de consultations et de débats, le voilà.
Nous pouvons convenir qu'il s'agit d'un aboutissement historique et attendu ; les gouvernements précédents s'y étaient attelés, avec la commission présidée par M. André Varinard et les travaux de Mme Christiane Taubira ; de nombreux travaux parlementaires ont alimenté la réflexion – je salue évidemment le travail de M. Michel Amiel au Sénat, ainsi que le riche rapport de notre rapporteur, Jean Terlier, et de Cécile Untermaier, que je remercie. Nicole Belloubet a engagé la concrétisation de ce projet, je profite de cette occasion pour la remercier d'avoir eu cette audace. Elle a réuni un groupe de contact, en invitant des parlementaires de toutes les formations politiques. Tous ont répondu favorablement, à l'exception de ceux qui, aujourd'hui, sollicitent le rejet du texte – preuve, s'il en fallait, qu'avant même de connaître la teneur de ce code, ils y étaient déjà opposés.
C'est sûr !
Ce groupe de contact, réuni à plusieurs reprises, a permis un travail constructif, prélude d'un débat parlementaire riche. Nous avons vécu en commission, puis en séance, de très beaux moments de débat, même si je concède leur caractère parfois répétitif – nous avons tous loué l'art de la répétition.
Je tiens à vous remercier, monsieur le garde des sceaux, d'avoir placé ce projet de code au coeur de votre mission, et d'avoir fait preuve d'un esprit d'écoute au sein de cet hémicycle. Le texte a été ainsi considérablement amélioré et enrichi, à l'Assemblée nationale comme au Sénat ; il est l'héritier de l'ordonnance de 1945, car il en a gardé l'essence, en gravant dans le marbre de la loi les principes inhérents à la justice pénale des mineurs : la primauté de l'éducatif, la spécialisation et l'atténuation de la responsabilité pénale.
Ce code donne un nouveau rythme à la procédure, en permettant une réponse pénale efficace et rapide, et une réponse éducative qui doit s'inscrire dans la durée. Il redonne leur vraie place aux victimes, en simplifiant leurs démarches, et surtout en prévoyant qu'elles obtiendront une décision de justice dans le délai raisonnable de trois mois. Il accorde aux mineurs d'avoir, dans la mesure du possible, tout au long de la procédure, le même juge des enfants, le même avocat et le même éducateur. Il nous met en règle avec le droit international en fixant une présomption de non-discernement pour les mineurs de 13 ans. Il simplifie les mesures éducatives et les peines, afin que le juge dispose d'une palette pour répondre à chaque mineur au cas par cas.
Au cours des débats, le texte a donc été amélioré ; nous avons consacré au sein de l'article préliminaire l'intérêt supérieur de l'enfant ; nous avons supprimé la possibilité de déroger, y compris à titre exceptionnel, à l'assistance systématique du mineur par un avocat, dans le cadre d'une audition libre ; nous avons réaffirmé le rôle du juge des libertés et de la détention pour prononcer une détention provisoire, ce qui est un acte grave, afin de satisfaire au principe d'impartialité ; nous avons garanti le principe de spécialisation fonctionnelle pour tous les acteurs de la justice des mineurs, dont ce fameux juge des libertés et de la détention, qui intervient pour le placement du mineur ; enfin, à la demande de nombreux professionnels, il a été décidé de reporter au 30 septembre 2021 l'entrée en vigueur de cette réforme.
Pour terminer, je remercie tous les professionnels, les magistrats, les greffiers, les éducateurs, les avocats – tous ceux et celles qui permettent à la justice des mineurs de fonctionner au jour le jour : quelque texte que nous votions, sans eux, elle n'atteindra jamais sa plénitude. Enfin, comme nous l'avons évoqué lors des débats, je tiens à souligner, particulièrement à votre attention, monsieur le garde des sceaux, mon espoir que ce code de la justice pénale des mineurs ne soit que la première pierre du futur chantier d'édification d'un véritable code des mineurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
L'adoption d'un code de la justice pénale des mineurs représente une clarification plus que bienvenue car, oui, notre justice des mineurs souffre depuis plusieurs années de nombreuses défaillances, que soulignent les critiques : trop lente, inadaptée, engorgée, mal comprise par tous – par les Français d'abord, par les principaux acteurs, ensuite, à savoir les mineurs, qui trop souvent ne la craignent ni ne la respectent. La dualité à laquelle elle est soumise – volonté d'éduquer et nécessité de réprimer les faits délictueux – , à laquelle s'ajoutent le manque de moyens et la survenance de crimes et délits toujours plus violents, l'ont privée au fil du temps de crédibilité, tant aux yeux des défenseurs du « tout éducatif » qu'à ceux du « tout répressif ». Une société qui a plus d'auteurs réitérants que récidivants a une justice en échec, et cet échec, nous ne pouvons que le constater.
Enfin, la justice pénale des mineurs est mal comprise par les professionnels, qui ne s'y retrouvent plus, à cause d'un manque cruel de moyens et d'outils de travail ; ils dénoncent un manque d'efficacité de la réponse apportée au passage à l'acte délinquant. Les trente-neuf modifications de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante n'en sont que la preuve.
Le texte que nous allons adopter codifie et simplifie la justice pénale des mineurs pour les professionnels, pour l'ensemble des acteurs, mais également pour tous les Français. L'objectif est louable, mais aujourd'hui encore, il manque d'ambition.
Une autre volonté affichée était de proposer une justice plus adaptée ; le compte n'y est pas tout à fait. Elle l'est sans doute au volume et à la nécessité d'apporter des réponses rapides, mais elle l'est moins dans sa réaction aux faits commis et à leur particulière violence, hélas, de plus en plus présente, comme elle ne l'est pas suffisamment au besoin de paix civile et sociale de nos concitoyens. Nous aurions probablement pu aller plus loin en la matière, grâce aux propositions du groupe Les Républicains, en conférant une plus grande confiance à nos juges, à leur capacité de donner une réponse appropriée aux cas qui leur sont soumis, ce qui nous aurait sans doute permis de lever la présomption d'irresponsabilité pour les mineurs de 13 ans, et l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans.
Toutefois, force est de constater que cette réforme n'en est pas moins nécessaire, au moins comme premier pas. La simplification de la procédure avec un mode de poursuites unique, l'accélération du délai de jugement à l'issue de l'enquête dans les dix jours à trois mois après la convocation, le prononcé de la sanction dans un délai de six à neuf mois sont de véritables avancées. Nous devons des réponses aux auteurs pour plus de pédagogie ; aux victimes et à la société pour plus de justice.
C'est sûr !
L'instauration de mesures de probation adaptées et efficaces renforcera la prise en charge des mineurs afin, nous l'espérons, d'endiguer la spirale délinquante de certains, et d'empêcher la réitération de faits délictueux, jamais sanctionnés ou, bien souvent, trop tardivement. Il est évidemment nécessaire d'améliorer la prise en considération des victimes, et on ne saurait prononcer de mesures éducatives ni de sanctions sans s'interroger sur ce que la victime a subi. L'indemnisation, la réparation du préjudice doivent être rapides, pour réconcilier nos concitoyens avec la justice des mineurs. Il est important de placer la victime au coeur de la procédure, avec le mineur : ces mesures étaient indispensables.
Nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord. Le report de l'entrée en vigueur de la réforme au 30 septembre laissera le temps aux professionnels de se préparer. Tous ne sont en effet pas prêts, puisque, dans dix juridictions, le stock d'affaires retardé par la crise sanitaire reste important : une entrée en vigueur prématurée aggraverait les difficultés liées à la nécessité du double audiencement dans la période de transition.
Les moyens nécessaires devront être déployés pour assurer le respect des délais de jugement, clé de la réussite de la réforme. Alors qu'actuellement il faut en moyenne dix-huit mois pour qu'un jeune soit jugé, un jugement en deux temps, la césure pénale, permettra de se prononcer sur la culpabilité du mineur en trois mois maximum. Les victimes pourront commencer à être indemnisées dès cette première phase. L'efficacité du travail éducatif en sera renforcée, puisque le mineur aura pris conscience de la portée de l'acte commis.
Espérons donc que le futur code de la justice pénale des mineurs permettra réellement de raccourcir les délais de jugement et d'améliorer la prise en charge éducative. La délinquance des mineurs est notre responsabilité à tous. Nous avons pris notre part : à vous de faire en sorte que cette réforme soit efficace et pérenne. Le groupe Les Républicains votera pour ce texte, non pas au titre d'une quelconque conspiration politico-politicienne,
Sourires
mais simplement parce que nous le considérons comme nécessaire et bon pour l'avenir de la justice des mineurs.
Applaudissement sur les bancs du groupe LR. – M. Jean Terlier, rapporteur, applaudit également
« Devant l'enfant, la décision judiciaire n'est valable que si elle exprime un acte de solidarité et d'amitié ». Ces mots de Jean Chazal dans L'Enfance délinquante animent largement l'esprit de l'ordonnance du 11 septembre 2019, et nous avons su nous nous porter à leur hauteur dans notre travail de coopération efficace avec le Sénat.
Gardons à l'esprit que, derrière les jeunes délinquants, il y a des parcours de vie, non seulement ceux d'enfants malmenés, cabossés, en déshérence, mais aussi ceux de victimes touchées par la détresse et la violence, marquées par l'incompréhension, et qui ont besoin de tourner rapidement la page pour se reconstruire et avancer. Ni les uns ni les autres ne doivent être laissés dans l'incertitude face à leur avenir.
L'ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, qui nous est soumise pour ratification, concilie ces différents enjeux avec habileté. Elle formule des pistes de réponse constructives face aux enjeux de la nouvelle délinquance des mineurs. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés se réjouit particulièrement que, sur un texte si structurant pour nos enfants et pour la société, la commission mixte paritaire ait pu aboutir à un accord.
Cette ordonnance intervient dans le prolongement de plusieurs études : le rapport de la commission Varinard de 2008 et la mission d'information conduite début 2019 par nos collègues Jean Terlier et Cécile Untermaier, dont je salue le travail. Leurs conclusions sont formelles : les principes cardinaux de l'ordonnance du 2 février 1945 ont été remis en question, tant dans leur lettre, au fil des trente-neuf modifications apportées au texte, avec une tendance au durcissement de la politique pénale à l'égard des mineurs, que dans la pratique judiciaire, certains de ces principes s'avérant largement inadaptés à l'évolution de la délinquance juvénile, du fait notamment des délais de la réponse pénale et d'un nombre excessif de placements de mineurs en détention provisoire.
L'ordonnance du 11 septembre 2019 vise à pallier cet épuisement de l'ordonnance de 1945. Elle procède indéniablement à une modernisation substantielle du droit pénal des mineurs tout en conservant ses principes cardinaux que sont la primauté de l'éducatif sur le répressif ou encore l'atténuation de la responsabilité du mineur en fonction de son âge.
Sur ce dernier point, nous sommes convaincus par l'introduction la présomption de discernement à partir de l'âge de 13 ans, qui est de nature à améliorer la protection des enfants. Nous approuvons pleinement la décision de conférer à cette présomption à caractère simple, l'appréciation du cas d'espèce devant prévaloir en toute situation. Quant au travail mené par le Sénat en séance publique pour définir le discernement, il nous semble éclairant : une telle définition était nécessaire pour assurer une protection efficace des enfants et des adolescents.
Nous saluons également l'apport majeur de l'ordonnance que constitue le raccourcissement de dix-huit mois à un an de la durée moyenne de traitement des affaires. Le jugement sur la culpabilité sera rendu dans un délai maximum de trois mois, ce qui permettra au mineur de bénéficier d'une mesure éducative sans décalage temporel entre la commission de l'infraction et la réponse apportée : cela est primordial pour que le mineur prenne conscience de la gravité des faits qui lui sont reprochés et renonce, dans de nombreux cas, à un nouveau passage à l'acte. La tenue accélérée de cette audience bénéficiera également aux victimes, qui pourront être indemnisées plus rapidement.
Concernant cette procédure, le Sénat a enrichi notre travail sur différents points, parmi lesquels la possibilité de numériser le dossier unique de personnalité et d'en donner l'accès au personnel du secteur associatif habilité ; la communication au mineur des mesures éducatives qui lui sont imposées dès l'issue de son audience de culpabilité ; ou encore la convocation par tout moyen des représentants légaux. Ces décisions nous semblent pertinentes et nous remercions les sénateurs pour leur contribution.
Nous saluons également la qualité des échanges au sein de la commission mixte paritaire, qui ont permis de trouver des compromis, s'agissant notamment du rétablissement de la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes et de celle du juge de la liberté et de la détention en matière de détention provisoire des mineurs.
Ainsi enrichies et affinées, les dispositions de l'ordonnance du 11 septembre 2019 permettront d'améliorer la qualité des procédures. Elles constituent un équilibre que la création d'un code de la justice des mineurs ne ferait que parachever : j'espère que nous avancerons en ce sens.
Nous devons toutefois garder à l'esprit, pour l'application de ce texte, et plus généralement s'agissant des politiques de l'enfance, qu'il est primordial de renforcer les synergies entre les différents acteurs de l'enfance.
Monsieur le garde des sceaux, le groupe Dem adhère largement à la réforme de la justice des mineurs et vous remercie à nouveau pour votre engagement sur ce sujet.
M. le rapporteur applaudit.
Merci monsieur le député.
Nous discutons d'une ordonnance qui traite de l'enfance : c'est dire l'importance de ce travail et l'émotion que suscite ce texte, en projet depuis de nombreuses années. Personne ne doute de l'importance d'une telle codification, même si nous aurions préféré un code de la justice pénale et civile des mineurs. En tout état de cause, il était essentiel d'instituer un code distinct du code pénal.
Nous avions longuement évoqué cette question avec Christiane Taubira lors de la conférence de consensus, dont nous retrouvons ici les lignes directrices. Je ne reviens pas sur nos critiques sur le principe de l'ordonnance, largement développées dans nos précédentes interventions, et que nous maintenons.
Les principes fondateurs de l'ordonnance de 1945 – atténuation de la responsabilité pénale, juridiction spécialisée, procédure spécifique et primauté de la réponse éducative – sont rappelés au début du texte, dans lequel est également introduite la notion d'intérêt supérieur de l'enfant.
Deux nouvelles mesures, sans constituer une révolution, peuvent améliorer le fonctionnement de la justice pénale des mineurs. La première d'entre elles est l'institution d'une procédure plus réactive et plus rapide, ce qui répond à une demande forte de nos concitoyens. Fondée sur le principe de césure du procès, sur lequel nous avons beaucoup travaillé, elle se présente en deux temps : le prononcé de la culpabilité d'abord, et celui de la sanction ensuite, au terme d'une période de mise à l'épreuve permettant d'adapter cette sanction au comportement de l'enfant.
La seconde est l'instauration d'une présomption d'irresponsabilité pour les mineurs de 13 ans. Pour ces enfants, les mesures éducatives, qui peuvent être très coercitives, sont la réponse à apporter.
Avec ma collègue Alexandra Louis, qui a beaucoup oeuvré sur cette question, ainsi qu'avec le rapporteur Jean Terlier, nous nous sommes battus, en séance et en commission, pour maintenir la présence du JLD dans la procédure de détention provisoire : fort heureusement, ce dispositif a été rétabli en CMP. L'incarcération peut être pire que le mal pour un enfant : appeler le juge des libertés et de la détention à se prononcer, c'est souligner la gravité d'une telle décision et conférer au mineur autant de droits qu'au majeur, ce qui est la moindre des choses. Merci, monsieur le ministre, d'avoir accepté nos demandes en ce sens.
La décision de la CMP de reporter au 30 septembre une réforme dont tout le monde convenait qu'il fallait la repousser est un soulagement pour les professionnels. Cette décision fait suite à un amendement de notre groupe, en commission des lois et en séance publique.
En revanche, la présomption simple ne permet pas de satisfaire les dispositions de l'article 40 de la CIDE – Convention internationale des droits de l'enfant. La définition du discernement réduit la portée de la présomption d'irresponsabilité pour les mineurs, en ce qu'elle prétend définir ce qui, à notre avis, n'est pas définissable et appartient au domaine de l'enfance. Cela complique la tâche du juge et l'organisation des services de l'aide à l'enfance et altère la clarté du message que nous devons tenir devant l'opinion publique, selon lequel l'enfant en danger ou l'enfant dangereux nous obligent de la même manière. Je fais cependant confiance au juge et à une politique de petits pas pour combattre les positions irréalistes et populistes.
Sur l'utilité d'étendre le rôle du juge des enfants à toutes les infractions, j'entends les objections tenant aux moyens. Mais il faut avancer résolument dans cette voie.
D'ailleurs, les moyens matériels seront-ils au rendez-vous ? C'est en effet essentiellement de cela qu'il est question. La justice des mineurs, dont le suivi éducatif est le corollaire, exige des crédits importants. La hausse, bienvenue, de 8 % des crédits pour 2021 ne suffira pas : nous le savons tous. Dans mon département, l'unique centre éducatif fermé a été supprimé. Depuis, aucun projet n'émerge.
Dans son ensemble, notre groupe ne s'opposera pas à ce texte. Pour ma part, pour les raisons que j'ai évoquées lors des différents débats, grâce au travail mené en confiance dans le cadre de la mission et malgré des réserves, je soutiendrai la ratification de cette ordonnance.
Pour conclure, je rends hommage aux magistrats, avocats, éducateurs, greffiers et personnels pénitentiaires qui oeuvrent au quotidien pour le soutien de l'enfance, qui la connaissent et qui la protègent. Je fais confiance à ces professionnels : au-delà de cette ordonnance, nous savons tous que c'est par eux que passe le regard vigilant que nous portons sur les enfants de notre pays.
Merci Madame Untermaier.
Depuis son entrée en vigueur, l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante a été modifiée quarante fois. Ces modifications successives ont conduit à multiplier les mesures, les cadres procéduraux et les modes de poursuites applicables aux mineurs. Elles ont, au fil du temps, rendu moins lisibles les principes affirmés en 1945 et ont contribué à un allongement des délais de jugement. Le présent texte contient de grandes avancées : mon groupe le soutiendra, car il répond à une attente forte et permettra une célérité bienvenue.
La gestion des mineurs délinquants est infiniment complexe car elle concerne une population d'êtres en construction. Il faut évidemment pouvoir sanctionner, mais toujours en donnant la primauté à la dimension éducative de la réponse pénale.
C'est vrai.
Avant même la fin de la seconde guerre mondiale, le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle considérait que la question de l'enfance délinquante était une priorité.
Voici la première phrase de l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 : « la France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». En 2021, le constat reste le même, bien que le contexte soit différent.
Le traitement par la justice pénale des mineurs est d'une importance cardinale, qu'il s'agisse de victimes ou de délinquants. Est-il nécessaire de réaffirmer cette lapalissade ? Les mineurs d'aujourd'hui sont la France de demain.
Nous saluons le travail de la commission mixte paritaire et nous nous réjouissons que des accords aient été trouvés sur les points de dissension entre nos deux chambres. Plusieurs sujets ont fait l'objet de débats, comme la présomption simple de non-discernement à treize ans. L'article 40 de la CIDE exige qu'un seuil d'âge soit adopté par les États sous lequel un enfant ne peut pas être tenu pour délinquant. Tenant compte de cet engagement important, en le conciliant avec les grands principes de notre droit pénal, le projet de loi introduit une présomption simple de non-discernement pour les mineurs de treize ans.
Plusieurs apports du Sénat ont consolidé cette avancée. C'est le cas de l'introduction, à l'article 1er ter A, de la définition du discernement. Celle-ci devait intervenir au niveau réglementaire, mais nous saluons la décision de l'inscrire dans la loi, tant il s'agit pour nous d'un pilier de la nouvelle architecture du code.
Deuxième sujet de débat : la compétence du tribunal de police pour les contraventions relevant des quatre premières classes et commises par des mineurs. Le Sénat avait souhaité supprimer la compétence du tribunal de police pour ces contraventions au profit du juge des enfants. Nous partageons le souhait de préserver la spécialisation des juridictions pour mineurs, principe à valeur constitutionnelle. Néanmoins, cette suppression risquait d'alourdir considérablement l'office des juges des enfants, en leur confiant environ 5 000 affaires supplémentaires par an. Nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire ait abouti à un accord sur ce point, en rétablissant la compétence du tribunal de police pour ces contraventions.
Troisième et dernier sujet de débat : la date d'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. À cet égard, l'Assemblée nationale s'était montrée très attachée à la date du 31 mars 2021, qui résultait déjà de plusieurs reports liés à la crise sanitaire. Toutefois, compte tenu de la persistance de la crise du covid-19 et des alertes formulées par les présidents de juridiction, il nous paraît tout à fait raisonnable de reporter encore cette entrée en vigueur. Le Sénat a proposé un report de six mois, au 30 septembre 2021, afin que les juridictions puissent préparer convenablement la transition vers les nouvelles procédures. Cette proposition de nos collègues sénateurs nous semble empreinte de sagesse : elle permettra aux juridictions d'accueillir cette réforme de manière sereine et efficace.
Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, le groupe Agir ensemble votera le projet de loi et vous remercie de votre engagement.
M. le rapporteur applaudit.
La CMP sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs est parvenue à un accord, et nous nous en réjouissons.
C'est vrai.
Il était en effet nécessaire de réformer l'ordonnance de 1945 et de la codifier pour gagner en clarté et en lisibilité. Les deux chambres se sont accordées sur le renouvellement de la procédure et sur tous les changements qui l'accompagnent.
Cette procédure renouvelée signifie beaucoup : elle doit garantir une réponse plus proche des faits, ce qui nous paraît indispensable pour permettre au mineur de comprendre son geste et pour éviter la récidive. Nous espérons cependant qu'un équilibre pourra être trouvé entre une promptitude bénéfique de la réponse pénale et une précipitation qui serait préjudiciable à tous – je pense notamment aux inquiétudes des avocats quant à la préparation de la défense.
Concernant les ajouts du Sénat, nous accueillons très favorablement le report de l'entrée en vigueur de la réforme : son application sera d'autant plus qualitative et effective.
Sur le fond, notre groupe aurait souhaité aller plus loin pour la prise en charge spécifique des récidivistes ou réitérants. Dans ce cas de figure précis, la réponse doit être prioritaire, voire prononcée par une chambre spécialisée. Nous regrettons que nos propositions à ce sujet n'aient pas été entendues. J'aurais souhaité développer toutes les mesures que nous pourrions prendre pour tenter d'endiguer en amont la délinquance des jeunes, d'en traiter les causes et pas seulement les conséquences, par la pénalisation ; malheureusement, le temps nous manque.
Dès lors, le c? ur de cette réforme est en réalité la question d'un éventuel seuil d'irresponsabilité pénale pour les plus jeunes. Il s'agira désormais d'une présomption simple, le seuil en deçà duquel nous supposons que l'enfant n'est pas capable de discernement étant fixé à 13 ans. Au-delà des questions pratiques et de procédure, ce qui différencie l'enfant de l'adulte, c'est bien sa capacité à comprendre ses actes et donc à en être responsable. La définition du discernement, introduite par le Sénat, l'explicite bien.
C'est le point cardinal de la réforme, puisque l'appréciation de la responsabilité par le juge conditionnera toute la suite de la procédure judiciaire. Il fallait donc inscrire dans le marbre de la loi qu'un enfant reste un enfant, et que l'essentiel réside dans son accompagnement vers sa vie d'adulte. Dire cela, ce n'est ni faire preuve d'angélisme ni nier l'opportunité d'une certaine sévérité de la sanction lorsque cela s'avère nécessaire. Comme l'a très bien dit mon collègue Michel Zumkeller lors de la discussion générale en première lecture, ces choix ne sont pas uniquement juridiques : il relève de notre conscience collective que les principes fondamentaux posés en 1945 conditionnent, aujourd'hui comme hier, le bien-fondé de la réponse pénale apportée aux enfants et aux adolescents. Que les mineurs soient influencés, en grande souffrance ou en perte de repères, leur accompagnement est primordial. C'est pourquoi l'éducatif devra toujours primer sur le répressif. Nous espérons plus que tout que ce principe demeurera, parce qu'il est la clé d'une justice pénale adaptée à nos enfants.
Nous mettons beaucoup d'espoir dans cette réforme, et le groupe UDI et indépendants la votera. Néanmoins, les espoirs ne peuvent devenir réalité que si l'on s'en donne les moyens ; les efforts seront vains s'il s'agit uniquement d'inscrire dans la loi des principes qui ne pourront être appliqués.
En effet, la justice pénale des mineurs souffre non pas d'un accroissement de la délinquance, mais d'un manque de moyens chronique. Le dévouement de tous ceux qui ? uvrent pour guider nos jeunes dans le droit chemin achoppe sur des difficultés pratiques qui ne peuvent se résoudre que par l'augmentation des budgets : manque de personnel, manque de places dans les établissements d'accueil, manque de prise en charge sanitaire et psychologique.
Aussi attendrons-nous avec une particulière exigence le rapport demandé à l'article 11, dans lequel le Gouvernement devra dresser un bilan de l'application du code de la justice pénale des mineurs et préciser les éventuelles avancées et difficultés rencontrées. Nous considérons la remise de ce rapport, prévue dans deux ans, comme une potentielle clause de revoyure : ce sera l'occasion de nous pencher sur les changements que nous allons concrétiser et de contrôler rigoureusement les mesures mises en ? uvre pour pallier les difficultés actuelles. Le cas échéant, nous devrons agir rapidement pour effectuer les modifications nécessaires.
Au regard des enjeux, ma conclusion est teintée d'une certaine solennité. Assurément plus que d'autres, le texte que nous nous apprêtons à voter engage les générations à venir.
J'appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.
Conformément à l'article 113, alinéa 3, du règlement, je vais appeler l'Assemblée à statuer sur les amendements dont je suis saisie.
La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l'amendement no 1 .
Il s'agit d'un amendement rédactionnel de coordination syntaxique, madame la présidente.
Sourires.
L'amendement no 1 , accepté par la commission, est adopté.
Je vous donne de nouveau la parole, monsieur le garde des sceaux, pour soutenir l'amendement no 2 .
C'est un amendement rédactionnel de coordination, madame la présidente.
Presque autant que la syntaxe !
Sourires.
L'amendement no 2 , accepté par la commission, est adopté.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que le vote par scrutin public sur ce projet de loi aura lieu demain, après les questions au Gouvernement et le vote solennel sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
La parole est à Mme Carole Grandjean, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Depuis les révoltes ouvrières du XIXe siècle et la loi du 9 avril 1898, premier texte à avoir organisé la réparation des accidents du travail, la protection sociale en France s'est construite autour des enjeux de sécurisation des travailleurs. Au moment où notre pays traverse une des plus graves crises sanitaires du XXIe siècle, il est nécessaire de renforcer les dispositifs concourant au maintien des travailleurs en bonne santé physique et psychique. Alors que les dispositions relatives à la santé au travail se sont historiquement construites autour de la notion de réparation, une nouvelle culture de la prévention doit désormais prévaloir, l'enjeu étant de lutter contre la désinsertion professionnelle.
Cette volonté est aussi celle qui a animé les discussions des partenaires sociaux lors des négociations qui ont abouti à la signature, en décembre dernier, d'un accord national interprofessionnel. Au travers de cet accord, les organisations syndicales et patronales ont pris l'engagement explicite de donner une place effective à la prévention et de favoriser une offre de services harmonisée et renforcée. Tels sont bien les principaux objectifs de la proposition de loi que nous avons déposée : renforcer la culture de la prévention, réorganiser les structures de la santé au travail et les doter d'outils performants, décloisonner la santé publique et la santé au travail, favoriser l'accès de tous les travailleurs à ces services.
Particulièrement attachés au dialogue social, nous avons souhaité proposer un texte de loi respectueux des engagements pris par les signataires de l'accord. Sa structuration politique a été le fruit de plusieurs travaux et rapports parlementaires, d'un processus de concertation et de conférences territoriales avec les acteurs. Sa construction juridique a été sécurisée par un avis du Conseil d'État. Le texte soumis aujourd'hui à notre assemblée a été enrichi de propositions émanant de tous les bancs de cet hémicycle. Sa construction se poursuivra en séance publique, nourrie de nos nouveaux échanges.
Nous avons souhaité améliorer les outils de prévention, en prévoyant d'une part une visite médicale de mi-carrière, d'autre part un rendez-vous organisé à la demande du salarié en congé maladie de longue durée afin d'anticiper son retour dans les meilleures conditions et de procéder aux aménagements nécessaires du poste et du temps de travail. La cellule de prévention de la désinsertion professionnelle accompagnera les situations individuelles qui nécessitent une coopération des acteurs pour aménager le poste et éviter l'inaptitude.
Pour assurer une prise en charge de meilleure qualité, nous avons souhaité favoriser le décloisonnement entre la médecine du travail et la santé publique, en confiant aux médecins du travail des missions renforcées de vaccination et de dépistage, en leur permettant de recourir à la téléconsultation avec l'accord du salarié, de travailler en partenariat avec un médecin praticien correspondant ou encore d'intégrer les communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS. Nous estimons que l'amélioration de la coordination des acteurs et leur coopération sont essentielles pour permettre à la France de rejoindre la voie de l'excellence dans la prise en charge de la santé des travailleurs. C'est aussi pour cette raison et dans cette finalité que nous avons souhaité permettre aux médecins du travail d'accéder au dossier médical partagé des travailleurs, sous réserve de leur consentement exprès, et de permettre en outre aux médecins du soin d'accéder au dossier médical en santé au travail.
Pour favoriser la complémentarité, nous préconisons de renforcer la composition des équipes pluridisciplinaires et de permettre aux infirmiers d'exercer en pratique avancée au sein d'un service de prévention et de santé au travail. Afin d'assurer un meilleur suivi de tous les travailleurs, y compris des travailleurs indépendants et des chefs d'entreprise, nous avons souhaité encourager une offre dédiée par les services de santé au travail.
Mes chers collègues, nous avons la conviction que la présente proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail répond aux enjeux que je viens de vous exposer. Notre responsabilité collective est d'améliorer le classement de la France, actuellement vingt-neuvième sur trente-cinq en Europe pour l'évaluation des risques professionnels. Notre responsabilité collective est d'accompagner nos entreprises, petites et grandes, sur le chemin de l'acculturation en matière de prévention ; nous partageons cette responsabilité avec l'ensemble des partenaires sociaux, qui devront s'engager comme nous dans cette voie, par des négociations d'entreprise et de branche. Notre responsabilité collective est d'offrir à tous les travailleurs français, qu'ils soient salariés ou non, une meilleure prise en charge de leur santé au travail et de développer une véritable culture de la prévention dans notre pays.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
La parole est à Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure de la commission des affaires sociales.
Voici la réforme destinée à faire enfin basculer la santé au travail dans la prévention. Rappelez-vous, chers collègues, nous l'avions voulue, au mois de juin dernier, lorsque notre assemblée a voté la résolution que Carole Grandjean, Cendra Motin et moi-même avions proposée, visant à faire de la France l'un des pays les plus performants d'Europe en matière de santé au travail. Nous croyons dans la valeur travail et dans l'émancipation par le travail. Dès lors, nous voulons tout naturellement que le travail ne se fasse pas au détriment de la santé.
Dans le contexte de crise sanitaire que nous vivons, la santé au travail est apparue comme un enjeu majeur et une condition sine qua non de la poursuite d'activité durant la crise. Mais nous avions déjà pu mesurer bien avant, grâce à de nombreux rapports, l'enjeu qu'elle représente. J'ai moi-même eu l'honneur d'en remettre deux au Premier ministre : l'un rédigé avec Bruno Dupuis et Henri Forest en 2018, et l'autre avec Pascale Coton et Jean-François Verdier en 2019. Parmi les nombreux autres, citons notamment le rapport de la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie remis par nos collègues Pierre Dharréville et Julien Borowczyk ; le rapport d'information sur le dossier médical partagé et les données de santé de notre collègue Cyrille Isaac-Sibille ; le rapport d'information sur l'instauration d'un service universel de santé au travail de nos collègues sénateurs Stéphane Artano et Pascale Gruny ; le rapport sur le risque chimique du professeur Paul Frimat ; les rapports sur l'attractivité de la profession de médecin du travail remis par l'Inspection générale des affaires sociales – IGAS…
Le vote de la résolution a envoyé un signal fort aux acteurs de terrain tout comme aux partenaires sociaux. Pour qu'elle ne reste pas au stade de l'intention, Carole Grandjean et moi avons créé, avec une trentaine de collègues issus des groupes Dem, Agir ensemble et La République en marche, un groupe de travail qui a auditionné de nombreux acteurs de la santé au travail et rencontré sur le terrain les équipes des services de santé au travail et les acteurs de la prévention.
Notre intention très clairement affichée de déposer une proposition de loi avant la fin de l'année 2020 a encouragé les partenaires sociaux à aboutir à un accord dont notre texte servirait utilement de véhicule législatif. Le deal était clair : en cas d'accord, nous nous engagions à transposer les termes des négociations et à les enrichir ; en cas d'échec, comme cela avait été le cas en 2019, nous légiférerions tout de même.
Ainsi, c'est avec satisfaction que nous avons accueilli la conclusion, le 10 décembre, d'un accord national interprofessionnel – ANI – prévoyant en particulier la montée en qualité des services de santé au travail – avec la définition d'une offre socle de services certifiée – , la création du passeport prévention, la réaffirmation de l'importance du document unique et du plan d'action qui en découle ainsi que la création de la visite de mi-carrière. Nous saluons cet engagement à renforcer la prévention en santé au travail.
En parallèle de ces discussions, nos travaux ont conduit à proposer des mesures fortes et innovantes, en particulier pour décloisonner la santé publique et la santé au travail, et pour mieux lutter contre la désinsertion professionnelle. Aussi donnons-nous au médecin du travail l'accès au dossier médical partagé, sous réserve de l'accord exprès du salarié, tout en prévoyant une meilleure coordination avec ses pairs, grâce, notamment, aux communautés professionnelles territoriales de santé et aux dispositifs d'appui à la coordination.
Pour répondre à la lourde problématique de pénurie de médecins du travail, nous réaffirmons le rôle des infirmiers en santé au travail et nous les autorisons à exercer en pratique avancée : ils pourront ainsi utilement prendre en charge, sous la responsabilité du médecin, les missions de ce dernier. De plus, nous réaffirmons l'intérêt de l'usage de la télémédecine.
Pour faire de l'entreprise un terrain de santé publique, nous développons les campagnes de dépistage et de vaccination et la promotion du sport santé. Pour permettre aux personnes en arrêt maladie de vivre leur convalescence sans se sentir exclues du monde professionnel, nous créons le rendez-vous de liaison dont ils pourront faire usage à leur convenance. Parce que nous mesurons combien les risques professionnels représentent également des enjeux majeurs pour les chefs d'entreprise et les travailleurs indépendants, nous leur ouvrons l'accès aux services de prévention.
Ces avancées ont été proposées par les députés membres du groupe de travail, puis enrichies par les commissaires aux affaires sociales. C'est cet esprit constructif avec les partenaires sociaux, avec nos collègues de tous les bancs de l'hémicycle et avec les sénateurs qui nous a animés tout au long du processus d'élaboration de ce texte, lequel s'est également nourri des échanges fructueux avec les acteurs de terrain. Carole Grandjean et moi-même sommes convaincues que le débat parlementaire que nous ouvrons aujourd'hui, articulé de façon inédite avec le dialogue social, permettra d'aller encore plus loin, dans l'objectif de renforcer la prévention en santé au travail.
Enfin, je souhaite remercier chaleureusement nos collaborateurs et les administrateurs qui nous ont apporté un soutien sans faille dans l'élaboration de cette proposition de loi.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail.
Nous entamons aujourd'hui l'examen en séance publique de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail. Après la conclusion de l'accord national interprofessionnel le 10 décembre dernier et les travaux de la commission des affaires sociales de la semaine dernière, nous franchissons désormais une nouvelle étape dans la réforme de la santé au travail.
Chacune de ces étapes est essentielle. Au début du mois de mars 2020, le Gouvernement a proposé aux partenaires sociaux de se saisir de cet objet, selon la méthode instaurée par la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social dite loi Larcher, qui prévoit d'inviter les partenaires sociaux à négocier avant de rédiger un texte de loi portant sur les relations individuelles et collectives du travail.
Les organisations syndicales et patronales ont répondu favorablement à cette invitation et ont ensuite entamé leurs travaux au moins de juin, à partir du document d'orientation transmis par le Gouvernement. Les six mois de négociation des partenaires sociaux auront permis d'aboutir à un accord solide et équilibré, quelques semaines seulement après la conclusion d'un autre accord relatif au télétravail.
La signature de cet accord national interprofessionnel par le MEDEF, la Confédération des PME, l'Union des entreprises de proximité, la CFDT, Force ouvrière, la CFE-CGC et la CFTC prouve la capacité des partenaires sociaux à écrire ensemble une nouvelle page de la santé au travail. Construire cette convergence de vue n'a pas été chose facile ; elle a nécessité un travail approfondi, de l'ouverture, des concessions réciproques. Je ne m'étendrai pas sur le contenu des négociations, nous aurons l'occasion d'y revenir durant nos débats.
Je voudrais simplement souligner la vitalité de notre dialogue social qui, en période de crise, prend tout son sens. Nos partenaires sociaux ont su dépasser leurs antagonismes pour être force de proposition et concrétiser l'ambition d'une santé au travail et résolument orientée vers la prévention.
Désormais, la démocratie parlementaire prend le relais de la démocratie sociale. Ces deux formes de légitimité, ni concurrentes ni redondantes, sont complémentaires pour ouvrir la voie à un accord le plus large possible. Le dépôt de cette proposition de loi, le 23 décembre dernier, est intervenu quelques jours seulement après la conclusion de l'ANI. L'initiative permet de donner corps à cette négociation fructueuse et de la transposer dans notre droit.
Je tiens, dès lors, à saluer l'engagement de la majorité présidentielle et en particulier le vôtre, mesdames les rapporteures, qui avez soutenu cette initiative avec les groupes LaREM, Dem et Agir ens. Vous savez combien je suis attaché à cette démarche collective de la majorité présidentielle.
Au-delà de son engagement, je sais pouvoir compter sur celui de tous les députés en faveur de la prévention et de la rénovation de notre système de santé au travail. Je suis convaincu que nous pouvons construire un consensus élargi au sein de votre assemblée, puis avec le Sénat.
Si le Gouvernement se félicite de cette méthode inédite de transposition, il devra veiller, jusqu'à l'issue de la navette parlementaire, au respect des équilibres – délicats et donc fragiles – atteints par les organisations patronales et syndicales.
La traduction de l'ANI adopté au mois de décembre ne se limitera pas à un ensemble de mesures législatives : un chantier réglementaire important nous attend, lequel devra s'accompagner d'une appropriation de ces dispositions par les acteurs de terrain. Du reste, j'ai eu l'occasion d'indiquer à la présidente de la commission des affaires sociales, Fadila Khattabi, que je me tenais à sa disposition sur ce sujet : j'aurais plaisir à venir devant la commission pour parler de cette déclinaison réglementaire, si vous le souhaitez.
S'agissant du contenu de la proposition de loi, il permet, à l'évidence, d'accélérer la modernisation de notre système de santé au travail. Le texte s'inscrit dans la continuité de la résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail, adoptée par l'Assemblée nationale le 22 juin 2020 à la suite des nombreux travaux réalisés à l'initiative du Parlement ou du Gouvernement et dont Mme la rapporteure Charlotte Parmentier-Lecocq a déjà fait mention. J'ai du reste bien en tête, madame la rapporteure, les travaux que vous avez vous-même produits en 2018 avec Bruno Dupuis et Henri Forest, ou ceux réalisés en 2019 avec Pascale Coton et Jean-François Verdier sur la santé au travail dans la fonction publique.
Dès lors, mesdames et messieurs les députés, c'est une course de fond ayant débuté il y a déjà plusieurs années qui trouve désormais sa traduction concrète dans la présente proposition de loi. Nos échanges cette semaine permettront d'approfondir certains de ses objets.
Dans l'immédiat, je souhaite souligner plusieurs avancées que je trouve particulièrement significatives : le renforcement de l'approche préventive de la santé au travail ; la traçabilité collective de l'exposition aux risques professionnels, notamment chimiques ; la définition d'une offre socle de services déployée auprès de l'ensemble des entreprises, y compris celles de petite taille ; la création d'une procédure de certification qui permettra de soutenir les efforts de qualité ; la lutte pour le maintien dans l'emploi, avec la création d'une visite de mi-carrière permettant de vérifier l'adéquation entre le poste de travail et l'état de santé.
D'une façon générale, j'ai pu mesurer, notamment lors de mes déplacements, la très forte attente des salariés et des entreprises envers les services de santé au travail. Je l'ai constaté à chaque fois et encore, ces dernières semaines, dans le cadre des visites des services de santé au travail de Soissons, de Saint-Omer ou encore de Dijon ou de Molsheim.
Dans la mesure où la proposition de loi vise à répondre à cette attente et à poursuivre l'ambition d'une médecine du travail adaptée aux entreprises et aux parcours professionnels du XXIe siècle, le Gouvernement la soutiendra résolument.
Je me dois toutefois de souligner les interrogations soulevées par certaines dispositions, parfois confirmées lors des débats en commission. Je pense notamment à la prise en compte des particularités des TPE-PME concernant le programme de prévention. L'enjeu pour celles-ci, c'est la réalisation et le suivi du document unique d'évaluation des risques professionnels, le DUERP, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter de nouvelles contraintes.
Je pense également à l'accès des médecins et infirmiers en santé au travail au dossier médical partagé. Les débats parlementaires devront permettent de lever les dernières réserves soulevées lors de l'examen de la proposition de loi par le Conseil d'État.
Avant de m'en remettre à nos débats, je salue les 8 000 professionnels de la santé au travail, qui ont perçu la création d'un secrétariat d'État dédié comme un engagement fort du Gouvernement et du Président de la République sur la voie de la reconnaissance et de la modernisation de leur activité, si nécessaire aux entreprises comme aux travailleurs. Ils se sont mobilisés sans relâche depuis le déclenchement de l'épidémie dans chacun des territoires que vous représentez ici et attendent désormais les outils et les moyens de travailler plus efficacement au service de la santé de l'ensemble des travailleurs et des entreprises.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
La République en marche espère, avec cette proposition de loi, racheter la faute
Rires et exclamations sur les bancs du groupe LaREM
commise au début de la législature et que personne n'a oubliée : la loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, imposée par Emmanuel Macron en 2017, sur le fondement de laquelle une ordonnance a notamment supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT – , ces services chargés de veiller en toute indépendance à la santé des travailleurs dans l'entreprise.
Ainsi, vous nous soumettez une proposition de loi sur la santé au travail pour nous faire oublier. Mais alors, que proposez-vous ? Personnellement, quand je pense à ce qui pourrait être fait en matière de santé au travail, je songe aux intérimaires d'Amazon qui subissent à longueur de journée des commandes vocales leur dictant quoi faire à la seconde près ; nous pourrions interdire ce type de pratique.
Je pense à mes collègues soignants qui souffrent de troubles musculo-squelettiques à force de devoir porter des personnes ; nous pourrions imposer des ratios de soignants par résident et par patient pour les soulager.
Je pense à des proches qui ont subi des burn-outs au travail ; nous pourrions reconnaître cette maladie professionnelle pour inciter les entreprises à prévenir ce risque.
Je pense aux égoutiers sans lesquels nos rues répandraient une odeur pestilentielle, mais dont l'espérance de vie est inférieure de dix-sept ans à la moyenne ; nous pourrions réduire la pénibilité de leur métier.
Je pense aux personnes qui travaillent de nuit ou en soirée, ce qui accroît leurs problèmes de santé ; nous pourrions diminuer le recours par les entreprises à ces plages horaires.
Je pense aux nouvelles formes de management qui ont émergé, aux personnes qui se suicident parce qu'elles sont harcelées au travail. Nous pourrions faire en sorte que la médecine du travail soit réellement indépendante de l'employeur pour prévenir ces risques.
Je pense aux agriculteurs, totalement exclus du champ de cette proposition de loi, qui sont exposés à des produits cancérigènes. Il conviendrait de les accompagner vers des alternatives à l'agrochimie.
Il y aurait tant à faire.
Mais non : toutes ces demandes sont considérées comme « hors sujet ». Votre proposition de loi sur la santé au travail passe complètement à côté de ces considérations. Alors que propose-t-elle ? Des documents supplémentaires – passeport prévention, document unique – , au risque de décharger l'employeur de ses responsabilités ; des délégations de compétence et de la télémédecine, au risque de nuire à la qualité des visites médicales ; une libéralisation du secteur de la médecine du travail par des certifications d'organismes privés ; des missions de santé publique qui éloignent la médecine du travail de son coeur de métier, et de nouveaux comités comme vous les aimez à la République en marche. Bref, du vide : c'est une proposition de loi technocratique, c'est la méthode « en marche sur la tête ». Si vous avez un problème de moisissures dans votre salle de bains, au lieu d'améliorer l'aération, vous remettez un petit coup de peinture ; hélas, cela ne résoudra rien.
Vous vous vantez de retranscrire dans la loi les décisions prises par les syndicats patronaux et salariaux dans le cas de l'accord national interprofessionnel, comme s'il s'agissait là d'un gage de légitimité. Mais c'est de santé au travail que l'on parle ici, et vous savez comme moi que les salariés sont subordonnés par un contrat de travail. Or la législation est là précisément pour protéger le salarié ; elle n'est pas là pour faire plaisir. L'ANI manque naturellement d'ambition en termes de protection des travailleurs, puisqu'il est signé par toutes les organisations patronales. Les syndicats de travailleurs ont certes aussi leur mot à dire, mais ils sont loin d'y trouver leur compte ; d'ailleurs la CGT, qui représente tout de même 640 000 adhérents, n'a pas souhaité signer, et la majorité des amendements que nous présentons nous ont été suggérés par les signataires de l'ANI.
Sans surprise, donc, vous passez à côté du sujet : votre vision édulcorée du monde du travail vous empêche de prendre les mesures indispensables. Certaines propositions sont même particulièrement inquiétantes.
Prenons la visite de mi-carrière, qui sera désormais obligatoire pour tous les salariés : une telle visite n'est bénéfique pour le salarié que si elle conduit le médecin du travail à adapter le poste dans son intérêt. Mais, pour cela, il faudrait que le médecin du travail soit totalement indépendant de l'employeur. Or tel n'est pas le cas. Ainsi, l'association Santé et médecine du travail observe que la capacité du médecin du travail à résister individuellement à une organisation du travail et à des plans d'activité imposés par une direction est très limitée, ou relève de l'héroïsme. Cela a été mis en évidence au moment du scandale de l'amiante, par exemple : ce ne sont certainement pas les médecins du travail qui ont permis à cette affaire d'émerger ! Le médecin du travail sera incité à faire de cette visite de mi-carrière une visite de contrôle, qui servira à savoir si, oui ou non, le salarié doit être remplacé. Malheureusement, vous passez là encore à côté du sujet, en refusant de renforcer l'indépendance et le pouvoir des médecins du travail, comme nous vous le demandons.
Pire, 600 médecins du travail vous ont écrit pour vous alerter sur les dangers que représente ce texte : en déléguant certaines de leurs missions à des professionnels de santé encore moins protégés qu'eux, vous aggravez la soumission des médecins du travail aux impératifs économiques des entreprises, au détriment de la santé des travailleurs.
Si certains articles vont très timidement dans le bon sens, d'autres présentent une menace pour les salariés. Cette proposition de loi n'est dans l'ensemble absolument pas à la hauteur des enjeux. Elle ne parle ni de la souffrance au travail, ni de ses causes profondes, confirmant ainsi nos inquiétudes. Puisque Emmanuel Macron n'aime pas le terme de pénibilité, vous ignorez tout bonnement le sujet : grande déception.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
L'originalité du texte que nous examinons cet après-midi est de transposer dans la loi les conclusions d'un accord national interprofessionnel conclu le 10 décembre 2020. On ne peut que se satisfaire de la conclusion d'un tel accord, d'autant que les négociations étaient difficiles ; elles avaient d'ailleurs échoué en juillet 2019. Ces derniers mois, plusieurs accords interprofessionnels sont intervenus : je pense au Ségur de la santé ou encore à l'ANI sur le télétravail. Ils sont évidemment loin d'être parfaits, mais ils rappellent combien sont nécessaires la concertation et la négociation collective.
La santé au travail a fait l'objet du troisième grand accord national interprofessionnel conclu en 2020 ; celui-ci est d'autant plus important que le domaine de la santé au travail est en souffrance depuis de longues années. Comme dans un grand nombre d'autres domaines, la crise sanitaire a mis en lumière d'importants dysfonctionnements : pénurie de médecins du travail, systèmes illisibles et difficiles d'accès, inégalités territoriales.
Signer un tel accord était indispensable en raison des atteintes à la santé liées au travail que subissent nos compatriotes. Je pense évidemment aux effets de la précarisation des carrières sur le suivi des salariés et sur leur santé. Je pense également à la souffrance psychique, qui s'est accrue ces derniers mois, et dont nous mesurons encore mal l'ampleur. Les rapports de parlementaires ou de l'IGAS pointent depuis des années les mêmes lacunes.
Ce texte transposant les conclusions d'un accord national, il revient au législateur que nous sommes de veiller à ce qu'il respecte les équilibres trouvés par les partenaires sociaux. Veillons aussi à ne pas dénaturer la santé au travail : elle doit privilégier l'intérêt sanitaire individuel et collectif des salariés et garantir à tous les travailleurs un accès rapide et de qualité au service de santé au travail.
La proposition reprend les grandes orientations de l'accord, auxquelles le groupe Libertés et territoires ne peut que souscrire : décloisonnement entre santé publique et santé au travail, renforcement de la prévention, amélioration de la qualité du service rendu et de la gouvernance des services de santé au travail, renforcement de l'accompagnement de certains publics vulnérables et de la lutte contre la désinsertion professionnelle.
Nous prenons acte des améliorations apportées en commission sur l'obligation de la prise en considération du consentement du travailleur, en particulier concernant l'accès à son dossier médical partagé par le médecin du travail : un refus n'est pas porté à la connaissance de l'employeur et ne pourra pas être considéré comme une faute.
Nous avons aussi clarifié le fait que les rendez-vous de reprise, devenus rendez-vous de liaison, seront à l'initiative du salarié.
Par ailleurs, il était nécessaire de mieux intégrer les acteurs participant à l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap et de mieux protéger les travailleurs des situations de polyexposition. Certaines de nos propositions ont été intégrées au texte.
Malgré tout, certains points méritent d'être précisés, et nous pensons possible d'aller plus loin dans la transcription de cet accord. Nous insisterons sur la nécessité d'expliciter clairement dans la loi les différentes catégories de risques professionnels et de mieux prendre en compte les risques chimiques. Cela nous paraît d'autant plus important que le Gouvernement a supprimé par ordonnance, en 2017, quatre critères de pénibilité : postures pénibles, vibrations mécaniques, manutentions manuelles de charges, agents chimiques.
Par ailleurs, en vous en tenant à la prévention en santé au travail, vous ne faites pas suffisamment le lien avec la réparation et l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le travail peut être source de réelles souffrances aussi bien psychiques que physiques ; cette réalité ne doit être ni occultée ni minimisée.
Enfin, la pénurie de médecins du travail n'est pas traitée. Or nous comptons aujourd'hui un médecin pour 4 000 salariés dans le secteur privé, soit moitié moins qu'il y a quinze ans. Pour remédier à cet état de fait, vous proposez le recours aux médecins correspondants ; mais, dans un contexte de désertification médicale, nous doutons de son efficacité. La délégation de tâches et la pratique avancée pour les infirmières en santé au travail nous paraissent des solutions plus réalistes ; mais encore faut-il pouvoir avancer sur le statut, la formation et la protection de ces infirmiers, à l'instar de ce qui existe pour les médecins du travail.
Malgré ces insuffisances, nous abordons cette discussion de façon plutôt positive, conscients qu'il faut avancer sur ce sujet. Mais nous vous invitons tout de même à rehausser vos ambitions pour être à la hauteur de l'importance du sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe LaREM.
On meurt encore au travail. On abîme encore sa vie au travail. On peut encore perdre sa vie à la gagner, comme ces travailleurs et ces travailleuses de l'amiante des industries du Golfe de Fos et d'ailleurs. Mais tout cela est masqué.
À l'endroit du travail, l'humain est placé au carrefour d'une contradiction sociale structurante. Il participe à une oeuvre collective, il apporte sa part de réponse aux besoins en louant sa force et son intelligence ; on peut exprimer au travail une part belle de soi-même, s'y accomplir. Mais on se trouve aussi au lieu où s'exercent ces pressions qui veulent l'humain productif, compétitif, rentable, profitable. On peut l'ignorer, et se dire qu'il n'y a là que des accidents et des fautes d'inattention ; on peut minimiser la révélation de plus en plus forte des troubles psychosociaux ; alors on fera de la santé au travail une gentille attention, un détail qu'il faut se rappeler de temps en temps. Mais si l'on a conscience de ce qui se joue au travail, du temps qu'on y passe dans une vie et des risques d'y laisser quelque chose de son intégrité, alors on en fera un combat résolu qui veut changer le travail lui-même.
Au travail aussi, la règle doit être de créer les conditions d'un état de complet bien-être, physique, psychique et social, sans quoi il n'y a pas d'épanouissement, pas d'émancipation. Le travail ne doit pas être une zone grise où l'on accepterait l'inacceptable pour répondre à des exigences de production. Il faut faire face au mal-travail, à la crise du travail. C'est une bataille, menée dans les entreprises au plus près des postes de travail, dans le réel, menée par des salariés, des syndicalistes, des mutualistes, des préventeurs, des médecins, souvent trop seuls.
Or le premier acte de cette législature a été – je pèse mes mots – un geste scélérat, un choix coupable, un signal insoutenable : avec ces ordonnances de casse du code du travail, la majorité de cette assemblée a démoli le monument qu'étaient les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Elle s'est attaquée aux avancées arrachées sur la reconnaissance de la pénibilité – un mot qui ne plaît pas parce qu'il y a des réalités qu'on ne veut pas voir.
Alors nous voici cet après-midi en session de rattrapage, et c'est une occasion manquée, loin des pistes qui semblaient pourtant ouvertes par vos travaux, mesdames les rapporteures. Le Gouvernement a donné une feuille de route pour un accord national interprofessionnel adopté sans enthousiasme ni unanimité ; il aurait dû en assumer la présentation. Le fait que ce soit une proposition de loi qui est soumise à notre examen n'est pas un gage de coconstruction. Nous sommes ici pour faire un peu plus qu'enregistrer, et nous allons discuter les propositions qui sont sur la table, d'autant que vous avez souhaité y ajouter quelques éléments de votre cru.
Je veux saluer le choix d'un archivage du document unique, en regrettant que ce ne soit pas au sein d'une institution sociale ou publique, car cela vient fragiliser un peu le dispositif. C'était une mesure que j'avais proposée dans mon rapport de commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie.
Mais vous vous cantonnez ici à un tout petit périmètre, et si quelques-unes des mesures ne mangent pas de pain, d'autres nous semblent problématiques. On voit poindre l'organisation d'un système à deux vitesses, avec la création d'une offre « socle » pour les services de prévention et de santé au travail, et donc d'offres « premium » autour desquelles se développera un marché. Quid de l'obligation de moyens en matière de santé ?
On devine aussi l'apparition d'un nouveau marché avec l'ajout d'un système de certification par des organismes privés.
Devant cette visite dite de mi-carrière, on ne peut que s'interroger : voilà qui ressemble à une façon d'installer l'idée que les autres visites intermédiaires pourraient être dispensables. Au passage, pour les décrets concernant la visite de fin de carrière qui attendent d'être publiés depuis 2018, c'est quand vous voulez !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
On reste également dubitatif devant ce « rendez-vous de liaison », assez indéfini, qui n'a pas été discuté.
Il y avait pourtant beaucoup à faire pour rendre incontournable la prévention, pour lutter contre les maladies éliminables et les risques, pour agir concrètement sur les situations de travail – par exemple grâce à un cadastre des maladies déclarées et reconnues – , pour rehausser la responsabilité des employeurs, pour renforcer l'indépendance des services de santé au travail et leur capacité d'action – par exemple en les intégrant dans l'univers de la sécurité sociale – , pour renforcer le lien entre les médecins du travail et les centres hospitaliers universitaires, pour augmenter le nombre de professionnels actifs, pour la reconnaissance des maladies dont les tableaux ne sont plus alimentés – je parle de maladies dont la sous-reconnaissance est massive et chronique ce qui plombe la prévention – , pour agir contre les risques chimiques, pour créer un outil efficace contre l'exclusion par l'inaptitude, et bien d'autres choses encore.
Le terrain de la santé au travail appelle des actions vigoureuses ; il faudra y venir, et le plus tôt sera le mieux.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui propose de franchir une étape décisive dans l'organisation de notre système de santé au travail. L'objectif affiché est clair : protéger nos concitoyens dans le cadre professionnel en leur donnant accès à des services de qualité. Sur ce point, l'ajout du terme « prévention » dans la dénomination des services de santé au travail est emblématique.
Mais ce texte innove également par la méthode utilisée. En s'astreignant à retranscrire l'accord national interprofessionnel, nos rapporteures ont emprunté un chemin inédit. Le texte reprend, telles quelles, les dispositions issues des discussions entre partenaires sociaux : la méthode témoigne d'un respect pour ces négociations de longue haleine et d'une volonté forte de proposer à la représentation nationale des mesures déjà validées par la démocratie sociale.
Les rapporteures ont également décidé de soumettre la proposition de loi au Conseil d'État. Cette procédure est largement utilisée pour les projets de loi, mais elle l'est beaucoup moins pour les textes proposés par les députés. Nous ne pouvons que les féliciter de cette initiative qui nous permet de débattre d'un texte solide et respectueux de nos libertés.
Enfin, le texte que nous examinons est singulier du point de vue politique. Il fait état de propositions soutenues par l'ensemble de la majorité, c'est-à-dire à la fois par le groupe La République en marche et par les groupes Dem et Agir ensemble. Il est donc issu d'un travail de coconstruction et sera, je n'en doute pas, enrichi par des amendements provenant de tous les bancs. Au nom du groupe La République en marche, je tiens à féliciter les rapporteures pour le travail intelligent, minutieux et approfondi qu'elles ont fourni pour nous proposer un texte abouti et ambitieux.
Les innovations sont considérables. Pour la prévention, d'abord : l'instauration d'une visite de mi-carrière au bénéfice du salarié, qui permettra de juger de l'adéquation entre le poste de travail et l'état de santé, sera l'occasion d'adapter le poste de travail autant que cela est possible. Bientôt, pour chaque travailleur, le passeport prévention permettra un meilleur suivi des formations validées en matière de sécurité et de prévention des risques professionnels. Autre grande innovation : la certification qualité des services permettra de garantir la transparence de leur organisation et de contrôler la qualité de l'exécution de leur mission. Enfin, pour les entreprises, le document unique d'évaluation des risques professionnels, comportant un programme annuel d'actions de prévention, devient obligatoire et généralisé. La prévention est donc l'une des grandes avancées de ce texte.
Il contribue ensuite au décloisonnement de deux univers, celui de la santé publique et celui de la santé au travail. Les mesures destinées à y contribuer sont nombreuses : l'ouverture du dossier médical partagé et du dossier médical de santé au travail, la possibilité de recourir à des médecins praticiens correspondants ou encore la participation des services aux actions de promotion de la santé publique, pour donner quelques exemples.
La proposition de loi renforce aussi, et c'est essentiel, l'accompagnement des publics les plus vulnérables et travailleurs handicapés. Elle contribue également à lutter de manière forte contre la désinsertion professionnelle. Enfin, au sein des équipes pluridisciplinaires, l'exercice en pratique avancée sera désormais possible pour les infirmiers.
L'examen de la proposition de loi en commission des affaires sociales, la semaine dernière, a permis d'affiner le texte sur le plan juridique, avec en premier lieu l'intégration d'amendements rédactionnels issus de discussions avec le Conseil d'État.
Je souhaite insister sur les avancées proposées pour mieux sécuriser l'accès au dossier médical partagé par le médecin du travail. Certaines inquiétudes légitimes avaient été exprimées ; elles ont été entendues. Avec mes collègues du groupe La République en marche, j'ai soumis un amendement permettant de bien encadrer l'ouverture du dossier médical partagé, avec le recueil d'un consentement écrit exprès et la possibilité de retirer ce consentement à tout moment, et en toute confidentialité. Ces préoccupations ont été largement reprises dans le texte.
Le travail en commission a également permis d'aller plus loin concernant l'inclusion des personnes en situation de handicap et des publics vulnérables. Je remercie l'ensemble des collègues issus de tous les groupes politiques pour leurs propositions très constructives.
Le texte est porteur d'avancées considérables pour la santé des travailleurs, je viens d'en parler : amélioration de la prévention, lutte contre la désinsertion professionnelle, décloisonnement entre la santé publique et la santé au travail, meilleure inclusion de tous les publics vulnérables… Il est l'occasion unique d'ancrer dans la loi la culture de prévention au travail que nous appelons de nos voeux. C'est la raison pour laquelle je vous invite tous à voter en sa faveur.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Renforcer la prévention en santé au travail est un dessein important pour le pays et nos concitoyens. C'est dans le monde du travail que le lien entre bonne santé physique et mentale et bonne santé économique prend pleinement son sens. Dans le contexte sanitaire actuel et avec la crise économique inédite que nous connaissons, il était nécessaire d'engager une démarche tout aussi inédite pour aboutir à un texte fédérateur ayant des applications concrètes et positives pour tous les salariés et toutes les entreprises.
Les partenaires sociaux ont compris les enjeux. En responsabilité, ils ont affirmé quasi unanimement, à travers l'accord national interprofessionnel, leur volonté d'apporter des réponses concrètes, adaptables et proches des entreprises. Il est donc indispensable de nous appuyer sur le consensus des partenaires sociaux afin que les dispositions que nous adopterons offrent les conditions d'une amélioration effective de la prévention pour tous. Avec un tissu économique du secteur privé qui se caractérise par le fait que plus de 80 % des entreprises comptent de moins de dix salariés, les services de santé au travail ont une place prépondérante dans le système. Il y a une impérieuse nécessité à donner aux futurs services de prévention et de santé au travail les moyens d'assurer un service effectif et cohérent, garantissant l'équité de traitement pour toutes les entreprises et tous les salariés.
La loi doit donc donner un cadre solide pour assurer une cohérence nationale de santé et de prévention au travail et affirmer l'équité de traitement, mais elle doit aussi conserver la souplesse nécessaire pour s'appliquer à des d'activités et à des contextes géographiques très différents. Comme le souligne le Conseil d'État, il ne nous appartient pas de prendre des dispositions à caractère réglementaire. La prévention vise des résultats à long terme, et il faut fixer des dispositions porteuses de progrès durables. Celles-ci devront nécessairement être adaptables dans le temps et mieux inscrire la santé au travail dans une approche plus globale du service public de santé. L'efficacité recherchée pour la santé et la prévention au travail impose également que les dispositions figurant dans la loi soient réalistes et applicables par tous.
Un cadre puissant garantissant l'équité et des dispositions applicables pour assurer l'efficacité : voilà deux points essentiels qui ne sont pas pleinement aboutis dans la version du texte qui nous est soumise aujourd'hui.
Ainsi, les députés du groupe Les Républicains sont favorables à l'accroissement de l'implication des médecins du travail sur le terrain même de l'entreprise et dans leurs missions de prévention, car c'est l'expression même de leur spécificité et de leurs compétences particulières. S'ils ne le font pas autant qu'ils le souhaiteraient aujourd'hui, c'est parce qu'ils ne le peuvent pas. Pour atteindre cet objectif, il faut innover et permettre une implication raisonnable, mais plus large, d'autres professionnels de santé au travail qualifiés, en complément des médecins du travail. Le recours à des médecins praticiens correspondants ne suffira pas à dégager le temps indispensable pour que les médecins du travail apportent pleinement leur plus-value à un système de prévention et de santé au travail ambitieux.
Nous sommes favorables au développement des délégations de tâches par les médecins du travail, mais l'équité de traitement pour les salariés et les entreprises doit être garantie et assurée. Cela exige d'avoir, entre autres, le courage d'affirmer et de traduire dans le texte que tous les professionnels de la santé au travail, y compris les médecins du travail, doivent inscrire leur action dans le cadre d'un fonctionnement général, évaluable, cohérent avec les politiques de santé au travail concertées entre l'État et les partenaires sociaux et incluant les objectifs assignés aux SPSTI – services de prévention et de santé au travail interentreprises. L'indépendance technique indispensable du médecin du travail n'est pas incompatible avec le rapprochement tout aussi indispensable des pratiques au sein d'une organisation définie, partagée et sous la responsabilité d'une direction.
Mesdames les rapporteures nous ont dit le caractère exceptionnel de cette proposition de loi, qu'elles ont présentée comme un exemple de démocratie participative. Néanmoins, la commission des affaires sociales a rejeté nos propositions, pourtant convergentes avec celles de plusieurs autres groupes parlementaires, notamment sur l'article 24.
Compte tenu du fort consensus des partenaires sociaux sur l'accord national interprofessionnel, notre groupe partage la dynamique engagée et les grandes lignes de cette proposition de loi, qui en reprend largement le contenu, mais il est encore possible d'améliorer sensiblement le texte qui nous est soumis en adoptant des amendements de bon sens. Un consensus aussi large et raisonnable que celui auquel ont pu aboutir les partenaires sociaux est à la portée de notre Assemblée. J'espère donc que le Gouvernement et la majorité sauront accueillir nos propositions avec une réelle écoute, et dans le souci, que nous partageons tous, de l'intérêt général.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est le fruit d'un travail de coconstruction inédit. Elle est le résultat de nombreux travaux parlementaires, à l'Assemblée comme au Sénat, qui ont permis d'ouvrir les voies et moyens à une réforme concrète de l'écosystème de la santé au travail. C'est dans cette perspective que nos deux rapporteures, dont je tiens à saluer la qualité d'investissement et d'écoute, se sont attelées depuis de nombreux mois à mener un cycle d'auditions de l'ensemble des parties prenantes afin de concrétiser cette ambition réformatrice.
Notre groupe, qui a pu participer à l'ensemble des travaux menés en amont de l'examen de ce texte, partage pleinement la volonté affichée par les rapporteures de parvenir à une meilleure intégration de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels dans l'ensemble de la politique de santé publique. Cette volonté ne pourra s'établir qu'avec la nécessaire adaptation des services de prévention et de santé au travail aux besoins des travailleurs et des entreprises, et ne pourra réussir qu'en parvenant à une gouvernance plus ouverte et plus transparente.
Parallèlement à ce travail au long cours mené au Parlement, en décembre dernier, les partenaires sociaux sont parvenus, sept ans après le dernier accord national interprofessionnel, à s'entendre sur une nouvelle feuille de route de santé au travail. La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner s'attache à transcrire ce nouvel accord pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et de conditions de travail. Le groupe Dem se réjouit que, pour la première fois, un véhicule législatif d'origine parlementaire traduise dans la loi les conclusions de discussions intersyndicales.
Le texte comporte trois ambitions majeures : faire de la santé au travail, en particulier de la prévention des risques professionnels, un axe prioritaire des politiques publiques ; garantir à tous les travailleurs un accès rapide et de qualité à la santé au travail ; renforcer les moyens d'accès et de maintien dans l'emploi des travailleurs les plus vulnérables. Nous considérons que la plupart de ces postulats sont fidèlement reportés dans la proposition de loi. Néanmoins, celle-ci s'intéresse également à des problématiques ne figurant pas dans l'accord national interprofessionnel – je pense notamment à l'ensemble des dispositions relatives au rapprochement entre santé au travail et santé publique.
Les débats en commission ont été riches et nourris, permettant à chacun d'affirmer sa position sur les deux facettes de ce texte. De nombreux amendements ont été adoptés, notamment afin de prendre en compte les remarques du Conseil d'État saisi par le président de l'Assemblée.
Au stade de la commission, notre groupe n'a contribué que modestement aux évolutions du texte en permettant l'adoption de deux amendements, le premier pour inclure la qualité de vie au travail dans le champ de la négociation, le second pour intégrer dans les missions des services de prévention et de santé au travail la promotion du sport en entreprise. Néanmoins, plusieurs de nos revendications ont été satisfaites par des amendements des rapporteures ou d'autres collègues, concernant par exemple les garanties en matière d'accès aux données de santé des salariés ou encore l'inscription d'une collaboration étendue entre la cellule pluridisciplinaire de prévention de la désinsertion professionnelle et les différents services de l'assurance-maladie, dont les services sociaux.
Toutefois, le texte reste perfectible, et c'est bien normal, compte tenu des enjeux, importants, associés à sa rédaction.
Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés souhaite donc, à l'occasion de l'examen du texte en séance publique, approfondir le débat sur plusieurs points : la clarification et la bonne identification du rôle de conseil de la branche AT-MP – accidents du travail et maladies professionnelles – ; la garantie de traçabilité des expositions au risque ; la capacité des PME à respecter à la fois les obligations liées au DUERP et celles du programme de prévention des risques professionnels ; la montée en charge des médecins du travail dans le droit de prescription ; les modalités d'implication des branches professionnelles dans la politique de prévention des entreprises ; l'adaptation des services de prévention et de santé au travail à un travail coopératif avec les CPTS ; l'extension d'une même dynamique des services de prévention aux services autonomes ; la sécurisation des données de santé ; la délégation de tâche des médecins au sein des équipes pluridisciplinaires ; la nécessaire association des entreprises relevant du régime de la MSA – mutualité sociale agricole – aux ambitions du texte en matière de prévention et de lutte contre la désinsertion.
Nous espérons vivement que la discussion qui s'ouvre permettra de consolider et d'enrichir un texte inédit à bien des égards. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, cosignataire de ce texte, prendra toute sa place dans ce débat et soutiendra son adoption. Celle-ci marquera l'aboutissement d'un travail qui a d'ores et déjà fait honneur à notre assemblée.
Mme Catherine Fabre applaudit.
L'organisation de la santé au travail concerne un pan important de la vie des Français ; le sujet est d'autant plus crucial que le tableau de la situation est sombre.
Les risques psychosociaux constituent aujourd'hui le deuxième groupe de pathologies le plus fréquent dans le monde du travail et ont provoqué quelque 20 000 accidents du travail en 2016. Chaque année, on déplore 500 à 600 morts sur le lieu de travail, 30 000 incapacités permanentes et 600 000 arrêts de travail.
La covid-19 a fait franchir un degré supplémentaire à la dégradation de la santé des travailleurs et a démontré toute l'importance du médecin du travail, relais des pouvoirs publics, dans la lutte contre la pandémie dans l'entreprise et interlocuteur des salariés en télétravail.
Une enquête menée en septembre par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a fait le constat alarmant de l'augmentation, depuis le premier confinement, de la consommation d'alcool, tabac, cannabis, antidépresseurs et autres médicaments psychotropes, en raison des conditions de travail.
La présente proposition de loi a pour ambition de réorganiser l'offre de services et la gouvernance des services de santé au travail, d'améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle. En reprenant en grande partie l'accord national interprofessionnel sur la santé au travail signé le 10 décembre 2020, elle propose une remise à plat du système, jugé peu lisible et efficace.
L'objectif est louable mais périlleux car il faut souligner, à la suite d'un certain nombre d'organisations syndicales, que cet accord, s'il a été signé par quasiment tous les partenaires sociaux, est un accord minimal.
Si l'ANI insiste sur la nécessaire prévention des risques primaires, l'accord n'est pas contraignant et ne propose aucune mesure susceptible d'apporter un souffle nouveau sur le sujet, au grand désarroi de nombreux médecins du travail. Ces derniers ne constatent aucune avancée notable pour la prévention des risques professionnels, et craignent même une régression sans précédent de la protection des salariés, la nouvelle organisation du suivi des salariés renvoyant dos à dos médecins du travail et généralistes.
Le Conseil d'État, dans son avis, a lui-même émis un certain nombre de réserves et a appelé à la vigilance sur certaines des mesures proposées, comme la délégation de visites médicales au médecin de ville. Il alerte également sur les risques pour le respect de la vie privée du salarié de l'ouverture du dossier médical partagé au médecin du travail.
Nos travaux en commission des affaires sociales la semaine dernière n'ont pas permis de lever bon nombre de nos interrogations. Je citerai tout d'abord l'article 3, qui crée le passeport prévention. Celui-ci inquiète les syndicats signataires de l'accord, qui y voient un sauf-conduit permettant aux employeurs de se dégager de leurs responsabilités en matière de sécurité, au motif que le travailleur a été informé.
Quant aux articles 21 à 24, ils tentent maladroitement de pallier la pénurie de médecins du travail, dont le nombre a reculé de 30 % en dix ans. Il est difficile de croire que les sparadraps proposés suffiront à enrayer durablement la tendance.
Enfin, sur les trente articles du texte, rares sont ceux qui permettent des avancées concrètes pour les travailleurs. À l'exception des articles 18 et 28, la plupart ne portent que sur la réorganisation de la gouvernance de la médecine du travail, en prévoyant ou en fusionnant des dispositifs sans grand intérêt ou dépourvus de portée normative.
Le texte n'évoque pas une seule fois l'inspection du travail ; il n'aborde ni la question de la responsabilité des employeurs en cas d'accident du travail ou de suicide, ni celles des risques psychosociaux, de la pénibilité, de la qualité de vie au travail ou de la santé des travailleurs en intercontrat ou en recherche d'emploi.
Le texte ne permet pas non plus aux salariés de se protéger au cas où ils s'estiment mis en danger, il n'aborde pas la question des moyens des différents acteurs de la prévention et ne prévoit aucune campagne de prévention pour le grand public concernant la sécurité au travail.
Outre que la question des accidents du travail serait en elle-même de nature à justifier une action forte, ce texte brille par ses lacunes.
Je souhaite tout d'abord saluer le travail et l'investissement de nos deux collègues Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean sur cette proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail. Le Conseil d'État a reconnu dans ce texte le résultat d'un processus inédit de coconstruction, associant parlementaires, partenaires sociaux et Gouvernement.
M. Pierre-Alain Raphan applaudit.
Le groupe Agir ensemble est très attaché à cette dynamique d'interaction entre les différents acteurs publics, qui enrichit le processus législatif, et démontre le rôle essentiel et l'importance d'un dialogue social riche au service de la santé et du bien-être au travail de nos concitoyens.
En effet, la proposition de loi reprend et approfondit les dispositions d'un accord ambitieux et novateur en matière de santé au travail, négocié par les partenaires sociaux en décembre dernier.
Le texte s'organise autour de trois axes majeurs : la prévention des risques professionnels dans les entreprises, la lutte contre la désinsertion professionnelle et la promotion de la qualité de vie au travail en lien avec la santé au travail.
Il est indéniable que cette crise sanitaire fut, comme toutes les crises, le révélateur amplifié des spécificités du modèle français de la santé au travail – aussi bien de ses atouts que de ses failles. Ainsi, elle a permis de souligner le rôle considérable de l'entreprise comme acteur primordial dans la protection de la santé des salariés : c'est bien l'entreprise qui fut en première ligne face à l'émergence du virus et qui a dû prendre, en conséquence, des décisions en urgence pour protéger ses salariés. Monsieur le secrétaire d'État, vous êtes d'ailleurs venu à la rencontre des acteurs de ma circonscription pour le mesurer.
La piste d'amélioration principale proposée par le texte est donc de renforcer les moyens mis à disposition de l'entreprise en matière de prévention, préalable indispensable à toute réforme structurelle en matière de santé dans le monde du travail. Le proverbe latin « Mieux vaut prévenir que guérir » prend ici tout son sens ; il est en effet plus aisé d'empêcher un problème douloureux que de le résoudre.
Nous nous réjouissons donc de l'adoption en commission des affaires sociales de notre amendement à l'article 2 qui permettra d'inclure l'évaluation de l'organisation du travail dans le document unique d'évaluation des risques professionnels. Plus d'un quart des salariés se trouvent en situation de tension dans leur travail, et l'absence de prévention de ces situations les mène trop souvent à des états de mal-être se soldant par l'épuisement professionnel. L'évaluation de l'organisation du travail permettra donc de réduire l'incidence de tels risques psycho-sociaux.
La proposition de loi permet des avancées, grâce à des mesures ambitieuses : l'introduction d'un nouveau risque, celui de la désinsertion professionnelle, avec des actions de prévention et un accompagnement nouveaux ; le renforcement de la traçabilité des risques professionnels, avec un accompagnement des services de santé au travail et des branches ; le renforcement de la formation à la prévention des élus syndicaux et de l'ensemble des travailleurs, avec le passeport prévention.
Les services de santé au travail seront désormais dotés d'outils nouveaux, en lien avec le contexte sanitaire : ils auront ainsi un rôle à jouer dans les campagnes de vaccination et de dépistage.
La création de visites médicales de reprise et d'une visite médicale de mi-carrière est également à saluer. Celles-ci permettront de renforcer efficacement la prévention au sein de l'entreprise.
Nous nous réjouissons, enfin, de l'adoption en commission d'un amendement visant à établir le principe d'une communication entre le référent handicap et le médecin du travail, en amont de l'examen médical de mi-carrière. En effet, lors des diverses auditions, nous avons pu constater que, bien souvent, le problème principal résidait dans l'absence de communication entre les différents acteurs. Le renforcement de la perméabilité entre les instances est donc une véritable avancée. Le maître mot est bien celui du dialogue, en matière de prévention.
Ce texte laisse cependant en suspens la question des effectifs en santé au travail, alors que nous estimons que deux cents médecins en santé du travail supplémentaires seraient nécessaires. La suppression du numerus clausus, que nous avons soutenue il y a deux ans, répondra en partie à cette interrogation. Mais, dans l'immédiat, nous aurons besoin de tous les leviers, et notamment d'une meilleure répartition des tâches entre professionnels.
Une importante réflexion doit aussi être amorcée pour revaloriser la profession de médecin du travail, car celle-ci reste la dernière choisie par les étudiants en médecine, par manque d'attractivité. Il est donc indispensable de lui redonner ses lettres de noblesse, en lui conférant une place reconnue dans le parcours de soins du salarié et en l'instituant comme la véritable référence auprès des médecins de ville.
Notre groupe votera en faveur de ce texte que nous avons très majoritairement cosigné. Nous serons par ailleurs force de proposition afin de l'enrichir, sans dénaturer l'équilibre issu de l'accord national interprofessionnel.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure, Mme Carole Grandjean, rapporteure, Mme Fadila Khattabi, présidente de la commission des affaires sociales, et Mme Michèle de Vaucouleurs applaudissent.
Je remercie Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean pour la qualité des auditions et de leur travail.
De nombreux rapports ont été remis sur le thème de la santé au travail. Cette réforme était donc très attendue et je suis ravie de poursuivre les débats au sein de cet hémicycle.
La désinsertion professionnelle et les problèmes de santé au travail affectent durement notre société. Prévenir l'usure professionnelle en établissant un lien étroit entre l'exposition aux risques et les parcours professionnels proposés aux travailleurs est essentiel – c'est aussi en tant que présidente d'une mission d'information sur l'emploi des seniors, que je mène avec mes collègues Stéphane Viry et Didier Martin, que j'insiste sur ce point.
En France, l'approche en matière de santé au travail a trop longtemps été centrée sur une culture de la réparation, au détriment de la prévention. Or l'ANI de décembre dernier traduit la volonté des partenaires sociaux de promouvoir une meilleure protection de la santé, axée sur la prévention. Le groupe UDI et indépendants les remercie. Leur travail montre leur mobilisation et l'intérêt qu'ils portent à ce sujet.
Le monde du travail subit de nombreuses mutations et la diversité des formes d'emplois actuelles doit permettre à chacun de travailler dans de bonnes conditions, dans l'intérêt du salarié et de l'employeur. C'est l'équation des conditions de la performance et du bien-être en entreprise – donc de la valorisation du travail.
Vous l'avez dit à plusieurs reprises durant les débats en commission, le texte que nous examinons reprend les dispositions voulues par les partenaires sociaux, concrétisées par la signature de l'ANI en décembre dernier. Cependant, je rappelle que, si mon groupe partage les grandes orientations prévues dans l'ANI, notre mission en tant que législateur, au moment de transposer ces volontés dans la loi, est de juger de leur opportunité et de veiller à trouver un juste équilibre, dans le respect de chacun.
Ainsi, je regrette qu'un nombre important d'amendements aient été jugés irrecevables, alors qu'ils portent sur des thèmes qui me semblent indissociables de l'amélioration de la prévention en matière de santé : le télétravail – je rappelle que la ministre du travail, Élisabeth Borne, a incité toutes les entreprises qui le peuvent à y avoir recours pour leurs salariés – ; l'adaptation du poste de travail ou les risques psychologiques.
Je regrette également l'absence de propositions visant à remédier au manque d'attractivité de la profession de médecin du travail, alors qu'elles avaient été préconisées par les sénateurs Stéphane Artano et Pascale Gruny dans leur rapport d'information sur la santé au travail d'octobre 2019.
Le texte permet, cependant, plusieurs avancées attendues : modalités de conservation du DUERP ; création d'un passeport prévention retraçant les formations suivies par les travailleurs ; transparence des cotisations et des tarifications des services de prévention et de santé au travail, et publicité de leurs activités ; création d'une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle ; utilisation du dossier médical partagé, dans le respect du secret médical, afin de décloisonner la médecine de ville et la médecine du travail ; autorisation des infirmiers du travail à exercer en pratique avancée dans les services de santé au travail.
Pour autant, certaines dispositions ne nous ont pas convaincus. Mon groupe défendra ainsi des amendements de suppression s'agissant de la visite de mi-carrière – je vous en ai expliqué les raisons – et de la création d'un médecin praticien correspondant.
Ma volonté est de faire de la prévention un axe majeur, notamment en renforçant les campagnes de prévention. À ce titre, je proposerai un amendement « alimentation santé », dans la lignée de l'amendement « sport santé » adopté en commission. Nous défendrons par ailleurs des mesures de valorisation du rôle de l'infirmier du travail, qui joue un rôle complémentaire au sein de l'équipe pluridisciplinaire du médecin du travail.
En conclusion, nous ne pouvons que souscrire à votre volonté de garantir à tous les travailleurs un accès de qualité aux services de prévention et de santé au travail. Même si certaines avancées nous paraissent encore timides, le groupe UDI et indépendants votera cette proposition de loi.
La santé au travail, éternel marronnier – ou plutôt, serpent de mer – dans le monde du travail, a été réformée à de nombreuses reprises, sans jamais, il faut bien le dire, satisfaire ni les chefs d'entreprise, ni les salariés : les premiers, parce qu'ils constataient un rapport coût-efficacité peu satisfaisant ; les seconds, parce qu'ils la jugeaient peu utile et y voyaient une perte de temps plus contraignante que profitable.
Face à cette situation insatisfaisante, les partenaires sociaux ont entamé des discussions et sont parvenus, en décembre dernier, à un accord national interprofessionnel. En général, les lois issues de tels accords sont les plus efficaces et les plus simples à appliquer. Il faut donc se féliciter d'un tel consensus, et rester le plus proche possible de l'accord trouvé, sous peine, bien sûr, de dénaturer le texte initial.
La présente proposition de loi s'articule autour de quatre axes : une prévention renforcée, la fourniture d'une offre qui constitue un socle de services pour les entreprises, la lutte contre la désinsertion professionnelle, et une gouvernance du système de santé réorganisée. J'aborderai ici les trois premiers.
Prenons-les dans l'ordre : la prévention renforcée, tout d'abord, relève du bon sens. Mieux vaut prévenir que guérir : pareil adage populaire ne saurait mentir. Tandis qu'elle était, jusqu'alors, principalement tournée vers la réparation, la médecine du travail se réorientera donc vers une mission de prévention ; tel est l'objet du titre Ier et des sept premiers articles. Le médecin du travail est un acteur clé de la sécurité au travail. Renforcer son rôle de prévention, c'est évidemment aller dans la bonne direction – j'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, s'agissant notamment du travail de nuit, en l'intégrant dans le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail. Un bémol, toutefois : améliorer la mission de prévention de la médecine du travail, c'est très bien, mais encore faut-il avoir des médecins. En 2018, on pouvait déjà regretter que la France ait perdu 30 % de ses médecins du travail en dix ans, et que 75 % d'entre eux aient plus de 55 ans. Prévoir, comme vous le faites à l'article 4, d'élargir les nouvelles prérogatives des services de santé au travail, notamment à « des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination », c'est très bien sur le papier, mais peut-être pas très réaliste dans les faits.
Passons au deuxième axe : une offre qui constitue un socle de services pour les entreprises, recentrée sur leurs besoins principaux. De nombreux rapports ont signalé la trop grande hétérogénéité, qualitative et quantitative, de l'offre des services de prévention et de santé au travail, pour les entreprises comme pour les salariés. Le socle prévu par le présent texte comportera trois missions : la prévention des risques professionnels, le suivi individuel des travailleurs et la prévention de la désinsertion professionnelle.
S'agissant du suivi individuel des travailleurs, je me pose quelques questions. Vous souhaitez ainsi que la médecine du travail ait accès au dossier médical partagé du salarié, mais j'estime qu'il faudra l'accompagner de sérieuses garanties. En effet, même si l'alinéa 8 de l'article 11 prévoit que le travailleur peut s'opposer à l'accès à son dossier médial partagé par les professionnels chargés du suivi de sa santé, cet accès pourrait avoir des conséquences négatives pour lui, notamment au moment d'une embauche.
Enfin, le titre III prévoit de mieux accompagner les publics vulnérables et de lutter contre la désinsertion professionnelle, avec deux mesures phares : autoriser la téléconsultation pour le suivi des travailleurs – c'est une bonne chose dans le monde de l'entreprise, me semble-t-il – , et instaurer une visite médicale de mi-carrière. Je sais que cette dernière disposition fait débat ; pour ma part, elle me paraît une bonne idée, notamment pour tous ceux qui ont des conditions de travail difficiles. J'ai déposé un amendement pour que le suivi individuel de l'état de santé des salariés multi-employeurs, qui occupent des postes identiques avec des risques équivalents, soit mutualisé : ainsi, la réalisation d'une visite par l'un des employeurs serait valable pour l'ensemble des employeurs concernés – encore une fois, c'est une question de pragmatisme et d'efficacité.
Permettez-moi une dernière précision, qui a son importance : le renforcement de la prévention en santé au travail ne doit pas seulement concerner les travailleurs salariés, mais aussi les indépendants. Là encore, c'est une proposition guidée par l'efficacité ; j'espère que, comme les autres, vous saurez l'entendre.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Avant de commencer l'examen du texte, je souhaite apporter des réponses aux députés qui viennent de s'exprimer. M. Dharréville étant un fin connaisseur des dispositions sociales et du code du travail, il saura rectifier ses propos : toutes les dispositions des CHSCT ont été transférées au CSE, le comité social et économique. Ce dernier exerce donc la totalité des prérogatives des anciens CHSCT. J'entends que M. Dharréville veut défendre le CHSCT, mais la réalité est celle-ci : toutes leurs prérogatives ont été maintenues au sein des entreprises ; aucune n'a disparu.
Vous avez mentionné les critères de pénibilité, madame Dubié. Quand le C3P – compte personnel de prévention de la pénibilité – est devenu le C2P – compte professionnel de prévention – , les critères qui étaient éminemment complexes à mesurer – je peux vous en parler de façon très opérationnelle – ont simplement été transposés dans le système de retraite anticipée : ils permettent aux salariés exposés à ce type de risques de prendre leur retraite à soixante ans. C'est une mesure extrêmement concrète et opérationnelle. Il est donc impropre de dire que ces critères ne sont plus pris en considération : chaque année, au contraire, des centaines de nos concitoyens partent en retraite anticipée grâce au dispositif voté par le Parlement en 2017. Je crois pouvoir dire que tous ceux qui en bénéficient en sont heureux.
J'ai pris note, monsieur Martin, de la vision que vous défendez au nom de votre groupe, et de votre volonté de sécuriser l'accès au dossier médical partagé. Vous avez mentionné les dispositions, adoptées notamment en commission, qui visent à s'assurer de façon systématique que le salarié a donné son consentement explicite et éclairé. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
J'ai entendu, monsieur Bouley, que, dans les grandes lignes, vous étiez relativement favorable au texte. Vous avez fait référence à des amendements de bon sens : le Gouvernement les examinera avec intérêt. Vous avez la volonté de trouver une voie de passage, afin que la proposition de loi soit largement adoptée ; cette disposition d'esprit augure des débats intéressants. Mme Six a exprimé une position similaire, même si elle identifie certains points d'achoppement, concernant en particulier la visite de mi-carrière – nous avons un désaccord à ce sujet, mais nous aurons l'occasion d'en débattre, et je lui ferai part de mon expérience.
Je vous rappelle enfin, madame Fiat, que l'indépendance du médecin du travail est totale – vous avez semblé en douter. Elle est consacrée par plusieurs dispositions de nos textes de loi, et n'est remise en cause ni dans les dispositions en vigueur, ni dans la présente proposition de loi.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
L'article 1er modifie la dénomination des services de santé au travail, pour inscrire la prévention au coeur de leur mission : ce sont désormais des services de prévention et de santé au travail. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour affirmer ce rôle de prévention ? Faire de la prévention, c'est pourtant prendre soin et être attentif aux autres ; c'est tout faire pour que les personnes qui arrivent à la retraite ne soient pas cassées et puissent en profiter ; c'est assurer la dignité des travailleurs. Ce changement de nom traduit donc un progrès social, qui fera date dans l'histoire de la législation du travail.
Par ailleurs, l'article 1er enrichit la définition du harcèlement sexuel : il recouvre certes les propos ou comportements à connotation sexuelle, comme le prévoit déjà le code du travail, mais aussi, désormais, les propos ou comportements à connotation « sexiste ». Il s'agit ici de bannir les vexations quotidiennes que subissent les femmes au travail. Nous oeuvrons depuis trois ans à réduire les inégalités – notamment salariales – entre les hommes et les femmes, ou à faire en sorte qu'il y ait davantage de femmes patronnes d'entreprises du CAC40, entre autres exemples. Ce sont autant d'avancées. Nous examinons donc une loi sociale qui s'inscrira dans l'histoire.
Dans le haut lieu de l'histoire où nous siégeons, je souhaite rappeler le nom d'Arthur Fontaine – qui vécut près de chez moi – , l'un des promoteurs de la législation du travail, du repos hebdomadaire ou encore de la loi de 1919 instituant la journée de travail de huit heures. C'est aussi lui qui a rédigé la partie XIII du traité de Versailles créant l'OIT, l'Organisation internationale du travail. Dans le droit fil de la convention no 190 de l'OIT sur la violence et le harcèlement, il était temps que notre code du travail intègre le mot « sexiste » ! Avec cette véritable loi de progrès social, nous nous inscrivons dans les pas de nos aînés.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Comme Marc Delatte, je me réjouis que la prévention soit introduite dans la présente proposition de loi. Parlant sous le contrôle de M. le rapporteur général du budget de la sécurité sociale, je peux témoigner que, depuis plusieurs années, nous saisissons l'occasion de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale pour évoquer la prévention. Nous sommes heureux que la prévention ait enfin toute sa place dans la santé au travail. C'est une belle évolution, dont nous pouvons tous nous réjouir.
J'ai déposé, en commission, un amendement concernant les violences sexuelles et sexistes, mais j'ai compris que leur définition devait être renforcée juridiquement. Nous serons très attentifs au traitement législatif qui sera réservé à ces questions. Quoi qu'il en soit, nous nous réjouissons que la prévention englobe ce champ et soit appréhendée de façon globale.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Nous en venons aux amendements à l'article 1er. La parole est à Mme Gisèle Biémouret, pour soutenir l'amendement no 206 .
L'article 1er vise en particulier à compléter l'article L. 1153-1 du code du travail relatif au harcèlement sexuel, afin que les propos ou comportements à connotation sexiste – et non plus seulement à connotation sexuelle – permettent de qualifier une situation de harcèlement sexuel. Il s'agit d'une harmonisation partielle avec la définition prévue à l'article 222-33 du code pénal sachant qu'il manque, dans la proposition de loi, la reprise des alinéas 2 à 4 de l'article précité relatifs au harcèlement de groupe. Cet amendement vise à réparer cette lacune.
Nous vous remercions, madame Biémouret, pour cet amendement qui complète utilement le texte, par un effort de coordination avec le code pénal. Mon avis est donc favorable.
Il est également favorable à l'alignement proposé du code du travail sur le code pénal. Mme Biémouret a souligné l'écart de rédaction, le caractère répété du harcèlement étant présent dans le second, mais pas dans le premier.
L'amendement no 206 est adopté.
L'amendement de coordination no 453 de Mme la rapporteure Charlotte Parmentier-Lecocq est défendu.
L'amendement no 453 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 1er, amendé, est adopté.
La parole est à Mme Véronique Hammerer, pour soutenir l'amendement no 531 portant article additionnel après l'article 1er.
Cet amendement vise à simplifier la rédaction du renvoi à des dispositions réglementaires codifiées dans le code rural et de la pêche maritime en prévoyant à la fois le renvoi à des décrets à l'identique des mesures prévues pour les employeurs du régime général et les ajustements rendus nécessaires du fait de l'organisation des services de santé au travail au sein de l'organisme de sécurité sociale des professions agricoles, la MSA.
Il s'agit surtout de l'introduction des savoir-faire des MSA en matière de prévention et de santé au travail. Depuis plusieurs décennies, elles accompagnent en effet les publics agricoles dans leur santé : prévenir la désertion professionnelle, prévenir le mal-être et l'épuisement, prévenir les suicides, accompagner le répit. Par son guichet unique et son approche transversale, les services en santé au travail des MSA sont plus réactifs, plus efficaces et plus efficients. C'est par ce travail de complémentarité entre l'action sanitaire et sociale, le médecin du travail, les services de prévention que la MSA est essentielle, incontournable dans le développement des politiques publiques en matière de prévention et de santé au travail.
Mme Monique Limon applaudit.
Je vous remercie pour cet amendement. Vous avez été très mobilisée, avec notre collègue Nicolas Turquois, sur la question des agriculteurs, ce qui a animé nos débats en commission. Nous avions l'intention d'étendre la proposition de loi aux agriculteurs mais nous n'étions pas encore prêts puisque, comme vous l'avez souligné, il s'agit d'un système intégré spécifique qui nécessite des adaptations. Nous y avons travaillé avec vous, Nicolas Turquois et le Gouvernement. D'autres amendements seront présentés sur ce sujet ultérieurement. Avis favorable.
Je ne suis pas étonné de voir cet amendement défendu par Mme Hammerer puisque nous avons eu l'occasion de travailler ensemble dans sa circonscription lorsque je siégeais à ses côtés ici. Effectivement, elle connaît bien l'ensemble des sujets agricoles.
Son amendement a l'avantage de simplifier le droit et de permettre une meilleure lisibilité des modalités nouvelles à appliquer aux employeurs et aux services de santé au travail interentreprises agricoles, tout en procédant aux ajustements nécessaires. J'y suis donc favorable.
L'amendement no 531 est adopté.
Cet article inscrit dans la loi la nécessité d'archiver le document unique d'évaluation des risques professionnels et permet ainsi d'assurer une meilleure traçabilité de l'exposition des salariés au cours de leur parcours professionnel. Conserver la trace de ce document au fil du temps est une très bonne chose. Toutefois, je regrette que le dispositif que vous proposez soit incomplet. Pour ma part, j'avais déposé des amendements visant à le compléter, mais ils ont été jugés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Nous devrions réfléchir à la manière de constituer un archivage public de ces documents, ne serait-ce que parce que certaines entreprises auront disparu lorsque le salarié aura besoin d'y accéder.
Cela dit, en l'état actuel des choses, le dispositif proposé fait partie des points positifs de ce texte. Mais s'il est plutôt satisfaisant, il est un peu inabouti.
L'article 2 vise à introduire dans la loi le document unique d'évaluation des risques professionnels et le renforce en lui accolant le programme annuel de prévention des risques professionnels qui en découle naturellement. On peut s'en réjouir à plusieurs titres. D'abord, le DUERP est l'outil central de l'approche préventive, c'est un outil très puissant. Il récapitule les risques auxquels sont exposés les salariés. C'est donc le point de départ naturel pour tirer des conclusions et décider de diverses actions. C'est d'ailleurs ce que prévoient les partenaires sociaux dans l'accord national interprofessionnel en écrivant : « Le document unique présente les résultats de l'analyse des risques à partir desquels l'entreprise détermine des actions de prévention pertinentes à mettre en oeuvre et identifie les ressources de l'entreprise pouvant être mobilisées dans cet objectif. » On assiste à un changement de regard sur ce document unique. Alors qu'il était trop souvent perçu par les entreprises comme une contrainte, il est conçu ici comme l'outil de pilotage de la politique de prévention. L'article 2 est donc très important.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Je salue le texte qui a été adopté en commission et qui prévoit l'archivage du document unique d'évaluation des risques professionnels.
La traçabilité de l'exposition aux risques professionnels des salariés est essentielle, comme cela a été souligné à plusieurs reprises lors des auditions que vous avez organisées. Ainsi la nouvelle version de la proposition de loi prévoit les modalités de conservation et de mise à disposition du document à une liste de personnes et instances qui seront fixées par décret. Comme mon collègue Pierre Dharréville, je souhaiterais que vous puissiez me confirmer, madame la rapporteure, que lorsqu'une entreprise fermera définitivement, il sera possible de retrouver ce DUERP. Si oui, pouvez-vous nous indiquer dans les grandes lignes qui conservera ce document ? Pour que le système soit efficace, il conviendrait que ce soit la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – DIRECCTE – ou le service de prévention et de santé au travail – SPST.
Nous en venons aux amendements. La parole est à M. Alain Ramadier, pour soutenir l'amendement no 89 .
Cet amendement de Mme Marie-Christine Dalloz vise à rendre préalable et obligatoire, en lieu et place d'une simple possibilité, la contribution du comité social économique à l'analyse des risques dans l'entreprise. Il est également important d'instaurer un suivi et une mise un jour, selon un calendrier strict et précis, du document unique d'évaluation des risques professionnels. Enfin, la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l'année à venir doit permettre d'identifier les délais dans lesquels les mesures seront prises.
Toutes les mesures proposées dans l'amendement figurent déjà dans le texte et ont bien été réaffirmées en commission des affaires sociales. Ces précisions sont donc superfétatoires. Avis défavorable.
Mme la rapporteure a dit l'essentiel. Je vous confirme, ainsi qu'à Mme Dalloz, que le CSE est consulté à chaque fois, qu'il est bien dans la boucle de l'évaluation des risques. Je suis donc défavorable à cet amendement. J'aurais aussi pu vous inviter à le retirer après vous avoir rassuré.
Je profite de l'examen de cet amendement pour rebondir sur deux aspects.
Premièrement, la discussion est tout à fait nécessaire ainsi que l'avis du CSE. Pour autant, c'est bien l'employeur qui assume la responsabilité du document en tant que responsable de l'environnement de travail et des mesures prises, ce qui n'empêche pas de les discuter, y compris de les critiquer.
Deuxièmement, j'ai oublié de vous demander, lors de la discussion générale, comment s'assurer que les documents existants seront bien conservés lorsque la loi sera adoptée. Certaines entreprises ont déjà réalisé un archivage et il serait regrettable que certains documents uniques disparaissent au moment où l'archivage devient obligatoire. Pouvez-vous prendre des mesures pour que les documents qui existent aujourd'hui et qui sont archivés puissent être intégrés dans le futur fonds d'archivage ?
L'amendement no 89 n'est pas adopté.
Il vise à supprimer la référence à l'organisation du travail parmi les risques professionnels devant faire l'objet d'actions de prévention, donc d'évaluations préalables. En effet, si l'accord national interprofessionnel mentionne l'organisation du travail, il n'entendait pas modifier le périmètre d'évaluation préalable des risques professionnels, déjà défini par la loi.
L'amendement no 500 de M. Gérard Cherpion est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Nous ne partageons pas votre lecture de l'ANI qui évoque à de très nombreuses reprises l'importance de l'organisation du travail et de prendre en compte les situations réelles de travail, notamment pour la prévention des risques psychosociaux. Cette demande, qui a été largement formulée en commission des affaires sociales par de nombreux collègues, a été validée. Par ailleurs, il y a déjà des obligations dans les principes de prévention qui portent sur l'organisation du travail. Ce sont des éléments qui sont déjà pris en compte et qu'il faut encore assumer, renforcer, notamment en ce qui concerne la prévention des risques psychosociaux. Avis défavorable.
Je comprends bien à la fois les motivations de Mme la rapporteure et des auteurs de ces amendements. Sur le fond, l'organisation du travail fait partie intégrante des champs d'évaluation des risques professionnels dans le contexte de l'entreprise. La précision apportée dans la proposition de loi paraît donc sur le fond peu utile. En même temps, elle n'est pas particulièrement inacceptable. Le code du travail prévoit déjà que l'employeur planifie la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, notamment l'organisation du travail et les conditions de travail. Je m'en remets donc à la sagesse de l'Assemblée.
La proposition de loi ne parle pas de la souffrance au travail et de ses causes profondes : la très grande charge de travail et la grande pénibilité de certaines professions. Rappelons que, selon l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques, une ouvrière vit en moyenne six années de moins qu'un cadre, et que, d'après un rapport de l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, publié en 2010, les égoutiers ont dix-sept ans d'espérance de vie en moins que la moyenne. Identifier les risques c'est bien, mais c'est totalement inutile si cela ne s'accompagne pas d'un réel effort pour les réduire.
Les amendements que nous avions proposés pour réduire la pénibilité au travail ont été jugés irrecevables car considérés hors sujet. Diminuer le recours au travail de nuit et en soirée dans les entreprises est irrecevable car considéré hors sujet : ceci est révélateur de votre conception de la prévention en santé au travail.
À défaut, nous proposons par cet amendement que les SPST des entreprises prennent au moins en compte la charge de travail des salariés et la pénibilité de leurs postes dans leurs évaluations des risques professionnels. Le code précise déjà que l'évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe. Il n'y a donc pas lieu de refuser la mention de la charge de travail par salarié et de la pénibilité des postes, d'autant que ces considérations sont souvent reléguées au second plan sous différents prétextes.
Les facteurs de pénibilité sont déjà considérés par les principes de prévention comme des risques que l'employeur doit prendre en compte ; ils doivent évidemment être pris en compte par le document unique.
Le but de cette proposition de loi, c'est de permettre d'agir beaucoup plus en amont, au niveau du suivi des personnes, précisément pour éviter l'usure professionnelle. Nous examinerons un peu plus tard des mesures de prévention de la désinsertion professionnelle, telle la création d'un rendez-vous de liaison, visant à améliorer le suivi de l'état de santé des salariés. Donc avis défavorable.
Ce n'est pas sans lien avec ce que nous avons dit tout à l'heure : la loi ne peut pas systématiquement tout lister au risque que l'on oublie quelque chose. Je vous répète, madame Fiat, que l'article L. 41-21-1 du code du travail impose l'obligation générique de prendre en compte tous les risques pesant sur la santé physique et mentale des travailleurs : je pense que ça doit vous rassurer. Avis défavorable.
Dans ce cas, madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d'État, si tout est déjà dans le code du travail – code du travail que vous avez déjà bien détruit en 2017 – pourquoi refaire une loi ?
Puisqu'il s'agit d'une proposition de loi spécifique à la santé au travail, qui énumère déjà pas mal de choses, comme le sexe des salariés, nous vous proposons de préciser à la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 4121-3 du code du travail qu'il faut tenir compte de la charge de travail du salarié et de la pénibilité de son poste. C'est vous qui voulez modifier cet alinéa, c'est vous qui avez commencé à lister des risques, c'est vous qui êtes descendue à ce degré de précision, ce n'est pas moi.
L'amendement no 256 n'est pas adopté.
Mes cordes vocales sont comme moi : elles ne lâchent jamais. Le document unique qui doit aux termes de cet article recenser les risques professionnels dans l'entreprise sera un document important, à condition que le comité social économique contribue systématiquement à son élaboration. Aussi la mise en oeuvre du programme qui en découle doit se faire selon un calendrier strict et précis et doit faire l'objet d'un suivi, faute de quoi il ne fera que formuler des bonnes intentions qui ne verront jamais le jour.
En commission, Mmes les rapporteures ont affirmé que le texte était déjà suffisamment précis à ce propos. Pourtant il n'est nulle part fait mention de la manière dont on s'assurera que les mesures prises seront effectivement suivies d'effets. On peut très bien réactualiser un document sans jamais en vérifier l'application, ce qui serait insuffisant : il convient de mettre en place un réel suivi des mesures de protection des salariés. C'est l'objet même de cette disposition, qui nous a été soumise par la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés.
Les amendements identiques nos 70 de Mme Emmanuelle Anthoine et 178 de M. Dino Cinieri sont défendus.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements en discussion commune ?
Comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, tous ces éléments sont déjà pris en compte dans le texte tel qu'il a été rédigé et renforcé en commission des affaires sociales : avis défavorable.
Même avis que la rapporteure, madame la présidente. Il va sans dire – mais c'est toujours mieux en le disant – que la contribution du CSE est antérieure. Tout cela est déjà précisé dans un décret.
L'amendement no 254 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Florence Granjus, pour soutenir l'amendement no 210 .
L'objet de cet amendement est de renforcer la prévention en santé au travail lors des projets de restructurations d'entreprises. En effet, les risques psycho-sociaux sont particulièrement importants en cas de restructuration de l'entreprise, mais ils sont souvent oubliés au profit des aspects financiers de l'opération. C'est pourquoi je pense qu'il est particulièrement important et nécessaire de renforcer le rôle des services de prévention en santé au travail en matière de risques psychosociaux dès la conception du projet de restructuration.
Nous avons beaucoup évoqué avec vous, madame Granjus, la problématique spécifique des entreprises qui se restructurent car, vous l'avez dit, ces opérations ont d'importantes conséquences en matière de risques psychosociaux. Nous avons entendu votre alerte quant à la nécessité de permettre aux services de santé au travail de bien cibler ces situations. Nous donnons donc un avis favorable à votre amendement.
C'est effectivement, madame Granjus, une dimension concrète de l'évolution de l'entreprise, qui peut être dans la nécessité de réorganiser son activité. Ces réorganisations doivent évidemment faire partie de la réflexion sur les risques professionnels. J'aurai un avis favorable.
Je voudrais souligner la pertinence de l'interpellation de notre collègue Granjus. On voit bien en effet à quel point les restructurations d'entreprise fragilisent les salariés, soumis à une recrudescence non seulement des risques psychosociaux, mais des tensions dans l'entreprise et sur leur travail. Il faut donc porter une attention particulière à ces réalités.
Cela étant, je connais des entreprises qui sont en permanence en restructuration, soumises à des mouvements de capitaux qui sont comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. On y revient tous les deux ou trois ans. Il y a là un problème de fond pour l'organisation sociale et économique de l'activité. Il faudrait se donner les moyens d'agir sur sa cause. Bien sûr il faut un accompagnement et une extrême vigilance au moment où ces entreprises sont touchées, et je suis le premier à le revendiquer, je l'ai dit dans la discussion générale, mais il faudrait s'attaquer à la source du problème. Pour l'instant, ce n'est pas ce que nous avons décidé de faire et je le regrette.
Je vais voter des deux mains pour l'amendement de Mme Granjus mais j'approuve ce que M. Dharréville vient de dire sur les restructurations permanentes. Regardez ce qui se passe avec nos hôpitaux : le COPERMO – comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers – décide de fermer des lits, de ne plus le faire, puis d'en fermer à nouveau, tout cela en pleine crise pandémique. Il va y avoir du boulot, il va falloir embaucher des médecins du travail.
En revanche, madame la rapporteure, il y a un problème de cohérence : certains risques, comme les risques de pénibilité au travail, ça ne vaut pas le coup de les préciser, mais là, les risques psychosociaux, oui.
L'amendement no 210 est adopté.
La parole est à Mme Florence Granjus, pour soutenir l'amendement no 205 .
Cet amendement vise à préciser que l'employeur doit procéder avant chaque projet de réorganisation à une évaluation de l'impact de ce projet sur l'état de santé mentale des salariés et que cette évaluation doit être communiquée aux services de santé.
Sans nier l'importance de ce que vers quoi vous braquez le projecteur, je trouve que vous ajoutez une obligation assez contraignante à la charge de l'employeur. Cette évaluation psychologique peut être difficile à mettre en oeuvre, d'autant qu'il n'est pas précisé ce qu'elle devrait être, qui devrait s'en charger ni à quel moment exactement. Si nous pensons donc que votre amendement précédent constitue une véritable avancée en matière d''accompagnement par les services de santé au travail, pour celui-ci ce sera un avis défavorable.
L'employeur a d'ores et déjà l'obligation de protéger la santé, non seulement physique mais aussi mentale des salariés. Votre amendement est donc satisfait. En outre, Mme la rapporteure l'a très bien dit, votre amendement précédent couvre la totalité du champ. Je vous inviterai donc à retirer celui-ci, à défaut l'avis sera défavorable.
L'amendement no 205 est retiré.
Madame la présidente, si vous me le permettez, je défendrai également l'amendement no 501 de M. Cherpion.
Dès sa rédaction initiale, l'article 2 de la présente proposition de loi prévoyait que le comité social et économique et sa commission santé, sécurité et conditions de travail, quand ils existent, apportaient leur contribution à l'analyse des risques dans l'entreprise. Cette rédaction s'inscrit dans la lignée de l'article L. 23-12-9 du code du travail, qui dispose que le CSE procède à l'analyse des risques professionnels. Par ailleurs, l'accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux le 9 décembre 2020 précise le rôle des représentants du personnel dans l'analyse des risques de l'entreprise en amont de la rédaction du document unique. Il n'est donc pas nécessaire d'ajouter que le CSE « est consulté sur le document unique d'évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour mentionner cette consultation dans la loi ».
C'est précisément le rôle de cette loi que de transposer les dispositions de l'accord. La place du CSE a été très clairement réaffirmée par les partenaires sociaux. Nous tenons très fermement au respect du dialogue social. Donc avis défavorable sur ces amendements.
Même avis, pour les raisons très bien exposées par Mme la rapporteure.
La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs, pour soutenir l'amendement no 304 .
En commission, madame la rapporteure, vous nous avez dit que les CARSAT – caisses d'assurance retraite et de la santé au travail – et les services de prévention en santé au travail pouvaient d'ores et déjà collaborer. L'ANI spécifie néanmoins qu'il serait souhaitable de clarifier les missions de la branche AT-MP et de rendre plus lisible et compréhensible le rôle de conseil que les CARSAT peuvent jouer en matière de prévention, au-delà de leur mission de détermination du niveau des cotisations.
C'est pourquoi je propose par cet amendement que des chartes de partenariat et de coopération innovante puissent être signées entre les entreprises, les services de prévention et de santé au travail et les CARSAT afin d'expérimenter, de promouvoir, d'encourager et d'amplifier la prévention des risques professionnels, au bénéfice des entreprises et des salariés.
Vous avez raison, madame de Vaucouleurs, il est très important que les CARSAT puissent se coordonner avec les services de santé au travail et les autres acteurs de la prévention. C'est déjà le cas dans de nombreux territoires où la mise en oeuvre de plateformes de coopération est très avancée. La loi de financement de la sécurité sociale votée en 2019 permet d'ailleurs de mettre en place des plateformes dédiées aux questions de prévention de la désinsertion professionnelle.
Vous soulignez un besoin de coordination entre les acteurs, et je ne peux qu'être d'accord avec vous. Cependant, votre amendement est déjà satisfait et je vous demande donc de le retirer.
Mme la rapporteure a raison de souligner que ces dispositifs existent déjà comme j'ai eu l'occasion de le constater, comme elle, dans les Hauts-de-France. De tels accords sont en effet possibles, notamment grâce au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, qui associe également les DIRECCTE. Je vous invite donc à retirer votre amendement, madame de Vaucouleurs, à défaut de quoi l'avis du Gouvernement serait défavorable.
Comment la rédaction de cette proposition de loi permettra-t-elle, alors, de répondre à l'attente des partenaires sociaux en clarifiant et en distinguant bien les missions distinctes de la branche AT-MP relatives respectivement à la majoration des cotisations et au conseil ? Il me semble important de mener cette réflexion. Mon amendement vise à clarifier ces deux missions et je suis tout à fait disposée à le retirer, à condition que l'on réponde à l'attente exprimée par l'ANI.
Je comprends donc que l'amendement est maintenu, madame de Vaucouleurs.
La parole est à M. Pierre Dharréville.
Ce débat sur le rôle des CARSAT a déjà eu lieu dans la période précédente. Elles n'ont pas seulement un rôle de conseil mais également une fonction de contrôle qui peut se traduire par une augmentation des cotisations AT-MP. Surtout, les préventeurs de la CARSAT ont manifesté leur souhait de conserver l'ensemble de leurs prérogatives, qui ne se limitent pas à l'une ou l'autre de ces fonctions, et il convient qu'ils puissent le faire.
Cela étant, il est sans doute nécessaire de revoir plus globalement l'organisation des services de santé au travail, qui pourraient entrer dans l'univers de la sécurité sociale, mais cela mériterait de pousser un peu le débat, en premier lieu avec les partenaires sociaux. La réforme dont nous débattons aurait pu être l'occasion de le faire, mais nous n'en sommes, pour l'instant, manifestement pas là.
L'amendement no 304 n'est pas adopté.
Cet amendement de Mme Agnès Firmin Le Bodo a pour objet de maintenir distincts le document unique d'évaluation des risques professionnels et le programme annuel de prévention pour les TPE et PME. L'auteure de l'amendement considère en effet que, dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi opère une évolution trop complexe en accolant systématiquement, pour toutes les entreprises, un programme annuel de prévention au DUERP. À ce stade, cela pourrait se traduire par un désengagement des employeurs, à rebours de ce que souhaitent les partenaires sociaux.
La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs, pour soutenir l'amendement no 299 .
Il revient sur un débat que nous avons amorcé en commission, consacré à la nécessité de lier le programme de prévention au DUERP. Si je souscris à l'intention des rapporteurs de rallier toutes les entreprises à une démarche de prévention, l'obligation de traduire systématiquement le DUERP par un programme annuel de prévention me semble être une contrainte trop forte – même si, bien entendu, je ne remets pas en question l'obligation première et indispensable de mettre à jour le DUERP.
Il me paraît donc nécessaire, à cet égard, de laisser aux entreprises le temps d'intégrer cette obligation nouvelle en ayant mûri l'intérêt de cette disposition, plutôt que de la leur faire vivre comme une énième contrainte supplémentaire, et cela d'autant que l'ANI souligne à plusieurs reprises que le programme d'évaluation doit procéder des partenaires sociaux et du dialogue social.
Les amendements identiques nos 364 de M. Stéphane Viry, 392 de Mme Véronique Louwagie et 502 de M. Gérard Cherpion sont défendus.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?
Il faut d'abord rappeler les enjeux de la proposition de loi et de l'ANI : il s'agit de faire basculer le système de santé au travail dans la prévention. L'ANI, que nous entendons respecter scrupuleusement – ce dont on nous fait d'ailleurs parfois le reproche – comprend bien cette disposition consistant à la fois à évaluer les risques, dans un objectif de traçabilité collective, et d'établir le plan d'action de prévention qui en découle, et ce, à juste titre, car sans plan d'action de prévention, il n'y a pas d'actions de prévention, et donc pas de prévention. Ce que proposent les amendements qui nous sont soumis, c'est de nous arrêter à la démarche d'évaluation des risques dans les entreprises de moins de cinquante salariés, sans aller jusqu'au plan d'action. Il s'agirait donc d'évaluer les risques – ce qui est certes un travail relativement intense, et qui prend du temps – , puis de s'arrêter avant d'en arriver au stade du plan d'action, qui est pourtant l'étape la plus facile et coulant de source. Ces amendements identiques ne me semblent donc pas vraiment se justifier au titre d'une simplification pour les TPE et PME.
Qui plus est, si on ne définit pas de plan d'action pour les TPE et PME, on en prive 7 millions de salariés – je rappelle en effet que 80 % des salariés français travaillent dans les TPE et PME : autant dire que la prévention est loin de ne concerner personne !
Il faut vraiment qu'il soit clair, et c'est tout l'esprit de cette proposition de loi, que nous voulons embarquer les employeurs dans cette démarche et les y aider. Le texte prévoit notamment que les services de santé au travail jouent un rôle majeur dans l'accompagnement des entreprises pour leur permettre d'élaborer cette évaluation des risques et le plan d'action qui en découle.
En outre, les employeurs paient des cotisations depuis des années pour ce service, et ils devraient donc déjà pouvoir en bénéficier. Grâce à notre proposition de loi et à l'engagement des partenaires sociaux, cette démarche sera renforcée. L'employeur s'acquitte également de cotisations AT-MP, qui financent notamment les CARSAT, lesquels ont aussi ce rôle d'accompagnement des entreprises dans l'élaboration de leur document unique, tout comme de nombreux autres acteurs, comme l'ARACT, l'association régionale pour l'amélioration des conditions de travail.
Par ailleurs, les branches professionnelles ont un rôle majeur à jouer en la matière et elles ne doivent pas se défausser. Je rappelle que certaines branches se sont saisies de la question, proposant une évaluation des risques mais aussi des actions de prévention prémâchées, qui facilitent grandement les choses. Demandons aux branches professionnelles de « faire le job » et d'aller jusqu'au bout pour permettre que ces entreprises et leurs salariés bénéficient véritablement d'actions de prévention.
Enfin, le code du travail permet déjà au Gouvernement de simplifier par décret les mesures de mise à jour du document unique pour les TPE.
Par conséquent, je vous invite à rejeter ces amendements et à inviter le Gouvernement à faire paraître ce décret dans les délais les plus brefs pour simplifier la vie des TPE et PME sans renoncer à l'objectif de prévention. Avis défavorable, donc.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La question porte sur le document unique et sur le programme d'action pour prévenir les risques professionnels dans les différents types d'entreprises. Un exemple très concret : chez le boulanger de la place centrale d'Armentières, la maison Legrand, y a-t-il un document unique ? Cette entreprise de quatre salariés n'a aucun problème pour faire de la prévention des risques, elle se pratique au quotidien : il est évident qu'on ne s'approche pas sans précaution ni sans équipement du four à sole, qu'on porte des chaussures de sécurité et qu'on est attentif aux normes d'hygiène ! La question est celle du formalisme : ni le boulanger d'Armentières ni ceux des territoires que vous représentez ne disposent, comme l'entreprise où je travaillais, d'un staff chargé des ressources humaines qui pourra élaborer un programme de prévention des risques professionnels. Font-ils de la prévention opérationnelle avec leurs collaborateurs ? La réponse est oui : ils en font tous les jours. Doivent-ils progresser dans la rédaction du document unique ? La réponse reste positive car on voit bien qu'une TPE sur deux n'en dispose pas.
Les rapporteures ont donc raison de dire que les services de santé au travail doivent fournir un accompagnement. Notre objectif est cependant de ne pas ajouter, pour ces entreprises, une couche supplémentaire de formalisme administratif, mais de protéger de manière opérationnelle la santé des travailleurs qu'elles emploient. Avis favorable, donc, sur l'ensemble de ces amendements.
Nous convenons tous que le document unique est absolument indispensable mais, les très petites entreprises ne disposant pas nécessairement d'un directeur des ressources humaines ou d'un service de ressources humaines susceptibles d'élaborer un programme annuel de prévention, il ne faut pas leur imposer ce deuxième document. Le groupe Libertés et territoires soutiendra donc ces amendements.
Je disais tout à l'heure que 80 % des entreprises ont moins de dix salariés, et les amendements que nous examinons soulignent qu'il est déjà très difficile pour ces entreprises de rédiger un document unique. L'exemple que vous avez pris, monsieur le secrétaire d'État, est à cet égard excellent : le boulanger du coin n'a ni le temps matériel ni la possibilité de payer un DRH pour élaborer un document unique – ceux d'entre vous, s'il y en a, qui ont participé à la confection d'un tel document dans une entreprise savent que c'est un travail très complexe, qu'une petite entreprise a beaucoup de difficultés à réaliser. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, de défendre les 80 % d'entreprises qui ont moins de dix salariés.
Si nous convenons tous qu'il ne faut pas imposer aux PME trop d'obligations administratives, nous pouvons convenir aussi que la France accuse un grand retard en matière de prévention et de santé au travail. Ainsi, l'Allemagne consacre 10 % de ses cotisations à l'accompagnement des PME pour l'élaboration d'un plan d'action, contre 3 % en France. Il est temps que les services de prévention au travail fournissent le service que les entreprises paient sans y avoir accès, puisqu'elles ne sont pas accompagnées dans la mise en place du plan d'action.
À quoi sert un document unique s'il n'est vu que comme un document administratif, une contrainte administrative, et qu'on ne va pas au bout du processus en déployant un plan d'action pour la santé des salariés ? Il est très important de répéter que les PME emploient la grande majorité des salariés – 80 %, comme le rappelait Mme la rapporteure. Est-ce à dire que nous renoncerions à ce que 80 % des salariés de notre pays aient le droit de bénéficier d'une démarche préventive de la part de leur entreprise ?
Je pense que renoncer à cette idée, c'est abandonner le c? ur du dispositif que nous voulons instaurer, qui vise justement à aller au bout de la démarche préventive.
Aujourd'hui, le document unique est relativement lourd du point de vue de la gestion administrative – je vous rejoins sur ce point – , mais l'établir est une obligation pour les entreprises. En revanche, le contenu du plan d'action n'est pas normalisé : il suffit, pour chaque risque, de définir une action permettant de le prévenir. Donc simplifions le document unique, mais allons au bout de la démarche préventive. Telle est la stratégie que nous vous proposons d'adopter.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Il ne s'agit pas d'abandonner une démarche de prévention dans les petites entreprises. Seulement, si le document unique est en théorie obligatoire, nous savons pertinemment qu'en pratique, il n'existe pas dans les petites entreprises – à commencer par nous : combien de députés employeurs disposent d'un document unique pour leur équipe ?
L'ANI affirme que l'un des déterminants de la culture de prévention réside dans l'accompagnement effectif des employeurs dans l'exercice de leur responsabilité en matière d'évaluation des risques. Cela permet de créer les conditions de la confiance, gage de la bonne intégration d'une nouvelle obligation considérée comme porteuse de sens, et non comme une nouvelle contrainte venant s'ajouter à toutes celles déjà imposées aux employeurs, qu'ils n'ont même pas encore eu le temps d'appliquer.
Nous devons y arriver mais cela ne peut passer que par un accompagnement qui nécessite des moyens auxquels il faudra réfléchir, car le conseil coûte cher.
Je comprends votre volonté de vous assurer que la démarche de prévention est appliquée partout. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, on peut faire de la prévention sans formalisme excessif : c'est déjà le cas dans les petites boutiques, partout dans le territoire.
Monsieur Bouley, pour avoir moi-même rempli beaucoup de documents uniques, je peux vous dire qu'ils prévoient déjà l'établissement d'un plan d'action, cela figure dans le décret. L'obligation de planification existe. Sur le fond, votre demande est donc satisfaite. Par ailleurs, un plan est très différent d'un programme : …
… loin de nécessiter des apports spécifiques et une équipe chargée des ressources humaines, le plan d'action est un document opérationnel très concret, déjà inclus dans le DUERP.
L'amendement no 225 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l'amendement no 34 .
Il propose de mieux organiser la traçabilité des salariés exposés à des risques chimiques par les employeurs grâce au document unique.
La réglementation en vigueur en matière de prévention des risques chimiques au travail, d'origine communautaire, est héritée de la directive cadre du 12 juin 1989, renforcée par la directive du 7 avril 1998, et la directive du 29 avril 2004 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail. Ces dispositions européennes imposent une traçabilité individuelle des risques chimiques auxquels sont exposés les salariés. Les employeurs doivent notamment établir une liste actualisée des travailleurs concernés par ces risques et répertorier la nature, le degré et la durée de l'exposition aux agents chimiques.
Depuis les ordonnances prises en 2017 dans le cadre de la réforme du code du travail, l'employeur n'est plus tenu de remplir ces obligations, alors même que le risque d'exposition à des agents chimiques dangereux ou cancérigènes concerne 12 % des salariés – et encore, nous ne savons pas tout, car le délai entre l'exposition aux agents chimiques et l'apparition des maladies est assez long.
Par ailleurs, au-delà des risques que cela fait peser sur la santé des travailleurs concernés, la France se trouve donc en état de sous-transposition des directives européennes précitées. Notre pays s'expose donc à une condamnation de la Cour de justice de l'Union européenne.
L'amendement propose donc de rétablir l'obligation pour l'employeur de tenir à jour une liste des salariés exposés à des agents chimiques dangereux, et d'établir une fiche individuelle d'exposition pour chaque salarié concerné.
Vous abordez la question particulière des risques chimiques, sujet dont nous avons longuement débattu en commission. Je vous rappelle que nous avons notamment adopté un amendement visant à prendre en compte la polyexposition aux risques chimiques.
Vous proposez de rétablir la fiche d'exposition, mais ce dispositif était inapplicable. En effet, dans son rapport consacré à l'exposition aux risques chimiques, le professeur Frimat estimait que seules 5 % des entreprises avaient rédigé ces fiches.
Par ailleurs, d'autres outils de traçabilité des expositions aux risques chimiques existent déjà, comme la fiche d'entreprise, la notice de poste, ou les informations tenues à disposition des salariés en matière de risques liés aux agents mutagènes, cancérogènes ou toxiques.
La proposition de loi prévoit également la conservation de toutes les versions du document unique. Un amendement de M. Didier Martin, que nous examinerons ultérieurement, propose d'ailleurs de préciser que cette conservation doit être assurée pour une très longue durée, ce qui permettra de prendre en compte les effets à très long terme d'une exposition à ces risques.
De notre point de vue, le dispositif est donc désormais suffisamment verrouillé. Par conséquent, avis défavorable.
Défavorable.
En matière de prévention de l'exposition aux risques chimiques, nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux. Dans ma circonscription, je rencontre de nombreux salariés souffrant de telles expositions. Face aux risques encourus, nous devons aujourd'hui relever le niveau d'intervention et le niveau de prévention. Des dispositions avaient été envisagées, auxquelles nous n'avons même pas laissé le temps d'être appliquées et de faire leurs preuves : c'est regrettable.
Nous pourrions prendre d'autres mesures : j'ai par exemple déposé une proposition de loi qui tend à créer un cadastre des postes de travail. En effet, l'exposition à des agents chimiques – comme à d'autres risques d'ailleurs – est liée à des postes de travail identifiables. Or, la plupart des maladies provoquées par l'exposition aux agents chimiques pourraient être éliminées. On ne peut pas accepter que des personnes soient exposées à des agents mutagènes, cancérigènes ou reprotoxiques, qui provoquent des cancers et entraînent même parfois le décès.
C'est un sujet particulièrement grave, auquel nous ne saurions rester insensibles. Les mesures de prévention existantes ne me semblent pas satisfaisantes.
S'il y a bien un endroit dans notre pays où l'on sait écrire les protocoles, c'est dans les hôpitaux et les établissements de santé. Vous avez certainement tous lu l'enquête sur les soignants travaillant dans les services d'oncologie auprès de personnes souffrant de cancer, qui montre que ces soignants se retrouvent eux-mêmes atteints de cancer pour avoir été au contact de produits de chimiothérapie. Les protocoles étaient pourtant très bien écrits, mais les soignants n'ont pas été protégés.
L'amendement de mon collègue Dharréville est très clair, et permet au moins de protéger les salariés. Il est particulièrement douloureux que, dans notre pays, des personnes qui soignent des personnes souffrant d'un cancer se retrouvent elles-mêmes atteintes de la maladie. On ne parle pas de petit produits sans conséquences, mais de produits chimiques dangereux pour la santé.
L'amendement de Pierre Dharréville propose que l'exposition à ces produits dans la vie professionnelle soit bien encadrée. En la matière, on ne peut pas se contenter de dire que c'est déjà fait, que ce sera mieux fait plus tard, ou que les choses ont été vues un peu en amont ou le seront en aval !
En outre, à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, on n'arrête pas de répéter qu'il faut faire de la prévention, au motif que soigner un cancer coûte cher : si nous voulons que la sécurité sociale fasse des économies, commençons par protéger les salariés afin qu'ils ne tombent pas malades.
L'amendement no 34 n'est pas adopté.
Sourires sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme Florence Granjus, pour soutenir l'amendement no 211 .
Il prévoit que « le document unique d'évaluation des risques professionnels doit transcrire les risques psychosociaux en amont de la mise en ? uvre d'un projet de restructuration ».
Vous revenez sur l'importance de la prise en compte des situations de restructuration. Cependant, la formulation de votre amendement nous pose souci, puisqu'elle sous-entend qu'il faudrait prioriser les entreprises en restructuration en matière de risques psychosociaux par rapport à des entreprises où l'on trouve des facteurs de risques sans lien avec une restructuration.
Votre amendement semble donc contraire à votre intention de voir ce facteur pris en compte, mais pas au détriment d'autres qui pourraient même être plus lourds. Par conséquent, je vous demande de retirer votre amendement.
Même avis. La demande me semble satisfaite et je demande donc le retrait de l'amendement.
L'amendement no 211 est retiré.
Il propose que le contenu et les modalités de mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels soient précisés par voie réglementaire.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, ce document comprend à la fois des mesures de prévention et les mesures de protection en résultant. Passer par la voie réglementaire permettrait donc peut-être de moduler le contenu du programme annuel de prévention, qui a déjà fait l'objet de débats lors de l'examen des précédents amendements, en fonction de la taille des entreprises.
Identique au précédent, cet amendement tend à compléter l'alinéa 9 de l'article 2 pour préciser que « le contenu et les modalités de mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels seront précisés par décret ».
Nous pensons qu'en l'état actuel, les dispositions relatives au document unique sont suffisamment précises, et qu'il est inutile d'alourdir davantage ses modalités : cela permettra aux entreprises de s'approprier l'outil et de l'adapter.
Par ailleurs je répète que, par un décret en Conseil d'État, le Gouvernement peut d'ores et déjà simplifier les modalités de mise à jour du document unique des entreprises de moins de onze salariés. Y a plus qu'à !
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra