Le même mot, humanité, possède deux sens : celui de la dignité de la personne, et celui de notre maison commune ou, pour reprendre le joli slogan de l'Agence française de développement, un monde en commun. Ces deux sens du mot humanité renvoient à une découverte toute récente, avec une prise de conscience qui germe dans notre société : tout est lié, entre l'écologie, l'économie, la santé des sociétés et celle des hommes et des femmes de cette terre ; tout est lié, entre ce qui se passe ici, dans nos sociétés occidentales, et ce qui se passe à l'autre bout du monde. Nous sommes définitivement interdépendants dans un monde globalisé.
Que la mondialisation tende vers une extension infinie ou qu'une rétractation soit possible, comme nous l'avons vu ces dernières années, nous n'avons d'autre choix que celui d'une souveraineté solidaire. Mireille Delmas-Marty, qui a développé ce concept extrêmement riche, l'oppose à la souveraineté solitaire et à une mondialisation sans foi ni loi. La souveraineté, c'est celle des peuples et des communautés de peuples : je pense évidemment à l'aventure extraordinaire que constitue l'Union européenne, seule à même de porter dans le monde la voix de la paix et de la civilisation que nous incarnons et dont nous sommes les héritiers. La souveraineté solidaire, nous la voulons pour nous et pour les autres. Cette interdépendance dans la solidarité est notre horizon ; elle est une éthique qui ne se paye pas de mots et qui n'est pas comme un fanion en haut du mât, mais plutôt comme le gouvernail des politiques publiques menées ici et ailleurs. Cette éthique peut se décliner en trois mots : la cohérence, le droit et le partage.
La cohérence tout d'abord : bien sûr, nous pouvons nous réjouir d'avoir introduit un dispositif « 1 % transports », qui s'ajoute aux « 1 % déchets », « 1 % eau » ou « 1 % énergie ». Je rêve, avec les membres du groupe Socialistes et apparentés, d'une loi de développement axée sur 100 % de commerce équitable et 0 % pour les paradis fiscaux : ce jour-là, nous serons à la hauteur des enjeux du monde. Il faut de la cohérence parce que nous ne pouvons pas faire d'un côté et casser de l'autre, détruire de la valeur et créer un développement inéquitable. Nous ne pouvons pas détruire 28 millions d'hectares par l'accaparement des terres ou encore 12 millions d'hectares de forêts primaires du seul fait de l'appât du gain et de l'appel du profit et, en même temps, creuser des puits et financer de l'aide publique au développement à hauteur de 1 %, voire 2 % à 3 %, ou parfois 0,1 % des flux financiers mondiaux.
J'en appelle à la cohérence entre nos modèles de développement et les conséquences qu'ils ont non seulement au bout de la rue, mais jusqu'au bout du monde. Nous le savons, notre modèle de consommation fait qu'en juillet ou en août, nous avons déjà consommé l'ensemble des ressources annuelles de la terre. Or, si les températures s'élèvent de plus de deux degrés Celsius, aucun génie génétique ne permettra de compenser, en Afrique subsaharienne, la baisse de 20 % des rendements qui est attendue. Les conséquences géostratégiques seront incommensurables, nous les subirons avec toutes les formes de violence et d'indignité que nous connaissons.
Viennent ensuite les droits. Le groupe Socialistes et apparentés a concentré ses efforts sur l'extension de l'État de droit à tous nos partenaires. C'est le sens des propositions que nous faisons autour de l'état civil, parce que le développement commence par l'identité de la personne. Il y a en effet un lien indéfectible, et un peu mystérieux, entre la dignité de la personne et le fait que nous allons sauver notre maison commune. Il faut donner un nom, une identité à chaque enfant de la planète, dans chaque pays avec lesquels nous travaillons. Des critères de responsabilité sociétale des entreprises doivent s'appliquer à tout le commerce lié à l'aide publique au développement. Des initiatives sur les industries extractives et les minerais de sang doivent être engagées. L'Alliance 8. 7 contre la traite des êtres humains et le travail des enfants doit être soutenue. Il nous faut porter le devoir de vigilance en Europe et partout dans le monde comme une directive.
Des droits fonciers sont nécessaires. À cet instant, je ne peux m'empêcher de penser à François Tanguy-Prigent et Edgard Pisani, à ces hommes qui, après guerre, ont fondé l'agriculture moderne sur un dessin humaniste. Ayant coopéré à l'échelle internationale, ils sont revenus en France, dans cet aller-retour que le ministre a évoqué dans sa présentation du projet de loi. Ils ont ainsi remis en cause nos propres modèles de développement au nom de ce qu'ils avaient découvert dans leur expérience africaine.
Nous devons nous inspirer de ces parcours qui lient les droits et la démocratie au partage. Sans partage, il n'y a pas de démocratie et sans démocratie, il n'y a pas de partage. La loi sur le foncier est universelle : partout où la terre est partagée, règnent la démocratie et la prospérité ; partout où il y a un accaparement, on rencontre des systèmes ultra-libéraux autoritaires et un appauvrissement de la société. Je pense à cet instant à Joseph Wresinski et à sa phrase définitive qui a été portée, encore une fois après guerre, dans les bidonvilles de nos cités : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré. » C'est ce devoir sacré qui nous rassemble dans un combat pour la cohérence, la justice et le droit. J'espère que nous allons progresser sur ce texte pour nous entraider et, en nous donnant la main, pour progresser ensemble.