« Certaines personnes oublient pendant dix, vingt, trente ou cinquante ans. Personnellement, il m'a fallu dix ans pour m'en souvenir. » Ces mots sont ceux d'Aurore M. Il aura fallu dix ans pour se souvenir ! Et pour toutes les autres victimes, combien de temps, et combien encore pour en parler ? Pour ces filles et ces garçons, la peur de ne pas être cru, l'absence de témoins ou de violence, la honte de parler des faits subis ont été autant de freins à la dénonciation de ce secret. Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, se multiplient les témoignages d'une minorité violentée et volée, mais alors que ces victimes devenues majeures rompent le silence, émerge la crainte de ne pas être entendu, à cause des temps longs et des conditions difficiles de la révélation de ces blessures.
Les travaux engagés depuis le début de la législature sur la question de la minorité violentée se poursuivent. Des progrès importants ont été réalisés : la majorité sexuelle à 15 ans, qui permet de ne plus poser la question d'un consentement sexuel ; la prescription de trente ans, qui permet à une victime de dénoncer un crime jusqu'à ses 48 ans. Notre droit s'adapte. Désormais, la loi doit confirmer clairement qu'aucun répit ne sera accordé à toute personne qui porte atteinte physiquement et moralement à nos mineurs. C'est ce grand pas – historique, avez-vous dit, monsieur le garde des sceaux – que le texte de la commission nous propose de faire : réaffirmer l'interdiction ferme de toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur et consacrer cette interdiction par des infractions autonomes.
D'abord, le texte pose les mots d'une qualification indépendante sur les maux les plus intimes d'une minorité abîmée par un auteur familier : l'inceste. Nous inscrivons en effet dans le code pénal une incrimination générique d'inceste, sans critères d'âge ni graduation de la gravité. Non seulement cette insertion répond aux attentes des victimes et des associations, mais surtout, l'inceste est enfin clairement dénommé et indépendamment incriminé.
Les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans sont totalement déliés des infractions de droit commun. La minorité est ainsi reconnue comme une singularité et non plus comme une circonstance aggravante. Notre groupe a proposé des précisions destinées à rendre ces dispositions plus intelligibles.
Pour toutes les violences autres que le viol ou l'agression, le maintien de l'infraction d'atteinte sexuelle est nécessaire. Précisée en séance publique, cette infraction permettra de poursuivre toutes les atteintes, quelles qu'elles soient, dans toutes les situations où la minorité fragilise – âge, subordination de fait ou de droit – , lorsque des actes actifs ou passifs se traduisent irrémédiablement par une mise en péril du mineur.
Ensuite, ce texte, tout en protégeant tous les mineurs, reste garant du respect de la liberté sexuelle des adolescents. Un équilibre a été trouvé en la matière et nos débats en commissions y ont d'ailleurs largement contribué. Ainsi, la rédaction retenue introduite un écart d'âge de cinq ans en dessous duquel les relations sexuelles avec un mineur de 15 ans ne pourront pas être poursuivies sur le fondement des incriminations nouvelles. Elles pourront cependant l'être selon le droit commun cas de viol ou d'agression sexuelle.
Enfin, avec la « prescription glissante », un délai supplémentaire est donné aux victimes, dont l'action n'est plus enfermée dans un délai de prescription de 30 ans.
Des avancées importantes seront également proposées par le groupe La République en marche. Ainsi, un amendement à l'article 1er précise que le viol et le viol incestueux sont également qualifiés lorsque l'acte de pénétration est commis par un mineur de 15 ans sur la personne de l'auteur. Au même article, à propos de la prostitution de mineurs, nous proposons que la condition de différence d'âge prévue au premier alinéa ne soit pas applicable si les faits sont commis en échange d'une rémunération, la peine encourue par le proxénète étant aggravée lorsque les faits de prostitution impliquent un acte de pénétration par un majeur sur un mineur de 15 ans. Je tiens à ce propos à saluer tout particulièrement le travail et l'engagement de mes collègues Mustapha Laabid et Ludovic Mendes dans le domaine de la prostitution des mineurs.
Un amendement après l'article 1er bis B prévoit la création du délit de « sextorsion » lorsqu'un majeur incite un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle sur lui-même ou avec un tiers, y compris si cette provocation n'est pas suivie. Je veux ici remercier ma collègue Laetitia Avia pour le travail de grande qualité qu'elle a accompli sur ce sujet et sur d'autres, mais aussi – et vous ne sauriez me démentir, monsieur le garde des sceaux – pour son fantastique pouvoir de persuasion.