Intervention de Agnès Thill

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre la fraude à l'identité et mineurs non accompagnés — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Thill, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Ces chiffres figurent dans des rapports du Sénat, de l'Assemblée nationale et de l'Assemblée des départements de France. La situation n'est plus tenable, car elle met en péril l'ensemble de notre modèle de protection de l'enfance. Il est donc urgent de pouvoir mieux identifier ces jeunes qui se prétendent MNA et d'évaluer leur minorité plus efficacement.

Quelle est la situation ? Un jeune majeur peut se présenter sous plusieurs identités, avec plusieurs dates de naissance, dans plusieurs départements. Lorsqu'il existe un doute sur la minorité du jeune, le conseil départemental ou le service de police procède à une évaluation de son âge. En dernier recours, ils peuvent demander au juge de faire procéder à un test osseux. Si le juge estime le doute légitime, le test est proposé au jeune. Or, en cas de refus de ce dernier, le juge n'a absolument aucune solution ; il est confronté à un dilemme : soit, faute de preuves matérielles, il considère le jeune comme mineur – au risque de mettre un majeur au contact de jeunes mineurs dans les établissements de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE, ou dans les établissements pénitentiaires pour mineurs ; soit il le considère comme majeur sur sa seule apparence physique, et le tribunal correctionnel risque de se déclarer incompétent.

Il faut sortir de cette impasse. Tel est l'objet de ma proposition de loi, qui répond à une difficulté récurrente : le refus de certains jeunes d'effectuer les examens radiologiques, aussi appelés tests osseux, afin que leur majorité ne soit pas révélée. Cette stratégie est bien connue des réseaux criminels qui les embrigadent et utilisent cette méthode pour les rassurer. Je souhaite donc que l'on puisse, en cas de refus, présumer – et seulement présumer – que l'intéressé est majeur.

Les tests osseux ont été inscrits et encadrés par le législateur dans la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant. Pour mémoire, en l'état du droit, trois conditions sont requises pour procéder à un test osseux : l'absence de documents d'identité valables, une décision de l'autorité judiciaire et le consentement éclairé de l'intéressé.

Cet examen, qui s'opère à partir d'une radiographie des os – poignet ou clavicule – ou des dents, intervient de manière subsidiaire lorsqu'un doute persiste au cours de l'évaluation d'une personne se présentant comme MNA, c'est-à-dire lorsque les autres informations recueillies ne suffisent pas à certifier sa minorité. D'autres garanties protègent le mineur faisant l'objet d'un test osseux : les résultats doivent indiquer la marge d'erreur et ne peuvent suffire à déterminer la minorité ; de plus, le doute bénéficie à l'intéressé. Mon texte reprend ces garanties car, en aucun cas, un mineur ne doit être considéré comme majeur.

J'ai conscience des limites de la fiabilité des examens radiologiques. Il existe à cet égard un consensus scientifique, selon lequel la marge d'erreur pour ces tests osseux varie de douze à vingt-quatre mois. C'est à la fois peu et beaucoup, car cela signifie que toutes les personnes de plus de 20 ans pourraient être identifiées comme majeures.

Pour ma part, je ne vois pas de difficulté à ce que certains très jeunes majeurs intègrent un parcours en protection de l'enfance, à condition qu'ils en respectent les obligations en matière d'éducation et de surveillance. Si les intéressés ont plus de 20 ans, en revanche, l'écart d'âge au sein des établissements devient trop important, ce qui pose des difficultés vis-à-vis des mineurs et des travailleurs sociaux.

Je proposerai une nouvelle rédaction d'ensemble de l'article 1er, afin de rétablir la nécessité de préciser la marge d'erreur, tout en fixant celle-ci à vingt-quatre mois maximum, et de rappeler que le test osseux ne peut permettre à lui seul de déterminer la majorité. Cet examen est réalisé actuellement à titre complémentaire, et c'est bien ainsi que nous l'entendons.

Par ailleurs, le référentiel utilisé est ancien – il date de 1940 – et établi à partir d'une population américaine, ce qui explique également cette marge d'erreur. Je proposerai qu'il soit actualisé.

Je connais les critiques adressées à ce dispositif en raison de sa potentielle inconstitutionnalité. La présomption de majorité n'est pas incompatible avec la Constitution, mais ce principe est aujourd'hui contraire à la loi. Or il nous appartient de modifier la loi.

Il semble en effet que la position du Conseil constitutionnel sur le sujet soit moins radicale que certains l'affirment. Dans sa décision du 21 mars 2019, rendue à l'occasion de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité – QPC – , le Conseil constitutionnel a admis le principe des tests osseux, sous réserve des garanties prévues par le législateur, que je viens de présenter. La proposition de loi les préserve et en précise un certain nombre, notamment concernant l'information du mineur et la qualité de l'examen effectué.

Le Conseil a en outre indiqué que le refus de procéder à l'examen ne saurait entraîner une présomption de majorité. Toutefois, il faut se référer au commentaire de la décision pour mesurer la portée de cette affirmation : le Conseil a constaté que telle n'était pas l'intention du législateur en 2016 et précisé que ce rappel « [visait] à répondre à l'argumentation développée par certains intervenants selon laquelle il existerait des pratiques en sens contraire ». En effet, un magistrat ayant des doutes sur l'âge d'un mineur en raison de son apparence physique et faisant face au refus de celui-ci de procéder au test pourrait être tenté de le déclarer majeur. Certains d'entre eux, y compris des juges des enfants, le font par manque d'éléments fiables, mais cette pratique est contraire à la loi.

En tant que législateur, nous pouvons inverser cette présomption dès lors que les protections persistent, notamment le fait que la décision doit se fonder sur des éléments complémentaires, lesquels peuvent renverser une présomption qui n'est en aucun cas irréfragable.

J'ai conscience que cette solution ne répondra pas à toutes nos difficultés. J'ai auditionné de nombreuses personnes et j'ai entendu les remarques de mes collègues en commission, notamment les pistes évoquées par Jean-François Eliaou et Antoine Savignat à la suite de leur rapport d'information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés. J'ai pu constater qu'au-delà de la question de l'âge, qui est primordiale, celle de l'identité est elle aussi centrale.

Dès lors, il me semble utile d'encourager le recours au fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, le fichier AEM, qui recense les informations relatives aux MNA, y compris l'évaluation de leur âge, afin d'éviter qu'un même mineur ne déclare plusieurs identités dans différents départements ou à l'occasion de diverses interpellations. J'ai en conséquence déposé un amendement visant à rendre obligatoire la transmission au fichier AEM des évaluations effectuées par un département.

Je souligne en outre qu'il est urgent d'accélérer la coopération internationale sur ce sujet. L'initiative prise par M. le garde des sceaux avec le Maroc va dans ce sens. Il faut désormais que les magistrats fassent usage des accords de coopération dont nous disposons. De nombreux pays, d'origine ou de passage, détiennent des informations utiles pour identifier les mineurs et mieux comprendre leur parcours. Nous devons encourager nos magistrats à les interroger.

Les amendements que j'ai déposés tendent à améliorer encore une proposition de loi dont la finalité est bien de protéger les mineurs non accompagnés, …

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