Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion commence à dix-sept heures cinq.

La mission d'information entend M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER).

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Mes chers collègues, notre mission d'information inaugure aujourd'hui ses travaux par l'audition de M. Patrick Vincent, que je remercie de sa présence. Je rappelle que nos débats sont diffusés et donneront lieu à un compte rendu écrit, disponible avec le rapport.

Depuis 1984, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) poursuit, selon son site, les missions consistant à conduire et promouvoir des recherches fondamentales et appliquées ainsi que des actions d'expertise et de développement technologique et industriel destinées à connaître, évaluer et mettre en valeur les ressources des océans et permettre leur exploitation durable ; améliorer les méthodes de surveillance, de prévision et d'évolution de protection des océans et mettre en valeur le milieu marin et côtier ; favoriser le développement socio-économique du monde maritime.

La France représente déjà la deuxième superficie mondiale en tant que zone économique exclusive, avec près de 12 millions de kilomètres carrés d'espaces maritimes, et l'IFREMER pilote le projet EXTRAPLAC d'extension du plateau continental français – c'est dire que vous êtes au coeur des sujets qui nous intéressent, monsieur le directeur général.

Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur, afin qu'il vous précise les points sur lesquels nous souhaitons plus particulièrement obtenir des informations dans le cadre de cette mission qui, je le rappelle, a pour objectif de mettre en lumière l'intensification des phénomènes climatiques et de nous permettre de faire un état des lieux des connaissances actuelles dans ces domaines.

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Monsieur le directeur général, je vous remercie pour votre présence.

Je vais vous demander de bien vouloir nous présenter d'une manière générale les travaux de l'IFREMER sur les événements climatiques majeurs, et nous indiquer ce que permettent de comprendre les données océanographiques que vous traitez. Je souhaite également que vous insistiez sur vos travaux portant sur les changements climatiques et leurs impacts sur les zones littorales.

Vous travaillez notamment sur les questions suivantes : les liens entre la circulation océanique et l'atmosphère ; les impacts des changements climatiques sur l'océan – la dynamique océanique, la compréhension des échanges « hauturier-côtier » pour aborder la régionalisation des impacts des changements climatiques sur les marges et les écosystèmes, la validation, l'analyse et la quantification statistique de données historiques ou en temps réel, le développement et la mise en oeuvre de codes numériques capables de simuler l'océan de manière idéalisée ou réaliste, ou encore l'ingénierie de systèmes sous-marins téléguidés et autonomes – ; l'élévation du niveau des océans, les émissions de carbone actuelles jouant le rôle d'une « bombe à retardement ».

Je vous remercie également de nous présenter les conséquences des changements climatiques sur l'intensification et l'accélération de la fréquence des phénomènes climatiques majeurs dans les zones littorales, si possible en distinguant selon les littoraux concernés en France, qui sont particulièrement diversifiés.

Il me paraît également souhaitable que vous présentiez La Méditerranée face au changement climatique, ouvrage collectif dont un chapitre a été coordonné par M. Denis Lacroix, de l'IFREMER.

Enfin, je vous pose une question plus large : quelles sont les conséquences des événements climatiques majeurs sur la ressource biologique du milieu marin ?

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Patrick Vincent, directeur général délégué de l'IFREMER

Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie d'avoir convié l'IFREMER pour les premiers travaux de votre mission d'information.

Je vais m'efforcer, à l'aide de quelques exemples, de vous faire comprendre ce que l'IFREMER peut apporter sur les thématiques qui viennent d'être évoquées, en commençant par souligner que le changement climatique, le changement global et les pressions anthropiques sont des sujets transversaux à l'ensemble des activités de l'IFREMER : je pense notamment aux activités maritimes humaines, aux ressources biologiques, à l'exploitation des ressources minières. Si j'évoque cette transversalité, c'est parce qu'elle explique que nous n'avons pas développé un programme de travail spécifique portant sur le changement climatique ou sur le changement global, ces deux thématiques imprégnant l'ensemble de nos activités.

Je vous présenterai donc un panorama faisant apparaître quelques-unes des questions sur lesquelles nous travaillons. Les questions « amont » pourront vous paraître un peu arides, dans la mesure où elles n'ont pas forcément d'application concrète ; d'autres, en revanche, vous apparaîtront directement liées à des thématiques qui vous sont familières.

Parmi les thèmes que j'ai choisi d'évoquer afin de répondre aux questions qui me sont posées, trois me paraissent revêtir une importance particulière.

Le premier de ces thèmes est celui des événements climatiques majeurs perçus du point de vue de la géophysique, de l'ère quaternaire à nos jours. Cela me permettra de vous expliquer comment des données de type géologique peuvent apporter de l'information sur l'analyse de l'impact du changement climatique actuel. Comme pour beaucoup d'autres sciences, l'histoire nous fournit des enseignements précieux pour comprendre le monde d'aujourd'hui.

Le deuxième thème est celui de l'intérêt qu'il y a à tenter de reconstruire des séries statistiques de données les plus longues possibles, portant sur les événements climatiques extrêmes, dans l'objectif de tirer de ces données, au moyen d'une assimilation à des modèles numériques, des réponses aux questions qui se posent au sujet des événements majeurs actuels, notamment quant à la fréquence de ces événements.

Enfin, le troisième thème est celui de la puissance du spatial dans l'observation de l'océan, une puissance qui permet de dériver un certain nombre d'applications intéressantes. Je pense notamment au grand programme européen Copernicus, qui délivre des services marins applicables à la fois sur nos littoraux, sur l'océan global pour ce qui est de l'exploitation des ressources marines, mais évidemment aussi sur les outre-mer.

Si le changement climatique sur le littoral est une préoccupation pour l'IFREMER, notre institut ne travaille pas seul sur cette question. En septembre 2017, nous avons tenu un séminaire avec nos collègues du CNRS et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur l'impact du changement climatique sur le littoral.

Bien entendu, je vous parlerai de l'élévation du niveau de la mer et de ce que l'on peut en dire aujourd'hui, en particulier d'un exercice de prospective en cours, qui a pour objectif de déterminer quels sont les scénarios possibles à l'horizon 2100, et quelles décisions devraient être prises en 2030 pour que se réalise en 2100 le meilleur scénario possible. Cela montre, s'il en est besoin, que l'observation du climat peut porter sur des événements qui s'étendent sur des semaines, des mois, des saisons, des années, voire sur plusieurs dizaines d'années. Cet exercice de prospective est réalisé par l'IFREMER dans le cadre de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, conclue sous le patronage du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Enfin, comme vous le souhaitez, je ferai un point portant spécifiquement sur l'ouvrage La Méditerranée face au changement climatique.

Je commencerai donc par évoquer le niveau des mers vu à l'échelle géologique, en portant une attention particulière aux environnements insulaires, qui sont ceux intéressant nos outre-mer. Sans vous entraîner trop loin dans le domaine de la géophysique, qui sous-tend le sujet qui nous intéresse, je peux vous dire que deux aspects des changements passés du niveau des mers sont particulièrement pertinents pour prédire les changements futurs dans un contexte de réchauffement climatique.

Le premier de ces aspects, c'est le fait que nous avons été en présence de variations très importantes et très abruptes du niveau des mers durant les transitions glaciaires et interglaciaires. C'est très intéressant, car cela permet d'observer des contraintes uniques sur la stabilité des calottes de glace, ce qui peut nous aider à déterminer quelle quantité d'eau va se déverser dans l'océan, et quel niveau il va atteindre de ce fait.

Le deuxième aspect, c'est que les niveaux marins ont été très élevés au cours de certaines périodes, durant lesquelles le climat était beaucoup plus chaud qu'aujourd'hui. Il y a là également matière à effectuer une transposition au futur.

Pour étudier et comprendre ces phénomènes, l'IFREMER travaille dans les îles Éparses, situées autour de Madagascar, dans l'océan Indien. Nous avons sur ces îles un chantier de reconstruction des changements passés du niveau des mers – dans une région peu étudiée, ce qui constitue un intérêt supplémentaire. L'acquisition de connaissances en vue de reconstruire les niveaux marins du passé passe par l'application de méthodes pluridisciplinaires : sédimentologie, géochimie, modélisation de tous les systèmes – en particulier les systèmes récifaux profonds et peu profonds, très liés aux variations du niveau des mers. Nous développons actuellement un programme qui, à terme, doit nous permettre de quantifier à la fois l'impact et la vitesse de variation du niveau des océans sur les environnements insulaires. Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous indiquer les résultats de ce programme, que nous n'obtiendrons que d'ici deux ou trois ans, mais il est important de savoir qu'il a déjà été mis en place un certain nombre d'actions de recherche visant à l'acquisition de données.

Un autre exemple, plus proche de nous géographiquement, puisqu'il est situé dans l'Atlantique Nord-Est, est celui correspondant à l'action que nous menons pour essayer de comprendre l'impact du changement climatique et du changement global sur les écosystèmes profonds, qui constituent des pièces du réseau trophique de la ressource océanique. Tout changement environnemental se traduit par une réaction de ces écosystèmes profonds, dont nous mesurons l'impact.

Il existe dans l'Atlantique Nord-Est un écosystème profond très sensible, celui des coraux d'eau froide, qui constituent un système classé vulnérable – ce qui ajoute encore à l'intérêt de leur étude. L'une des caractéristiques de cet écosystème réside dans le fait qu'il est contrôlé par les courants, qui interagissent avec la ressource – les courants étant manifestement eux aussi très influencés par le climat. Je précise que la circulation océanique profonde, qui n'est pas très bien connue, est celle qui interagit aux mêmes échelles de temps que le climat : à ce titre, elle est extrêmement importante.

Dès lors que l'on parle de changement climatique et d'océan, on pense au phénomène d'acidification des océans, qui va se traduire par une réduction de la gamme de profondeur de l'habitat propice au développement des coraux, donc par une vulnérabilité plus importante. Comme vous le voyez, des sujets de recherche qui paraissent un peu arides de prime abord peuvent produire des connaissances pouvant trouver des applications pratiques, notamment en matière d'exploitation de la ressource biologique.

Nous avons abordé la question des phénomènes extrêmes en milieu littoral sous un angle un peu original, celui du dimensionnement des ouvrages en mer, en considérant que cette démarche permettait d'aborder des questions situées dans le champ des missions de l'IFREMER, en particulier celles relatives aux énergies marines renouvelables – qui impliquent l'implantation de structures en mer, notamment des plateformes offshore, exposées à des événements extrêmes qui peuvent aller jusqu'à causer leur destruction.

Nous souhaitons établir des séries statistiques les plus longues possibles portant sur les phénomènes extrêmes, qui pourraient être représentatives des conditions en mer, à savoir le vent, les vagues et les courants. L'acquisition de données par des capteurs, par des campagnes en mer ou depuis l'espace, permet de constituer des bases de données dont nous tirons des séries temporelles. Ces séries sont établies à partir du plus grand nombre de données possible, et leur établissement se caractérise par une difficulté particulière : elles doivent refléter des événements majeurs peu probables, donc difficiles à détecter et à observer – alors même que leur impact est extraordinaire.

Nous avons lancé, avec nos laboratoires, un projet destiné à construire ces séries statistiques à partir de modélisations, ce qui doit permettre de représenter statistiquement, sur le très long terme, les conditions environnementales dont nous pourrons déduire des impacts sur les structures en mer. Nous partons du principe que cette étude doit être réalisée à toutes les échelles de temps – de quelques jours à plusieurs années –, mais aussi d'espace – par rapport au milieu où elles sont situées, les structures en mer occupent un espace très restreint, d'ordre local ; en revanche, les territoires ultramarins recouvrent souvent un espace d'ordre régional ; quant à l'espace global, il correspond à la circulation océanique générale.

J'en viens à la question des estuaires, très importante lorsqu'on s'efforce de déterminer l'impact du changement climatique. Jusqu'à une période très récente, ce sujet était évoqué sous la forme de la recherche d'une meilleure statistique de la fréquence d'inondation des estuaires sous le coup d'événements extrêmes. Cette approche faisait abstraction d'un aspect essentiel : un estuaire se caractérise par une certaine géomorphologie, dont la variation doit se coupler avec celle des variables environnementales que sont la salinité, le courant et les vagues. La variation géomorphologique a inévitablement un impact sur l'ensemble des autres variables, ce qui n'est pris en compte que depuis deux ou trois ans.

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, dans ce domaine, l'IFREMER travaille en association avec le BRGM et le CNRS. Le BRGM s'occupe de tout ce qui a trait à l'érosion du trait de côte, tandis que le CNRS se concentre sur l'acquisition de connaissances par la recherche fondamentale ou appliquée. En septembre 2017, nous avons organisé un séminaire commun, lors duquel nous avons défini des perspectives pour les années à venir en matière d'acquisition de connaissances et de recherche. Pour ce qui est des observations réalisées in situ ou depuis l'espace, nous avons besoin de points de référence bien équipés en capteurs et systèmes d'observation.

L'une des questions qui se posent actuellement consiste à se demander quels seront les observatoires de demain sur le littoral. Par ailleurs, nous nous intéressons beaucoup à l'expertise de l'opérationnalité des résultats de recherche, c'est-à-dire à la manière dont ces résultats sont transférés vers l'applicatif, et comment l'action publique peut s'en saisir. Cela constitue un pan important de réflexion sur la question de la science dans la société. À une époque où la science peine à se faire entendre dans la société, ce laboratoire du littoral a vocation à constituer un point de rencontre entre les scientifiques et les acteurs publics, et revêt à ce titre une grande importance.

Le troisième axe de recherche est celui portant sur la possibilité de transposer les résultats obtenus par l'étude d'un système donné, à un endroit donné, à d'autres systèmes ou d'autres endroits. Cette question intéresse particulièrement l'action publique, qui a beaucoup à gagner quand elle a la possibilité de transposer les connaissances acquises sur un chantier océanique vers un autre.

Vous avez souhaité que j'évoque La Méditerranée face au changement climatique, un ouvrage important, écrit lors de la COP21 et transmis aux participants de la COP22 de Marrakech. On entend souvent dire que la Méditerranée est en danger, sans trop savoir ce que cela veut dire. L'action de recherche est là, justement, pour objectiver les mots et les slogans. En l'occurrence, l'étude de la Méditerranée fait apparaître une mer très singulière par rapport aux autres mers régionales, européennes et mondiales. Elle concentre en effet plusieurs activités humaines d'une intensité élevée : l'activité extractive, l'activité industrielle, l'activité commerciale et, bien entendu, l'activité touristique, qui constituent à la fois des opportunités et des menaces. Ces menaces, prises collectivement, pèsent sur la Méditerranée ; elles s'exercent sur l'ensemble des ressources marines et sur l'ensemble du littoral méditerranéen.

Si nous avons considérablement accru nos connaissances au cours des dernières années, et si les États riverains ont progressivement pris conscience des menaces portant sur la Méditerranée, les risques de changement ne sont pas encore complètement maîtrisés à ce stade.

Au-delà de l'aspect environnemental, nous sommes dans un monde où l'on ne peut ignorer l'économie : ainsi, pour parler du monde marin, on évoque souvent l'« économie bleue » – en Méditerranée comme sur le reste du littoral français métropolitain, mais aussi outre-mer.

Pour déterminer comment, malgré ces menaces, développer cette économie bleue, il convient d'étudier les pressions qui s'exercent sur le bassin méditerranéen. Vingt et un pays bordent la Méditerranée, pour une population totale de 380 millions d'habitants, dont 176 millions vivent le long de la côte. C'est énorme. Et le nombre de touristes accueillis en 2025 pourrait atteindre 350 millions. Ces populations vont exercer des pressions anthropiques sur l'ensemble des écosystèmes marins.

D'après les modélisations du changement climatique en Méditerranée, qui s'accompagnent parfois d'importantes incertitudes, la température pourrait avoir augmenté de plus de 3 degrés à la fin de ce siècle. Le volume des précipitations pourrait être réduit de 25 %, ce qui traduit en chiffres le problème de l'eau. La température en surface de la mer pourrait s'accroître de 2,5 degrés. Et, bien entendu, nous allons connaître un phénomène d'acidification des eaux marines.

C'est d'autant plus important que, la Méditerranée étant une mer fermée, elle abrite une biodiversité remarquable, et souvent endémique. Et plus la biodiversité est riche, plus elle rend de services écosystémiques qu'il faut préserver ou restaurer. La Méditerranée est donc un système marin très sensible et très réactif aux changements climatiques et environnementaux. La réaction se fait déjà sentir – je viens de vous donner quelques chiffres – et va s'amplifier. Le bassin quasi fermé de la Méditerranée constitue un laboratoire de l'effet des changements climatiques sur un bassin océanique.

Au-delà de cette notion de laboratoire, il faut s'inquiéter de l'habitabilité du bassin méditerranéen. Le changement climatique pourrait menacer l'ensemble des villes littorales et les îles de la Méditerranée, et ses effets se combinent à l'artificialisation de la côte du fait du tourisme et sa faible altitude. Le niveau de la mer est donc un problème sensible.

Dans cet ouvrage collectif, qui rassemble l'ensemble des partenaires de recherche qui s'intéressent à l'environnement et à la Méditerranée, quatre axes de recherche ont été identifiés. Ils sont valables pour la Méditerranée, mais aussi probablement pour d'autres situations.

Le premier porte sur les services écosystémiques rendus par le milieu méditerranéen et sa biodiversité. Il faut les caractériser et identifier leurs évolutions face au changement climatique.

Le deuxième consiste à évaluer les risques encourus par les sociétés humaines et les écosystèmes face aux évolutions, et développer les capacités d'adaptation et de résilience.

Le troisième axe de recherche est lié à la croissance bleue. Nous pouvons développer des activités et des usages, à condition qu'ils soient durables. Ce critère de durabilité doit être mis en avant.

Enfin, puisque l'on parle d'un grand nombre de pays et d'usages multiples – industriels, environnementaux, touristiques – il faut une gouvernance du système méditerranéen. Le quatrième axe consiste donc à évaluer et améliorer cette gouvernance.

En conclusion, s'agissant de la Méditerranée, si les scientifiques ont leur rôle à jouer, c'est la concertation de tous les acteurs qui est essentielle. C'est vrai en Méditerranée, sur le littoral et dans les outre-mer. L'ensemble des acteurs doivent se concerter pour éclairer des choix qui sont toujours faits dans un contexte d'incertitude, et si les sciences marines et l'IFREMER doivent jouer un rôle, les sciences sociales doivent aussi apporter leur pierre à l'édifice. La ressource, les écosystèmes côtiers et la circulation océanique doivent être pris en compte, mais sans l'apport croisé des sciences sociales pour étudier ce qui se passe dans un bassin comme la Méditerranée, sur le littoral et en outre-mer, nous échouerons. Ce débat des porteurs d'enjeux doit nous permettre de choisir un certain nombre des mesures « sans regrets », celles qui sont valides quel que soit le scénario de prospective retenu. Ces mesures doivent être identifiées et appliquées.

S'agissant de la montée du niveau des mers, beaucoup a été fait. Vous allez entendre Anny Cazenave, qui vous en parlera beaucoup plus savamment que moi, en s'appuyant sur des données in situ et des données spatiales. Mais au-delà de l'évaluation de la montée du niveau des mers, estimée de l'ordre de 3 millimètres par an grâce aux mesures d'altimétrie spatiale, où en serons-nous en 2100 ? Quels sont les scénarios potentiels de montée de niveau des mers et de réaction à cette montée ?

Comment concevoir un littoral qui sera de plus en plus anthropisé en prenant en compte les risques sous l'angle de toutes les menaces potentielles ? Comment concilier l'expansion des activités marines avec la sécurité et la pérennité des milieux ? Nous sommes en plein dans cet exercice de prospective, couplé au sujet du niveau des mers. Identifier le scénario le plus probable pour 2100 permettra de déterminer les actions que nous devrons prendre en 2030. Nous aurons achevé cet exercice de prospective à la fin de l'année 2018, et nous pourrons alors dire quels sont les scénarios envisagés pour 2100, et les mesures à prendre en 2030.

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Merci, monsieur le directeur général, de nous faire bénéficier de votre présence et de votre expertise.

Je souhaiterais avoir des précisions quant aux mesures et aux études menées sur le phénomène de surcote. C'est un phénomène de variation du niveau de la mer qui s'ajoute à la marée en cas de tempête et contribue aux risques de submersion marine, comme ce fut le cas en 2010 lors de la tempête Xynthia, qui a fortement touché nos côtes.

Le Laboratoire de physique des océans, composé du CNRS, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), de l'Université de Bretagne Occidentale (UBO) et de votre institut, a permis d'expliquer ce phénomène en découvrant que les petites vagues d'une longueur d'onde d'un mètre ne vont pas dans la direction du vent en cas de vents moyens, mais en direction des côtes, selon un angle de 70 degrés. Ces données ont été mesurées par un système vidéo avec deux caméras pour prendre les mesures des vagues.

Est-il possible d'envisager que ce type de dispositif d'étude et de connaissance du phénomène puisse devenir un dispositif d'alerte pouvant prévenir les phénomènes de submersion et permettre d'anticiper des procédures d'évacuation de la population ?

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En Aquitaine, le contrat de plan État-région 2015-2020 a été pensé afin d'anticiper les risques et adaptations au changement climatique, et accompagner les territoires du littoral soumis aux risques d'érosion et de submersion.

En effet, sur 2 296 communes aquitaines, 1 390 sont concernées par le risque d'inondation, soit plus d'une sur deux. Par ailleurs, de nombreuses communes sont également affectées par les risques liés aux mouvements de terrain. Cette forte vulnérabilité fait de la prévention et de la gestion des risques un enjeu majeur pour la région.

Selon vous, pouvons-nous considérer qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, l'érosion côtière peut être intégrée à la liste des risques naturels majeurs ?

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Patrick Vincent, directeur général délégué de l'IFREMER

S'agissant de l'élaboration d'un système d'alerte des phénomènes de submersion, il faut distinguer le temps de la recherche de celui des systèmes opérationnels. L'IFREMER et ses partenaires au sein du laboratoire de physique des océans sont les acteurs de la recherche. Aujourd'hui, les questions de submersion marine et de surcote sont prises en charge opérationnellement par le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), en partenariat avec le BRGM et Météo France.

Ensuite, il y a un pas important à franchir avant de dire si les dispositifs de mesure et les modèles imaginés par la recherche sont des systèmes d'alerte. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui. Les résultats que vous avez évoqués sont issus de la recherche, nous pouvons les appliquer dans des sites ateliers pour refaire des expériences. Mais je serai extrêmement prudent avant d'imaginer que tel est le futur d'un dispositif d'alerte. Lors du transfert des résultats de la recherche vers les systèmes opérationnels, les connaissances évoluent et le dispositif initial se transforme souvent, car il n'est peut-être pas optimal au regard des aspects opérationnels. Au sein du laboratoire que vous avez mentionné, nous poursuivons des travaux de modélisation qui permettent de coupler le vent, les vagues et les courants océaniques pour mieux comprendre ces mécanismes de submersion.

S'agissant des risques, la recherche peut faire l'état des connaissances sur les mécanismes d'érosion et ce qu'il est possible d'en inférer en termes de prévention. Mais la recherche a beaucoup plus de difficultés pour fixer la façon dont la gestion doit se faire, parce que la gestion est du ressort et de la responsabilité de l'action publique. La décision d'intégrer l'érosion côtière à la liste des risques naturels majeurs ne viendra pas de la recherche seule. La recherche peut appeler l'attention de la puissance publique, qui décidera, en prenant d'autres risques en compte, de l'opportunité de l'intégrer dans cette liste.

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Vous parlez beaucoup d'incertitudes sur ces événements climatiques majeurs et leur impact sur les écosystèmes. Vous avez évoqué la difficulté de faire des choix face à ces incertitudes, et les mesures « sans regrets ». Pourriez-vous préciser ces points ?

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Vous nous dites que vous vous fondez essentiellement sur trois paramètres. Sont-ils suffisants pour assurer une prévisibilité concernant la submersion ?

Ne faudrait-il pas une concertation accrue au niveau gouvernemental, une sorte de conseil de la mer unique, un renforcement du secrétariat général de la mer ou un ministère de la mer ?

Si vous aviez une action à préconiser en priorité, quelle serait-elle ?

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Vous avez souligné, monsieur le directeur général, l'importance de mesurer très précisément dans le temps et l'espace les impacts du changement climatique. Avez-vous les moyens nécessaires pour réaliser ces observations en partenariat avec les autres organismes ?

Vous parliez de transversalité des approches avec les sciences humaines, dans quelle mesure développez-vous ces partenariats ?

Le One Planet Summit de décembre a souligné la nécessité d'établir des passerelles avec le monde de la finance pour garantir aux investisseurs des programmes utiles et réalistes. Comment travaillez-vous pour concrétiser ces partenariats ?

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Patrick Vincent, directeur général délégué de l'IFREMER

S'agissant de l'incertitude, elle est le propre du chercheur... Bien entendu, nous avons tout de même quelques certitudes, dont celle que la mer monte. L'incertitude porte sur la quantification du phénomène et sur les mécanismes. Nous connaissons très bien certains mécanismes, mais pas tous, en particulier s'agissant des écosystèmes côtiers. Ma présentation a pu faire trop de place aux incertitudes, car je n'ai pas souhaité insister sur ce que nous connaissons déjà. Le plus important est de déterminer l'action future, au niveau de la décision publique mais aussi de la recherche. Un certain nombre de mécanismes et leur quantification ne sont pas suffisamment connus pour dire de combien de millimètres par an le niveau va monter.

Le rôle du scientifique est aussi de quantifier le mieux possible et, pour cela, l'observation est la donnée de base. Pour observer des séries temporelles extrêmement longues, la condition est de pérenniser les dispositifs d'observation, spatiaux et in situ. Paradoxalement, il est parfois plus difficile de pérenniser ces derniers, qui regroupent tous les observatoires de recherche et de surveillance. S'il y avait une action à retenir pour la recherche, ce serait la pérennisation des systèmes d'observation et des infrastructures de recherche.

Monsieur le rapporteur, vous parliez de trois paramètres. Globalement, dans un certain nombre de situations, la température, le courant et la hauteur des vagues nous donnent déjà une bonne approximation du phénomène. Mais il y a des cas dans lesquels c'est insuffisant, par exemple en mer Noire, où il y a du dégazage de méthane lié à la déstabilisation des marges sédimentaires. Je vous invite à lire l'article paru très récemment dans la revue Nature à ce sujet, qui démontre que le paramètre important y est la variation de salinité. On ne s'y attend pas, mais des mesures et des modélisations ont montré que dans ce cas, le sujet des hydrates de gaz – en particulier de méthane – n'est pas uniquement lié à la température ou aux courants, mais à la salinité. C'est un point extrêmement particulier, mais le méthane est un gaz à effet de serre vingt-cinq fois plus puissant que le CO2, il est donc important d'étudier ces questions.

Enfin, s'agissant de la concertation accrue et les dimensions sociales et économiques, l'Aquitaine est un très bon exemple. Le contrat de plan État-région a été l'occasion d'un travail formidable, où l'effet du changement climatique a été vu sous l'angle de l'impact sur la vigne et d'autres cultures, et nous pourrions l'étudier sous l'angle de l'impact sur les écosystèmes marins, ce qui commence à être réalisé. Nous commençons à étudier les sujets économiques importants au niveau local ou régional, et les sujets sociaux. Peu à peu, en ne privilégiant plus uniquement l'acquisition de la connaissance, mais en étudiant aussi l'impact des changements climatiques, nous arrivons à cette concertation que j'appelais de mes voeux pour la Méditerranée, et qui est valable pour l'ensemble de nos littoraux, en métropole et outre-mer.

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Un concitoyen de ma circonscription passionné par la question m'a demandé quelles étaient les zones où les risques sismiques sont les plus importants, tant en métropole qu'outre-mer.

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Patrick Vincent, directeur général délégué de l'IFREMER

Je suis océanographe, et un petit peu climatologue, mais les séismes ne sont pas ma spécialité. Mais je vous transmettrai des données.

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Merci beaucoup de votre intervention, monsieur le directeur général.

La réunion s'achève à dix-huit heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 17 heures

Présents. – M. Bertrand Bouyx, Mme Claire Guion-Firmin, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. David Lorion, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Sophie Panonacle, Mme Maina Sage, M. Olivier Serva, Mme Frédérique Tuffnell

Excusé. – M. Philippe Gomès

Assistait également à la réunion. – M. Jimmy Pahun