Jeudi 24 mai 2018
La séance est ouverte à dix heures quarante.
Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête procède à l'audition de M. Jean-Marc Aubert, directeur général, et Mme Muriel Barlet, sous-directrice de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES).
Nous auditionnons ce matin M. Jean-Marc Aubert, directeur général de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités et de la santé, et Mme Muriel Barlet, sous-directrice. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Celles-ci sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Jean-Marc Aubert et Mme Muriel Barlet prêtent successivement serment.
La DREES a une double mission d'information statistique, entrant dans le cadre du réseau de la statistique publique, mission indépendante du ministère des solidarités et de la santé, et une mission de conseil auprès de ce ministère. La plupart des demandes de chiffres que vous nous avez envoyées entrent dans le cadre de la première mission. Nous faisons deux types d'exercices : d'une part, nous travaillons sur l'état actuel de la démographie médicale et, plus généralement, des professionnels de santé et, d'autre part, nous faisons des projections à long terme de cette démographie.
Le nombre de médecins en France continue à croître mais nous observons une décroissance du nombre des médecins généralistes libéraux et un fort vieillissement de ceux-ci. Dans l'hypothèse de la stagnation du numerus clausus et compte tenu de la répartition actuelle des internes, nous devrions voir dans les prochaines années se poursuivre la baisse, déjà constatée, du nombre de médecins généralistes libéraux par rapport à la population consommatrice de soins. Cette baisse devrait être d'environ 30 % à l'horizon 2025-2030.
S'agissant des déserts médicaux, on observe depuis les quinze dernières années une diminution de la capacité de soins et une baisse d'environ 15 % du nombre de consultations de médecine générale par habitant en France – baisse qui se poursuit, voire s'accentue. Par conséquent, même si les médecins généraux sont relativement aussi bien répartis sur le territoire que les pharmaciens – dont l'installation est pourtant soumise à régime d'autorisation – et même si l'indice de dispersion des médecins spécialistes, des infirmières et des kinésithérapeutes libéraux est beaucoup plus élevé, le nombre de généralistes baisse sur le territoire. Il y a donc des difficultés dans certains endroits. Le fait qu'il y ait une fragilisation générale de la population de généralistes entraîne une fragilisation encore plus importante des zones déjà fragiles au départ. On assiste ainsi à une croissance de la population qui n'aurait accès qu'à 2,5 consultations de généraliste par personne, contre une moyenne de 4,1 par an en France. Cela concerne un peu plus de 8 % de la population et ce pourcentage est en train de croître.
Comme nous le montrons dans notre dernière publication du mois de mai sur le sujet, les zones rurales ne sont pas seules concernées, loin de là. Beaucoup de zones périurbaines, notamment en région parisienne, le sont également, de même que certains petits pôles urbains. Les médecins généralistes libéraux sont aussi bien répartis qu'en 1980. Simplement, après des décennies de croissance de leur nombre, on a assisté à une stagnation puis désormais une baisse de ce nombre par rapport à la population consommatrice de soins.
À vous écouter, tout va bien ! Franchement, je vous invite à venir visiter nos territoires ! Vous dites qu'il n'y a pas moins de médecins qu'en 1980 : je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler que la population a augmenté depuis ! J'aurais bien aimé que vous nous disiez aussi quel est le nombre d'heures disponibles des médecins. Auriez-vous des chiffres précis ? De quand datent vos statistiques ? Selon un rapport de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) publié l'an dernier, 6 millions de Français renoncent à des soins : pourquoi ? Parallèlement, le reste à charge a augmenté pour eux, ce qui pose un problème de cohésion sociale. J'ai la chance d'habiter dans le département de France où la densité médicale est la plus faible. Vous avez d'ailleurs bien fait de rappeler que la ruralité n'était pas seule touchée : les grandes villes le sont également. En dehors de la ville de Tours, la région Centre-Val-de-Loire est sous-densifiée partout. Ce n'est pas nous qui avons établi les critères, ce sont les agences régionales de santé (ARS). Et quand vous faites la comparaison avec les pharmaciens, vous me faites sourire. Il y a moins de 18 000 pharmacies installées sur le territoire : combien y en a-t-il de moins qu'il y a trente ans ? Pourquoi des pharmacies ont-elles disparu ? Pourquoi y a-t-il une pharmacie par jour qui ferme à l'heure actuelle ?
Vous prévoyez un creux de la vague en 2030. Il s'agit quand même de la santé publique, le plus gros budget de l'État ! Nous avons les meilleures statistiques du monde et toutes les données informatiques. On devrait donc travailler en temps réel. Cependant, mon ARS travaille avec des chiffres de 2014 ! Comment peut-on, dans ces conditions, avoir la vision la plus actualisée possible du nombre d'heures disponibles des médecins ? On assiste en effet à une évolution singulière qui est cautionnée et demandée par les professionnels – les jeunes en particulier. On peut comprendre ces professionnels : il y a notamment une féminisation de la profession dont vous n'avez pas dit un mot. Notre travail de parlementaires est de faire des propositions au Gouvernement et non pas de taper sur qui que ce soit. Tout le monde est responsable et tout le monde porte un jugement extrêmement sévère sur une organisation des soins qui est en rupture. Tous les scandales auxquels on assiste depuis quelques semaines ne font qu'illuster un système à bout de souffle. Nous avons donc besoin de votre appréciation statistique et de données démographiques précises. S'agissant par exemple de l'âge de départ à la retraite, il serait bien qu'on ait des histogrammes. Vous ne pouvez pas passer de 1980 à 2017 en ignorant qu'au milieu est passé le micmac de Mme Aubry. Cela a entraîné une accélération considérable de ces départs à la fin des années 1990. On vous expliquait alors que vous pouviez partir plus jeune à la retraite et que c'était formidable. Maintenant, on vous demande à 67 ans de cumuler votre emploi et votre retraite, moyennant une exonération de charges sociales. Nous avons donc besoin d'une aide au diagnostic. Je ne porte pas de jugement sur les propos que vous tenez mais je voudrais être parfaitement éclairé par de vraies statistiques car il n'est pas acceptable qu'on travaille avec cinq ans de retard.
Tout d'abord, je n'ai pas dit que cela allait bien mais que les généralistes étaient aussi bien répartis que les pharmaciens, ce qui est une réalité. J'ai dit aussi que le nombre de médecins généralistes libéraux allait baisser de 30 % d'ici à 2025 et qu'au milieu des années 2000 on avait perdu 15 % de consultations généralistes. On continue à en perdre chaque année. La situation se dégrade donc effectivement.
Ensuite, je tiens à vous rassurer : les derniers chiffres publiés le 5 mai dernier par la DREES présentent le nombre global de médecins au 1er janvier 2018 et des statistiques géographiques de 2017. Nos données n'ont donc pas cinq ans de retard sur ces sujets.
Comment expliquez-vous que les ARS, alors qu'elles sont le bras armé de l'État pour la régulation et l'accès aux soins et au médico-social dans les régions, n'aient pas les chiffres au 1er janvier 2018 ?
Les derniers chiffres pour 2017 ayant été publiés le 5 mai dernier, les ARS travaillent sur les chiffres de l'accessibilité potentielle localisée (APL) de 2016, ce qui est normal. Même s'il y a eu des évolutions depuis, elles ne sont pas telles que les chiffres de 2016 soient totalement invalidés. Ensuite, quand nous produisons des données, elles sont en open data. Les ARS peuvent donc sans aucune difficulté actualiser leurs chiffres. N'étant pas responsable du fonctionnement de chacune des ARS, je ne sais pas pourquoi celle dont vous parlez travaille avec les chiffres de 2014 puisque nous lui avons officiellement fourni des données pour l'année 2016 il y a quelques mois et que les ARS ont maintenant à leur disposition les données de 2017.
Quant à la question du temps de travail, elle est extrêmement complexe. Si l'on a la capacité de mesurer le temps de travail, en équivalent temps plein (ETP), des salariés des établissements de santé, en revanche on n'a pas le même type d'informations concernant les médecins libéraux. Par contre, nous faisons régulièrement des enquêtes sur l'évolution du temps de travail des professionnels et nous avons constaté une réduction du temps de travail génération après génération. Il est dommage que nous n'ayons pas de données datant des années 1960, sans quoi nous aurions peut-être pu démontrer qu'à cette époque, déjà, il y avait une réduction du temps de travail des professionnels libéraux – puisque les salariés suivent une telle évolution depuis un siècle. Cette réduction du temps de travail, génération après génération, est d'abord liée à l'évolution des préférences. Les médecins des générations les plus récentes travaillent moins que les médecins des générations les plus anciennes, à âge égal. Par ailleurs, les médecins les plus âgés réduisent aussi leur temps de travail par rapport à celui des médecins d'âge intermédiaire.
Comme nous ne pouvons connaître en permanence le temps de travail des médecins libéraux, nous nous référons aussi au nombre de consultations. Nous essayons de faire des prévisions intégrant deux variables : celle du nombre de médecins et celle du nombre de consultations. Pour identifier les déserts médicaux, où l'accessibilité potentielle localisée (APL) est inférieure de 30 % à l'indice moyen du territoire national, nous prenons en compte l'âge des médecins et leur capacité d'activité. C'est ainsi que nous avons calculé que 8,6 % des Français accédaient à une offre potentielle inférieure à 2,5 consultations de généralistes par population standardisée. Nous travaillons aussi sur la question des spécialistes et sur celle d'autres professions. Il y a des endroits où tant les généralistes que les spécialistes manquent, d'autres où ce sont essentiellement les premiers ou les seconds. Nous pourrons vous transmettre des documents sur le sujet.
Pour connaître l'offre libérale disponible à une date donnée, on tient compte à la fois du nombre de médecins et de leur âge. Comme l'a rappelé Jean-Marc Aubert, les médecins plus jeunes font plutôt moins de consultations. C'est en cumulant ces paramètres avec celui de la croissance de la population et de son vieillissement qu'on projette, à l'horizon 2025-2030, une baisse du nombre de médecins libéraux de l'ordre de 30 %.
Nous avons bien compris que le temps médical baissait de génération en génération. Vous nous indiquez que 98 % de la population vit à moins de dix minutes d'un médecin généraliste, mais que, comme les généralistes sont moins disponibles qu'auparavant, il y a une baisse du temps médical et de la présence des généralistes sur le territoire.
Le fait qu'il y ait un médecin à dix minutes de chez vous ne veut pas dire qu'il a le temps de vous recevoir. C'est pourquoi nous calculons cette APL. La statistique existe mais ce n'est pas sur elle que j'ai insisté.
Le président a posé une question extrêmement pertinente. C'est un peu comme habiter à dix minutes d'une gare : s'il n'y a pas de train, cela ne sert à rien. Le problème n'est pas de savoir si nos concitoyens sont à dix minutes d'un médecin mais si on a la capacité ou non de prendre en charge les patients. Pour évaluer cette capacité, vous êtes obligé de tenir compte du fait que 6 millions de personnes ont renoncé à des soins.
C'est pourquoi, dans les zones denses, nous communiquons non pas sur le temps d'accès au médecin, mais sur ce qu'on appelle l'APL. Je laisserai Muriel Barlet vous rappeler ce que c'est. Vous comprendrez alors que nous prenons en compte et les besoins de la population et la capacité de soins.
L'indicateur d'accessibilité potentielle localisée tient compte du nombre de consultations que fait le médecin, de la distance entre le médecin et le patient, de la demande adressée au médecin et de l'âge de la population qui adresse cette demande. Les enfants et les personnes âgées consomment en effet plus.
Si j'ai bien compris, le problème de l'accès aux soins s'explique par un nombre de médecins trop faible par rapport aux besoins de consultations. Avez-vous établi des comparaisons européennes en la matière ?
Nous vous transmettrons des données européennes et mondiales, qu'il s'agisse du nombre de professionnels de santé ou du nombre de médecins. Certains pays ont une démographie médicale de même ordre qu'en France, tels que l'Allemagne. En Europe du Sud, la démographie est plutôt supérieure. À l'inverse, les États-Unis et le Royaume-Uni ont une démographie inférieure. Cependant, il faut faire attention à ce type de comparaisons. Dans les pays à démographie inférieure, le système de soins primaire comme le système de soins secondaires ne sont pas du tout organisés de la même manière qu'en France. Dans un practice médical britannique, il y a autant d'autres professionnels que de médecins généralistes. Pour préparer le diagnostic du médecin, le patient rencontre d'abord une infirmière, ce qui réduit le temps nécessaire chez le médecin. En Europe du Sud et en France, le système n'est pas du tout organisé de la même manière. Il faut donc se méfier. La France est plutôt dans la moyenne basse de l'Europe en termes de démographie médicale. Eurostat et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont établi des comparaisons et ont, pour ce faire, procédé à une standardisation sur dix ans, à laquelle la DREES a contribué.
Auriez-vous des éléments quant aux effets des initiatives qui ont été prises en Allemagne, telles que l'interdiction d'installations supplémentaires de médecins dans les zones déjà pourvues ou « surdenses » ? Savez-vous quel serait l'impact de ce type de mesures sur les déserts médicaux français ?
Nous avons des éléments d'évaluation des expériences étrangères menées sur les soins primaires – évaluations généralement faites elles-mêmes à l'étranger. Nous avions fait passer ces éléments à une commission parlementaire il y a quelques mois. Je vous les renverrai. Que ce soit en Allemagne ou au Québec, les résultats des expériences menées en matière de soins primaires sont assez décevants. Il y a eu beaucoup d'installations autour des zones interdites et peu d'installations dans les déserts médicaux. Cependant, les difficultés dépendent des pays et il est complexe de comparer l'expérience québécoise à l'expérience allemande. Au Québec, les déserts médicaux correspondent à des zones qu'on n'a pas en France, compte tenu de la très faible densité de la population québécoise. En Allemagne, le territoire est beaucoup plus densément peuplé. L'interdiction d'installation dans certaines zones pourrait éventuellement avoir des effets positifs en région parisienne mais pas dans le rural profond ni dans les zones périurbaines.
Un système de régulation a été mis en place pour les infirmières, qui fonctionne plutôt bien puisque la couverture du territoire par les infirmières libérales est assurée.
La répartition des infirmières libérales est bien plus inégalitaire que celle des médecins généralistes.
Ce système de régulation a eu des effets positifs mais je ne suis pas certain qu'il suffira à rééquilibrer la répartition des infirmières libérales sur le territoire car le dispositif couvre peu de zones du territoire.
Vous nous avez parlé des médecins généralistes. Quid des spécialistes ? Prenez-vous les mêmes paramètres en compte pour évaluer la répartition des uns et des autres sur le territoire ?
Autant on peut considérer les généralistes comme un groupe relativement homogène, autant, pour les spécialistes, on est obligé de travailler spécialité par spécialité. Globalement, les spécialistes sont moins bien répartis sur le territoire.
Nous avons travaillé pour l'instant sur quatre spécialités : les gynécologues, les ophtalmologues, les pédiatres et les psychiatres. Notre travail est moins poussé sur les spécialistes, car comme leur temps de travail ne comprend pas uniquement des consultations, il est plus complexe à prendre en compte. Nous avons néanmoins utilisé la notion d'équivalent temps plein (ETP) pour ces spécialistes. Enfin, je vous ai dit qu'on rapportait les chiffres à une population pondérée, mais on s'aperçoit que la pondération varie d'une spécialité à l'autre. Chaque spécialité nécessite un travail particulier et la distance ne joue pas de la même façon : on considère un médecin généraliste qui est à plus de vingt minutes comme totalement inaccessible pour son patient alors que pour les médecins spécialistes, on a mis cette borne à quarante-cinq minutes. Moyennant ces ajustements, on développe le même type d'indicateurs et l'on montre que la répartition est beaucoup plus inégalitaire pour les médecins spécialistes avec, cette fois, une opposition très marquée entre l'urbain et le rural. Les grands pôles urbains sont eux-mêmes mieux dotés que les moyens et petits pôles urbains.
Pourriez-vous nous préciser quel est l'écart entre les régions les mieux pourvues et les régions les moins bien pourvues dans les quatre spécialités dont vous avez parlé ?
Ce sont les psychiatres qui sont les plus mal répartis, suivis par les pédiatres, les ophtalmologues puis les gynécologues.
Nous ne regardons pas les choses département par département, mais par territoires continus car nous voulons éliminer les effets de frontière.
Nous regardons le rapport entre les 10 % de communes les mieux dotées et les 10 % les moins bien dotées.
Pour les psychiatres, le rapport est de 1 à 18,6 ; pour les pédiatres, de 1 à 13 ; pour les gynécologues, de 1 à 8 ; pour les ophtalmologues, de 1 à 6 environ.
Il y a donc des inégalités criantes dans la répartition des professionnels de santé, et en particulier des spécialistes, dans notre pays. Partons quand même de ce constat objectif. Vous êtes là pour nous donner les chiffres. Avez-vous une cartographie de l'offre de santé pour chaque territoire ? Si vous ne l'avez pas aujourd'hui, pourriez-vous la produire et nous la présenter ?
On produit des cartes par type de professionnels, mais on peut faire des croisements. Il faut seulement choisir une méthode de croisement, pour ne pas parler de choux et de carottes : si, en premier recours, on peut imaginer des substitutions, un psychiatre ne fera pas le travail d'un ophtalmologue ni inversement.
Ce serait un outil important pour nous.
Vous nous avez dit qu'à l'horizon 2030, la population de médecins généralistes allait diminuer de 25 % à 30 % par rapport à ce qu'elle est aujourd'hui. Combien de médecins faudrait-il former pour répondre aux besoins de la population ?
Il faut former l'équivalent de 30 % des quelque 55 000 médecins généralistes libéraux actuels, soit de l'ordre de 15 000 médecins. J'insiste sur les mots « généralistes » et « libéraux ». La question se pose en effet différemment pour les médecins spécialistes et pour les médecins salariés. Le nombre de généralistes a stagné, voire légèrement augmenté, ces dernières années. Par contre, le nombre de médecins généralistes libéraux a diminué.
Si l'on observe ce qui se passe à l'étranger, l'ouverture du numerus clausus est une solution à dix ans. La répartition des internes est une solution à trois-quatre ans. La question est de savoir si l'on structure ou pas l'offre de soins et si, comme l'ont fait les Britanniques dans les années 1960, on fait en sorte que les médecins généralistes travaillent avec des infirmières. L'expérience qui a été faite dans le cadre du protocole ASALEE en France a quand même permis de conforter l'offre de soins. Ce peut donc aussi être une solution à cinq ans ou plus, en fonction de l'attractivité du dispositif et de la volonté qu'auront les professionnels de santé d'y participer. Les Britanniques l'avaient fait dans les années 1960 avec de très fortes incitations, mais même dans ce cas-là le dispositif n'est pas effectif immédiatement. Si l'on souhaite vraiment maintenir l'offre de soins de généralistes libéraux à l'horizon 2030, il faut probablement combiner ces mesures et quelques autres car le maintien de la répartition de ces médecins nous interroge aussi. Aucune mesure à elle seule ne suffira.
Pourriez-vous estimer le nombre de médecins supplémentaires qui serait nécessaire pour maintenir le niveau de l'offre de soins ? Combien de médecins vont être formés en France durant cette même période ?
Il faut tenir compte de tous les paramètres. Estime-t-on normal qu'un médecin parte à la retraite à taux plein à 67 ans alors qu'une grande réforme des retraites arrive l'année prochaine ? On peut ensuite évaluer sans beaucoup se tromper l'augmentation de la population d'ici à 2035. Il faut aussi tenir compte de l'évolution de la prise en charge médicale. À l'heure actuelle, on fait de plus en plus d'ambulatoire et toutes les personnes que nous avons auditionnées nous expliquent qu'on sort de plus en plus tôt de l'hôpital. C'est un paramètre dont il faut tenir compte. On sait qu'avec les progrès de la médecine, on a accès au fil du temps à de nouveaux actes. Quelle formation doit-on mettre en place de manière à pouvoir apporter en 2035 la réponse la plus crédible possible à la question de l'accès aux soins ?
La plupart des paramètres dont vous parlez sont déjà intégrés dans nos projections. Mais comme je le disais, ces projections sont faites à organisation donnée de la médecine. Des changements s'opèrent dont certains sont spontanés et d'autres pas. Le nombre de médecins n'a pas plus de sens que le nombre de consultations si l'on décide que, demain, une partie du travail de consultation des médecins sera faite soit par des infirmières de pratique avancée, soit par des infirmières salariées travaillant pour les généralistes. Le nombre de médecins seul n'a pas non plus de sens si l'on décide que demain, la vaccination sera faite par des pharmaciens et plus par le médecin généraliste comme aujourd'hui. Au-delà du nombre de professionnels de santé, il y a plusieurs moyens de transformer l'offre de premier recours. Si vous voulez régler le problème d'ici à 2025, c'est-à-dire en moins de dix ans, il faudra prendre des mesures probablement autres que la seule augmentation du numerus clausus.
Y a-t-il des études concernant le lieu de formation des étudiants en médecine et leur installation future ? Si ce n'est pas le cas, avez-vous les données nécessaires ?
C'est quelque chose qu'on regarde quand on fait des projections. Les médecins restent un peu plus dans leur région de formation. C'est donc un outil qu'on peut utiliser.
On ne suit pas de manière assez fine l'évolution du positionnement géographique des cycles de médecine.
La conférence des doyens estime que le taux de sédentarisation est de 65 % par rapport au lieu de formation, mais les doyens des facultés de médecine n'ont pas fixé les mêmes règles partout. Il y a des endroits où on peut refuser un premier choix et le redéposer l'année suivante, ce qui n'est pas le cas sur l'ensemble du territoire. Si les règles ne sont pas harmonisées, on risque de se retrouver, comme dans une région qui m'est chère, avec des postes d'internes de médecine générale qui ne sont pas pourvus.
Connaissez-vous la sociologie des personnes qui renoncent aux soins ? L'éloignement n'est en effet pas le seul paramètre à prendre en compte dans vos études.
On observe que l'essentiel du renoncement aux soins est dû à des raisons financières et concerne donc des soins dentaires et optiques. L'éloignement géographique est assez peu cité comme raison du renoncement aux soins.
Les données que la CNAMTS a citées l'année dernière provenaient de la DREES. Nous pourrons donc vous faire passer notre dernière enquête sur le sujet, les réponses à vos questions et quelques éléments sociodémographiques quand ce sera possible. En effet, pour des raisons de représentativité statistique, nous ne travaillons pas sur chaque segment de la population mais sur des segments qui sont suffisamment importants.
Le chiffre de 65 % de sédentarisation figure dans le rapport d'information des sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny.
Nous attendons les éléments que vous pourrez nous transmettre et vous remercions de votre disponibilité et de vos réponses.
L'audition se termine à onze heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 10 h 30
Présents. – M. Didier Baichère, Mme Gisèle Biémouret, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Alexandre Freschi, M. Guillaume Garot, M. Éric Girardin, M. Jean-Carles Grelier, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Jean-Michel Jacques, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Jean-Louis Touraine, Mme Nicole Trisse, M. Philippe Vigier
Excusé. - M. Jean-Pierre Cubertafon