Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mercredi 15 décembre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq
(Présidence de M. Meyer Habib, président)
Bonjour Madame. Vous êtes policière et étiez voisine de Mme Halimi. La commission souhaitait vous entendre, en tant que témoin, dont la famille était proche de Mme Halimi.
Avant de vous poser mes questions, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme N. prête serment).
Vos parents habitaient-ils bien sur le même palier que Mme Halimi ?
Oui. Mes parents ont emménagé en 1983 au 30 rue de Vaucouleurs. Mme Halimi est arrivée à la fin des années 1980.
Je vous propose de nous raconter les relations que vous aviez avec Mme Halimi, ainsi qu'avec l'assassin, qui habitait à l'étage au-dessous.
Nous étions voisins de Mme Halimi depuis une trentaine d'années. Nous étions assez proches. Nous allions souvent dans son appartement, ne serait-ce que le vendredi pour lui allumer les lumières pendant le Shabbat. Elle avait une profonde relation avec mon père. C'était une femme extraordinaire, discrète et d'une très grande gentillesse. Mme Halimi regardait ses pieds quand elle marchait, elle n'embêtait personne. Ses enfants étaient inquiets, mais elle leur disait de ne pas se sentir préoccupés, car elle faisait partie du quartier.
Ces mots m'émeuvent. Je ne la connaissais pas. Au-delà des photos terribles présentes dans le dossier, j'ai vu des photos d'elle avec ses enfants et ses petits-enfants. Son visage porte toutes les qualités que vous lui donnez. Pourriez-vous parler de la famille Traoré ?
Je vous rappelle que votre nom n'est pas connu. Je ne veux pas que vous craigniez de parler. Pour la transparence de nos travaux, il est important que vous nous parliez de cette famille, qui n'habite en outre plus dans cet immeuble.
C'est une famille qui a connu beaucoup de problèmes. Ils ont perdu un enfant. L'un de leurs enfants est handicapé. La mère était assez respectueuse. Kobili me faisait peur, comme à Mme Halimi. Si j'arrivais au 30 rue de Vaucouleurs et qu'il était là, il claquait la porte. Je pense que c'était en raison de mes fonctions. Je suis policière dans le 11e arrondissement.
J'ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de dealers dans la rue, mais ils ne m'ont jamais fait peur. Ils ne se préoccupaient ni de moi ni de mes sept frères et sœurs. Nous étions assez discrets. M. Traoré était le seul qui me faisait peur.
Elles suscitaient le même sentiment. Cette famille n'était pas très agréable, ni très éduquée.
Selon le témoignage d'un témoin et d'une personne travaillant au consistoire, qui est l'une de vos amies, vous auriez dit à votre frère la veille du drame de ne pas dormir chez vos parents parce que vous auriez eu un mauvais pressentiment.
C'est une coïncidence. Mon frère devait dormir chez mes parents, mais j'ai préféré qu'il reste avec moi. Il n'y a aucun lien avec l'affaire. J'ai encore du mal à concevoir ce drame.
J'ai entendu les paroles de sincérité, d'amitié et de respect que vous aviez pour cette dame. Quand avez-vous appris ce drame ?
Lorsque je suis sortie en me réveillant, la rue était fermée. J'ai rencontré le gardien qui m'a dit que Mme Attal avait été tuée. J'ignorais que c'était le nom de jeune fille de Mme Halimi. Au commissariat, où je me suis rendue pour travailler, j'ai vu les enfants Halimi à l'heure du déjeuner.
Le procès-verbal de votre audition l'indique : « Des collègues m'ont dit qu'un drame avait eu lieu dans la rue. J'ai appelé la gardienne de l'immeuble. » Puis, plus loin, mais vous l'avez sans doute oublié : « j'ai consulté la main courante informatisée pour en savoir plus. De retour du déjeuner vers 15 heures, alors que j'étais en compagnie du commandant, j'ai constaté que dans le hall du commissariat se trouvaient les enfants Halimi. » Avez-vous souvenir, la veille, d'avoir parlé des peurs de Mme Halimi ?
La veille, ou en tout cas peu avant l'incident, j'ai eu une discussion à l'angle de la rue Vaucouleurs et de la rue de l'Orillon avec Mme Sarah Halimi, qui avait son chariot, et qui disait qu'elle avait peur de M. Kobili.
C'est extrêmement important. Vous êtes policière, assermentée, vous parlez sous serment, et vous avez le souvenir que quelques jours avant, à l'angle de ces deux rues, Mme Halimi disait avoir peur de Kobili Traoré.
C'était juste avant les faits. Elle disait simplement « j'ai peur ». Elle ne donnait pas de détails. « Quand il passe, je me mets sur le côté ». Elle ne m'en a jamais dit plus.
Non, mais Mme Halimi se sentait en sécurité lorsqu'ils étaient là. Elle m'avait dit que leur absence ne la rassurait pas.
Dans le reste de votre audition, vous indiquez : « je me suis mise à l'écart pour appeler Mme Wittenberg qui a travaillé à la synagogue de la Roquette. Elle aide les gens de la communauté juive et je précise que c'est une amie ». Quels sont vos rapports avec Mme Wittenberg ?
C'est une amie. Étant donné que les enfants de Mme Halimi ne comprenaient pas ce qui se passait, j'ai voulu les aider.
Pour vous, les enfants Traoré étaient-ils antisémites ? Vous êtes pour votre part de confession musulmane. Un esprit d'entente régnait globalement dans l'immeuble, à l'exception d'une famille.
Il est difficile de répondre à cette question. Je ne crois pas avoir senti d'antisémitisme dans le quartier.
C'est ce qui nous a été rapporté dans la précédente audition, avec la précision que Mme Halimi avait l'apparence d'une juive pratiquante : elle portait une perruque, était orthodoxe, n'avait pas la télévision. Vous nous racontez que vous lui allumiez la lumière ou que vous lui ouvriez la porte pendant le Shabbat.
. M. Traoré connaissait les relations amicales entre vos deux familles. Il nous a été dit « si mes parents avaient été là, peut-être que le drame ne serait pas arrivé. » Pensez-vous que ce soir-là, M. Traoré savait que vos parents étaient absents ?
. C'est une excellente question. Il a été interpellé la veille par une policière que nous avons auditionnée. Saviez-vous qu'à une heure du matin, il a commencé à hurler « Allah akbar » dans la cour, deux heures avant de commencer son périple chez les voisins ? Connaissez-vous les Diarra ?
. Ils ont immédiatement appelé la police et envoyé le trousseau de clés et le passe de l'immeuble aux policiers à leur arrivée. Avez-vous été étonnée de ne pas avoir été auditionnée par la juge d'instruction ?
. Il est vrai que ce n'est pas aussi clairement exprimé dans le procès-verbal. M. Attal a indiqué à plusieurs reprises que lorsqu'il était interrogé par la police, le policier ne voulait pas retranscrire scrupuleusement tout ce qu'il disait. Vous nous dites qu'il savait que vos parents n'étaient pas là, et que Mme Halimi vous a fait part quelques jours auparavant de sa peur.
. Vous habitez dans l'immeuble. Des hurlements ont été rapportés par des témoins. Chacun sait que M. Traoré a commencé à réciter des sourates du Coran, y compris des parties faisant allusion à la mort de juifs, des Allah akbar, puis s'est rendu chez Mme Halimi. Pensez-vous qu'il a pu s'y rendre par hasard ?
. Oui. Personnellement et sincèrement, mon ressenti quand il sort de l'appartement des Diarra…
Il savait pertinemment où habitait Mme Sarah Halimi qui était sa voisine de palier. Elle avait peur de lui.
Pas ce qui figure dans le dossier. Parlez-moi de ce que vous ont dit les voisins. Nous avons le témoignage d'un journaliste à propos d'un immeuble où logent des étudiants qui ont entendu le drame, les hurlements, les coups, le bruit de chair, etc. Que vous ont dit les témoins ?
Pas beaucoup. Des gens que je fréquente. J'ai une amie au quatrième étage, au-dessus du logement de Mme Halimi, qui a assisté à la scène. Elle rapporte qu'il était en plein délire, qu'il criait des sourates, et « Allah akbar ».
. Vous mentionnez de témoins dont nous n'avons jamais entendu parler. Nous avons entendu deux témoins et le journaliste M. Christophe Dansette m'a fait écouter des témoignages d'étudiants. Vous parlez d'un témoignage d'une personne du quatrième étage. Connaissez-vous d'autres témoins ?
. Je pense que toutes les personnes de l'immeuble ont été témoins. Les habitants des quatrième, cinquième et sixième étages étaient présents.
Mme Halimi avait peur de lui. Elle s'en était confiée à vous très récemment. Il savait parfaitement où elle habitait.
Il savait que vos parents n'étaient pas là le soir du meurtre. C'est important. Comment savait-il que vos parents étaient absents ?
Concernant la radicalisation de M. Traoré, nous savons que le dernier mois, il se rendait plusieurs fois par jour à la mosquée. C'est ce que rapportent ses amis.
C'est également ce que j'ai entendu. Je ne l'avais pas remarqué. Pour moi, il était simplement un dealer.
Connaissez-vous Abdelkader Rabhi, l'ami chez qui il a dormi la veille et que nous essayons vainement d'auditionner ?
Nous sommes surpris que personne ne lui ait connu la moindre relation amoureuse. Un psychiatre nous a expliqué que selon lui, dans la tradition africaine, ce sujet pouvait l'obséder. Connaissez-vous Sofiane Si Bachir et Nabil Benhamida ?
Nous savons qu'il n'avait aucun antécédent psychiatrique et qu'il fumait de la drogue. La personne chez qui il a passé la nuit a dit qu'il avait fumé un joint, ce qui est peu pour quelqu'un habitué à fumer. Vous faisait-il peur parce qu'il dealait ?
Non. C'est le seul des dealers du quartier qui me faisait peur. Son physique était imposant.
Il est impressionnant. C'est quelqu'un qui bousculait la porte à mon passage, et montrait quelque chose de haineux.
. Nous avons évoqué le franchissement du balcon par M. Kobili Traoré. Vous avez dit qu'il avait peut-être choisi ce côté du balcon par hasard. Pouvez-vous le reconfirmer ?
. J'ignore ce qu'il pensait. De l'appartement de la famille Diarra à celui de la famille Halimi, le passage n'est pas difficile. Je ne vois pas dans quelle autre direction il aurait pu aller. Notre appartement ne dispose pas d'un balcon et la porte était fermée. Il y a tout de même un appartement de l'autre côté. J'ai dit ma conviction à moi, mais je ne sais pas ce qui s'est passé dans sa tête.
Nous avons été surpris de constater sur place que le balcon était très encombré. S'il avait choisi aléatoirement, il aurait très facilement pu sauter du côté droit. De l'autre côté, l'accès était plus compliqué.
Je vous remercie. Votre témoignage, sincère et poignant, était important. Nous sentons que vous venez d'une famille respectueuse des lois de la République et de son prochain. Nous vous sentons peinée du drame qu'a vécu une femme que vous aimiez, et que nous apprenons à connaître davantage à chacune de nos auditions. Merci d'avoir eu le courage de venir témoigner aujourd'hui.
La réunion se termine à dix-huit heures quinze.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. – Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, Mme Florence Morlighem, M. François Pupponi
Excusés. – Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Taché