Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 15h00

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Mardi 14 septembre 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information examine le rapport fait au nom de la mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse (réunion à huis clos)

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Six mois après sa réunion constitutive, notre mission d'information achève ses travaux. J'ai eu l'honneur d'orchestrer plusieurs mois d'un travail dense – plus de quarante entités ont été auditionnées – et riche d'échanges avec les professionnels du secteur de la presse, mobilisés depuis toujours pour la défense du droit d'auteur et du droit voisin. Nous les avons légitimement entendus afin de dresser l'état des lieux de l'application de ce nouveau droit ; nous avons également honoré vos demandes d'auditions, monsieur le rapporteur.

En nous rendant à Bruxelles et en échangeant plus particulièrement avec la presse allemande, nous avons pu constater combien notre pays a été exemplaire dans ce combat, adoptant une logique transpartisane bien trop rare. Nos ambassades en Espagne et en Australie ont répondu par écrit à nos interrogations.

Il est toujours intéressant pour le législateur de prendre le temps d'évaluer son propre travail, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une innovation juridique. C'est ce dernier aspect qui a fait la richesse de notre démarche d'évaluation, mais aussi sa complexité. À la décharge des redevables du droit voisin, il n'est jamais aisé de rendre effective et incontestable la mise en œuvre d'un nouveau droit tant que les concepts n'ont pas subi l'épreuve de la réalité économique et sociale correspondant à un environnement juridique. Les enjeux démocratiques et financiers sont d'ampleur ; il est donc normal que cette mise en œuvre ait pris du temps. Mais le temps du débat juridique n'est pas compatible avec l'urgence économique à laquelle les éditeurs et les agences de presse sont confrontés. Du reste, la rapidité des évolutions techniques des plateformes numériques et la dépendance de nombreux acteurs à leur égard peuvent également mettre à mal l'application de la loi.

Le fait le plus marquant qui ressort de notre travail est le manque de transparence des acteurs du numérique vis-à-vis de ceux dont ils exploitent les contenus dans leur propre intérêt. En proposant aux plateformes numériques d'être auditionnées à huis clos, nous souhaitions accéder à des informations permettant de comprendre les modes de calcul de la rémunération. Le rapporteur et moi-même sommes pareillement déçus du contenu de ces auditions. Évaluer la justesse de la rémunération proposée implique de mettre fin à l'opacité du fonctionnement des plateformes et des revenus qu'elles tirent de l'exploitation des données des tiers, y compris de leurs utilisateurs.

L'omniprésence de ces plateformes dans le quotidien des Français et leur souhait de devenir la principale voie d'accès à l'information rendent d'autant plus urgente la mise en œuvre du droit voisin. Le rapporteur ne manquera pas de rappeler l'enjeu démocratique de ce droit. Sur trop de sujets, les plateformes tentent d'échapper à la régulation alors que de plus en plus de responsabilités leur incombent. Il est impératif qu'elles respectent le cadre démocratique, ce qui passe par la mise en conformité de leurs services avec le droit et par leur consentement à l'impôt.

La régulation européenne peut y contribuer, mais la France est aux avant-postes en la matière. Deux ans après l'adoption de la loi, nous n'avons pu que constater, pour le regretter, que les redevables du droit voisin avaient tout fait pour freiner l'application du droit, après être parfois allés jusqu'à nier celui-ci. Les précieuses décisions de l'Autorité de la concurrence ont apporté des éléments de clarification ; elles devront être rendues effectives dans la suite de la procédure. C'est grâce à sa saisine que les lignes ont pu bouger, sous la pression des sanctions financières et d'injonctions utilement détaillées. La France n'est d'ailleurs pas la seule à avoir utilisé le droit de la concurrence pour compléter le pouvoir de contrainte insuffisant prévu dans la loi et, plus généralement, réguler les plateformes.

Est-ce à dire que la loi est mal faite ? Dans un contexte où se cumulent le manque de bonne foi des uns et l'attentisme des autres, la liberté contractuelle prévue par la loi semble avoir atteint ses limites.

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Je m'associe à vos propos sur le travail transpartisan, madame la présidente : le respect a été de mise non seulement vis-à-vis des personnes auditionnées, mais aussi de votre part à mon égard. Je remercie également les administrateurs qui nous ont accompagnés et beaucoup aidés tout au long de cette mission.

L'objectif de la mission d'information était d'évaluer la mise en œuvre du droit voisin issu, en Europe, de l'article 15 de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et, en France, de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Ce droit devait permettre de redistribuer les revenus que tirent les plateformes numériques de l'exploitation de contenus originaux et, ainsi, de rééquilibrer économiquement un secteur bouleversé par le transfert massif des revenus publicitaires de la presse vers ces plateformes. Le chiffre d'affaires de la presse a chuté de 11 à 6,2 milliards d'euros entre 2006 et 2019 ; la part de cette baisse imputable à la chute des revenus publicitaires atteint 57 %, celle liée à la baisse des ventes est de 22 %. Google et Facebook captent à eux seuls 75 % des dépenses de publicité numérique.

Le rapport a été l'occasion de faire un tour d'Europe de la transposition de ce droit. L'Allemagne, en 2013, et l'Espagne, en 2014, ont joué un rôle précurseur, mais se sont heurtées à la contestation de Google lorsqu'il s'est agi d'appliquer le droit. Dans ces pays aussi, des recours ont été engagés. La directive européenne a eu le mérite de préciser les choses ; neuf États membres l'ont transposée, souvent au plus proche. Divers modes de gestion des droits ont été instaurés. L'arbitrage a été retenu par l'Italie et, en dehors de l'Europe, en Australie, avec la possibilité de prévoir des règles de rémunération automatiques. Il n'a pas encore été mis en œuvre, ces législations ne datant que de quelques mois.

La France a été la première à transposer la directive, sous l'impulsion du député Patrick Mignola, et elle l'a fait en clarifiant le droit – par exemple, en incluant explicitement les agences de presse et en limitant les exceptions au droit. Malgré tout, il a fallu que l'Autorité de la concurrence soit saisie pour que le droit soit à nouveau précisé. Le rapport revient sur différentes controverses et a le mérite, me semble-t-il, de clarifier à nouveau les choses. Les redevables du droit voisin s'engouffrent dans n'importe quelle brèche pour affaiblir la position des bénéficiaires de ce droit.

Il ressort clairement de nos auditions – vous avez pu le constater avec nous – que le droit voisin est loin d'être effectif. D'une part, les éditeurs et les agences de presse n'ont pas les moyens d'une coopération assainie avec les plateformes numériques, compte tenu de l'opacité du fonctionnement de ces dernières et de la mauvaise foi avec laquelle elles conduisent les négociations. D'autre part, et en conséquence, rares sont ceux à avoir perçu une rémunération au titre du droit voisin. Le contenu des accords passés est opaque.

Quelques titres indépendants ont conclu des accords avec des plateformes depuis la fin 2020. En revanche, rares sont les familles de presse à avoir passé des accords collectifs : Facebook a signé avec l'Alliance de la presse d'information générale (APIG) un accord-cadre pluriannuel le 21 octobre 2021 ; Google a signé avec l'Agence France-Presse (AFP) un accord pluriannuel le 11 novembre de la même année ; le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et la Fédération française des agences de presse (FFAP) restent écartés de tout accord. La Société des droits voisins de la presse (DVP), qui vient d'être créée, n'a pas encore réellement négocié.

Le feuilleton juridique se poursuit, puisque le SEPM a fait savoir lundi qu'il saisissait à nouveau l'Autorité. Chaque jour apporte son lot de surprises ! Il semble d'ailleurs qu'à chaque fois que la mission tient une réunion importante, le dossier évolue : l'Autorité de la concurrence a rendu sa décision le jour de la réunion constitutive, en juillet dernier ; Google a fait connaître son protocole d'engagement le jour de notre dernière table ronde, en décembre dernier. Quelle sera donc la surprise du jour ?

Plus sérieusement, je formule dans le rapport dix propositions qui ont vocation à mettre fin à cette double asymétrie d'information et de négociation afin d'aboutir à des accords totalement transparents, enfin équitables et volontairement collectifs. Certaines de ces recommandations pourront faire l'objet d'une initiative législative lors de la prochaine législature.

Dans l'immédiat, l'organisme de gestion collective (OGC) se heurte à l'asymétrie de l'information relative à l'assiette de la rémunération à laquelle ses adhérents ont droit. Sans ces données, il est impossible de faire le lien entre l'utilisation de contenus protégés, les revenus engendrés pour la plateforme et une proposition financière. L'opacité empêche la négociation libre et éclairée, dans la mesure où les éditeurs et agences de presse ont du mal à évaluer la rémunération qui leur est due.

La transparence des accords doit permettre de nous assurer que les calculs réalisés pour déterminer le niveau des rémunérations sont justes et qu'il n'y a pas de mélange des genres – il est regrettable que plusieurs des accords d'ores et déjà conclus soient liés à un volet commercial. Les opérateurs doivent cette transparence à la représentation nationale et, au premier chef, à la presse dans son ensemble ; elle n'en sera pas ravie mais il y va du pluralisme des médias et de la démocratie. Par ailleurs, si les montants en question ne sont pas connus, comment peut-on s'assurer de la part de rémunération qui reviendra aux journalistes ? Si les sommes qui seront versées sont importantes, comme nous l'espérons, il est légitime que le législateur, qui vote chaque année des subventions à la presse, soit informé de ces compléments de revenus.

Aussi est-il impératif d'accéder aux données des plateformes numériques et de définir des critères d'assiette pour permettre le calcul de la rémunération. Un appui technique du pôle d'expertise de la régulation numérique (PEREN) permettra de renforcer nos capacités d'analyse des données pour mieux réguler ces plateformes.

L'équité, attendue depuis longtemps, est liée au caractère collectif des accords. Seule une négociation conduite par l'OGC et qui inclurait un maximum de familles de presse peut garantir un rapport de force plus équilibré avec les plateformes et une équité de traitement des ayants droit, petits et gros. Pour le dire plus directement, rien ne l'y oblige, mais il faudrait que l'APIG participe à l'OGC de la Société des droits voisins de la presse. La négociation avec les journalistes doit être menée parallèlement aux négociations avec les plateformes et aboutir à des accords de branche.

J'en viens au volet coercitif. Il est difficile de recommander aujourd'hui de prévoir dans la loi une sanction financière en l'absence d'accord. Alors que l'Autorité de la concurrence a déjà sanctionné Google pour les raisons que nous connaissons, la modification de la loi, dans le contexte actuel, prendra du temps. En outre, plusieurs accords sont sur le point d'être signés et Google s'est engagé à respecter les lignes directrices fixées par l'Autorité. Nous saurons dans les prochaines semaines ce qu'il en est réellement.

À plus long terme, en revanche, il faudra modifier la loi pour prévoir un mécanisme d'arbitrage obligatoire. De tels arbitrages devraient être rendus par une autorité administrative indépendante, qui pourrait être l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), laquelle a récemment vu ses pouvoirs de régulation des plateformes numériques étendus – mais nous avons également pensé à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), compétente dans le domaine de la distribution de la presse. Il est important de prévoir un arbitrage en cas d'échec des négociations à l'issue d'un délai fixe. Il faudra ensuite doter l'ARCOM d'un pouvoir d'injonction et de sanction ; elle pourra fixer un taux de rémunération en proportion des revenus perçus par le redevable, des investissements consentis par le bénéficiaire et de la contribution des contenus à l'information politique et générale.

À plus court terme, nous devrons mettre à profit la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour créer une dynamique européenne de mise en œuvre de la directive – c'est ce que souhaitait d'ailleurs le rapporteur du texte, M. Axel Voss – et, plus largement, nous saisir des projets de règlement européen Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) pour rééquilibrer les relations entre les producteurs de contenus et les distributeurs en ligne. Il faut imposer aux plateformes des obligations de transparence et d'information à l'égard des éditeurs.

Le droit voisin est un droit ; il n'est ni le résultat d'un accord commercial, ni une faveur rendue à un secteur en souffrance. La rémunération des contenus utilisés doit être à la hauteur du travail des auteurs et des investissements des entreprises de presse. Protéger les entreprises de presse, c'est protéger le travail journalistique pour une presse libre, indépendante et pluraliste – c'est, en somme, protéger la démocratie.

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Je vous remercie pour ce rapport, qui rend bien compte de la situation actuelle. Nous devons bien constater que l'adoption de la directive européenne et sa transposition dans notre droit interne n'ont pas suffi à régler les problèmes, et que les choses sont encore en train d'évoluer.

La décision prise par certains groupes de presse de conclure individuellement avec les plateformes des contrats commerciaux intégrant la question de la rémunération va-t-elle compliquer considérablement la tâche de l'OGC ? Pensez-vous que la gestion collective pourra réellement voir le jour ?

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J'ai la faiblesse de croire que l'OGC jouera un rôle majeur. Toutefois, nous ne pourrons éviter que certains groupes décident de faire cavalier seul. Le problème, c'est que ceux qui ont déjà signé des accords avec les plateformes n'ont pas encore commencé à verser aux journalistes la part de rémunération qui leur est due. L'accord collectif aura forcément plus de poids. Il serait compliqué de l'imposer mais il ne fait aucun doute qu'il verra le jour, d'autant que le Président de la République a encore rappelé hier, lors de ses vœux à la presse, que la résolution de la question des droits voisins faisait partie de ses priorités.

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Le fait que les plateformes travaillent avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) est déjà un élément positif. Je remarque d'ailleurs que la SACEM a renouvelé l'accord signé avec YouTube et a conclu des accords avec la quasi-totalité des plateformes existantes : elle a donc acquis une certaine expérience de la négociation avec les acteurs américains du secteur. Néanmoins, les groupes de presse ayant conclu des accords individuels avec les plateformes ne sont pas les plus petits. Il sera très compliqué d'obtenir les données et de valoriser de façon juste la rémunération due aux entreprises de presse.

Je pense comme vous que l'implication d'une autorité publique dans les procédures d'arbitrage est une bonne idée. Avez-vous déjà échangé avec l'ARCOM à ce sujet ?

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Compte tenu de nos échanges et en l'absence d'expression d'opposition ou d'abstention, la publication du présent rapport est autorisée par notre mission d'information à l'unanimité, ce dont je me félicite. Les travaux de notre mission d'information étaient attendus, et le rapporteur a rappelé qu'ils avaient eu pour effet d'accélérer certaines décisions. Nous avons joué notre rôle de parlementaires, qui est de bousculer les choses et de permettre que la loi que nous avons nous-mêmes votée soit réellement appliquée.

La mission d'information autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.

La réunion se termine à quinze heures vingt.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 15 heures

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia, Mme Constance Le Grip, Mme Michèle Victory