La mission d'information procède à l'audition de Sir Nicholas Green, président de la Law Commission du Royaume-Uni et de Mme Penney Lewis, commissaire en droit pénal à la Law Commission du Royaume-Uni.
La séance est ouverte à 12 heures 50.
Pour terminer ce cycle d'auditions consacré au modèle britannique, nous avons l'honneur de recevoir Sir Nicholas Green, président de la Law Commission du Royaume-Uni et Mme Penney Lewis, commissaire en droit pénal à la Law Commission.
La Law Commission n'est pas l'équivalent de notre commission des lois, mais une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la qualité et à l'effectivité de la loi, émettant des recommandations au Gouvernement et au Parlement britanniques. Depuis 2018, elle travaille sur une réforme de la législation visant à lutter contre les crimes de haine.
Notre rapport aspire à déboucher sur des propositions concrètes, de nature législative ou règlementaire. Nous sommes très intéressés par les travaux conduits par la Law Commission et souhaiterions mieux connaître les recommandations que vous adressez aux pouvoirs publics britanniques pour éventuellement nous en inspirer.
. J'insiste sur le caractère concret que nous souhaitons donner à notre mission d'information. Nous avons auditionné pendant plusieurs mois des intellectuels, des universitaires, des associations et souhaitons désormais aborder une approche comparative pour retenir des bonnes pratiques et des bonnes idées. Je souhaiterais mieux comprendre les enjeux liés à la liberté d'expression. Naturellement, nous aborderons la cyberhaine et la manière dont le Royaume-Uni y répond.
Sir Nicholas Green, président de la Law Commission. Notre commission est indépendante. Nos équipes sont composées de 65 chercheurs et juristes. Comme vous l'avez dit, nous travaillons sur des projets de réforme de la loi et formulons des recommandations à destination du gouvernement. Nos rapports, dans leur forme finale, s'accompagnent en général d'un projet de loi mais il appartient au gouvernement et aux législateurs de traduire nos recommandations comme ils le souhaitent. Si le gouvernement souhaite mettre en œuvre tout ou partie de nos recommandations, nous pouvons poursuivre notre travail et l'accompagner en ce sens.
Depuis 2014, nous traitons les crimes de haine et la diffusion d'images indécentes, ainsi que la violence et les abus en ligne. Je cède la parole à madame Penney Lewis, commissaire en droit pénal, qui est responsable de trois projets relatifs à ces sujets.
. Comme l'a expliqué Nicholas Green, la Law Commission remplit un rôle consultatif. Nous nous interrogeons sur comment mieux évaluer et réformer le droit actuel ; nous formulons des recommandations à l'attention du gouvernement et du Parlement. Nous devons nous assurer que la loi est simple, moderne et efficace en termes de coût.
Trois de nos projets actuels touchent à la liberté d'expression : ils concernent les crimes de haine, les discours de haine en ligne et enfin, la diffusion des images intimes.
La législation sur les crimes de haine au Royaume-Uni couvre cinq motifs : la race, la religion, l'orientation sexuelle, le statut transgenre et le handicap. Cette législation distingue plusieurs régimes juridiques : les délits (agression physique ou verbale), les délits aggravés (comme le trouble aggravé à l'ordre public) et l'incitation à la haine, par exemple dans les chants de hooligans et de supporters de football.
La catégorie des délits « aggravés » couvre un petit groupe de délits considérés comme plus graves et fondés sur la race ou la religion, à l'exclusion des autres motifs. S'il est possible de prouver qu'un crime ou un délit est motivé par la haine raciale ou religieuse (par exemple lorsqu'un propos raciste et violent est hurlé pendant une agression physique), il sera requalifié de crime ou de délit aggravé. Les sanctions sont alors beaucoup plus importantes.
L'incitation à la haine peut concerner, en revanche, les autres motifs et recouvre l'ethnicité, la race, la religion ou l'orientation sexuelle. S'agissant de la haine raciale il faut des menaces, abus ou insultes et une incitation à la violence, et que le caractère intentionnel de cette incitation soit démontré. Il n'est pas possible de poursuivre quelqu'un ayant tenu des propos insultants s'il n'avait pas l'intention d'inciter à la haine contre une personne.
La liberté d'expression est protégée par des garanties spécifiques en matière de religion et d'orientation sexuelle qui n'entrent pas dans la définition précitée de l'incitation à la haine. Une « clause de protection de la liberté d'expression » permet de s'assurer que le délit d'incitation à la haine religieuse ne limite pas le débat et n'empêche pas de critiquer une religion ni même d'exprimer une forme d'hostilité (dédain, antipathie, moquerie etc.) à l'égard d'une religion ou des pratiques des croyants, tant que cette critique ne revêt pas par elle-même un caractère menaçant et ne vise à pas à dissuader certains pratiquants d'exercer leur religion. De même pour l'orientation sexuelle.
Par exemple, dans le cadre des discussions sur le mariage homosexuel, aucune critique ne pourrait avoir lieu qui pousse à la haine des communautés LGBTQI (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes).
Un de nos objectifs principaux est de mettre à plat les différents régimes juridiques et la manière dont les caractéristiques de protection sont définies. La loi serait plus juste si elle se basait sur des caractéristiques et des protections égales. Nous proposons de créer un certain nombre de nouveaux délits aggravés, notamment pour mieux répondre à la haine en ligne et au cyber harcèlement. Il convient de toujours bien distinguer les propos haineux selon qu'ils incitent ou non à la violence. Seuls les propos qui poussent à la haine raciale ou au « passage à l'acte », avec une intention clairement affichée, pourraient constituer de nouveaux délits aggravés.
Nous proposons que les poursuites judiciaires puissent s'organiser beaucoup plus facilement pour répondre à l'ensemble des délits découlant de l'incitation à la haine.
Nous proposons aussi d'inclure les appels à la haine en matière d'orientation sexuelle dans le champ des délits aggravés (par exemple, certains cris des supporters de football).
Nous avons également proposé d'ajouter un critère fondé sur le sexe afin que les délits caractérisés par une démonstration intentionnelle d'hostilité envers un certain genre soient assimilés à des crimes de haine.
Pour ce qui est de la caractérisation du délit aggravé et des peines complémentaires, nous proposons que le délit soit motivé par l'hostilité ou le préjugé.
En matière d'incitation à la haine, il serait suffisant de voir qu'il existe une intention, un comportement menaçant ou abusif (nous proposons de supprimer le terme « insultant »). Nous souhaitons cibler les messages les plus compliqués qui ont pour intention délibérée ou non d'attiser la haine. Nous proposons de retirer la référence légale actuelle au « inflammatory language » (propos incendiaire) car elle est utilisée par certains groupes conscients de cette disposition, qui adaptent leur langage tout en adressant des messages qui visent à attiser la haine.
S'agissant des actes ayant pour effet de répandre la haine, nous proposons de supprimer l'élément de comportement : l'intention doit pouvoir se déduire des conséquences de l'acte, afin de responsabiliser leurs auteurs.
Notre document de consultation est disponible sur le site internet de la Law Commission. Nous étudierons les réponses à la consultation dès le début de l'année 2021 et espérons publier un rapport final contenant des recommandations d'ici à la fin de l'année 2021.
. Nos auditions de ce matin ont beaucoup fait référence à la façon dont la société britannique perçoit la conception française de la laïcité. Cela rejoint les débats sur les caricatures, le droit au blasphème, le séparatisme. Vous avez évoqué le « radical secularism », ou laïcisme radical. D'après vous, la « culture de la laïcité » est-elle trop radicale en France ? Il est important de revenir sur ce point pour bien nous comprendre.
. La masse de discours haineux en ligne représente un contentieux gigantesque. À titre d'exemple, Facebook affirme avoir retiré plus de 10 millions de contenus haineux dans le monde au cours du dernier trimestre. Comment adapter les procédures judiciaires à ces phénomènes nouveaux ?
. La question du volume des contenus haineux est extrêmement délicate. En général, les crimes les plus graves ne sont pas perpétrés en ligne. En revanche, on trouve sur internet beaucoup de propos qui, tout en étant haineux, ne visent pas forcément à répandre la haine. Nous n'avons pas encore trouvé de solution pour gérer ces masses de contenus ; nous travaillons pour le moment sur le harcèlement en ligne, c'est-à-dire sur l'envoi répété de messages de haines contre une personne déterminée. Nous voudrions cibler les auteurs de ces envois massifs car il est aujourd'hui très difficile de les identifier. Nous pourrions amener les plateformes comme Facebook à retirer les contenus haineux car la police n'a pas les moyens de le faire.
Le droit pénal fournira donc une partie de la réponse.
Sir Nicholas Green. Nous avons énormément discuté avec la police de l'envergure de ce problème. À travers le monde, 40 milliards de messages WhatsApp sont échangés chaque jour. La police n'a ni le temps, ni les ressources, ni les compétences pour traiter de tels volumes. Une réforme du droit pénal serait sans doute nécessaire.
À propos de la laïcité, on a beaucoup débattu au Royaume-Uni de l'affaire des « caricatures ». Je ne crois pas que votre conception de la laïcité soit en cause ; nous sommes aussi, comme beaucoup d'autres, confrontés de façon récurrente à ces difficultés liées à la liberté d'expression. Des groupes radicaux qui luttent pour la liberté d'expression se réfèrent chez nous à l'exemple français. Nous sommes tous sensibles à ce genre de problème.
. Le document de consultation sur les discours haineux que je vous présentais recense certaines caricatures susceptibles d'attiser la haine ou conçues à cette fin. Ce n'est pas le cas, selon nous, des caricatures de Mahomet, car celles-ci ne cherchent pas à attirer la haine sur un groupe de personnes déterminé.
Les dessins que nous visons dans notre document sont des caricatures qui diabolisent certaines personnes ou certains groupes. Nous tentons d'expliquer ces éléments face aux critiques qui ne sont pas fondées et qui peuvent s'exprimer dans les médias.
La séance est levée à 13 heures 30.