Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 18h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • COM
  • opérationnelle
  • résilience
  • terre
Répartition des présents

  Agir & ex-LREM  

La réunion

Source

MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 20 octobre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures trente

(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir de recevoir le général Patrick Poitou, commandant Terre pour le territoire national et délégué aux réserves de l'armée de terre.

Mon général, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre mission d'information. Vous êtes accompagné par le colonel Bruno Helluy, adjoint du sous-chef des opérations aéroterrestres de l'état-major de l'armée de terre.

Cette audition à huis clos va nous permettre d'aborder deux grands sujets.

Tout d'abord la défense du territoire national, à l'heure où l'hypothèse d'un conflit de haute intensité fait partie des scénarios pris en compte dans la stratégie des armées françaises.

Ensuite, la réserve opérationnelle de l'armée de terre. Son effectif est important et constitue, à ce titre, un élément de défense en profondeur de notre territoire ainsi qu'un moyen de renforcer le lien entre le monde combattant et la société civile. Or, nous savons que ce lien s'est profondément transformé depuis la fin du service national obligatoire.

La mission d'information sur la résilience nationale s'intéresse à l'évaluation des risques majeurs pour la nation tels que définis par les différents Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale. La résilience est la capacité de la nation à faire face aux risques ou aux menaces et à retrouver le plus rapidement possible un fonctionnement normal. Dans ce cadre les armées jouent un rôle majeur.

Permalien
Général Patrick Poitou, commandant Terre pour le territoire national et délégué aux réserves de l'armée de terre

Cette audition me donne l'occasion d'évoquer la thématique de la résilience nationale vue sous le prisme de l'armée de terre, en particulier par ses actions directes ou indirectes sur notre territoire.

Le commandement Terre pour le territoire national (COM TN) suscite beaucoup de questions. Il s'agit d'un commandement récent puisqu'il date de 2015. Sous l'autorité du major général de l'armée de terre, il agit dans le cadre de la défense du territoire national et de la protection de la population française, en appui de l'action interministérielle de l'État. Le COM TN est un commandement « organique » et n'a pas vocation à conduire des opérations outre-mer ou en métropole. Cette tâche relève de la seule responsabilité du chef d'état-major des armées. Il s'appuie pour cela sur l'organisation territoriale interarmées de défense.

Quelles sont concrètement les missions qui sont conférées au COM TN ? La première relève des domaines de l'interarmées et de l'interministériel. Il s'agit d'un rôle d'expertise, en ce qui concerne le territoire national, au profit des forces terrestres. Ce milieu d'engagement, s'il est naturel pour nous, demeure un espace singulier, car les armées ne sont généralement pas primo-intervenantes dans le milieu terrestre, du moins en France. Elles ne sont engagées, hors du champ de la défense militaire qui constitue leur mission première, qu'en vertu d'une réquisition. Ce sont les forces de sécurité intérieure et de sécurité civile qui assument la primauté de l'action pour garantir la sécurité et la protection des populations. À ce titre, le COM TN contribue aux travaux relatifs à l'élaboration de la doctrine d'emploi, des procédures, au retour d'expérience, et à la formation des cadres lorsqu'ils sont déployés sur le sol national en complément des forces de sécurité. Cet état-major contribue également à la conception de la préparation opérationnelle des forces terrestres en vue de leur engagement dans la participation ou l'animation d'exercices interservices. Enfin, il participe à l'amélioration de l'activité opérationnelle entre les forces de sécurité intérieure et les forces de sécurité civile. S'ajoutent à cette mission principale d'optimisation des conditions de l'engagement de l'armée de terre en métropole et en outre-mer deux délégations : celle de délégué aux réserves opérationnelles et celle plus récente, de délégué à la jeunesse pour l'armée de terre.

Le COM TN est un état-major implanté à Paris. Il constitue également un pilier divisionnaire regroupant une vingtaine de commandements du niveau chef de corps issue de cinq grandes formations. Ce pilier rassemble la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), les sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), les sapeurs de l'air du 25e régiment du génie de l'air, les ultramarins du service militaire adapté (SMA) et les métropolitains du service militaire volontaire (SMV). S'y ajoutent les réservistes opérationnels. Ces hommes et de ses femmes sont tous issus de l'armée de terre. Les cadres reçoivent leur formation initiale et générale dans nos écoles. Ils ont également comme caractéristique d'être tous employés en dehors des forces terrestres. Je suis ainsi le référent et le pilote de ce domaine Territoire national regroupant une communauté de plus de 19 000 militaires actifs ou volontaires, en plus des 24 000 réservistes opérationnels qui agissent tous au quotidien sur le sol français. Ancrée dans nos territoires, l'armée de terre est une contributrice majeure à la résilience de la nation. En particulier pour le COM TN, la résilience apparaît comme un fil rouge de notre action.

Dès 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale proposait une définition de la résilience. Nous y retrouvons les deux notions clefs de volonté et de capacité. Au sein des armées, cette volonté s'incarne par ce que nous qualifions, dans notre jargon, les forces morales. Les capacités représentent quant à elles l'ensemble des moyens permettant d'agir presque en autonomie. À mon niveau, je pense que cette problématique de résilience peut être schématiquement appréhendée comme un cycle comprenant trois phases. Il s'agit en effet d'anticiper, de se préparer à absorber un choc causé par une crise dite majeure ; puis d'intervenir et de s'organiser lors de la survenue de cette crise en incluant le temps de rebond et de la prise d'ascendant sur les événements ; enfin de s'adapter et de recréer les conditions d'une situation de fonctionnement au plus près de la normalité. L'action du COM TN se situe clairement dans cette première phase en vue de préparer au mieux les deux suivantes. Par essence, capables d'agir dans le chaos, les armées représentent dans l'inconscient collectif l' ultima ratio regum.

Au cœur de la résilience de nos armées, outre l'aptitude foncière à combattre face à des adversaires, il y a des capacités duales – capables de servir sur le territoire national et en opération extérieure – couplées à une indépendance logistique pour agir assez longtemps en autonomie dans un environnement dégradé. Mais avant tout, il y a surtout la volonté de faire face, d'endurer. Celle-ci doit être développée chez l'individu comme au niveau collectif. Insuffler un esprit de fraternité, c'est garantir la primauté du groupe et faire naître un sentiment d'une responsabilité partagée. Cette mobilisation collective permet de mieux résister face aux crises majeures. Je considère que l'approche organisationnelle de la résilience est une condition nécessaire, mais non suffisante. En situation de crise systémique ou de chaos, la résilience s'appuie avant tout sur une dimension humaine qui appartient au champ immatériel : le pouvoir de la volonté. « Là où se trouve une volonté, il existe un chemin » (W. Churchill).

Je vous propose maintenant d'aborder successivement mes principaux champs d'action : la question de la contribution du COM TN à la résilience de l'armée de terre ; la manière dont l'armée de terre, au travers du COM TN, participe à celle des armées ; et la façon dont le COM TN concourt plus largement à la résilience de la nation.

Concernant la contribution à la résilience de l'armée de terre, le COM TN intervient tout d'abord dans la préparation à l'engagement par l'acculturation du personnel et l'anticipation. Ainsi, deux des principaux sujets portés par le COM TN concernent le plan Territoire national à l'armée de terre et la réserve opérationnelle. Ce plan TN a été rédigé par le COM TN en 2017. Il a pour but de nous permettre de gagner en réactivité, en masse et en interopérabilité. Son principal objectif est de préparer l'armée de terre à l'éventualité d'une crise majeure qui saturerait les capacités de réponse de l'État et nécessiterait un engagement conséquent et rapide. La capacité à commander les troupes déployées constitue un aspect important de ce plan. Une réactivité accrue est donc recherchée à partir des garnisons et au travers d'une autonomie initiale renforcée. Nos garnisons, compte tenu de leur maillage territorial, doivent redevenir des bases de départ en cas de crise. Une première étape a été franchie cet été avec le début de la mise en place de lots de réactivité au sein de nos quatre-vingts régiments. Il s'agit de la livraison de stocks logistiques nécessaires à l'équipement d'une section d'environ trente personnes permettant à chaque régiment d'agir en temps réflexe dans le périmètre de son implantation géographique. Ces ressources recouvrent les domaines basiques comme l'alimentation, les équipements individuels – trousse de santé, optique… –, la protection NRBC et balistique, auxquels s'ajoute le soutien munitions et carburant. L'étape suivante sera l'autonomie initiale pour une compagnie – 3 sections –, soit une centaine de militaires par régiment à l'horizon 2022-2023. Outre-mer, les sept régiments des forces terrestres sont stationnés en permanence dans cette posture particulière. Ils sont plus autonomes et sous les ordres des commandants supérieurs (COM SUP).

Une meilleure interopérabilité avec les autres acteurs régaliens agissant sur le territoire national est également recherchée. Elle se décline au travers de la mise en place d'un continuum de formation, de la formation initiale à l'école de guerre. Afin de mieux connaître l'environnement interministériel, elle s'exprime également par la formalisation de mémentos et la rédaction de conventions ou de protocoles de coopération. Le COM TN intervient ensuite sous l'angle des réserves opérationnelles, qui ont vocation à fournir une plus importante épaisseur opérationnelle à l'armée de terre. Ces réserves, vous les connaissez très bien, aussi je n'insiste pas sur ce sujet. Nos réservistes contribuent indirectement à la résilience de la nation en renforçant celle de l'armée de terre, principalement par un complément d'effectifs et de compétences spécifiques. En moyenne, sur l'année, 2 700 d'entre eux sont employés chaque jour dont 500 pour des missions de défense et de sécurité sur le territoire national. Concrètement, la réserve de masse des années 1990 – plus de 500 000 personnes jusqu'en 1999 – est devenue aujourd'hui une réserve d'emploi de volontaires – 24 000 personnes –, intégrée au sein des régiments ou des états-majors. Quelque 4 000 jeunes citoyens signent annuellement un contrat pour servir dans la réserve opérationnelle.

Concernant la contribution du COM TN à la résilience des armées, depuis 2015 l'armée de terre a repensé son engagement sur le terrain. Son implication significative sur notre sol, au travers de l'opération Sentinelle, a conduit à une réflexion globale. Le plan TN cité précédemment s'inscrit dans le cadre de la posture de protection terrestre également proposée par le COM TN. Il s'agit d'une posture désormais interarmées. Le contrat protection, dit contrat TN, a été pérennisé puisqu'aujourd'hui jusqu'à 10 000 militaires de l'armée de terre répartis en trois échelons sont en mesure d'intervenir. Cette posture est adaptée en fonction du niveau de la menace. Elle organise ainsi les conditions d'une contribution désormais durable et graduée de l'armée de terre à la défense et à la sécurité de notre territoire.

Dans le domaine de l'acquisition de compétences des cadres, le COM TN a été désigné opérateur de formation par l'état-major des armées au profit des futurs délégués militaires départementaux. Ces DMD sont les conseillers militaires des préfets de départements. Autre exemple, un partenariat avec l'institut des hautes études du ministère de l'intérieur nous conduit à participer chaque année à une dizaine d'exercices de gestion de crise simulant l'activation d'un centre opérationnel départemental. Enfin, depuis 2015, des colonels de l'armée de terre sont auditeurs au centre des hautes études du ministère de l'intérieur.

Disposant également de deux modules projetables, le COM TN renforce, lors des crises ou des exercices, les zones de défense métropolitaines ou les COM SUP ultramarins. Ce fut le cas pendant l'ouragan Irma : le COM TN a envoyé pendant deux mois une quinzaine de personnels. Durant les dix-huit premiers mois de la crise sanitaire, quinze officiers ont été répartis dans les différents centres de crise, au niveau national. C'est également pour sa bonne connaissance de la chaîne interministérielle de gestion de crise que le COM TN a été désigné pour contribuer à la préparation de l'armée de terre à la sécurisation des prochains grands événements sportifs tels que la coupe du monde de rugby en 2023, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cela se concrétisera en particulier par la réalisation d'exercices, nommés « Coubertin », pilotés par l'état-major des armées, qui seront organisés en janvier 2022 et novembre 2023 avec la zone de défense d'Île-de-France. Ces exercices interarmées seront poursuivis par la participation de l'armée de terre à un exercice interministériel, dénommé « Olympe », piloté par le secrétariat national de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) sur la thématique des Jeux olympiques.

Par ailleurs, le COM TN concourt également, plus largement, à la résilience de la nation. En premier lieu, l'armée de terre participe en permanence, au travers de certaines unités dédiées, à la sécurité du quotidien de nos citoyens. Ainsi, avec 8 500 militaires mis pour emploi auprès du préfet de police, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris est le premier service d'incendie de secours européen, et le troisième au monde. Au-delà des chiffres et des interventions quotidiennes, la BSPP est un acteur déterminant lors des crises qui surviennent dans la capitale. S'y ajoutent les formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), autre composante de l'armée mises pour emploi auprès du préfet directeur général de la sécurité civile et de gestion des crises. Véritable force de réaction rapide de la sécurité civile, avec en permanence 200 sapeurs-sauveteurs en alerte, ces unités militaires interviennent en particulier lors des catastrophes naturelles ou industrielles, en France comme à l'étranger. Les FORMISC demeurent peu connues bien que ses membres occupent des postes clefs dans les centres opérationnels interministériels de zone de défense et de sécurité. Les pompiers militaires de la BSPP et des FORMISC représentent un quart des pompiers professionnels en France.

Enfin, l'armée de terre contribue à la cohésion nationale par son investissement résolu dans les dispositifs visant les plus jeunes. La volonté de transmettre des valeurs se décline, depuis 2021, dans la politique jeunesse de l'armée de terre, elle-même issue du plan « ambition armée jeunesse » de notre ministre. Avenir de notre pays, la jeunesse est un élément structurant de la cohésion nationale et de la robustesse de notre outil militaire. À ce titre, l'armée de terre est pleinement impliquée dans l'emblématique projet du service national universel (SNU). Pour la période 2021-2022, 1 000 places en préparation militaire sont offertes dans la phase numéro deux. Pour la période 2022-2023, il est prévu d'accueillir 1 500 volontaires et de mener des efforts pour augmenter les classes de défense, nouvelle dénomination des classes de défense et de sécurité globale. L'ambition jeunesse ne se limite pas pour autant à la seule prise en compte du SNU. Elle vise la jeunesse dans son ensemble.

Au total, l'armée de terre se positionne comme un acteur de référence pour la jeunesse. Elle contribue à l'éducation des citoyens de demain. Le parcours qu'elle offre et les actions qui l'accompagnent ont un impact fort en termes d'attractivité et de recrutement, puisqu'environ 35 000 jeunes rejoignent chaque année une unité de l'armée de terre. S'y ajoute le flux sortant annuel de 15 000 militaires actifs et de 4 000 réservistes. Au final, chaque année, plus de 50 000 jeunes passent dans nos rangs.

Ainsi le COM TN, au travers des hommes et des femmes qu'il sert, participe pleinement et à la hauteur de ses expertises à la résilience de l'armée de terre, des armées et plus largement à celle de la nation. Ce commandement ancre et incarne dans les faits la détermination de l'armée de terre à repenser son rôle, à occuper sa place dans le champ de la protection et de la sécurité. « Face à la dangerosité du quotidien », j'ai l'intime conviction que nous devrons faire face, avec une fréquence plus importante, à de nouvelles crises systémiques hybrides, en métropole ou outre-mer, de nature sécuritaire, climatique, technologique, sanitaire... Par ailleurs, dans l'hypothèse d'un engagement majeur des armées hors de nos frontières, l'armée de terre aura aussi à répondre simultanément au besoin de renforcement de la protection du sol national. Cette armée des territoires irrigue le sol national avec 550 implantations. Ce maillage est un atout essentiel. Cette résilience de la nation se forge en particulier par la jeunesse qui rejoint nos rangs d'active et de réserve. Celle-ci diffuse l'esprit de défense parmi nos concitoyens et instille progressivement ce que nous appelons les forces morales.

Sur le territoire national, pour répondre à l'imprévu, en adéquation avec la réalité des menaces et des risques, la résilience suppose des effectifs conséquents, incluant le recours aux entreprises privées et publiques, la redondance des moyens, une capacité d'action autonome en particulier en situation de chaos et l'organisation d'exercices interministériels réguliers entre l'État et les collectivités territoriales. Au-delà des ressources à consentir, des organisations à ajuster et de la sensibilisation de la population à renforcer, la résilience reste une volonté à entretenir.

L'audition se poursuit par un échange de questions et réponses entre le rapporteur et le général Patrick Poitou.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présent. - M. Thomas Gassilloud

Excusés. - M. Alexandre Freschi, Mme Anissa Khedher