Publié le 24 juillet 2018 par : Mme Dupont, Mme Mörch, Mme Bagarry, Mme Granjus, Mme Krimi, Mme Wonner, Mme Cariou, M. Clément, Mme Essayan, M. Gaillard, Mme Guerel, M. François-Michel Lambert, M. Nadot.
Supprimer cet article.
Le présent amendement vise à supprimer la création d'un fichier relatif aux ressortissants étrangers sollicitant les Conseils départementaux au titre de la protection de l'enfance.
Les auteurs de cet amendement partagent l'objectif poursuivi par la création d'un tel fichier qui vise à éviter les situations de réévaluations des mineurs non accompagnés par différents Conseils départementaux. Ces réévaluations nombreuses mènent à l'engorgement des dispositifs d'évaluation et d'accueil. Cette situation n'est aucunement souhaitable car elle ne permet pas un accueil effectif et digne des arrivants, et constitue un coût disproportionné à la charge des départements.
Cependant, ils considèrent que les mesures envisagées et la réalité de l'évaluation de minorité en France ne permettent pas, à l'heure actuelle, de mettre en place ce fichier tout en préservant les droits des jeunes en demande de protection. La création d'un tel fichier ne peut être pertinente et protectrice que dans le cadre d'une évaluation et d'un accueil harmonisés au niveau national.
En effet :
- Il existe actuellement entre les départements des différences considérables d'évaluation et d'accueil des personnes en demande. Selon la mission bipartite confiée à l'IGA, l'IGAS, l'IGJ et l'ADF sur les mineurs non accompagnés, la variation du taux de reconnaissance de la majorité entre départements variait en effet de 9 à 100 % au premier semestre 2017. Ce rapport précise que « le nombre et la durée des entretiens, le recours éventuel à l'interprétariat, la nature des investigations sur l'identité et le contrôle documentaire sont mis en œuvre de manière très variable, en dépit du cadre de référence défini par l'arrêté du 17 novembre 2016. Il en résulte une inégalité de traitement des jeunes et une contestation croissante des résultats de ces évaluations devant la justice, les jeunes pouvant saisir directement le juge des enfants en application de l'article 375 du code civil ». En l'absence d'harmonisation de ces pratiques, un tel fichier conduirait à institutionnaliser cette inégalité de traitement, sans possibilité pour un jeune de faire valoir ses droits au moyen d'une réévaluation.
- Le rapport remis en février 2018 par cette mission se prononce en faveur de la création d'un fichier. Il ne s'agit cependant pas d'un fichier d'une telle étendue. En effet, la préconisation porte sur un fichier relatif aux jeunes déjà évalués majeurs, sous réserve de certains « garde-fous », tels que le recueil du consentement de l'intéressé dans une langue qu'il comprend, l'utilisation du fichier uniquement en cas de fraude, ou encore l'effacement immédiat des données lorsque le demandeur est reconnu mineur. Aucune de ces limites n'est envisagée dans le dispositif proposé.
- Le Conseil d'Etat pointe, quant à lui, la difficulté de rendre opposable une décision administrative de non-reconnaissance de minorité qui peut être contestée. En effet, cette décision n'a de valeur définitive qu'à l'épuisement des voies de recours.
- La CNIL met en exergue, quant à elle, un bémol d'ordre technique : les empreintes digitales des mineurs sont en effet beaucoup moins stables que celles des majeurs.
La création d'un tel fichier, dont le coût est évalué à 5 millions d'euros, s'appuie sur un système à bout de souffle. Le parallèle avec le fichier « Eurodac », créé au niveau européen pour permettre le fonctionnement du règlement Dublin est inquiétant. Alors que le fichier « Eurodac » fonctionne, mais repose sur un système qui ne fonctionne pas, celui de Dublin, le risque est de voir le même écueil avec ce fichier national relatif aux ressortissants étrangers sollicitant les Conseils départementaux au titre de la protection de l'enfance. Cet outil, qui constituera un poids supplémentaire sur nos finances publiques, ne permettra pas de répondre au défi à relever.
Le déplacement des jeunes entre départements, contre lequel ce fichier entend lutter est, pour les auteurs de l'amendement, le fait d'un manque criant d'harmonisation des processus d'évaluation et d'accueil. En effet, les jeunes se déplacent pour tenter de faire reconnaître leur minorité et accéder à un hébergement et un accompagnement social effectif. Les signataires de cet amendement considèrent donc que c'est en harmonisant ces pratiques et en accueillant dignement les demandeurs que ce phénomène connaîtrait une baisse sensible. De même, la nomination d'un administrateur ad hoc, comme le préconise le Défenseur des droits, aux côtés du jeune pendant toute la durée de l'évaluation permettrait également de l'accompagner afin qu'il n'aille pas ouvrir une nouvelle procédure d'évaluation auprès d'un autre département. Enfin, la prise en charge pendant le recours, qui peut parfois être long, favoriserait le maintien du jeune dans le département.
Au regard de ces enjeux cruciaux, tant en termes d'humanité qu'en matière de finances publics, un travail parlementaire global pourrait venir compléter les préconisations du rapport bipartite de février 2018. Celui-ci pourrait prendre la forme d'une mission et permettrait de faire un état des lieux et de formuler des propositions sur l'évaluation de la minorité, les modalités d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement. Les auteurs du présent amendement rappellent par ailleurs leur opposition de principe à l'utilisation des tests osseux pour l'évaluation de la minorité.
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