Publié le 22 mai 2018 par : M. Abad.
L'article L. 420‑2 du code de commerce est ainsi modifié :
1° À la première phrase du second alinéa, après le mot : « concurrence, », sont insérés les mots : « à court ou à moyen terme, » ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Une situation de dépendance économique est caractérisée, au sens de l'alinéa précédent, dès lors que :
« – d'une part, la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risquerait de compromettre le maintien de son activité ;
« – d'autre part, le fournisseur ne dispose pas d'une solution de remplacement auxdites relations commerciales, susceptible d'être mise en œuvre dans un délai raisonnable. »
En introduction de leur rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2014‑344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, Mme Annick Le Loch et M. Philippe Armand Martin affirmaient : « notre impératif commun est que les prochaines négociations commerciales se déroulent dans un climat partenarial plus équilibré, juste et apaisé, profitable à tous. »
Force est de constater que cet impératif est resté un vœu pieux. À la dégradation du climat des négociations entre fournisseurs et distributeurs déjà observée en 2013, 2014 et 2015 a fait suite, lors des négociations pour l'année 2016, une nouvelle exacerbation des tensions. Le rapprochement des centrales d'achat et de référencement des principales enseignes de la grande distribution, intervenu à la fin de l'année 2014, a renforcé la « guerre des prix » qu'elles mènent entre elles depuis 2013, et les a placées dans une position encore plus forte dans les négociations les quatre plus grandes centrales d'achat concentrent aujourd'hui à elles seules 90 % du marché de l'approvisionnement de la grande distribution.
La France comptait 120 enseignes de grande distribution dans les années soixante-dix. Consécutivement à une pratique de concentration et d'alliances, elle n'en compte plus que 9 aujourd'hui. Ce phénomène touche toute l'Europe. Au Royaume-Uni, les « big four » monopolisent à eux seuls 72 % du marché. En Allemagne, les cinq entreprises leaders contrôlent 90 % du marché.
En année 2016, Les difficultés se sont doublées d'une crise agricole dans un grand nombre de filières, exposées à une chute dramatique de leurs prix à la vente, ayant conduit à des blocages de sites de la grande distribution, ainsi en février dernier en Bretagne et dans l'Ain.
Certes, le législateur n'est pas resté inerte face aux dangers que fait peser le déséquilibre des relations commerciales sur les perspectives de notre agriculture et de notre industrie agro-alimentaire. Mais cette forte activité législative n'a pas suffi à infléchir le cours des négociations commerciales, ni à mettre fin à la guerre des prix.
La pénurie de beurre en est une illustration : les éleveurs laitiers estiment que la responsabilité incombe à un problème de négociations commerciales entre industriels laitiers et distributeurs.
Dans une note conjoncturelle de juin 2017, le centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel) expliquait que « l'absence de certains produits en rayon est révélatrice de tensions entre certaines enseignes de la grande distribution et leurs fournisseurs ». « Dans un contexte de guerre des prix entre distributeurs, la majorité des centrales d'achats françaises refusent de procéder à des hausses tarifaires nécessaires. Le prix du beurre au consommateur a ainsi augmenté de 6 % entre août 2016 et août 2017 en France selon l'Insee, quand dans le même temps il a augmenté de 72 % en Allemagne », ajoutait le Cniel dans cette note.
Cet amendement reprend une recommandation de l'Autorité de la concurrence visant à mieux définir la notion d'« abus de dépendance économique ».
En effet, l'article 420‑2 du code de commerce interdit, dès lors que cela est « susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence », qu'une entreprise abuse « de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou un fournisseur ».
Figurant dans notre droit depuis l'ordonnance n° 86‑1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, l'abus de dépendance économique est, pourtant, sous-utilisé. L'article L. 420‑2 du code de commerce, où il figure aujourd'hui, a en effet été interprété de manière très restrictive par la jurisprudence.
Il en découle que la plupart des recours déposés sur son fondement sont aujourd'hui écartés par l'Autorité de la concurrence, en raison de la difficulté à établir un état de dépendance économique. Seuls quatre exemples d'abus sont mentionnés par l'article 420‑2 : « refus de vente », « ventes liées », « pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442‑6 » et « accords de gamme ».
En avril 2015, Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, faisait d'ailleurs le constat devant la commission des affaires économiques du Sénat : « Cette notion existe depuis 1986 mais est peu utilisée car ses conditions de reconnaissance sont trop contraignantes ! ».
Selon lui, même les producteurs qui écoulent 50 % de leur production dans une seule enseigne peuvent ne pas être reconnus en état de dépendance économique. Ainsi, préconisait-il d'en assouplir la définition pour que les fournisseurs soient protégés en cas de perte soudaine d'un client.
C'est pourquoi cet amendement vise à assouplir la définition législative de la situation de dépendance économique, en limitant sa caractérisation à deux critères : le risque que ferait peser sur le maintien de l'activité la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur, et l'absence de solution de remplacement à ces relations commerciales susceptible d'être mise en œuvre dans un délai raisonnable.
Il tend, en outre, à élargir à un horizon de moyen terme les effets sur le fonctionnement ou la structure de la concurrence que doit être susceptible d'avoir l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique pour être passible de sanctions.
Le dispositif constituerait un instrument puissant de rééquilibrage et, partant, de pacification des relations entre fournisseurs et distributeurs s'il pouvait être plus largement utilisé. De fait, si bien des fournisseurs se voient aujourd'hui contraints d'accepter les conditions défavorables qui leur sont proposées par la grande distribution, c'est bien parce que ces enseignes constituent, pour eux, des débouchés vitaux.
Ce texte a d'ores et déjà fait l'objet d'un large consensus. Il résulte directement d'une proposition de l'Autorité de la concurrence, et avait été adopté sous forme d'amendement par le Sénat lors de la première lecture du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. Dans la suite de la navette, cette disposition a été écartée, mais elle a été reprise dans le rapport sur l'avenir des filières d'élevage que j'ai présidé sous la XIVème législature, dont elle constitue la vingt-deuxième proposition.
Enfin, lors de son examen en commission des affaires économiques, puis en séance publique le 28 avril 2016, la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité, malgré le désaccord du Gouvernement, l'ensemble des députés considérant qu'il s'agissait d'un signal envoyé aux grands distributeurs pour qu'ils adoptent un comportement vertueux et cessent les pressions exercées à l'égard des fournisseurs. Malheureusement la proposition de loi n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Cet amendement est nécessaire car il permet de lutter efficacement contre le déséquilibre entre distributeurs et fournisseurs qui affecte à court et moyen terme la santé économique du secteur agroalimentaire.
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