Publié le 22 mai 2018 par : M. Morenas, Mme De Temmerman, M. Ardouin, M. Pichereau, M. Perrot, M. Grau, Mme Colboc, M. Molac.
L'article L. 420‑2 du code de commerce est ainsi modifié :
1° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « concurrence, », sont insérés les mots : « à court ou moyen terme, » ;
b) À la seconde phrase, après le mot : « liées, », sont insérés les mots : « en déréférencements, en des demandes de garanties au titre de la compensation de marge, ».
2° Il est complété par un troisième alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'une au moins des parties exploite un ou plusieurs magasins de commerce de détail, la situation de dépendance économique est caractérisée, au sens de l'alinéa précédent, dès lors que le fournisseur ne dispose pas d'une solution de remplacement auxdites relations commerciales susceptible d'être mise en œuvre dans un délai raisonnable. Cette situation est présumée dès lors que le fournisseur réalise une part de son chiffre d'affaires auprès du distributeur d'au moins 20 %. »
Dans son avis du 31 mars 2015, l'Autorité de la concurrence reconnaissait que les regroupements des enseignes de distribution intervenus à l'automne 2014 (Auchan et Système U, Intermarché et Casino, puis Carrefour et Cora) étaient susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence « quant à l'accroissement du déséquilibre entre distributeurs et fournisseurs ».
Les pratiques abusives des distributeurs relèvent de la relation bilatérale avec les fournisseurs, et à ce titre, sont sous le contrôle du ministre de l'économie et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargés de l'application du droit des pratiques restrictives visées au titre IV du livre IV du code de commerce. Elles peuvent toutefois affecter le bon fonctionnement ou la structure de la concurrence, auquel cas elles relèveraient de l'autorité de la concurrence et de l'abus de dépendance économique.
Cette notion juridique s'avère en l'état extrêmement difficile à caractériser, car il convient en premier lieu de démontrer l'état de dépendance, puis l'abus, et enfin l'affectation du marché. Or s'agissant du premier critère, quatre conditions cumulatives sont nécessaires selon la jurisprudence :
- l'importance de la part du chiffre d'affaires réalisé par le fournisseur avec le distributeur ;
- l'importance du distributeur dans la commercialisation des produits concernés ;
- l'absence de choix stratégique du fournisseur de concentrer ses ventes auprès du distributeur ;
- l'absence de solutions alternatives pour le fournisseur.
Dans son avis précité, l'Autorité reconnait que « ces critères ne sont pas toujours adaptés, ou sont insuffisants. En réalité, les pouvoirs de négociation respectifs des fournisseurs et des distributeurs dépendent largement des alternatives auxquelles ceux-ci pourraient recourir en cas d'échec éventuel de leurs négociations…l'analyse doit tenir compte des options de sortie respectives des parties » (considérant n° 244).
S'agissant du seuil, l'Autorité, si elle admet qu'il n'existe pas de seuil précis « dont le dépassement pourrait constituer un indice d'état de dépendance économique, souligne l'intérêt du « taux de menace », « au-delà duquel la survie d'un fabricant pourrait être remise en cause en cas de disparition de ce débouché, dans la mesure où cela conduirait, à plus ou moins brève échéance, le fournisseur vers une situation financière difficile, voire une faillite ».
Ce seuil, qui résulte de la décision de la Commission européenne (décision du 3 février 1999 Rewe/Meinl, repris dans la décision Carrefour-Promodes), permet d'établir qu'au-delà, « un producteur ne pouvait remplacer la perte d'un client sans subir des pertes financières considérables. Ce seuil est désormais référent en matière de concentration. Dans l'avis précité, l'Autorité estime que ce taux « serait en moyenne de 20 % » (considérant 253 de l'avis du 31 mars 2015).
L'amendement préconise la modification des critères d'application en deux points :
1. La survie de l'entreprise comme condition d'applicabilité
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale adopté le 28 avril 2016 conditionne l'applicabilité de l'abus de dépendance économique à la survie de l'entreprise qui en est victime. Cette exigence rend l'utilisation de la notion extrêmement délicate, pour au moins deux raisons majeures :
1° En dehors des quelques cas, dans lesquels il sera aisé de démontrer comptablement que la perte d'un client entraîne la disparition inéluctable de la victime de l'abus, l'établissement de cette exigence que constitue le risque de disparition de l'entreprise peut générer des argumentations comptables et financières qui entraineraient les contentieux dans des querelles de chiffres et d'experts, et rendrait malaisée la caractérisation exigée par la loi, et donc l'application de la notion malaisée.
2° En réalité, l'état de dépendance existe quand bien même la conséquence d'un tel refus n'est pas la disparition de l'entreprise. Ainsi, l'analyse de la jurisprudence en matière de pratiques illicites listées à l'article L. 442.6 du code de commerce (déséquilibre significatif, menaces de déréférencement, avantage sans contrepartie) montre que les victimes sont aussi bien des PME que les fabricants de grandes marques. Or, ce sont bien ces pratiques contre lesquelles le législateur souhaite lutter, en dotant l'Autorité de la concurrence d'un outil adapté à cette fin (cf. avis du 31 mars 2015). Ces pratiques, abusives en soi, concernent tous les fournisseurs, quelle que soit leur taille. Les grandes entreprises commercialisant des marques n'ont en effet pas d'options de sortie en dehors des quatre centrales d'achat qui représentent plus de 90 % des débouchés. Si leur disparition à court ou moyen terme n'est pas la conséquence de l'abus de dépendance dont elles sont tout autant victimes que les PME, ces abus ont bien un effet anti concurrentiel sur le marché, en affectant directement leur capacité à investir et à innover et in fine l'offre de produits, au détriment du consommateur, comme en a convenu l'Autorité de la concurrence dans son avis précité. Exiger une telle conséquence revient à restreindre considérablement les possibilités de sanctionner des pratiques qui n'ont pas forcément pour effet cette conséquence extrême.
2. L'introduction d'un seuil légal de dépendance pour le secteur de la grande distribution
Pour éviter tout effet pervers et cantonner strictement cette disposition aux relations entre fournisseurs et distributeurs de la grande distribution à dominante alimentaire, il convient d'en préciser le champ d'application, par analogie avec les dispositions de l'article L. 430‑2 du code de commerce, qui prévoit des seuils de concentration spécifiques en cas d'opérations concernant « deux au moins des parties exploitant un ou plusieurs magasins de détail ».
Par ailleurs, il convient d'instaurer une présomption simple de dépendance, à partir d'un taux de pourcentage de chiffre d'affaires réalisé par le fournisseur avec le distributeur. Ceci permettrait d'éviter, dans le secteur du commerce de détail (grande distribution), l'écueil de la démonstration par le biais des critères habituels, de l'état de dépendance, avant de passer à la démonstration d'un abus.
Ce taux doit être défini sur la base du taux de menace, défini par la Commission européenne et qui constitue une présomption de dépendance dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par les fournisseurs avec un distributeur dépasse un certain seuil. Celui retenu en 2000 par la Commission européenne était de 22 %, et correspondait à la moyenne des réponses obtenues de la part des fournisseurs. Or les options de sorties à l'époque étaient plus nombreuses qu'aujourd'hui : de sept en 2001, elles ne sont plus que quatre à l'heure actuelle. Un raisonnement purement arithmétique, par comparaison entre le nombre de points de débouchés, constitué par le nombre d'enseignes de la grande distribution, et le taux de menace, permet de constater qu'en 2018, ce taux serait de l'ordre de 12,5 %. Il convient toutefois d'instaurer un taux plus adapté à la réalité économique à la structure du marché estimé à 20 %.
Les récentes annonces de modification de structures des alliances (cf. le communiqué de presse du Groupe Casino annonçant la fin de son partenariat avec Intermarché et son rapprochement avec le groupe Auchan) rendent d'autant plus crucial la nécessité de doter l'Autorité de la concurrence d'un outil juridique efficace, qu'elle a elle-même appelé de ses vœux dans le cadre des conclusions de son avis du 31 mars 2015.
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