Publié le 24 juin 2021 par : M. Chouat, M. Lauzzana, M. Moreau, Mme Bergé, M. Blein, Mme Tanguy, M. Kasbarian, Mme Beaudouin-Hubiere, Mme Lang, Mme Genetet, Mme Rist, Mme Rossi, M. Jolivet, M. Freschi, Mme Françoise Dumas, M. Henriet, M. Cormier-Bouligeon.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
« Le dernier alinéa de l’article L. 52‑3 du code électoral est complété par les mots : « , à l’exception des emblèmes à caractère confessionnel. ».
Cet amendement vise à interdire l'utilisation d'emblèmes à caractère confessionnel sur les bulletins de vote.
1° Pourquoi faut-il légiférer sur la neutralité religieuse des campagnes électorales ?
Depuis que la laïcité s’est ancrée dans la République française, une tradition républicaine a, jusqu’à maintenant, fait un consensus quasi unanime dans les forces politiques qui concourent devant le suffrage universel, y compris celles qui se réclament de leurs racines religieuses : c’est le refus que soit utilisé quelque signe religieux que ce soit à des fins de propagande électorale.
Jusqu’il y a quelques années, chaque formation politique veillait en son sein au respect de ce principe conforme aux grandes lois de 1905 de séparation des Églises et de l’État et de sa non reconnaissance des cultes, tout en assurant la liberté de croyance et de conscience. Plusieurs alertes avaient pourtant amené des personnalités politiques à rappeler cette permanence de la vie démocratique, telle que Madame Martine Aubry qui estimait que « [l’annonce] d’une religion doit rester du domaine privé et (…) ne doit pas rentrer dans le champ de la République car, lorsque vous êtes élus de la République, vous représentez tout le monde (…) ».
S’il devient nécessaire de légiférer, comme l’a fait le Sénat en première lecture de ce projet de loi, c’est parce que l’élection au suffrage universel n’est plus à l’abri de visées séparatistes qui détournent le principe absolu de liberté d’opinion et de conscience pour instiller dans le fondement de notre démocratie représentative le poison du communautarisme électoral. Quel que soit l’esprit républicain de responsabilité dont font preuve les partis politiques, ils ne peuvent pas, à eux seuls, garantir que l’acte électoral demeure à l’abri de toute revendication religieuse alors même que l’exercice du mandat électif auquel concourt un candidat ou une liste l’obligera à la neutralité.
2° Comment concilier par la loi le principe constitutionnel de liberté d’opinion et de conscience et celui de même valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public ? En étendant à la neutralité religieuse pendant l’acte électoral ce qui est en vigueur pour l’usage de l’emblème national.
Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, il importe de concilier le principe de liberté de conscience, garanti par l’article 10 de la Déclaration de 1789, et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, que ce même article encadre en disposant que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ».
Dès lors, rien ne fait obstacle à ce que le législateur, dans un souci de prévention des atteintes à l’ordre public, circonscrive, pour la partie législative du code électoral, les conditions applicables aux candidats en matière de propagande électorale.
Cela est d’autant plus vrai que la Constitution du 4 octobre 1958 dispose, au 2° de l’article 3, qu’« aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale ».
C’est dans cette logique que le législateur, puis le Conseil d’État, ont résolu la question de l’utilisation de l’emblème national dans la propagande électorale et sur les bulletins de vote. L’utilisation de l’emblème national, défini au 2° de l’article 2 de la Constitution comme le « drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge » ; et la juxtaposition des trois couleurs précitées, sont, pour ce qui concerne le matériel électoral (affiches et circulaires), strictement interdites par l’article R.27 du Code électoral, si elles sont de nature à « entretenir la confusion avec l’emblème national, à l'exception de la reproduction de l'emblème d'un parti ou groupement politique ». De la même façon, l’article R.30 dispose que les « bulletins doivent être imprimés en une seule couleur sur papier blanc ».
Le Conseil d’État a, de façon récurrente, conforté ces dispositions ; y compris très récemment dans des arrêts n°446633 du 14 avril 2021, mentionné aux tables du recueil Lebon, et n°442678 du 19 mai 2021.
Pourquoi ce qui est vrai pour l’emblème national serait faux pour un emblème ou un signe religieux ostensible ? De la même façon que l’utilisation de l’emblème national peut altérer la sincérité d’un scrutin, celle de signes confessionnels, en tant qu’elle participe à l’éclatement de la souveraineté nationale par et pour une section du peuple à des fins ethniques ou religieuses, soulève, non seulement un problème de conformité à l’article 3 de la Constitution, mais est de nature à troubler le maintien de l’ordre public.
En se réclamant d’une appartenance confessionnelle, un candidat ou une liste renonce à représenter la nation dans son ensemble et contrevient au principe de souveraineté nationale inscrit à l’article 3 de la Constitution.
Il appartient, en conséquence, au législateur de prévenir ces atteintes à l’ordre public en garantissant qu’au cours de la campagne électorale, comme dans les mois qui l’ont précédée, la propagande s’effectue dans le respect des symboles de la République, entendus au sens de l’article 2 de la Constitution, en dehors de toute revendication fondée sur l’origine ethnique ou l’appartenance religieuse du candidat.
Il assure ainsi que le candidat entend représenter la nation dans son ensemble, comme l’y astreint la Constitution, et sans pour autant que cela ne nuise à ses libertés d’opinion et de religion que les articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789 garantissent ; ni à sa liberté d’expression, telle qu’elle est affirmée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule, en outre, en son 2°, que l’exercice de cette liberté peut être « soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique » ou encore « à la défense de l'ordre ».
Cet amendement permet donc de garantir la liberté d’expression des candidats, qui doit demeurer un droit fondamental, et d’assurer une juste conciliation entre, d’une part, le libre exercice de la liberté d’expression et de candidature, et, d’autre part, leur encadrement pour des motifs d’ordre public, comme la Constitution et la Convention le prévoient.
Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cet amendement.