Intervention de Adrien Quatennens

Séance en hémicycle du mardi 28 septembre 2021 à 15h00
Ratification de l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Commander un repas apporté par un livreur – à vélo, désormais – ou commander une course à un chauffeur de VTC, cela paraît anodin ; c'est pratique. La demande ne manque pas, mais combien parmi ceux qui commandent sont véritablement au courant de la vie que mènent celles et ceux qui leur rendent ce service ? Combien savent qu'ils ne bénéficient ni des congés payés, ni d'aucune protection sociale, et que le droit du travail ne leur bénéficie pas ?

Évidemment, le modèle des plateformes va s'étendre à bon nombre de secteurs d'activité ; c'est déjà le cas. Et vous allez encourager l'expansion de ce modèle économique particulier à d'autres services.

Le succès des plateformes repose sur un avantage concurrentiel totalement déloyal, le non-versement de cotisations sociales, en raison du recours à des indépendants qui n'en sont pas – j'y reviendrai. Cela permet des économies substantielles par rapport aux taxis ou aux autres entreprises traditionnelles de livraison. La stratégie des plateformes est connue : casser les prix, quitte à perdre de l'argent pour évincer la concurrence, avant d'atteindre la rentabilité grâce à une position hyperdominante.

La Cour de cassation a confirmé le 4 mars 2020 la décision de la Cour d'appel de Paris du 10 janvier 2019, estimant que le lien qui unissait un chauffeur de la compagnie Uber à celle-ci était bien un contrat de travail, et actant l'existence d'un lien de subordination entre les deux lors de la connexion à la plateforme numérique, car c'est bien d'un travail subordonné qu'il s'agit.

Or, en construisant avec ce projet de loi un cadre spécifique pour cette activité, le Gouvernement entérine le fonctionnement actuel des plateformes et institutionnalise l'ubérisation qu'il appelle de ses vœux. Bien sûr, vous appelez à des élections nationales par vote électronique et à des garanties pour les personnes élues. En apparence, cela semble représenter une avancée pour les indépendants. En réalité, vous créez un précariat massif qui ouvre une brèche dangereuse, avec, à terme, l'instauration d'un statut tiers d'indépendant avec certains droits et protections liés au salariat, à rebours du modèle de salariat stable.

Les positions des plateformes sont connues ; elles sont extrêmement favorables à votre texte de loi. Elles se sont d'ailleurs déclarées satisfaites, alors que tout indique que le passage au salariat est la meilleure des solutions et qu'il n'a été écarté que par pure idéologie.

Vous objectez que les travailleurs des plateformes ne souhaitent surtout pas le salariat. La vérité est que l'on confond souvent celles et ceux qui complètent leurs revenus par le recours à des plateformes et celles et ceux qui sont exclus de l'emploi et en sont entièrement dépendants. Or beaucoup de ces derniers voudraient bénéficier des mêmes droits que ceux des salariés, mais vous ne le souhaitez pas. C'est pourtant une situation de dépendance, de fragilité économique.

Vos choix vont à rebours de la tendance qui se manifeste ailleurs en Europe. Des décisions importantes ont été prises dans plusieurs pays comme le Royaume-Uni, la Suisse et les Pays-Bas. L'Espagne est allée plus loin encore, en introduisant la présomption salariale pour les livreurs à vélo, après concertation avec les partenaires sociaux. Les plateformes ont ainsi été obligées de salarier leurs travailleurs avant le 12 août 2021.

Votre choix, c'est d'entériner l'acceptation d'une concurrence déloyale. Les modalités concrètes du dialogue social sont renvoyées une nouvelle fois à des ordonnances – qui nous rappellent celles prises aux premières heures du quinquennat, sur le code du travail – et nuisent à la précision de notre appréciation.

Surtout, alors que vous avez mené campagne il y a quelque temps sur l'« Europe qui protège », vous contredisez ici entièrement la décision prise la semaine dernière au Parlement européen – le présent texte est ainsi une sorte de diversion après l'échec cuisant que celle-ci représente.

Oui, grâce à de nombreux parlementaires, dont ma collègue la députée européenne Leïla Chaibi, nous avons permis que le Parlement européen reconnaisse officiellement le caractère trompeur du statut d'indépendant des chauffeurs Uber. Ainsi d'un côté y a-t-il celles et ceux qui souhaitent que les travailleurs aient accès aux congés payés, à la protection sociale et au droit du travail – le Parlement européen, de nombreux juges et les syndicats mobilisés depuis tant d'années sur cette question – ; de l'autre côté, il n'y a que vous, Uber et M. Macron, qui n'avez qu'un mot à la bouche : avoir le beurre et l'argent d'Uber.

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