La confiance dans l'institution judiciaire est au plus bas. Un sondage du CEVIPOF montre que moins d'un Français sur deux a confiance dans la justice. Pourquoi une telle défiance ?
Si nous partageons pleinement l'objectif de renforcer la confiance des citoyens dans la justice, il ne faudrait pas, en écho, que cela accroisse la défiance vis-à-vis des professionnels de la justice, malheureusement trop souvent entendue et coupablement entretenue – d'une part, par certains élus qui sont à la remorque de l'opinion et qui, dans une surenchère permanente, surtout à l'approche d'échéances électorales, préfèrent la démagogie à la pédagogie et ne cessent de vouloir légiférer, et, d'autre part, par les médias qui révèlent chaque jour de nouveaux experts dont les compétences et la lucidité n'éclairent que les plateaux.
La succession de réformes, ces dernières années, a déstabilisé l'institution judiciaire. Les magistrats sont seuls et de plus en plus surchargés, sans disposer de plus de temps pour assimiler les réformes précédentes. Le Gouvernement avait pourtant annoncé une seule grande réforme de la justice pour le quinquennat. Il est lui aussi tombé dans le piège de l'émotion législative. Les mesures proposées dans ce projet de loi sont très diverses : dès lors, on ne s'étonnera pas de son manque de cohérence globale qui le rend parfois contradictoire.
Je ne citerai que deux exemples pour le démontrer.
Vous prenez des mesures pour réduire la détention provisoire de façon à désengorger les prisons et, en même temps, la réforme des crédits de réduction de peine risque d'augmenter considérablement la durée de détention des détenus. Second exemple : vous souhaitez renforcer l'importance des jurys populaires dans les cours d'assises et, en même temps, vous généralisez les cours criminelles départementales qui font disparaître ces mêmes jurys de citoyens.
Dans le détail, le groupe Libertés et territoires accueille néanmoins positivement une grande partie des dispositions. Nous sommes ainsi favorables aux mesures visant à limiter la durée de l'enquête préliminaire à deux ans, alors que 95 % des justiciables déplorent une justice trop lente. Raccourcissons encore ce délai à un an renouvelable, ce qui serait plus en phase avec les durées observées.
Nous soutenons en outre les mesures visant à renforcer le secret de la défense, que nous avons contribué à améliorer en commission, et celles visant à ouvrir l'enquête au contradictoire – nous proposerons des amendements pour en accroître les garanties.
Favoriser le recours aux mesures alternatives à l'incarcération en détention provisoire va également dans le bon sens, bien que cela reste trop timoré.
Enfin, nous nous félicitons de la création d'un vrai contrat de travail et de l'ouverture de droits sociaux pour les détenus, ce qui met fin à une scandaleuse anomalie que j'ai pu observer lors de mes nombreuses visites de prisons.
Nous sommes toutefois bien plus mesurés pour ce qui est de certaines dispositions. Si nous saluons les efforts d'encadrement votés en commission concernant l'enregistrement et la diffusion des audiences, notamment en l'accompagnant d'explications pédagogiques, nous sommes inquiets du risque que cette mesure ouvre la voie à une justice spectacle. Des mécanismes sont déjà prévus pour retransmettre les grands procès historiques mais nous comprenons mal ce qu'apporterait la diffusion d'audiences anodines. Je crains pour ma part que la pédagogie supposée ne se transforme en procès médiatisé avec les dérives que l'on imagine.
Le texte prévoit par ailleurs la généralisation des cours criminelles départementales, alors même que l'expérimentation lancée en 2019 n'est pas terminée et que l'évaluation prévue n'a pas été remise. Pourquoi donc ne pas attendre la fin de l'expérimentation, d'autant plus que, monsieur le ministre, vous n'étiez à l'origine pas très enthousiaste, si je me souviens de vos déclarations de juin 2020 ?