L'expérimentation de la cour criminelle départementale a été votée en 2019, au moment de la LPJ. Je l'ai dit en commission : si cela n'avait pas été une expérimentation, je ne suis pas certain que j'aurais voté en sa faveur, parce que je suis viscéralement attaché à la cour d'assises, comme beaucoup d'entre vous, en particulier les praticiens. J'ai toujours dit que je ne serai pas le fossoyeur de la cour d'assises.
L'expérimentation a été lancée pour essayer de surmonter une difficulté. La situation des cours d'assises est la suivante : treize mois de stock d'affaires et jusqu'à quarante mois de délai pour qu'une affaire soit audiencée. Pendant ce temps, les détentions provisoires sont très longues pour ceux qui sont présumés innocents et les victimes demeurent dans l'attente d'un jugement qui les reconnaîtra dans leur statut de victimes. Parfois, des dossiers qui mériteraient de passer en cour d'assises sont réorientés, par le biais de la correctionnalisation, vers des tribunaux correctionnels parce que c'est plus rapide. Il s'agit très souvent d'affaires de viols. Voilà la situation à laquelle nous avons essayé d'apporter une solution.
L'expérimentation n'est pas aboutie. Factuellement, c'est vrai : nous ne sommes pas arrivés au terme des trois années prévues. M. Brindeau a bien identifié la difficulté : nous avons aujourd'hui un véhicule législatif ; si nous ne prenons pas de décision dans ce cadre, dans un an nous ne pourrons plus orienter les dossiers sortant de l'instruction vers la cour criminelle départementale. Il faut donc trouver une solution d'ici là. Si la cour criminelle départementale est une bonne chose, il faut d'ores et déjà la pérenniser ; sinon, à moins de prolonger l'expérimentation, nous nous retrouverons en difficulté. Il arrive souvent que des expérimentations soient prolongées, mais dans le cas présent, il s'agirait de prolonger, à moyen voire à long terme, une situation qui n'est pas très satisfaisante, puisque pour des faits criminels similaires, nous avons sur le territoire deux traitements judiciaires différents. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de poursuivre trop longtemps cette expérimentation qui traite différemment des gens en fonction du lieu où le crime a été commis.
Avec ce texte, nous souhaitons pérenniser la cour criminelle départementale. Nous ne le faisons pas au doigt mouillé, mais sur la base de plusieurs évaluations. J'ai réalisé l'une d'entre elles, en tant que rapporteur d'une mission flash ; j'étais accompagné par Antoine Savignat. Celui-ci pourra s'exprimer à ce sujet, mais il est intéressant de le citer, parce qu'il était farouchement hostile à la cour criminelle départementale lors de l'examen de la LPJ. Après avoir auditionné les acteurs de ces procès dans le cadre de cette mission, il peut désormais dire très objectivement que c'est une procédure pertinente, que cette juridiction a trouvé sa place et qu'elle a vocation à être pérennisée.
Madame Untermaier, monsieur Bernalicis, je reconnais qu'avec Antoine Savignat, nous n'avons pas auditionné tous les avocats ni tous les magistrats de France. Mais nous avons auditionné des avocats qui ont plaidé devant une cour criminelle départementale et des magistrats qui y ont siégé, ce qui me paraît intéressant. J'entends les critiques sur le système que nous voulons pérenniser, mais elles émanent parfois de gens qui n'ont jamais mis les pieds ni siégé dans une cour criminelle départementale. Les a priori sont légitimes, parce qu'on peut être, par principe, viscéralement attaché aux jurys populaires ; mais nous avons essayé de nous forger une conviction à partir de ceux qui ont vécu l'expérience et qui font vivre les cours criminelles départementales. Nous avons même été plus loin que les auditions : nous nous sommes immergés dans des procès de cour criminelle départementale, sur le banc. Nous avons pu voir comment l'accusé et la victime étaient traités, comment le président faisait vivre l'audience et comment les avocats pouvaient assister au mieux leurs clients. Nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas une justice au rabais. Ce n'est pas un super-tribunal correctionnel ni une sous-cour d'assises, mais une juridiction à part entière, qui traite des crimes dans un cadre convenu et solennel, en prenant le temps de juger de manière très qualitative.
Avec Antoine Savignat, nous avons noté les bonnes pratiques et les différents points à pérenniser dans le cadre de ce projet de loi. Nous avons fait voter en commission deux principes auxquels nous sommes très attachés pour conserver la qualité de la justice rendue par les cours criminelles départementales. Premièrement, l'oralité des débats. La cour d'assises est un lieu où se tiennent des débats, dans un cadre où l'oralité est le principe. Il faut conserver ce principe devant les cours criminelles départementales, c'est le gage d'une bonne qualité de justice. Nous l'avons inscrit dans le projet de loi : le principe de l'oralité des débats y sera de mise.
Deuxièmement, si l'oralité des débats vit en pratique devant les cours criminelles départementales, c'est parce qu'elles sont présidées par des présidents de cours d'assises. Ces derniers doivent continuer à les présider – c'est là aussi un gage de bonne justice. Voilà ce que nous avons voté en commission.
Je vous ai présenté le bilan qu'Antoine Savignat et moi-même avons tiré de cette expérimentation. Il figure dans notre rapport, sur la base duquel nous avons déposé des amendements et amélioré le texte proposé par le Gouvernement. Le rapport Getti recoupe nos conclusions à 90 %. M. Jean-Pierre Getti n'est pas n'importe qui : c'est un grand président de cour d'assises, désormais magistrat honoraire, rompu à la procédure pénale, aux procédures criminelles et à la cour d'assises. Dans son rapport, il dit avec d'autres professionnels du droit que la cour criminelle départementale fonctionne, rend une justice de très bonne qualité, et présente un intérêt par rapport aux objectifs qui lui ont été assignés.
Les services de la Chancellerie viennent également de publier un rapport, établi par Mme Anne-Marie Gallen, désormais accessible sur le site du ministère de la justice. Ses conclusions sont identiques : les cours criminelles départementales rendent une justice de qualité, efficace dans le service rendu à nos concitoyens. Dans son rapport, Mme Gallen indique que les délais de jugement devant les cours criminelles départementales sont de dix mois, alors qu'ils sont deux à trois fois plus longs devant la cour d'assises ; ce seul point constitue un critère qualitatif que nous devons prendre en considération. Être jugé en dix mois, alors qu'on l'était en vingt, voire trente, devant la cour d'assises, c'est essentiel, pour l'accusé comme pour la victime.
Je ne sais pas si « taux de satisfaction » est le vocable adéquat, mais le taux d'appel des arrêts rendus par la cour d'assises est de 32 %, alors que celui des arrêts rendus par une cour criminelle départementale est de 21 %. C'est un élément important qui doit être pris en considération dans notre analyse de ce texte.
Voilà les explications que je voulais vous fournir. La cour d'assises continuera à exister ; elle reste la juridiction des crimes les plus graves, pour lesquels les peines encourues dépassent vingt ans de réclusion criminelle. Lorsqu'il y aura appel d'une décision rendue par une cour criminelle départementale en première instance, c'est la cour d'assises qui l'examinera. Avec le dispositif présenté par le garde des sceaux, relatif à la majorité qualifiée requise pour prononcer la culpabilité entraînant une condamnation pour celui qui comparaît devant la cour d'assises, désormais fixée à sept au lieu de six, on voit bien la volonté d'affirmer encore plus ce que doivent être la cour d'assises et l'expression de la souveraineté populaire.