Les faits peuvent être têtus et, s'il y a nécessité d'instaurer un état d'urgence, une sortie d'état d'urgence, ou bien de mettre en œuvre un passe sanitaire ou des moyens particuliers, nous sommes prêts à vous suivre ! Mais à condition qu'il y a un vrai débat et pas simplement la remise d'un rapport dont on nous fait l'aumône quinze jours avant notre départ. On nous fait également l'aumône d'une possibilité – oui, une simple possibilité ! – d'organiser, le cas échéant, un débat en commission ou en séance publique. Tout cela est très limité, et un tel débat aurait lieu juste avant que nous nous séparions : il n'est pas question d'un vrai vote, de vrais engagements démocratiques et parlementaires.
Vous évoquez la clause de revoyure en soulignant que nous nous retrouvons pour la dixième ou onzième fois autour de ces sujets, madame la présidente de la commission. Il est vrai que nous avons eu plusieurs fois des débats sur l'état d'urgence, la sortie d'état d'urgence, le passe sanitaire – j'en passe et des meilleures. Mais, chaque fois, et depuis le début, c'est sous la contrainte des événements que la décision s'est imposée. Avec Sacha Houlié, majorité et opposition réunies, nous avons même fait une proposition de rapport, c'est-à-dire une clause de revoyure tous les trois mois. Ce n'est quand même pas sorcier de se retrouver une fois par trimestre pour un débat démocratique sur un sujet qui concerne l'ensemble de nos concitoyens ! Pourtant, chaque fois, cela nous est refusé. C'est de nouveau le cas aujourd'hui : il n'est pas question de trois mois, mais de dix ! Ce n'est pas acceptable, je vous le dis très sincèrement.
Le contexte de changement de législature l'impose, nous explique notre collègue Pont. Mais je vous le redis les yeux dans les yeux, mon cher collègue : vous êtes rapporteur et nous sommes tous députés pour quelque temps encore, et je suis prêt à vous retrouver une nouvelle fois au mois de février ou au mois de mars ! C'est devenu un tel bonheur de pouvoir échanger avec vous, monsieur le rapporteur, mais aussi avec M. le ministre, qui prête comme toujours beaucoup d'attention aux propos que nous tenons et qui s'ennuie – pour ne pas employer un terme plus direct – chaque fois qu'il doit discuter et débattre avec la représentation nationale ! En réalité, le seul terme que vous avez en bouche depuis plusieurs mois, c'est : proroger, proroger, proroger et proroger ! Eh bien oui, prorogeons s'il en est besoin, mais en faisant attention et en tenant compte de la réalité des territoires.
J'en viens au sujet de la territorialisation, demandée par nombre d'entre nous depuis de longs mois et à laquelle un amendement de Pacôme Rupin aurait pu permettre d'aboutir partiellement. Mais c'était sans doute un mirage. L'amendement, intéressant et cohérent, permettait d'éviter de ne voir qu'une tête, autrement dit l'uniformité des décisions, l'épidémie de covid n'étant elle-même pas uniforme sur l'ensemble du territoire. Mais c'était trop simple : la majorité, le rapporteur l'a dit il y a quelques instants, vient de déposer un nouvel amendement qui ajoute tellement de conditions, en plus du taux d'incidence, qu'il siphonne totalement celui de Pacôme Rupin.
Il n'y aura donc pas de territorialisation, si ce n'est peut-être pour un ou deux territoires, en particulier ultramarins. Si votre département – la Manche, par exemple – a un taux d'incidence de 9,7 pour 100 000, on vous dira qu'il y a encore beaucoup de risques car on ne sait pas ce qui peut se passer dans les hôpitaux ! Et puis, comme le disait le ministre, il est inutile de discuter puisque c'est comme ça jusqu'au 31 juillet ! Un taux d'incidence de 9,7 n'empêchera donc ni les couvre-feux, ni le passe sanitaire : dans le département de la Manche comme dans d'autres, l'approche restera nationale.
Il y a quand même là une forme de duplicité : vous dites vouloir vous en remettre aux territoires, travailler en toute confiance avec les élus locaux, mais dans les faits, dès qu'il faudrait adopter une perspective plus girondine que jacobine, nous ne vous trouvons pas au rendez-vous. Ce double langage est franchement désagréable, déplaisant. Il n'est ni juste ni bon d'y persister.
Tout cela nous conduit à vous proposer une motion de rejet préalable, contrairement à notre habitude. C'est dire l'état d'exaspération dans lequel nous sommes : jusqu'à présent, le groupe Les Républicains a rejeté les motions similaires, estimant que le Parlement devait pouvoir s'exprimer, que certaines mesures devaient être soumises à son examen. Or, si nous délibérons aujourd'hui et qu'une majorité d'entre nous soutient ce texte, ce n'est pas une clé que nous confierons au Gouvernement jusqu'au mois de juillet, mais l'intégralité du trousseau ! Ce n'est pas acceptable.
Il faut que le Gouvernement puisse travailler, que des mesures soient prises, que nos concitoyens soient protégés ; pour autant, un vrai débat régulier constitue l'essence de la démocratie. Ce n'est pas seulement le passe sanitaire qui est en jeu, ni même l'équilibre entre libertés individuelles et collectives : c'est la dimension démocratique du débat que nous devons avoir. Moins vous l'acceptez dans cette enceinte, plus s'accroît le risque qu'il se fasse jour dans la rue, que la violence s'y invite, que des manifestants en profitent pour le manipuler. Ce n'est pas ce que nous voulons : le parti Les Républicains est un parti de gouvernement. Nous avons toujours assumé nos responsabilités ; nous continuerons à le faire, mais par pitié, respectez les institutions, la voix du peuple et celle de la représentation nationale !