Intervention de Patrick Mignola

Séance en hémicycle du mercredi 19 janvier 2022 à 15h00
Aménagement du rhône — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Le moment est singulier : le texte sur lequel nous nous apprêtons à voter vise à modifier une loi vieille de près d'un siècle qui, adoptée en 1921 à l'initiative d'élus rhodaniens, avait fixé les grandes lignes de l'aménagement du Rhône.

Le Rhône est constitutif de l'identité de notre pays : troisième fleuve français par sa longueur, deuxième par son débit, il est jalonné de dix-neuf ouvrages hydroélectriques, de quatorze écluses à grand gabarit et de vingt-deux sites industriels et portuaires. Il se démarque par un modèle de gestion unique, puisqu'il fait l'objet d'une concession, accordée par l'État en 1933 à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui s'acquitte à ce titre d'une triple mission en gérant à la fois l'utilisation de la puissance hydraulique, la navigation sur le fleuve et les usages agricoles du Rhône, parmi lesquels figurent l'irrigation et l'assainissement. Or cette concession octroyée pour soixante-quinze ans et dont la durée a commencé à courir en 1948 – date de la mise en service du barrage de Génissiat – arrivera à échéance le 31 décembre 2023. La présente proposition de loi vise à la prolonger jusqu'au 31 décembre 2041, tout en lui insufflant une nouvelle dynamique par la mise à jour du cahier des charges et du schéma directeur qui lui sont associés.

Je tiens à remercier tous ceux d'entre vous qui ont contribué à la réussite de ce texte. Fait suffisamment rare pour être souligné, ce dernier est en effet cosigné par de nombreux membres de l'Assemblée, issus des rangs de six des neuf groupes politiques qui la composent, et a été unanimement soutenu lors de son examen en commission. Je salue aussi l'esprit de responsabilité dont chacun a fait preuve lors de l'examen du texte.

Celui-ci est le fruit d'un processus de concertation particulièrement nourri. Les échanges entre l'État et le concessionnaire sur la prolongation de la concession ont débuté dès 2013. Puis s'en est suivie, à partir de 2019, une succession d'étapes de concertation : concertation avec garant donnant lieu à une réponse et à des engagements de l'État, débat post-concertation organisé avec ce même garant, avis de l'Autorité environnementale, soumission du dossier à la participation du public et consultation administrative menée par M. le préfet du Rhône. C'est peu dire, donc, que toutes les parties prenantes ont été associées et entendues au cours de l'élaboration du cahier des charges général et du schéma directeur annexés à la proposition de loi.

Notre assemblée a su préserver les équilibres ainsi atteints lors de l'examen du texte en commission : nous y avons mené un débat de qualité, tout en n'adoptant que deux amendements, d'ordre rédactionnel, sur les sept qui avaient été déposés. La procédure de législation en commission, qui est allée jusqu'à son terme, nous permet aujourd'hui d'engager une discussion en séance, mais sans nouveaux dépôts d'amendements : conformément à l'article 107-3 de notre règlement, seuls les amendements de coordination ou visant à corriger une erreur matérielle ou à assurer le respect de la Constitution étaient recevables en séance.

J'en viens à la présentation des dispositions de la proposition de loi. Son premier objectif consiste à prolonger la concession octroyée à la CNR jusqu'en 2041, soit pour dix-huit années supplémentaires. Le droit européen de la commande publique aurait théoriquement imposé une remise en concurrence de la concession à l'échéance des soixante-quinze ans initialement prévus, c'est-à-dire en 2023. Mais l'histoire particulière de cette concession justifie sa prolongation sans remise en concurrence. En effet, à l'issue de la seconde guerre mondiale, il s'est révélé nécessaire de nationaliser la production d'électricité, pour faire face aux besoins croissants en la matière. Tel était l'objet de la loi du 8 janvier 1946, qui a confié cette production à EDF. Dès lors, entre 1948 et 2006, ce n'est pas la CNR, mais bien l'opérateur historique qui a exploité les ouvrages sur le Rhône, ce qui représente une période de dérogation au régime normal de la concession de près de soixante ans.

Ce sont de telles circonstances, imprévisibles, qui justifient la prolongation de la concession à la CNR. La nouvelle date d'échéance de la concession, fixée au 31 décembre 2041, a été choisie afin que la durée moyenne d'exploitation des dix-neuf ouvrages hydroélectriques du fleuve s'établisse à soixante-quinze ans. La validité juridique de cette prolongation a été confirmée par la réception, en octobre 2020, d'une lettre dite de confort dans laquelle la Commission européenne assure à la France que la prolongation de la concession ne serait pas constitutive d'une aide d'État au sens du droit européen, en raison de sa neutralité financière. Celle-ci est assurée, d'une part, par la réalisation d'un programme de travaux supplémentaires par le concessionnaire ; d'autre part, par la modification du calcul d'une partie de la redevance versée par la CNR à l'État, qui sera proportionnelle aux prix de l'électricité sur le marché et évoluera avec eux.

Mais au-delà de la question de son bien-fondé juridique, la prolongation s'impose comme une évidence de fait. Le concessionnaire actuel, la CNR – dont je salue la présidente et ses équipes, présentes dans les tribunes du public –, dispose de l'expérience et du savoir-faire nécessaires à la poursuite de sa mission d'aménageur du Rhône. Ce constat a été largement partagé lors de la concertation. La gouvernance et l'actionnariat de la CNR garantissent que les missions d'intérêt général qui lui sont confiées seront menées à bien : cette société comporte un directoire et un conseil de surveillance, constitué notamment de représentants de l'État et des collectivités territoriales. Surtout, la compagnie dispose d'un actionnariat majoritairement public et environ 17 % de son capital est détenu par 183 collectivités territoriales.

La dimension industrielle est elle aussi fortement présente et confère à la CNR un véritable patrimoine de compétences. Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour rappeler que la compagnie représente 1 500 emplois directs et 15 000 emplois indirects. À l'heure où nous devons défendre et faire croître l'emploi industriel en France, elle est donc un joyau à préserver et un exemple à valoriser.

La CNR a par ailleurs su évoluer et intègre désormais une forte dimension environnementale. Je songe notamment à la réhabilitation des lônes, ces anciens bras du Rhône, mais les actions du concessionnaire en faveur de l'environnement sont bien plus nombreuses. La CNR est en outre le seul acteur français à produire des énergies intégralement renouvelables – eau, air, soleil – et fournit près d'un quart de l'hydroélectricité française. Puisse d'ailleurs l'exercice de ces missions d'intérêt général inspirer le législateur lorsqu'il lui reviendra de se pencher sur d'autres types de concessions de service public, comme les barrages, et l'inciter à en voter la prolongation et le maintien dans le giron du service public.

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