Que l'on puisse prendre le nom de son autre parent, c'est-à-dire le plus souvent celui de sa mère, ne va pas entraîner la destruction de la société ni de la famille. Cela ne va pas non plus contribuer à la création d'un état civil à la carte, ou nuire à l'intérêt de l'enfant. Tous ces arguments, avancés pour s'opposer à la présente proposition de loi, sont bien loin de la réalité.
Je regrette donc que le Sénat n'ait pas su entendre l'aspiration citoyenne à l'origine de ce texte : l'échec de la commission mixte paritaire en a résulté. Si porter son nom est une fierté pour beaucoup d'entre nous, cela peut être un lourd fardeau pour certaines et pour certains. Un nom de famille renvoie à l'identité d'une personne, à son héritage. Il suit l'individu toute sa vie ; il est bien plus intime qu'une simple appellation administrative.
Or de nombreuses personnes sont condamnées à porter le nom de quelqu'un qui les a abandonnées, délaissées, maltraitées ou abusées sexuellement lorsqu'elles étaient enfants. C'est pour elles qu'une telle loi est nécessaire. Dans leur cas, changer de nom peut être vécu comme une libération.
Par ailleurs, porter le nom de la personne qui n'exerce pas l'autorité parentale est souvent source de lourdes complications administratives. Nous le savons, cette situation se rencontre de plus en plus fréquemment, en particulier dans les familles monoparentales. Il arrive bien souvent qu'une mère élève seule un enfant ne portant pas son nom mais celui du père, ce qui complique le quotidien.
Enfin – c'est l'héritage d'une société patriarcale –, le code civil de 1804 avait inscrit dans la loi que les enfants prendront le nom de leur père, d'ailleurs longtemps désigné sous le terme de « patronyme ». Aujourd'hui encore, plus de huit enfants sur dix portent le seul nom de famille de leur père. Faciliter la possibilité de changer de nom, c'est aussi faciliter la transmission du nom de la mère. En la matière, notre droit a déjà largement évolué ces dernières années, et c'est heureux. Ainsi, depuis la loi de 2003 relative à la dévolution du nom de famille, les parents peuvent choisir le nom de leur enfant, qui peut être celui du père, celui de la mère ou l'adjonction des deux noms. Depuis la loi de 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, en cas de désaccord entre les parents, l'enfant se voit attribuer le nom composé de ceux des deux parents, dans l'ordre alphabétique.
La présente proposition de loi permettra de franchir une étape supplémentaire bienvenue, et j'en profite pour remercier et saluer son auteur, Patrick Vignal, pour le travail important qu'il a effectué. Elle prévoit, pour les personnes qui le souhaitent, la possibilité de substituer à leur nom d'usage – celui qu'elles utilisent dans la vie quotidienne – le nom du parent qui ne leur a pas transmis le sien. Cette mesure va faciliter la vie de nombreuses personnes, notamment des mères de familles monoparentales, qui pourront donner leur nom aux enfants qu'elles se chargent d'élever.
La proposition de loi vise aussi à simplifier considérablement la procédure de changement de nom de famille – celui inscrit sur l'acte de naissance –, dans le cas où une personne majeure souhaite porter le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien. Elle rend ainsi possible le changement de nom de famille une fois au cours de la vie, sans avoir à le justifier, par simple déclaration auprès de l'officier d'état civil. Cette nouvelle procédure simplifiée, très attendue, va rendre accessible au plus grand nombre ce qui ressemble aujourd'hui à un parcours du combattant.
Avant de conclure, je souhaite remercier les nombreuses et nombreux citoyens qui ont œuvré pour porter ce sujet jusqu'au Parlement. Le collectif Porte mon nom a collecté des milliers de témoignages de personnes souhaitant changer de nom de famille, ce qui illustre l'attente forte ressentie par une partie de la population en la matière. La lecture de ces témoignages dresse un constat très clair : trop nombreux sont ceux qui sont contraints de porter un nom qui est pour eux synonyme de souffrance au quotidien.
J'adresse une pensée toute particulière à ces personnes, qui attendent avec impatience le vote de cette loi. Vous l'aurez compris : le groupe Libertés et territoires renouvelle son plein soutien au texte et le votera avec conviction.