Ce débat est très intéressant. Nous avons beaucoup discuté des vertus de la loi MOP. Essayons donc de nous projeter dans un avenir où, par hypothèse, nous aurions supprimé l'obligation qu'elle prévoit. D'abord, j'ai bien entendu ce qu'a dit notre collègue Lagarde sur les éventuelles malhonnêtetés que l'on pouvait trouver ici ou là dans le cadre de la loi MOP. Je rappelle que, sans cette loi, les marchés seraient passés de gré à gré entre les bailleurs sociaux et les architectes. Dans ce cas, de deux choses l'une : soit on choisit directement un architecte, soit, comme le disait notre collègue Peu, on travaille en conception-réalisation.
Dans la première hypothèse, quels seront les critères d'un jugement juste et équilibré ? Je laisse cela à votre sagacité. À moins que l'on considère que l'on n'a pas besoin d'architecte du tout, et que l'on prenne un architecte en interne. C'est d'ailleurs ce que dispose l'alinéa suivant : même la maîtrise d'oeuvre est prévue en interne.
Or, une fois que l'on aura internalisé ces fonctions architecturales et de conduite d'opérations au sein des structures des bailleurs sociaux, outre les coûts supplémentaires en personnel que cela entraînera, on aura tendance à monotyper les opérations, puisque le principe même et la vertu du concours d'architecture est de permettre le dialogue, sinon avec la collectivité, monsieur Lagarde, du moins avec des influences différentes, extérieures, et des générations successives – des influences architecturales qui peuvent apporter davantage à la collectivité.
J'en viens à la seconde solution : la conception-réalisation. Je pense que l'on fait ici une erreur : par expérience – d'élu local et de professionnel – , la meilleure façon de bien bâtir est de distinguer l'architecte des entreprises. Quand c'est l'entreprise qui rémunère l'architecte, par définition, celui-ci a tendance à adapter son projet aux demandes de l'entreprise. Cela va de soi. Et quand il faudra entrer dans un trou de souris pour que la marge de l'entreprise générale soit confortée, l'architecte acceptera de le faire.
Au fond, ce qui me gêne le plus, c'est qu'avec toutes les incertitudes que cela induit, la créativité des architectes pourra s'exprimer demain dans de grands projets, cher collègue Lioger, parce que des collectivités pourront se la payer, ou dans des projets privés ; en revanche, les bailleurs sociaux, pour construire plus vite, mieux et moins cher, n'organiseront pas de concours d'architecture. On créera ainsi deux types de construction, l'un pour les bailleurs sociaux, l'autre pour tous les autres. Dans une société qu'il s'agit d'apaiser et de réconcilier, la démarche ne me paraît pas être la bonne.
Revenons à cet objectif : construire plus vite, mieux et moins cher. Plus vite, sans concours d'architecture ? Ce n'est pas certain ; mais passe encore. Moins cher ? Je l'ai dit tout à l'heure : c'est d'abord le prix du foncier qui est déterminant, non le fait d'investir 2 ou 3 % de plus dans le concours d'architecture. Or c'est tout l'enjeu du travail qui nous incombe au cours des mois à venir : maîtriser le foncier, en créant des clauses anti-spéculatives. Là est le vrai combat de demain si l'on veut construire moins cher ! En tout cas, une chose est sûre : sans concours d'architecture, ce ne sera jamais mieux.