Et c'est même un pas en avant, deux pas en arrière, avec les articles 9, relatif à l'instauration d'un plaider coupable, et 9 bis, relatif au renforcement des conventions judiciaires d'intérêt public et à l'élargissement de leur champ d'application à la fraude fiscale.
L'article 9 permet d'éviter un procès en acceptant la peine proposée par le procureur de la République, dont je rappelle qu'il est sous les ordres directs du ministre de la justice. Que l'on puisse échapper au procès pose problème : d'une part, celui-ci procure au contrevenant une publicité qui le pénalise davantage encore ; d'autre part, c'est souvent au cours de l'enquête que le dossier d'accusation s'étoffe de nouvelles pièces. Tout cela, avec l'article 9, nous nous en priverons.
L'article 9 bis, relatif à l'élargissement du champ d'application de la convention d'intérêt judiciaire public, ne vaut guère mieux. Il s'agit d'une amende mettant un terme aux poursuites judiciaires, ce qui aura plusieurs effets. Tout d'abord, les infractions du contrevenant ne seront pas inscrites au casier judiciaire. Ainsi, l'amende permet à une entreprise d'échapper aux conséquences les plus graves d'un procès. En outre, il y a là une conception économique de la justice à laquelle nous ne souscrivons pas. Les négociations entre entreprises et procureurs s'en trouveront favorisées. Selon la taille de l'entreprise – donc le tort que ferait sa fermeture à l'emploi – , nous ne sommes pas convaincus que le procureur sera toujours en position de force dans cette négociation.
Il en résultera une justice à deux vitesses, la fraude fiscale n'étant pas traitée comme l'est un délinquant de droit commun. Je rappelle que la première convention judiciaire d'intérêt public, adoptée au mois de novembre 2017, a permis à la banque HSBC d'échapper aux poursuites en payant une amende de 300 millions d'euros après avoir dissimulé 1,6 milliard dans le cadre de dispositifs de blanchiment d'argent et de fraude fiscale !
Au fond, c'est toujours le même problème. La fraude fiscale, donc ceux qui s'y livrent, est une « attaque contre la démocratie » et un « coup de poignard contre le pacte républicain » ; pourtant, on considère que ses auteurs doivent être mieux traités qu'un cambrioleur.
L'autre problème majeur de ce projet de loi concerne l'évasion fiscale. Je vous rappelle une fois encore les mots de Bruno Le Maire : l'évasion fiscale est « une attaque contre la démocratie ». Mais elle est aussi la façade légale de la fraude fiscale : il s'agit toujours d'échapper à l'impôt qu'un citoyen doit à son pays, pour participer à l'effort national mais aussi à la redistribution des richesses.
Nous avons tous été irrités, et même en colère, lorsque les Paradise papers ont été publiés. Cette question est pourtant presque évacuée de ce projet de loi.
J'en viens enfin à la question des paradis fiscaux, qui sont au coeur des mécanismes de fraude fiscale. Vous ne proposez ici que de transposer une disposition de l'Union européenne, certes de façon plus coercitive, mais sans élargir les critères retenus par l'Union. Or ceux-ci, vous le savez, sont insuffisants. La liste obtenue ne comprend que sept États – la République des Palaos en a été rayée il y a quelques semaines : Guam, les Îles Vierges américaines, la Namibie, les Samoa, les Samoa américaines, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago. La simple énumération de ces quelques États montre combien nous sommes loin de toucher ceux dont les pratiques douteuses nourrissent bien davantage l'évasion fiscale.
C'est pourquoi l'article 11 du projet de loi, se contentant de transposer le droit européen, est très loin de ce qu'il faudrait faire.
Nous avons pour notre part proposé de renforcer les critères – reprenant d'ailleurs des propositions de l'ONG Oxfam, qui avait dressé une liste de cinquante-huit paradis fiscaux, comprenant des pays autrement plus importants que ceux que j'ai cités tout à l'heure.