Pardonnez-moi, monsieur le président, de m'attarder un peu sur ce sujet délicat. Il s'agit de réécrire des dispositions adoptées par le Sénat concernant la compétence des juridictions françaises pour les crimes commis à l'étranger et relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.
L'article 689-11 du code de procédure pénale, issu de la loi de 2010 portant adaptation de notre droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale créée par la convention de Rome en 1998, prévoit la compétence des juridictions françaises pour les crimes commis à l'étranger et relevant de la compétence de cette cour : les crimes de génocide, les autres crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.
Cette compétence s'exerce à quatre conditions. Premièrement, la personne suspectée doit avoir sa résidence habituelle en France. Deuxièmement, les infractions en cause doivent faire l'objet d'une double incrimination, dans chacun des deux pays. Troisièmement, la Cour pénale internationale ne doit pas être déjà saisie, ou, si elle l'est, elle doit avoir décliné sa compétence. Quatrièmement, l'action publique ne peut être mise en oeuvre que par le procureur de la République, qui dispose du monopole des poursuites.
Le Sénat a réécrit l'article 689-11 afin d'en supprimer les conditions de résidence habituelle et de double incrimination et d'y atténuer le principe de subsidiarité avec la Cour pénale internationale. Autrement dit, il a ouvert plus largement la possibilité offerte aux juridictions françaises de se saisir de leur compétence.
Le Gouvernement a évidemment étudié avec soin ce sujet sensible. Il a souhaité prendre en considération certaines propositions du Sénat, tout en leur apportant des correctifs qui sont apparus indispensables.
Deux améliorations apportées par le Sénat nous ont semblé pouvoir être conservées. La première concerne la référence aux incriminations de génocide, d'autres crimes contre l'humanité et de crimes de guerre tels qu'elles figurent dans notre code pénal, où le génocide et le crime contre l'humanité sont définis depuis la réforme de 1992 et où les crimes de guerre ont été insérés par la loi de juin 2010 précédemment citée. La seconde est la possibilité, en cas de classement sans suite, de former un recours devant le procureur général, qui devra statuer après avoir entendu les requérants.
S'agissant des autres modifications, plus substantielles, voulues par le Sénat, la position du Gouvernement est la suivante.
D'abord, l'énoncé actuel du principe de subsidiarité, qui exige de vérifier si la Cour pénale internationale décline sa compétence avant d'exercer des poursuites, excède ce qu'impose la convention de Rome. Supprimer cette exigence, comme l'a fait le Sénat, peut donc se justifier. Par conséquent, je n'entends pas revenir sur ce point.
Il convient en revanche de maintenir la condition de résidence habituelle de la personne en France. En effet, tout en assurant la répression des auteurs de ces crimes qui ont voulu se réfugier en France, elle permet d'éviter l'instrumentalisation politique des juridictions françaises qui consisterait, chaque fois qu'un dirigeant étranger est de passage sur notre territoire, à demander publiquement au ministère public d'engager des poursuites contre lui, ce qui, évidemment, porterait gravement atteinte à l'action diplomatique de la France.
En ce qui concerne enfin l'exigence de double incrimination, il s'agit d'un principe fondamental du droit international. Il ne paraît dès lors possible d'y déroger que de façon tout à fait exceptionnelle. Je vous demande par conséquent de réserver cette dérogation au crime de génocide. Une telle exception est justifiée par la spécificité absolue, historiquement sans précédent, de ce crime, objet de la convention onusienne du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l'unanimité : elle stipule que « le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations unies et que le monde civilisé condamne ». La jurisprudence de la Cour internationale de justice a du reste établi que l'interdiction du génocide constituait une norme impérative du droit international.
J'observe par ailleurs que notre code pénal, dans sa version adoptée en 1992, distingue clairement le génocide des autres crimes contre l'humanité : il les fait figurer dans deux chapitres différents et définit le génocide, en son article 211-1, de façon particulièrement précise par l'existence d'« un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ». Les autres crimes contre l'humanité et les crimes de guerre font l'objet de définitions plus larges pouvant donner lieu à des interprétations susceptibles d'être parfois contestées.
Telles sont donc les modifications de fond apportées par le présent amendement en conséquence de la nouvelle rédaction de l'article 689-11 du code de procédure pénale retenue par le Sénat. Cet amendement permet de concilier de façon satisfaisante la volonté de mieux poursuivre de tels crimes – volonté dont témoigne également la création du procureur national antiterroriste, qui, si vous l'acceptez, sera également compétent en matière de crimes contre l'humanité – et la nécessité de préserver les équilibres de notre procédure pénale.
Aux termes de l'amendement no 1663 , à compter de l'entrée en vigueur des dispositions relatives au procureur de la République antiterroriste, l'article 689-11 du code de procédure pénale fera expressément référence à ce magistrat spécialisé.