Personne ne peut aujourd'hui être en accord avec l'inflation législative qui rend notre droit de plus en plus illisible, ni avec certaines surtranspositions de normes européennes qui imposent à nos entreprises une concurrence plus ardue. Toutefois, que nous soyons d'accord ou non avec les objectifs de cette proposition de loi constitutionnelle, il est un point sur lequel je m'interroge, à savoir la pertinence des mesures proposées au regard des objectifs qu'elles visent.
Afin de mener une véritable politique de simplification, le Conseil d'État nous invite à responsabiliser davantage les décideurs publics, à maîtriser l'emballement de la production normative en examinant les alternatives avant de poursuivre des projets de réforme, et à faciliter l'application concrète de la norme par une accessibilité accrue de la loi.
Les entreprises ont besoin d'une lisibilité que ne leur assure pas la présente proposition de loi constitutionnelle. En imposant simplement la suppression « d'une norme en vigueur » pour toute introduction d'une norme contraignante, elle fait fi des évaluations et concertations nécessaires pour un tel dispositif aux conséquences économiques majeures.
Le Gouvernement et la majorité parlementaire ne sont pas insensibles à cet objectif, et la révision constitutionnelle devrait notamment permettre d'édifier un cadre plus propice à l'édiction de normes de meilleure qualité.
Ce n'est pas tout. Nous nous souvenons que le Premier ministre a signé, le 16 juillet 2017, une circulaire relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact. Ce texte pose des principes essentiels pour lutter contre l'inflation normative, notamment celui de « la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, la simplification d'au moins deux normes existantes » pour l'adoption de toute norme réglementaire nouvelle, et la mise en place d'une évaluation du stock de normes pour chaque ministère. Ce dispositif plus pragmatique recouvre l'objectif que sous-tend l'article 1er du présent texte.
Cette mesure a été suivie, en septembre 2017, d'une circulaire imposant aux ministères de mettre en place un plan de transformation dans lequel figurent « la simplification administrative et l'amélioration de la qualité du service ».
Enfin, en janvier 2018 a été signée une circulaire relative à la simplification du droit et des procédures en vigueur, qui charge la direction interministérielle de transformation de l'action publique du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique d'une « action résolue de simplification ».
Comme le montrent ces mesures, la lutte contre l'inflation législative constitue un point de vigilance pour le Gouvernement. Le texte sur la simplification du droit des sociétés examiné la semaine dernière le prouve amplement.
La surtransposition de normes européennes, à savoir le maintien de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales d'une directive, concerne, quant à elle, des situations diverses. Il convient de distinguer les surtranspositions conscientes et assumées de celles qui seraient pleinement injustifiées.
Certaines sur-réglementations peuvent en effet s'expliquer par un choix délibéré du législateur ou du pouvoir réglementaire en faveur d'une réglementation plus ambitieuse que celle prévue par l'Union européenne. Le plus souvent, il s'agit de situations où la France n'a pas réussi à faire prévaloir sa position lors des négociations. Ainsi, ces choix sont tout à fait justifiés dans des cas spécifiques, nul ne peut en douter, car ils permettent notamment d'anticiper les enjeux d'une évolution ultérieure de la norme européenne.
Cette souplesse constitue pour le législateur une nécessaire marge de manoeuvre et ne peut être entravée par un carcan constitutionnel strict qui, comme le fait cette proposition de loi constitutionnelle, ne permettrait pas de tenir compte des spécificités de chaque situation.
Cela dit, nous sommes pleinement conscients que des surtranspositions, même justifiées, pourraient conduire à une perte de compétitivité de nos entreprises dans des secteurs soumis à la concurrence européenne. Nous rappelons donc avec force qu'il est nécessaire que ces surtranspositions fassent l'objet d'évaluations portant sur leurs conséquences économiques pour les acteurs concernés.
L'action du Gouvernement s'inscrit pleinement dans cette perspective. je rappelle qu'un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français a été examiné par le Sénat. Son objectif est clair : lutter contre les excès de normes pénalisant pour la compétitivité des entreprises, l'emploi, le pouvoir d'achat et l'efficacité des procédures administratives et des services publics.
Je me permettrai en outre de mentionner le rapport gouvernemental relatif à l'adoption et au maintien, dans le droit positif, de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l'Union européenne, prévues dans la loi pour un État au service d'une société de confiance, qui rendra possible une évaluation complète et objective de ce phénomène, afin d'intensifier la lutte contre lui.
Cette lutte n'est pas nouvelle, puisque tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 y ont pris part.
Toutefois, il serait vain et inexact de penser que la lutte contre les surtranspositions est uniquement le fait des États membres. On doit à cet égard noter les efforts soutenus que déploient depuis 2014 la Commission européenne et les autres institutions de l'Union afin d'améliorer le processus normatif européen, notamment dans le cadre du programme « mieux légiférer », susceptible de limiter les risques de surtransposition des normes européennes. En ce sens, les initiatives moins nombreuses de la Commission européenne laissent penser que les surtranspositions seront moins fréquentes à l'avenir.
Outre une généralisation accrue des consultations publiques destinée à anticiper les éventuelles difficultés des États membres à transposer certaines normes européennes, l'approfondissement de la coordination entre les États membres lors de la transposition de directives importantes constitue une solution qui ne peut être négligée.
Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés est pleinement d'accord avec l'idée défendue dans cette proposition de loi constitutionnelle. Chacun s'accorde en effet à dire que l'inflation législative dont participent les surtranspositions des directives européennes contribue au manque d'accessibilité de la loi et constitue un frein pour de nombreux acteurs.
Néanmoins, je peux vous assurer que des mesures propres à rendre efficace la lutte contre ces phénomènes ont été prises par le Gouvernement, qui est attentif au problème.
Force est de constater qu'inscrire ces principes dans notre Constitution serait non seulement dépourvu d'effets au regard des dispositifs actuellement en place, mais également incohérent du point de vue légistique.
Pour l'ensemble de ces raisons, je tiens à déclarer que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés ne soutiendra pas ce texte.