Les rémunérations des membres et des présidents des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont, c'est le moins qu'on puisse dire, à la fois très attractives et peu encadrées. En effet, elles peuvent atteindre des montants élevés tout en étant intégralement cumulées avec une pension de retraite de la fonction publique, et, en raison de leur indépendance, ces autorités sont soustraites aux habituelles procédures d'arbitrage applicables aux administrations de l'État.
Cette situation ne peut perdurer. Comme l'a souligné notre excellent collègue Thierry Benoît, il n'est plus possible de laisser planer des doutes quant à la motivation première des personnes nommées à la tête des autorités indépendantes. Notre assemblée a la responsabilité de remettre de la transparence, de l'équité et un contrôle parlementaire dans ces pratiques d'un autre temps qui nuisent à l'image renvoyée par ces autorités, voire à leur gestion financière.
Les rémunérations des activités des présidents d'autorité indépendante sont perçues par nos concitoyens comme une anomalie indécente et injustifiée. À titre d'exemple – et sans même prendre en compte le cumul avec une éventuelle pension de retraite – , les rémunérations des présidents de trois AAI que sont l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité de sûreté nucléaire et la Haute Autorité de santé se situent entre 200 000 et 235 000 euros bruts par an, montants qui, il faut le dire, passent mal dans l'opinion publique.
Souvenez-vous, mes chers collègues, de ce scandale, lors du lancement du grand débat national : la rémunération de la présidente de la Commission nationale du débat public, d'un montant brut de 14 700 euros mensuels en 2019, avait outré nos concitoyens qui occupaient les ronds-points depuis des mois et défilaient chaque week-end, un peu partout en France, pour défendre leur pouvoir d'achat. Souvenez-vous également de la polémique suscitée par les 30 000 euros mensuels du défenseur des droits, alors que lui ne trouvait rien de choquant au cumul de ses différentes retraites avec sa rémunération à la tête d'une autorité indépendante.
S'il n'y a rien d'illégal dans ces pratiques, ce n'est pas pour autant moral. L'État ne peut pas demander des efforts à la majorité des Français, exiger plus de transparence et d'éthique dans la chaîne d'action publique, tout en maintenant des avantages injustifiés à des régimes particuliers, a fortiori en dehors de tout contrôle parlementaire. Il faut donc effectivement plafonner ces rémunérations à hauteur de celle du Président de la République, comme le propose le rapporteur Thierry Benoit.
Pourtant, les députés de la majorité rejettent le positionnement du curseur au niveau de la rémunération du Président de la République. En commission, ils ont clairement indiqué vouloir garder de la souplesse dans le plafonnement afin d'attirer des dirigeants aux commandes des autorités indépendantes en leur proposant une rémunération supérieure à celle du chef de l'État.
Mais cette position n'est pas tenable ! Elle est choquante pour les Français, dans un contexte de lutte contre les inégalités sociales ! Un rapport de la Cour des comptes de décembre 2017 sur les politiques et sur les pratiques de rémunération des AAI et des API a d'ailleurs proposé que la fixation ou la revalorisation de l'indemnité de fonction allouée au président et aux membres des collèges des autorités indépendantes puissent tenir compte de la liquidation d'une pension de la fonction publique pour les intéressés. Nous devons aller dans ce sens.
C'est d'autant plus nécessaire que les autorités indépendantes, qui devraient faire preuve d'une exemplarité et d'un autocontrôle à la hauteur de la liberté qui leur est octroyée, ne le font pas toujours, comme a pu l'observer la Cour des comptes.
Le groupe Libertés et territoires avait d'ailleurs, lors de l'examen du projet de loi relatif à la réforme de la fonction publique, déposé un amendement visant à interdire le cumul d'une retraite de la fonction publique avec une mission publique. Il avait été rejeté, au motif que l'écrêtement était plus pertinent. Mais quid des multiples dérogations qui permettent à certains de cumuler intégralement ?
Nous avons instauré plus de transparence et de déontologie dans l'exercice de notre mandat, et c'est une bonne chose. Poursuivons dès lors notre démarche de consolidation et de renforcement de l'éthique dans la sphère publique et la gestion des deniers publics, car ce qui est bon pour les élus doit l'être tout autant pour les grands commis de l'État. Notre rapporteur le rappelait : la moralisation de la vie publique ne peut être à géométrie variable.
Retissons des liens de confiance avec nos concitoyens en instaurant de la décence dans les revenus mensuels des présidents et des autres membres des autorités indépendantes, et en instaurant un contrôle démocratique de ces rémunérations, assuré par notre assemblée. Cette proposition de loi nous en offre l'opportunité. Le groupe Libertés et territoires la saisira en votant, bien évidemment, en faveur du texte.