Un doute s'est insinué ; la confiance des Françaises et des Français dans leurs institutions est entamée. Ce constat cruel, nous le partagerons peut-être ici même, mais à des degrés divers car je vois aussi combien sont sous-estimés, sinon ignorés, la colère et même parfois le dégoût qu'éprouvent nos concitoyens à l'encontre d'élites arrogantes et d'une classe politique qu'elle juge déconnectée. La dixième vague d'étude d'opinion du CEVIPOF exprime avec la plus grande clarté combien ces passions tristes traversent profondément notre société : tous les indicateurs du baromètre sont au rouge, dans des proportions inégalées depuis que cette enquête existe, c'est-à-dire depuis 2009.
Ce quinquennat n'arrange rien, au contraire, puisqu'en dépit des postures moralisatrices adoptées par la majorité, les affaires se sont en réalité multipliées. Emmanuel Macron est ainsi devenu le Président qui a vu huit de ses ministres démissionner pour des raisons d'éthique et de conflits d'intérêts, record inégalé sous la Ve République.
Rien d'étonnant dès lors que les fractures entre les citoyens et ceux censés guider l'action publique ne se creusent. Le mouvement des gilets jaunes a mis à jour l'abîme qui sépare, d'un côté, un pouvoir exécutif, compagnon de route de BlackRock et des grandes puissances financières, et, de l'autre, un peuple étrillé par les mesures antisociales qui se multiplient, un peuple trop souvent infantilisé et méprisé. Il est plus que temps de s'apercevoir que, malgré leurs racines profondes et anciennes, la confiance dans notre système démocratique et nos institutions se fissure dangereusement. Aux yeux du plus grand nombre, la crédibilité des élites dirigeantes pour parler au nom de l'intérêt général est ébranlée. Ces élites viennent trop souvent des mêmes beaux quartiers, ont fréquenté les mêmes grandes écoles, pantouflé dans les mêmes grandes entreprises et, fortune faite, occupent désormais massivement les lieux du pouvoir administratif et politique. Comment ne pas comprendre que, pour une grande majorité de nos concitoyens, l'argent et cet entre-soi douillet constituent un écosystème propice aux arrangements et à la dissimulation, c'est-à-dire à tout ce qui est contraire aux exigences de transparence ?
Cette question est d'ailleurs aussi vieille que la politique ; Socrate ou Platon interrogeaient déjà, en leur temps, les relations entre argent et affaires publiques.
Depuis 2010, quatre lois ont été votées et 15 000 hauts responsables publics remplissent désormais des déclarations d'intérêts et de patrimoine. Le cas Delevoye montre, malgré tout, qu'en matière de prévention des conflits d'intérêts, il ne faut jamais baisser la garde.
C'est pourquoi nous avons cosigné la proposition de loi que notre collègue Thierry Benoit défend si justement. Ce texte fait écho aux différentes polémiques suscitées par la publication des rémunérations de certains dirigeants d'agences de l'État. Sa portée législative est certes modeste mais le dispositif proposé constitue un élément de réponse concret. Nous en partageons l'esprit car il conviendrait de promouvoir une certaine conception de la vertu républicaine : au moment où le secteur privé connaît une dérive totale en matière d'écarts de salaires, le secteur public se doit d'être exemplaire et transparent.
Enfin, même si la proposition de loi ne traite finalement pas du Conseil constitutionnel et que la question des retraites sera renvoyée au projet de loi organique y afférent, je ne peux conclure ce propos sans faire observer que les heureux membres du Conseil constitutionnel se verront reconnaître la clause dite « du grand-père » quand d'autres, bien plus modestes, auraient aimé en bénéficier.
Pour conclure, je confirme que nous soutiendrons ce texte, dans un souci d'intérêt général, car il contribue à l'exigence de responsabilisation des acteurs publics, à tous les niveaux. Il s'agit là d'une composante essentielle du pacte républicain. C'est aussi l'horizon de la société sobre, modeste et transparente qu'il nous faut désormais construire. Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera bien évidemment en faveur de ce texte, dont ses membres sont cosignataires.