Le moment a dû leur sembler opportun pour venir à la rescousse de Mme Pécresse, déboutée à deux reprises par la justice administrative après avoir voulu faire de cette mesure antisociale un symbole de sa présidence de la région Île-de-France.
Au sein du conseil régional, je me souviens, la proposition d'exclure les étrangers bénéficiaires de l'AME de la tarification sociale dans les transports avait déjà trouvé le soutien d'un Front national enthousiaste de voir ses idées pleines de ressentiment xénophobe reprises par la droite conservatrice aux manettes. À un tel niveau de convergence idéologique, ce ne sont plus des liaisons dangereuses, mais une étreinte fiévreuse de joie mauvaise, celle d'ôter à ceux qui n'ont rien la possibilité d'avoir un peu. Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit dans la proposition de loi. Or prendre les transports, se déplacer, constitue l'une des premières libertés fondamentales et un ferment de la cohésion sociale.
Avec ce texte, vous additionnez les précarités financière et administrative. Vous disséminez de nouveaux obstacles dans le parcours des étrangers qui veulent faire reconnaître leurs droits et se faire aider, scolariser, soigner. Non contents de les voir chassés de la place de la République, quand ils ne sont pas morts dans la Méditerranée – puisque notre pays a été incapable d'accueillir l'Aquarius – , vous assenez coup sur coup en espérant que ces gens-là, vous ne les verrez plus et qu'ils auront le bon goût de rester cloîtrés de l'autre côté du périphérique, là où on les a jetés il y a quelques semaines – comme autrefois on bannissait les gueux, on les mettait au ban, d'où vient d'ailleurs l'origine du mot « banlieue ».
Comment pouvez-vous défendre aujourd'hui un texte aussi ignoble ? Comment pouvez-vous choisir d'ignorer que, lors des vagues de confinement, ce sont ces sans-papiers qui ont souvent grossi les transports bondés pour assurer les besoins essentiels de la population en prenant le risque d'être contaminés ? Comment pouvez-vous faire mine d'oublier le prix humain payé par ces personnes que notre administration refuse de reconnaître comme faisant partie des nôtres ?
Comment nier les risques qu'ils ont pris en travaillant comme livreurs de repas dans la restauration, dans la logistique, dans le bâtiment, dans les sociétés de nettoyage, quand tant d'autres se trouvaient tranquillement confinés chez eux, voire au chaud dans leur résidence secondaire ?
Vous le savez peut-être : le Portugal, dans un consensus admirable, a octroyé des droits supplémentaires aux sans-papiers. L'Italie, quant à elle, a facilité pour eux l'obtention de titres de séjour. Au même moment, en pleine récession économique, au milieu d'une crise sociale inédite, la droite française se gargarise et voudrait les priver d'un droit.
C'est tout simplement honteux, et les arguments avancés ne font qu'ajouter au mépris l'insulte la plus crasse. Mme Pécresse, pour défendre cette mesure, demandait sans rire sur les plateaux de télévision s'il revenait à la région Île-de-France de payer aux étrangers une télévision qu'ils ne pouvaient s'offrir. Je vous laisse juges, mes chers collègues, du niveau abject de ce raisonnement et de l'imaginaire qu'il charrie. Et vous osez mettre votre proposition sous l'égide de l'« équité » – c'est écrit dans le texte ? Décidément, Orwell n'est jamais loin.
Vous osez aussi parler d'argent, comme si cette mesure, qui ne représente qu'une goutte d'eau dans le budget des transports publics franciliens, pouvait contribuer à résorber je ne sais quel problème – lequel pourrait d'ailleurs être réglé si l'on s'attaquait enfin à ceux qui devraient mettre au pot pour que nous ayons des transports du quotidien de qualité.
Je terminerai en disant que ce que vous êtes en train de faire est désastreux, dans un pays gangrené par des idées qui vont sans cesse sur le terrain de l'extrême-droite. Je ne sais pas si vous mesurez votre responsabilité. Vous vous appelez Les Républicains, mais il me semble que votre proposition n'est pas simplement ambiguë ; elle vient rompre avec la promesse républicaine et sa devise, que je vous rappelle : liberté, égalité, fraternité.