Intervention de Michel Zumkeller

Séance en hémicycle du jeudi 10 décembre 2020 à 15h00
Justice pénale des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller :

« L'enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres ; rien n'est moins sensé que d'y vouloir substituer les nôtres. » Cette citation de Jean-Jacques Rousseau reflète, selon nous, l'esprit qui doit guider l'écriture d'un code de la justice pénale des mineurs.

À la suite de l'adoption de l'amendement de la précédente garde des sceaux déposé sur le projet de loi de programmation 2018-2022, un groupe de travail a pu être constitué, à la demande de notre groupe. Il était en effet indispensable que les parlementaires puissent participer à la rédaction de l'ordonnance, sur un sujet aussi primordial. Je tiens donc, en préambule, à saluer Mme Nicole Belloubet, qui a mené à bien cette concertation ; notre groupe est heureux d'avoir pu impulser cette méthode de travail, qui, s'agissant d'ordonnances, permet au moins d'associer le Parlement, plutôt que de l'exclure totalement. Il est rare que la ratification d'une ordonnance fasse l'objet d'un débat ; c'est une expérience à renouveler – même si, bien entendu, nous aurions préféré éviter le recours à une ordonnance.

Nous n'avions pas voté contre l'amendement gouvernemental et nous avions proposé cette méthode car nous étions conscients de la nécessité d'une réforme de la justice pénale des mineurs, déjà trop souvent repoussée, afin que les textes soient clarifiés, modernisés et qu'ils gagnent en lisibilité.

Au regard de ces objectifs, nous saluons la volonté d'une procédure plus claire, d'une mesure éducative unique et de la détermination d'un seuil d'âge. Mais une réforme de l'ordonnance de 1945 ne saurait se limiter à cela.

Ce que nous faisons de la justice pénale des mineurs est profondément philosophique ; c'est aussi la traduction juridique de convictions politiques. Ainsi, historiquement, l'ordonnance de 1945 constitue l'aboutissement de la prise en compte progressive de la nécessité d'attribuer un statut spécifique à l'enfance délinquante. Dès lors, le choix a été fait de faire primer l'éducatif sur le répressif, principe qui a acquis une valeur constitutionnelle. Ce choix ne relève pas de la naïveté ni de l'angélisme, mais de la certitude que l'enfant délinquant étant un adulte et un citoyen en devenir, il est indispensable de tenter de lui montrer un meilleur chemin.

Forte de ces convictions, la justice pénale des mineurs n'en est pas pour autant plus laxiste : une réponse pénale est apportée à 93 % des affaires. Loin de l'agitation potentielle des débats, il nous incombe donc de nous interroger collectivement sur les réponses possibles à apporter à ces mineurs. Nous devons laisser de côté les clichés pour ne pas réduire la discussion à une opposition frontale entre les partisans de l'éducation et ceux de la répression. Loin de la médiatisation du sentiment d'insécurité, nous devons garder à l'esprit que l'éducation prend du temps.

En ce sens, la procédure de la césure nous paraît être une bonne chose, les trois phases proposées de la culpabilité, de l'éducation puis, si besoin, de la sanction, font sens dans une progressivité de la réponse pénale centrée sur les modules éducatifs.

En ce qui concerne le seuil d'âge en deçà duquel un enfant bénéficie d'une présomption de non-discernement, nous pensons également que le texte apporte une certaine clarification. En revanche, sur le fond, il n'y aura pas vraiment de différence avec ce que prévoit l'article 122-8 du code pénal ; en effet, le juge reste in fine décisionnaire. À titre personnel, je pense que cette présomption devait devrait être irréfragable car cela constituerait une réelle protection supplémentaire pour les enfants.

Pour ce qui est des peines, nous devons également garder à l'esprit que la détention provisoire et la prison doivent être le dernier recours, leur apport éducatif n'étant évidemment que très modéré.

En définitive, la plus grande nouveauté apportée par le texte est celle de la place du parquet, qui se substitue à l'instruction obligatoire. Ce processus doit encore faire ses preuves, toujours dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Tous ces éléments, bien sûr, doivent être pensés dans le respect des principes directeurs qui gouvernent la justice pénale des mineurs. Or, pour être pleinement respectés, les principes ne doivent pas souffrir de trop d'exceptions. Cependant, s'ils sont constamment réaffirmés en théorie, ils subissent un aléa procédural et pratique lié au manque de moyens.

Plus encore que pour la justice des majeurs, nous ne pouvons nous contenter de palliatifs au manque de moyens. Et c'est ici que le bât blesse avec cette réforme. En effet, si, au fond, elle semble satisfaisante, l'enjeu majeur sera dans sa mise en oeuvre, à moyens quasi constants. Nous avons bien entendu, monsieur le garde des sceaux, ce que vous proposez, mais vous savez pertinemment que ce sera insuffisant : le manque de parquetiers vous oblige à prévoir des cas dans lesquels ils pourraient ne pas être spécialisés ; le manque de moyens alloués à la PJJ – la protection judiciaire de la jeunesse – nous fait grandement craindre l'échec du temps de césure éducatif ; vous envisagez le recours à des moyens de vidéo-audience, etc.

La question du respect des délais est elle aussi préoccupante. Tous les acteurs de terrain s'en inquiètent, d'ailleurs. Dans un monde où la justice ne souffrirait pas d'un manque de moyens chronique, la procédure que vous proposez, dans des délais plus rapprochés, serait très positive pour les mineurs ; néanmoins, dans le monde que vous nous imposez, il est permis d'en douter. De plus, les failles restent nombreuses. Je pense au domaine sanitaire : j'ai rédigé en 2009, déjà, un rapport d'information sur la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes mineures ; la situation était alors déplorable et, depuis lors, rien n'a changé.

Je souhaite également insister sur un point qui nous semble constituer une vraie lacune de cette ordonnance : rien de spécifique n'est prévu pour les réitérants ou les récidivistes. Or nous pensons que, globalement, la justice pénale des mineurs fonctionne plutôt bien. En effet, près de 80 % des mineurs qui passent devant un juge ne le revoient jamais. En revanche, pour les autres, les difficultés se cristallisent : multitude d'infractions de gravités diverses, réponses trop différées, passage du mineur de juge en juge sans plus aucun repère et enlisement, au fur et à mesure, dans la délinquance. Dans ce cas de figure précis, la réponse doit être beaucoup plus rapide et prioritaire, voire prononcée par une chambre spécialisée : cette réaction judiciaire plus prompte permettrait de proposer une pédagogie et un accompagnement ayant du sens par rapport à l'acte commis, afin d'en éviter la réitération.

Enfin, il semble très important de souligner que, si nous traitons ici des conséquences, nous ne devons pas négliger les causes. En effet, tenter d'endiguer la délinquance juvénile suppose une réflexion approfondie sur ses origines : l'échec des institutions traditionnelles que sont l'école ou la famille, la montée en puissance de ce que le juriste Denis Salas a appelé la « délinquance d'exclusion » ou encore l'absence de prise en charge adaptée des mineurs en difficulté sont autant de problèmes complexes et structurels sur lesquels la société tout entière doit s'interroger.

J'évoquerai en dernier lieu la Nouvelle-Calédonie, qui se caractérise par une forte implication des jeunes dans des faits de délinquance : un quart des personnes mises en cause ont moins de 18 ans, et ce taux a augmenté de manière constante ces dernières années. Dans le contexte de la préparation de la présente réforme, nos collègues Philippe Dunoyer et Philippe Gomès ont insisté sur la nécessité de prendre en compte les spécificités locales, sociales et culturelles de la Nouvelle-Calédonie, notamment le rôle particulier de la coutume, condition nécessaire à une meilleure appréhension et à un meilleur traitement de la délinquance des mineurs dans ce territoire. Ils saluent donc l'introduction, dans le texte, de deux mesures préconisées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie dans son avis sur le projet d'ordonnance : la participation des personnes issues de la sphère coutumière aux différentes étapes de la procédure pénale pour mineurs et la garantie d'une représentation du mineur, même en l'absence d'un avocat. Comme pour la mise en place de peines d'intérêt général au profit d'institutions de droit coutumier en Nouvelle-Calédonie, ces nouvelles dispositions démontrent l'intérêt d'une prise en compte par l'État de recommandations émises au niveau local dans le domaine de la justice.

Pour conclure, nous regrettons que ce débat commence un jeudi, soit entrecoupé de l'examen de plusieurs textes et soit miné par les conditions sanitaires – il aurait mérité un peu plus de considération. Toutefois, au-delà de ces modalités d'organisation, loin d'examiner un texte technique, nous entamons une discussion qui engage les générations à venir et qui nous oblige car elle touche aux fondements de nos valeurs communes.

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