L'audition débute à neuf heures trente.
Le président Hutin ne pouvant être présent, j'ai l'honneur de présider cette réunion.
L'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.
Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit – nous ne sommes pas des juges – mais de comprendre comment cette contamination a pu se produire afin de réfléchir aux propositions que nous pourrions formuler pour que cela ne se reproduise plus.
Il nous a paru indispensable de commencer notre cycle d'auditions par l'écoute de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles (AFVLCS).
La commission d'enquête a ensuite entendu les organismes de contrôle de l'État afin de savoir comment l'alerte avait été donnée et quelles mesures avaient ensuite été prises – et, en particulier, comment la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait géré les retraits-rappels. Nous avons ensuite auditionné les associations de consommateurs.
Nous avons également reçu différents acteurs du secteur laitier, ainsi que des organisations professionnelles agricoles. Nombre d'auditions ont été consacrées aux contrôles sanitaires.
Nous poursuivons nos travaux en nous focalisant sur la distribution des produits : nous avons déjà entendu les représentants des pharmaciens, ceux de la grande distribution et du e-commerce. Nous terminons par les acteurs de la petite enfance, puisque du lait contaminé a été livré aux crèches.
Je rappelle que nos auditions se termineront par celles du président-directeur général de Lactalis et des ministres concernés par cette affaire.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Elsa Hervy, déléguée générale la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), Mme Thérèse Majnoni d'Intignano, dirigeante-fondatrice des Paradis de Jules et Juliette, Mme Élisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy chargée de la petite enfance, présidente du groupe de travail « Petite enfance » de l'Association des maires de France (AMF) et Mme Sarah Reilly, conseillère.
La Fédération française des entreprises de crèches fédère les entreprises proposant des services d'accueil pour les jeunes enfants de moins de six ans, afin de promouvoir le développement de modes d'accueil collectifs par des entreprises privées, d'optimiser et de favoriser l'exercice de cette activité, de faciliter les relations et représenter les entreprises de crèches auprès des partenaires institutionnels et publics, tout en développant des labels et standards de qualité visant à l'amélioration continue de ce secteur d'activité.
Elle comporte plusieurs dizaines de membres qui gèrent au total 41 000 places dans 1 500 crèches et comptent 17 000 salariés.
Quant aux crèches publiques, elles sont gérées par les collectivités territoriales – commune, ou services du département. C'est pourquoi nous recevons l'Association des maires de France.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse, retransmise sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale, et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais demander à chacun d'entre vous de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
Mmes Elsa Hervy, Thérèse Majnoni d'Intignano, Élisabeth Laithier et Sarah Reilly prêtent successivement serment.
Combien de crèches ont utilisé des laits contaminés ? Est-ce la première fois que vous aviez à gérer ce type de crise ? Quel est le circuit d'approvisionnement des crèches ? Est-il le même pour le lait et pour les autres aliments ?
Comment et par qui avez-vous été prévenus que des produits avaient été contaminés ? Les informations étaient-elles claires ? Avez-vous été avertis des différentes phases de rappel ? Pouvez-vous nous donner la chronologie de la crise ? Quels ont été vos contacts avec les différentes administrations de l'État concernées ?
Les crèches sont-elles concernées par les procédures classiques de retrait-rappel mises en oeuvre par la DGCCRF ? Ont-elles des rapports avec l'agence régionale de santé (ARS) ? Pouviez-vous distinguer les lots contaminés des autres ? Qu'avez-vous fait des lots contaminés ? Les avez-vous renvoyés ? Si oui, à qui ? L'État a-t-il contrôlé l'effectivité des retraits-rappels ?
Avez-vous été amenés à contacter les parents ? Quelles propositions feriez-vous afin que ce type d'affaire ne se reproduise pas ?
Je vais m'exprimer au nom de l'Association des maires de France et, si besoin, illustrer mes propos par l'exemple de ma commune, Nancy.
Combien de crèches ont utilisé les produits Lactalis ? L'AMF n'a pas eu de retour chiffré, mais des communes étaient concernées. En effet, les laits Milumel fabriqués par Lactalis sont parmi les moins chers du marché, ce qui explique leur utilisation par de nombreuses collectivités, notamment Marseille ou Châlons-en-Champagne.
La situation a été gérée directement par les collectivités, qui ont utilisé une procédure que je vais rappeler ensuite. Il n'y a eu ni alerte générale, ni gestion directe de la crise par l'AMF. Les élus ne nous ont pas fait part de problèmes particuliers. Nancy n'a pas été touchée car la ville utilisait Guigoz.
Si nous avions utilisé un des laits du groupe Lactalis, la procédure aurait été la suivante, comme pour tout incident lié à l'alimentation : la directrice du pôle « Petite enfance » entre en contact avec le ou les pédiatres des crèches, qui avertissent à leur tour immédiatement les directrices de structures, qui elles-mêmes retirent les aliments incriminés et avertissent les parents.
À notre connaissance, c'est la première fois qu'un accident de ce type se produit.
Vous m'avez ensuite interrogée sur le circuit d'approvisionnement du lait. Il faut distinguer ce circuit de celui des autres produits alimentaires, en général gérés par des prestataires extérieurs, comme Sodexho.
Pour limiter les coûts, l'achat de lait est quant à lui souvent géré séparément par les communes, par le biais de procédures de marchés à procédure adaptée (MAPA) ou de marchés négociés, en fonction du coût global du marché. Les marchés sont négociés dans la majorité des cas – à Nancy par exemple – car l'achat de lait représente rarement plus de 25 000 euros de dépenses annuelles.
En effet, dans les structures de petite enfance, le lait est assez vite remplacé par d'autres aliments, la diversification alimentaire intervenant vite pour les enfants que nous accueillons, qui ont rarement dix semaines – les mamans prolongent souvent leur congé maternité d'un à trois mois.
S'agissant de marchés publics, les critères de pondération sont choisis par les communes, mais le prix représente généralement 50 % de la note et les critères techniques – développement durable, délai d'approvisionnement, qualité du lait – l'autre moitié.
Pourriez-vous nous transmettre une note concernant ces procédures et les volumes d'achat ?
Nous vous la ferons parvenir rapidement.
Vous nous avez ensuite interrogées sur les phases de rappel et la procédure de retrait-rappel. Nous n'avons pas été en contact direct avec les ARS.
Je voulais insister sur l'absence des services de protection maternelle et infantile (PMI) dans le dispositif. Ce n'est absolument pas une critique vis-à-vis d'eux : nous le savons, ils ont énormément de travail et sont en voie de raréfaction. Pour autant, leur mission consiste à surveiller et prendre en charge tout ce qui concourt au bon accueil de l'enfant et à son hygiène et à sa sécurité à l'intérieur des établissements. En l'espèce, la protection maternelle et infantile (PMI) aurait pu être un relais : avertie en premier, elle aurait d'abord pu fédérer puis, à son tour, contacter toutes les structures, notamment dans les plus petites villes où la situation a peut-être été plus complexe.
Les médecins de PMI ont les coordonnées de tous les établissements dont ils assurent la surveillance. Ils ont en outre l'avantage d'être médecins. Si ce type de crise alimentaire devait hélas se reproduire, l'AMF estime que le rôle de la PMI pourrait être renforcé. Si les communes les plus importantes et celles gérant de grandes structures ont toutes des pédiatres de crèches, ce n'est pas le cas des structures avec une capacité d'accueil plus faible.
En réalité, toutes les communes ayant acheté des produits Lactalis ont simplement géré la crise avec bon sens. En effet, la responsabilité du maire et celle de la commune pouvaient être engagées, tant au niveau administratif que pénal.
La sécurité alimentaire fait partie des pouvoirs de police du maire – qui ne se délèguent pas, même en cas de délégation de service public (DSP) ou d'affermage.
Par les médias. Si je compare avec les procédures météorologiques, l'AMF et les élus n'ont pas reçu de bulletin d'alerte officiel.
Combien de crèches ont utilisé des laits contaminés ? Je n'ai pas de chiffre exact, mais une dizaine d'adhérents représentant probablement 30 % de nos 41 000 places utilisaient ce lait, parfois seulement dans quelques-uns de leurs établissements.
Est-ce la première fois que nous constatons un phénomène de cette ampleur au niveau national ? Effectivement, même si nous faisons régulièrement face à des rappels de produits – de type compotes ou petits pots.
Comment les crèches sont-elles approvisionnées en lait ? Deux circuits coexistent souvent. Pour la nourriture fraîche nécessaire au déjeuner, soit les repas sont cuisinés en interne, soit un prestataire extérieur est recruté. Dans ce dernier cas, le prestataire peut aussi fournir – ou non – ce que l'on appelle l'épicerie sèche – petits pots, lait, compotes.
Suivant la taille et l'organisation des entreprises de crèches, un seul prestataire grossiste fournira l'ensemble ou des marchés séparés seront passés, pour le lait, la nourriture fraîche et l'épicerie sèche. Les plus petites crèches se fournissent même directement en lait à la pharmacie ou au supermarché.
Quelques-unes parmi les entreprises de crèches, celles qui ont un ou deux établissements, se fournissent pour le lait au supermarché ou à la pharmacie, suivant la marque qu'elles ont choisi de prendre.
Comment avons-nous été prévenus ? Par les médias. Comme les autres entreprises de crèches, nous avons eu l'information au cours du week-end du 2 au 3 décembre. La confraternité a été très forte. Les entreprises de crèches, dont une partie est impliquée dans notre commission interne « qualité petite enfance » et possède des cellules de crise interne, ont relayé l'information auprès de moi au cours du week-end, de façon que dès le lundi 4 décembre, on puisse diffuser un mail d'alerte à l'ensemble de nos adhérents, indiquant que douze lots étaient concernés, etc.
Le texte était : « La Fédération vous demande de vérifier les stocks de votre établissement avant de procéder au retrait des stocks. Si ces laits ont été consommés, informer les professionnels et les parents de la façon dont on détecte les infections à Salmonella Agona, en les prévenant que les troubles surviennent dans les trois jours suivant l'ingestion et provoquent un tableau de gastro-entérite avec des vomissements, une diarrhée parfois sanglante et fébrile. Dans la majorité des cas, l'apparition de ces troubles doit conduire les familles à consulter un médecin. » Nous avions repris, pour ce faire, les recommandations de la Société française de pédiatrie qui avaient été très utilement données dans le communiqué de presse du ministère de la santé dès le 3 décembre.
Nous avions donné comme consigne à tous nos adhérents, dans tous les cas, d'informer les parents de leur établissement que tous les stocks de l'établissement avaient été vérifiés, et ce même si aucun lait potentiellement contaminé n'avait été retrouvé pour les établissements qui utilisaient la marque Lactalis.
Dans la pratique, nos entreprises de crèches – nos adhérents – ont relayé cette information aux familles qu'ils accueillent. Mais, dans le modèle des entreprises de crèches, ce sont des employeurs qui réservent des berceaux au bénéfice de leurs salariés. Nous avons donc prévenu les employeurs qui sont nos clients. Nous avons aussi comme autres clients les collectivités locales. Celles-ci ont également été prévenues.
Nous avons donc diffusé l'information au maximum.
Pendant le week-end du 10 décembre, le rappel a été étendu. C'était encore le week-end, mais nous étions restés en contact. Nous avons jugé que ce rappel était suffisamment important pour ne pas se contenter d'un mail, et nous avons relayé les informations de rappel à partir du compte Twitter de la Fédération.
Le lundi 11 décembre au matin, nous avons donné aux adhérents exactement la même consigne, en leur demandant en outre de tenir à la disposition des familles la liste des références, qui commençait à être longue, et les recommandations de la Société française de pédiatrie, afin qu'ils puissent également vérifier les stocks de leur domicile. En effet, le rôle des établissements est aussi d'apporter un soutien aux parents. Or certains de ces parents donnent du lait à leurs enfants à domicile, parfois relativement tardivement – par exemple, les biberons du matin.
Le 21 décembre, au troisième rappel, nous avons fait la même chose. Nous avons relayé sur Twitter et par courriel les informations à nos adhérents, qui les ont transmises aux parents, aux employeurs et aux communes réservataires.
Nous n'avons pas entrepris de nouvelle action à l'occasion du dernier appel du 12 janvier, puisque les nouveaux produits rappelés n'étaient pas présents dans les crèches : il s'agissait de céréales infantiles qui ne sont pas diffusées dans les crèches. Et pour le coup, la médiatisation était tellement importante que les parents étaient informés. Mais les listes étaient toujours à disposition de ceux qui le souhaitaient.
Donc, nous n'avons pas eu d'autres sources d'information que les circuits médiatiques pour la Fédération.
En pratique, le 4 décembre, nous n'avons pas eu d'informations de la part de Lactalis auprès d'adhérents. Deux adhérents ont contacté Lactalis après le 4 décembre pour savoir ce que l'on devait faire des lots – destruction ou renvoi au fournisseur. Ces deux adhérents étaient dans une liste de diffusion. Ils ont eu l'information par e-mail, qu'ils ont immédiatement relayée à la Fédération, au moment où les communiqués étaient publiés. Pour le rappel du 10 décembre, ils l'ont eue à 16 heures 40 alors que le communiqué avait été publié, grosso modo, au même moment.
Je vous l'ai imprimé. Ce sont les adresses mail des adhérents, et les tweets de la Fédération. J'en ai trois exemplaires.
Dans les entreprises de crèches, comme c'est l'employeur qui réserve les berceaux pour les salariés, on accueille les enfants dès dix semaines, pour que les mamans puissent reprendre leur travail à l'issue du congé maternité. Les bébés vont en consommer dans la journée. Ils auront quatre biberons par jour, jusqu'à la diversification de leur alimentation.
30 % de nos places.
Vous accueillez donc entre 10 000 et 15 000 enfants qui consomment du lait en poudre, mais vous n'avez aucune relation avec quiconque, d'aucun ministère ?
C'est cela. Or les entreprises de crèches représentent 17 % des 436 000 places de crèches en France, et que l'AMF en représente 70 %.
Pour répondre à la suite de vos questions, je vous dirai que nos contacts avec l'État, au coeur de la crise, ont été inexistants. Un adhérent a toutefois été contrôlé par une DGCCRF locale, qui est venue vérifier effectivement s'il n'y avait pas de lots contaminés dans ses stocks. Il n'y en avait pas. Cet adhérent utilisait Milumel, et il avait obéi aux différentes consignes de manière responsable et normale.
Nous n'avons pas eu de rapport avec l'ARS, ni avec les PMI, excepté la PMI de Paris qui, au deuxième rappel, a contacté la Fédération pour savoir si nous diffusions des consignes à nos adhérents, et nous avons pu procéder à des échanges d'informations.
Vous nous demandez si nous avons contacté les parents : oui. Par principe, on a informé continuellement l'ensemble de nos parents.
Vous nous demandez si nous avons procédé au renvoi ou à la destruction. Cela dépendait du circuit d'approvisionnement et des adhérents. Parfois, les entreprises de crèches achètent l'épicerie sèche auprès d'un grossiste. Certains grossistes ont demandé qu'on leur renvoie les lots. D'autres ont accepté qu'on les détruise et ont procédé à des remboursements sur preuve d'achat. Les adhérents qui n'avaient pas de consignes ont détruit les lots et ont procédé à la demande de remboursement classique en la matière.
Quel est le bilan ? Plusieurs adhérents ont fait savoir que des produits issus des lots nommés avaient été retirés des crèches. Mais aucun adhérent n'a eu à déplorer de contamination à la salmonelle, même s'il y a eu des gastro-entérites – on était au mois de décembre.
Nous tenons à nous féliciter de la très grande réactivité du monde professionnel. De fait, les professionnels dans les crèches exercent des métiers sanitaires. Il y a des infirmières dans toutes les crèches, des infirmières puéricultrices et des auxiliaires de puériculture. Ces métiers qui sont rompus aux procédures de rappel sanitaire, et ces professionnels n'ont pas hésité un seul instant à procéder immédiatement à un rappel. C'est quasiment dans leur ADN de veiller à la qualité de l'accueil et à la sécurité – y compris alimentaire – des enfants.
Encore une fois, combien de crèches ont utilisé de lait contaminé ? Combien de crèches, parmi les 1 500 crèches que comptent vos adhérents, ont donné du lait contaminé à des enfants ?
Par ailleurs, on a appris le vendredi soir que du lait avait été contaminé. Je suppose que les pères et les mères de famille sont venus déposer les enfants le lundi matin à huit heures, comme je le fais régulièrement. Comment avez-vous pu leur donner un autre type de lait ? Vous n'avez pas pu aller en acheter. Avez-vous continué à leur donner du lait contaminé ?
Non. L'avantage des établissements d'accueil de jeunes enfants, c'est qu'ils ont des stocks de lait d'avance. À la première crise, douze lots seulement concernés, correspondant à un certain nombre de dates. Vous pouviez donc avoir des lots d'avant, ou des lots d'après.
Dès la première crise, certains adhérents ont pu choisir, parfois en une semaine, d'acheter une autre marque de lait et d'en changer.
À la deuxième crise, celle du 10 décembre, il a fallu procéder en urgence au remplacement du lait. Les adhérents qui étaient concernés, les plus petits comme les plus gros, ont alors envoyé des équipes soit dans les supermarchés, soit dans les pharmacies, et ont acheté une autre marque de lait sans hésitation aucune. Comme je vous le disais, le principe est que dans de tels cas, nos infirmières, nos professionnels, ne prennent aucun risque.
Du lait contaminé, je ne sais pas. Des produits qui faisaient partie de la liste des lots concernés, plusieurs adhérents me l'ont fait savoir, mais je n'ai pas la liste du nombre de boîtes qui ont été retirées, sachant qu'un certain nombre de boîtes ont été retirées des réserves.
Je ne peux donc pas savoir combien d'enfants ont ingéré du lait d'une boîte qui faisait partie du lot rappelé, ce qui ne veut pas pour autant dire que cette boîte-là était contaminée et donnait la salmonellose, dans la mesure où aucun cas n'a été constaté parmi les enfants accueillis dans nos entreprises.
Nous avons un doute. Pouvez nous repréciser comment, par quel canal, vous avez été informés les uns et les autres, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé ? Avez-vous reçu une communication officielle, à un moment ou à un autre, de la part des services, de la part de l'ARS ?
Ni l'AMF, ni les communes qui nous ont fait éventuellement des retours, n'ont eu d'information venant de l'ARS ou de la PMI. Je pense au rôle important, sur lequel il faudrait insister, de la PMI. Nous avons été informés par les médias, et nous avons suivi l'affaire par les médias.
Pour la FFEC, je le confirme : ce sont les médias qui nous ont informés. Ensuite, pendant le week-end, grâce à la confraternité des adhérents, l'information a été diffusée à nos professionnels. Nous n'avons eu de relations ni avec la DGCCRF, ni avec l'ARS, ni avec les PMI, mis à part, pour le deuxième rappel, la PMI de Paris. Mais c'est la seule PMI, à ma connaissance, qui ait passé l'information.
Vous nous parlez du déclenchement de la crise. Mais depuis, avez-vous reçu d'autres courriers d'information ? Vous n'avez pas tout de suite été alertés, mais avez-vous eu un échange de correspondance quelconque, des courriers, vous recommandant d'être vigilants ?
Non. Que ce soit au niveau de l'AMF où pourtant nous sommes en contact avec les différentes administrations centrales, ou que ce soit dans les communes, par la suite, nous n'avons eu aucun échange d'aucune sorte.
Comme je le disais tout à l'heure, nous avons agi immédiatement parce que c'était évident. Nous avons prévenu les parents parce que, effectivement, ils peuvent continuer à donner du lait à leurs enfants chez eux. Après, c'est le bon sens et le professionnalisme de nos personnels qui ont amené les communes à ne plus utiliser ce lait.
Dans les villes, nos achats se font bien évidemment par des commandes publiques. Mais dans un cas comme celui-ci, le retrait est immédiat. Comme il faut continuer à nourrir les enfants, on va acheter du lait en grande surface ou en pharmacie. Par exemple, il se trouve qu'à Nancy, nous avons négocié un marché global avec Auchan pour des petits achats en cours d'année ; nous nous sommes donc approvisionnés de cette façon.
C'est le bon sens naturel qui a joué.
Mais n'est-ce pas un peu artisanal ?
Tout à l'heure, on a posé une question sur les procédures de retrait-rappel. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont ces procédures, que ce soit dans le public ou dans le privé ? Et s'il y en a eu dans le passé, comment se sont-elles déroulées ?
Enfin, avez-vous un numéro d'urgence, avez-vous des outils à votre disposition, chez vous, pour que précisément l'ARS, l'État en fait, vous contacte ?
De façon un peu formelle, non. Cela va conforter votre idée que cette façon de procéder est un peu artisanale. Je le déplore, mais c'est ainsi.
Nous avons à l'AMF un service juridique extrêmement bien informé. Il faut savoir que nous n'avons pas d'observatoire à proprement parler. L'AMF sert de courroie de transmission entre les élus et le national, répond précisément aux questions, et met en relation les uns avec les autres.
Ce service juridique est régulièrement consulté par nos adhérents. Mais, effectivement, en cas de crise, cela devient plus compliqué. Nous avons des outils. Dans notre Lettre d'information, sur notre site, nous pouvons effectivement rappeler des mesures de retrait. Et on l'a déjà fait dans les envois que nous adressons régulièrement à nos associations départementales. L'AMF est à Paris, et chaque département a une association départementale de maires. D'une certaine façon, la courroie de transmission passe par les associations départementales.
La Fédération n'a eu de contact qu'avec la PMI de Paris. Et en février 2018, la Direction générale de la cohésion sociale nous a demandé comment cela s'était passé et comment nous avions géré la crise. Nous leur avons donc transmis les mêmes informations que celle que nous avons remises, nos messages tweeter et les mails à nos adhérents.
Sur la procédure de retrait-rappel, tout dépend du fournisseur de lait.
Les entreprises de crèches qui achetaient auprès d'une grande surface ont détruit les lots, ce qui correspondait aux consignes données aux familles, aux acheteurs particuliers.
Les entreprises de crèches qui avaient un fournisseur officiel, grossiste ou semi-grossiste avec lequel elles avaient un lien contractuel, ont suivi les consignes. Certains fournisseurs ont demandé que les boîtes soient stockées, et que quelqu'un de chez eux vienne les récupérer ; je ne sais pas ce qu'ils en ont fait, mais je suppose qu'ils les ont détruites. D'autres ont demandé que les équipes procèdent à la destruction des lots, et les ont remboursées sur la preuve de l'achat.
Quand il y avait le moindre doute ou quand la réponse tardait trop – nous avons tout de même un problème de place dans les crèches – les entreprises de crèches ont décidé d'autorité de détruire les lots, et ont fait une demande de remboursement. Si Lactalis a géré correctement une partie de cette crise, c'est bien celle-là. Il n'a pas contesté le fait qu'il était légitime de rembourser les lots détruits.
Lorsque vous recevez des produits, regardez-vous le numéro de lots et la date limite de consommation ? Avez-vous une traçabilité des lots qui vous permet de connaître l'état de votre stock ?
Tout dépend de la taille de l'entreprise de crèche et de ses procédures internes. Dans l'affaire Lactalis, les listes particulièrement longues données par le Gouvernement précisaient à chaque fois le numéro de lot et la date limite de consommation. En ce qui me concerne, j'ai regardé d'abord quelle était la date limite de consommation car elle était écrite en gros caractères puis j'ai vérifié si le numéro de lot correspondait à celui qui devait être retiré. Dans les établissements qui utilisaient les laits de la marque Lactalis, les professionnelles ont procédé à trois reprises à la vérification de leurs stocks en regardant la date limite de consommation et les numéros des lots, et elles ont retiré à trois reprises, si nécessaire, les produits incriminés. Elles l'ont fait sur place sans hésiter.
Tout à l'heure, vous avez parlé d'une procédure d'achat. Celle-ci prévoit-elle le circuit que vous devez suivre, les informations que vous devez divulguer et à qui en cas de produit non conforme ?
Il s'agit des procédures classiques des marchés publics en fonction du coût global du marché : au-dessus de 25 000 euros, il s'agit d'un MAPA et en dessous ce sera une procédure d'achats négociés, auquel cas chaque commune attribue ses critères de pondération.
Existe-t-il un document qui explique au personnel d'une crèche comment il doit gérer un produit non conforme, par exemple l'isoler, s'assurer qu'il n'est plus en stock dans la crèche, savoir quelle personne prévenir ?
Ce sont des protocoles très précis qui sont établis par le médecin de crèche et que le personnel a à disposition.
Elisa Hervy. Le code de la santé publique nous oblige à avoir un médecin de crèche qui établit des protocoles sanitaires. Le risque de contamination est prévu dans notre protocole sanitaire.
S'agissant de votre question sur la procédure d'achat, tout dépend du fournisseur que vous avez choisi et de la prestation qu'il vous propose. Notre fédération n'a pas diffusé de notes de procédure, mais un certain nombre d'entreprises peuvent avoir des notes de procédure. Elle a décidé de labelliser un ou deux partenaires de confiance qui seront choisis, pour au moins 45 % de la note, sur la qualité de leur prestation, et notamment la qualité de la procédure de rappel et la réactivité de l'information. C'est devenu un sujet majeur de la commission qualité petite enfance de la fédération.
Il y a en moyenne 400 000 places de crèches, et 120 000 jeunes enfants qui consomment du lait. Y a-t-il, dans chaque crèche, quelqu'un qui a un numéro de téléphone d'urgence qui peut être appelé dans l'heure ? Chaque crèche peut-elle recevoir un courriel d'urgence, un fax d'urgence ?
À Nancy, la directrice de la structure a un téléphone sur lequel se trouve le numéro de téléphone de la directrice du service petite enfance. Cette personne est forcément d'astreinte en cas d'urgence et elle a toujours ce téléphone sur elle. Toutes les directrices des structures ont ce numéro.
Toutes les directrices de nos structures ont un téléphone, et elles peuvent être appelées d'urgence. Pour les petits gestionnaires, c'est le gestionnaire qui est appelé d'urgence et qui gère la crise.
Lors du protocole d'agrément d'un établissement, la PMI s'assure qu'il y a bien, dans le bureau de direction, l'ensemble des numéros d'urgence – pompiers, SAMU, contact avec la PMI –, de manière qu'en cas de crise majeure, la directrice, et en son absence le relais de direction, aient sous les yeux les numéros à appeler.
Vous avez indiqué tout à l'heure qu'il n'y avait pas eu de contamination par le biais des entreprises de la FFEC. Pour leur part, les communes ont-elles eu connaissance, parmi les trente-sept cas touchés, de cas qui seraient survenus dans les crèches des collectivités ?
Comme je vous disais tout à l'heure, nous ne sommes pas un observatoire. Nous n'avons donc pas ce genre de remontée d'information des communes.
Ce sujet n'a pas été abordé dans mon groupe qui réunit les élus petite enfance des communes, toutes tailles et sensibilités politiques confondues – Marseille, Nice, Bordeaux, Nantes. Alors que je suis très régulièrement sollicitée pour aborder des problématiques, personne ne nous a parlé de l'affaire Lactalis lorsque celle-ci s'est produite. Nous n'avons eu aucune remontée.
Vous avez indiqué avoir été prévenues par les médias. Avez-vous à disposition les numéros d'urgence de tous vos fournisseurs ? N'est-il pas de votre ressort, en tant qu'alerte, d'aller puiser les informations en appelant les numéros d'urgence qui sont donnés par vos fournisseurs ?
Je suppose que cela a dû se faire, mais là encore je n'ai pas de remontée. Je conçois que ma réponse est très vague et qu'elle n'est sûrement pas satisfaisante, mais je suis là pour vous dire exactement comment cela se passe.
Effectivement, dans les structures, le numéro de téléphone de la personne à contacter au cas où la directrice serait absente est affiché. La directrice du pôle petite enfance est mobilisable de toute façon.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, pour les communes on distingue le marché du lait de l'approvisionnement en produits alimentaires qui est assuré par un prestataire extérieur comme Sodexo. Nous avons des contacts extrêmement réguliers et des numéros de téléphone que nous pouvons appeler. Par ailleurs, les structures ont l'obligation de conserver dans leurs réfrigérateurs des échantillons de tout ce qui est servi aux enfants, et les services vétérinaires des communes passent à l'improviste pour effectuer des contrôles sur ces échantillons.
Si l'entreprise de crèche est de petite taille, elle se fournira au supermarché, sinon elle a un fournisseur attitré. Quand elle a un fournisseur attitré, elle a bien sûr un numéro de téléphone pour pouvoir le contacter.
La gestion de cette crise a comporté deux moments. D'abord, les équipes sur le terrain auprès des enfants ont procédé au rappel des lots et veillé, dans le cadre de leur mission sanitaire, à ne pas donner les produits incriminés aux enfants. Ensuite, il a fallu gérer le remboursement des lots incriminés. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, deux de nos adhérents ont contacté directement Lactalis par le biais des numéros verts ou du lien qu'ils pouvaient avoir du fait de leur contrat. Ces deux adhérents ont figuré de ce fait dans la base des courriels de Lactalis et ont donc bénéficié de l'information sur le deuxième et le troisième rappel en même temps que de la communication publique par courriel. Mais nous n'avons pas eu d'autres numéros. Le numéro d'urgence de Lactalis n'a pas été utilisé par l'ensemble des entreprises de crèches. Les informations disponibles dans les médias et sur internet étaient suffisantes pour gérer la partie sanitaire de la crise au plus près des enfants.
J'imagine que vous avez toutes un peu d'expérience dans vos postes respectifs. Avez-vous déjà eu à traiter des crises de cette ampleur ? Si oui, ont-elles été gérées différemment, notamment en termes d'information. ?
C'était la première fois que l'on traitait une crise de cette ampleur, puisqu'elle s'est avérée nationale.
J'ai déjà connu, à Nancy, une crise sanitaire à la suite de contrôles sanitaires réalisés sur des échantillons de nourriture. C'était au mois d'août et j'étais en vacances. Le directeur de cabinet m'a appelée pour m'informer et pour que je valide la décision qui avait été prise.
Au cas par cas, c'est l'élu en charge qui reste responsable et informé.
Je ferai la même réponse : ce sera fait au cas par cas.
Notre métier, c'est d'accueillir des publics extrêmement fragiles. Nous sommes soumis à la réglementation du code de la santé publique qui nous impose des compositions de professionnels avec des métiers sanitaires. Veiller à la santé sanitaire des publics que l'on accueille fait partie de notre coeur de métier. Il n'y a jamais d'hésitation sur ces sujets-là. S'il peut y avoir de grands débats sur la méthode pédagogique à appliquer, sur l'âge auquel on met tel jeu à disposition des enfants, il n'y aura jamais de débat ou d'hésitation sur les sujets sanitaires, quel que soit le statut juridique, car notre métier est d'accueillir des enfants fragiles puisqu'ils ont entre dix semaines et trois ans.
Tout à l'heure, je vous ai parlé de téléphone, de courriel ou de fax et vous m'avez répondu sur le téléphone. Mais comme on sait bien qu'on peut l'éteindre parce qu'il sonne tout le temps, parce qu'on est en RTT ou en congé, etc., y a-t-il un autre moyen de communication pour être sûr d'avoir l'information ?
Si demain on vous demandait de ne plus acheter le lait en grande surface mais uniquement en pharmacie, cela serait-il problématique pour vous ?
Quelles sont vos propositions pour éviter que ce type de scandale ne se reproduise ?
L'autre moyen de communication c'est bien sûr le courriel. Mais lui aussi est susceptible d'être coupé la nuit.
Si on devait acheter demain le lait en pharmacie et non pas en grande surface, le premier problème serait bien sûr celui du coût. Il faut savoir que le budget de la petite enfance est extrêmement important pour les communes. Après avoir perçu les subsides des caisses d'allocations familiales et des parents, le coût de fonctionnement est en moyenne encore de 5 000 euros par place. Nous sommes bien obligés de faire très attention à la rationalisation de ces coûts. Bien sûr, si c'était le seul moyen d'avoir la certitude absolue de ne pas avoir de problème, nous le ferions. Et s'il s'agissait d'une règle nationale, de toute façon nous n'aurions pas le choix. Mais il est sûr que ce serait lourd pour les communes et que cela les obligerait forcément à faire d'autres choix par ailleurs.
La sécurité de l'accueil dans les structures est la priorité.
Vous nous demandez quelles sont nos propositions. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je pense que la bonne courroie de transmission, ce sont les PMI, parce qu'elles ont vraiment un rôle pour accompagner toutes les structures, chaque médecin de PMI étant chargé sur son secteur d'un certain nombre d'établissements d'accueil des jeunes enfants (EAJE). Vous nous demandez aussi si nous avons eu des échanges depuis la fin de l'affaire Lactalis. Je pense que nous pourrions aborder aussi ces sujets avec le médecin de PMI de référence du secteur, ne serait-ce que pour peaufiner et améliorer la prévention, la façon de prévenir les familles. Peut-être que les ARS auraient pu aussi être plus présentes, car nous accueillons tout de même un nombre d'enfants considérable en France.
Le rôle de la PMI ne se résume pas à vérifier le nombre de mètres carrés, la hauteur des cloches de portes, à délivrer des agréments et à savoir si on a le bon nombre d'éducateurs de jeunes enfants eu égard au nombre d'enfants qu'on accueille. La veille sanitaire et l'alimentation sont aussi des éléments importants. C'est d'ailleurs ce qu'a mis en exergue cette crise.
Pour la Fédération française des entreprises de crèches, les contacts qui ont pu être noués au cours de la crise avec la PMI de Paris nous ont permis de rester en relation. Au mois d'avril dernier, un avis de rappel de boîtes de lait Prémilait a été lancé qui a bénéficié de la même procédure que pour l'affaire Lactalis : courriel aux adhérents, relais par Twitter. Nous sommes rodés maintenant. C'est un dispositif que nous allons essayer d'institutionnaliser.
Vous nous demandez si les boîtes de lait pourraient être distribuées via les pharmacies. Je suppose que c'est parce que vous voulez qu'un professionnel de santé intervienne dans la distribution. Or dans nos établissements, cette exigence du professionnel de santé dans le circuit de distribution existe déjà. C'est d'ailleurs probablement pour cela que nous n'avons déploré aucun cas de contamination auprès de nos enfants.
Le circuit d'information le plus naturel pour alerter les établissements d'accueil des jeunes enfants est celui des PMI, avec la difficulté pour l'État que les PMI sont rattachées au département et pas directement à une direction régionale. Il faudra donc que l'État trouve le circuit adéquat, que l'ARS écrive aux PMI, etc. – à eux de se débrouiller. Je le répète, la PMI est le vecteur naturel d'information et d'alerte des gestionnaires d'établissements d'accueil des jeunes enfants, quel que soit leur statut. C'est elle qui les accompagne et les contrôle au quotidien dans l'exercice de leur métier.
L'audition s'achève à dix heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 9 h 30
Présents. – Mme Géraldine Bannier, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Séverine Gipson, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac
Excusé. - M. Arnaud Viala