L'audition débute à quatorze heures.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Philippe Testa, responsable du département Secourisme à la direction des activités bénévoles et de l'engagement, et Mme Ana Chapatte, responsable de la zone Caraïbes, Océan Indien, Asie-Pacifique, Moyen-Orient, Europe à la direction des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française.
Cette mission d'information a été créée par le bureau de l'Assemblée nationale, sur proposition de sa Présidence, suite aux cyclones Irma et Maria. Notre objectif est d'évaluer les politiques publiques afin de mieux anticiper et gérer les événements climatiques majeurs, notamment ceux qui touchent les zones littorales, tant dans l'Hexagone qu'outre-mer. Nous analysons également les modalités de reconstruction de ces territoires.
Dans ce cadre, nous souhaitions entendre le tissu associatif et les organisations non gouvernementales (ONG), afin de disposer de votre retour d'expérience. Nous souhaiterions connaître votre point de vue sur la situation antillaise après le passage d'Irma et Maria et pourrons ensuite évoquer les éventuelles pistes d'amélioration.
Comment la réponse aux alertes qui résultent d'événements climatiques majeurs est-elle organisée ? Des plans d'urgence sont-ils formalisés ? Existe-t-il des plans spécifiques pour les zones littorales et dans les territoires ultramarins ? Quelles opérations type sont planifiées en cas de survenue d'un événement climatique majeur ? Quelle est l'articulation entre les différents acteurs – ministère de l'intérieur, préfectures, secours, hôpitaux, collectivités territoriales ? Y a-t-il eu des modifications des plans de crise suite aux dernières tempêtes et ouragans – Xynthia, Irma, etc. ? Quelle est votre analyse de la gestion de la crise des ouragans de cet automne ? Quels enseignements en tirez-vous ? Quels points doivent être améliorés ? Quelles sont vos recommandations, notamment pour les événements climatiques touchant les zones littorales ?
La Croix-Rouge est une association polyvalente, composée de 60 000 bénévoles et 18 000 salariés. Elle gère six cent cinquante établissements, dans l'hexagone et outre-mer. Elle dispose de neuf cents représentations associatives. La Croix-Rouge française fait partie du mouvement international de la Croix-Rouge. Par ce biais, elle bénéficie de l'apport de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge – particulièrement en cas de catastrophes. Depuis maintenant quelques années, nous organisons une veille au siège de la Croix-Rouge à Paris : toute la journée, une équipe de salariés anime les réseaux de bénévoles et de salariés directement intéressés par ces questions. Elle est également chargée de prévoir et planifier la réponse de la Croix-Rouge lors de la survenue de catastrophes, lorsque nous sommes sollicités par les pouvoirs publics.
Pour ce faire, nous disposons de plans d'organisation interne, mis à jour et partagés avec l'ensemble du réseau de la Croix-Rouge au fil des retours d'expérience. Lorsqu'une catastrophe survient, nous savons en temps réel quels matériels sont à notre disposition, quel est l'état de nos ressources – matérielles ou humaines – et quelles sont les possibilités d'intervention de nos équipes. Nous avons formalisé l'ensemble dans un document, le dispositif de réponse opérationnelle planifiée, disponible sur tous les territoires. Au niveau national, nous sommes ainsi capables de savoir rapidement quelle peut être la réponse de la Croix-Rouge dans une zone impactée.
Nous disposons également d'un centre opérationnel, mis en alerte dès que nous nous avons connaissance d'un événement climatique pouvant frapper le territoire national. En cas de nécessité, notre cellule de crise nationale se situe à la direction générale et se déploie en même temps que le centre opérationnel. Tous les services de la Croix-Rouge française concernés par une catastrophe se réunissent régulièrement – au moins une fois par jour – afin de faire le point sur les opérations en cours et celles à développer. Nous réalisons nos opérations en coordination directe avec les ministères concernés – intérieur, santé, outre-mer ou environnement.
Je travaille à la direction des opérations internationales. Je suis présente aux côtés de M. Testa car la Croix-Rouge française dispose de trois plateformes d'intervention régionale : la plateforme d'intervention régionale de l'Océan indien (PIROI) est basée à La Réunion et dispose de stocks prépositionnés dans cinq territoires, dont la Réunion et Mayotte, ainsi que d'un certain nombre de bénévoles capables de répondre aux catastrophes en quarante-huit à soixante-douze heures ; la plateforme d'intervention régionale Amériques Caraïbes (PIRAC) est basée en Guadeloupe et dispose de stocks prépositionnés en Guadeloupe, à la Martinique et en Guyane ; en Nouvelle-Calédonie, la plateforme d'intervention régionale de l'Océan pacifique sud (PIROPS) répond aux catastrophes naturelles en Nouvelle Calédonie, à Wallis et Futuna et dans les pays voisins.
Avec le réseau Croix-Rouge local – nous disposons de partenaires dans presque tous les pays du monde –, ces plateformes gèrent bien entendu les conséquences des catastrophes naturelles, mais réalisent également un important travail de prévention et de préparation, notamment dans les écoles. Elles sensibilisent les écoliers sur les risques liés aux catastrophes naturelles. Un programme très intéressant est par exemple mené à la Réunion.
Quelle est la réponse de la Croix-Rouge en cas de catastrophe cyclonique ? Nous disposons des quatre types d'agréments de sécurité civile. En conséquence, nous pouvons intervenir tant au niveau des opérations de secours, que du soutien aux populations, de la gestion des bénévoles spontanés ou de la mise en place de postes de secours. Sur les trois premiers types d'agréments, nous intervenons directement. Pour autant, le coeur de notre mission n'est pas lié aux opérations de secours mais au soutien aux populations : nous gérons des centres d'hébergement d'urgence que nous mettons à disposition des populations sinistrées.
En coordination avec les autorités locales et nationales, nous organisons aussi la distribution d'eau – nous avons des équipes spécialisées dans le traitement de l'eau –, évaluons les besoins sanitaires ou les problèmes sociaux. Nous pouvons distribuer des kits de mise à l'abri. C'est le coeur de l'activité des plateformes d'intervention régionale dont a parlé Mme Chapatte.
Nos actions s'inscrivent dans la durée, dans la phase située entre quinze jours et trois mois après la crise. Nous avons d'ailleurs été présents à Saint-Martin sur cette durée pour gérer l'urgence et les secours – 450 personnes ont été déployées durant cette période. Nous sommes toujours présents, mais sur des missions d'une autre nature.
Comment s'articulent les missions des différents acteurs ? Du fait de son statut, la Croix-Rouge est un auxiliaire des pouvoirs publics. Lors d'une catastrophe, nous sommes très rapidement conviés aux tours de table. Nous coopérons largement à tous les groupes de travail, commissions ou réunions organisées autour de la prise en charge des catastrophes. Nos équipes sont également intégrées aux centres opérationnels départementaux des préfectures.
Nous sommes en mesure de coordonner les actions menées localement par nos établissements et nos salariés avec celles de nos bénévoles. Nous gérons six cent cinquante établissements de santé et médico-sociaux, compétents en matière de handicap, de personnes âgées ou d'exclusion. L'ensemble de notre dispositif s'articule afin de pouvoir répondre au mieux aux besoins des populations.
Après chaque opération, nous organisons ce que l'on appelle des retex – retours d'expérience – afin d'améliorer notre proposition, notre réponse et nos processus internes. En la matière, même si les plans sont clairs, chaque intervention est unique et soumise à des contingences. Il faut donc en tenir compte pour améliorer nos interventions futures. Vous citiez l'exemple de Xynthia : l'opération était lourde et longue – elle a duré quelques semaines. Cette expérience nous a permis d'améliorer notre réponse aux submersions et aux inondations – ce que les Anglo-Saxons appellent le flood. L'organisation territoriale – départementale et régionale – a été modifiée en conséquence, ce qui nous a conduits à réviser le dispositif de réponse opérationnelle. L'amélioration de l'efficience de nos propositions et de nos interventions est un objectif constant, en coopération avec les autorités – collectivités ou États. C'est par exemple le cas en post-urgence, sur les modalités de reconstruction des zones sinistrées. Nos relations sont fréquentes, ce qui nous permet d'échanger. Les dispositifs ne sont donc pas figés.
Quelle est notre appréciation de la gestion de crise des ouragans de cet automne ? Cela s'est plutôt bien déroulé. Nous avions envoyé deux personnels en reconnaissance sur place, avant le passage de l'ouragan Irma. Par recoupement d'informations – Météo France, alertes du ministère de l'intérieur, d'autres ministères ou de la Fédération internationale –, la veille organisée au siège de la Croix-Rouge nous a également permis de disposer d'un faisceau d'informations et de prendre rapidement des décisions.
Les deux cadres de la Croix-Rouge ont organisé le dispositif et sa montée en charge : ils ont analysé quels moyens pouvaient être installés sur place et – point très important – comment on pouvait s'appuyer sur les ressources locales, afin d'évaluer ensuite les ressources complémentaires nécessaires, envoyées depuis la métropole, via les Petites Antilles.
Parallèlement, la PIRAC a basculé en pré-alerte. Très rapidement, nous avons été en mesure de nous insérer dans le tissu de la gestion de crise globale, à la préfecture de Guadeloupe dans un premier temps, et puis à la préfecture et au sein de la collectivité de Saint-Martin dans un second temps. Au même moment, à Paris, des points réguliers étaient organisés au ministère de l'intérieur avec le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) qui nous a proposé de partir avec le premier avion décollant de métropole. Quatorze personnes supplémentaires ont ainsi pu être affectées à l'évaluation des dégâts à Saint-Martin et y ont été acheminées dès que possible.
Nous avons réussi à négocier des places pour aller à Saint-Martin sur les premières barges. Puis nous avons établi assez rapidement un pont aérien pour transférer du matériel depuis la métropole. L'armée nous a même proposé de transporter du matériel dans le Tonnerre, bâtiment de projection et de commandement (BPC) de la Marine nationale. Mais nous avons estimé que quatorze jours de navigation étaient un peu longs pour intervenir rapidement.
Nous avons saisi toutes les opportunités : ainsi, Airbus Industrie a mis gratuitement à notre disposition un Airbus A 350 – gros porteur – qui nous a permis d'acheminer quelques centaines de tonnes de matériel directement sur place.
Je tiens à rappeler que le contexte était extrêmement complexe, car il y a eu trois ouragans à la suite en trois semaines. Les retards constatés sont notamment liés au passage de Maria, qui a empêché le transit des personnels additionnels en Guadeloupe. Par ailleurs, les stocks disponibles en Guadeloupe pour Saint-Martin étaient également bloqués. Nous avons sans doute perdu une dizaine de jours à cause de ces deuxième et troisième ouragans. Nous savions qu'il était indispensable de prépositionner des stocks sur place pour répondre aux premiers besoins. Mais les stocks prépositionnés à Saint-Martin étaient clairement insuffisants. Cela fait l'objet du retour d'expérience que nous analysons en interne. Nos collègues hollandais ont eu exactement le même problème.
Une fois sur place, nous avons pris rapidement contact avec nos collègues hollandais afin de coordonner certaines missions, en coopération avec la Fédération. Lors du passage de Maria, nous avons dû confiner nos effectifs sur place, ce qui a ralenti l'acheminement. Mais, malgré tout, le pari logistique – complexe – a été gagné.
Quels enseignements tirer de cette catastrophe ? Nous l'avons déjà dit, il conviendrait d'améliorer la préparation des populations. En métropole comme outre-mer, il faut intéresser les gens aux risques et développer une politique de réduction des risques de catastrophes, par le biais d'actions d'information et de formation à la préparation de la catastrophe. Il faut sensibiliser les populations aux risques qui les environnent et leur expliquer comment ils peuvent s'organiser dans leur famille, leur immeuble, leur quartier.
On dispose toujours – parfois avec retard – de la réponse à la catastrophe, mais la prévention et la préparation des populations permettraient sans doute de gagner en réactivité et de sauver plus de vies. En la matière, le projet « Paré pas Paré » de La Réunion fonctionne bien. De même, les formations prévention et secours civiques de niveau 1 dispensées par la Croix-Rouge française comprennent désormais une initiation à la réduction des risques. En association avec quatre autres sociétés nationales de la Croix-Rouge, nous avons aussi développé le projet ReCheck. Ce projet, financé par la Commission européenne, est en cours de déploiement sur le territoire national. Il consiste à effectuer une analyse rapide des risques au sein des foyers, des immeubles, des lotissements ou des quartiers, afin que les populations puissent réfléchir à leur propre « plan de sauvegarde » – le terme n'est peut-être pas totalement approprié. Les premiers tests intéressent les populations concernées.
Du fait de la multiplication des problèmes climatiques, les populations sont sensibilisées aux risques de catastrophes naturelles… La loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile disposait déjà que le citoyen devait être acteur de la sécurité civile. Il conviendrait désormais d'insister sur ce point, d'autant plus les populations s'organisent de plus en plus : par exemple, nous avons pu récemment le constater, en cas d'inondations, la solidarité de voisinage se développe sans attendre l'intervention des autorités.
Sans effrayer la population, cette sensibilisation à la réduction des risques permettrait de développer des réflexes et d'améliorer l'organisation des habitants et des secours en cas de survenue d'une catastrophe. Il y a quelques années, sur l'île de La Désirade, nous avions développé le programme « autonomie 72 heures ». Cette formation permettait aux populations de tenir soixante-douze heures dans l'attente de l'arrivée des secours. Cela avait bien fonctionné.
Compte tenu des événements récents, l'ensemble du mouvement Croix-Rouge et la Croix-Rouge française souhaitent participer à la promotion de telles actions.
Merci pour ces éléments de réponse. Avez-vous été associés aux exercices européens « EU Richter » qui ont eu lieu en mars dernier ? Selon les retours de la mission d'information effectuée il y a deux semaines aux Antilles, ils ont été très utiles pour l'organisation de la gestion de crise après le passage d'Irma.
J'aimerais avoir plus d'informations sur l'exercice ReCheck dont vous nous avez parlé. Pourrez-vous nous fournir une fiche d'informations plus précise sur son déploiement ?
Votre organisation est une ONG internationale, avez-vous structuré des stratégies de réponse au niveau régional ? Le bassin Caribéen compte 40 millions d'habitants, beaucoup d'îles ont été touchées. Pouvez-vous nous fournir un retour d'expérience sur la coopération régionale ?
Enfin, vous avez mentionné la phase post-urgence ; six mois plus tard, où en sommes-nous ? Malgré tous les moyens déployés et tout ce qui est en cours, force est de constater que l'on patine un peu. Et la situation humaine à Saint Martin est aujourd'hui extrêmement alarmante. Comment travaillez-vous sur cette phase de reconstruction ?
Nous sommes régulièrement convoqués pour les exercices ; et même si ce sont des exercices d'état-major, les ONG sont prises en compte. Je pense à Sequana, un exercice européen qui a eu lieu à Paris il y a trois ans et qui est sûrement comparable.
En tous les cas, les ONG sont associées très régulièrement. La Croix-Rouge a la particularité d'être organisée un peu différemment d'un pays à l'autre. Dans certains secteurs, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Belgique, la Croix-Rouge participe directement aux secours publics de façon quotidienne, elle est donc intégrée. Lors des réunions internationales sur les catastrophes, chacun apporte son expérience et nous nous enrichissons de l'expérience des autres. Donc, en effet, nous participons très régulièrement à l'ensemble des exercices qui nous sont proposés à l'échelon national ou international.
Sur le cas particulier de ReCheck, je me suis permis d'apporter un peu de documentation, nous vous la laisserons.
Je vous confirme que la Croix-Rouge française a participé, via la PIRAC, à l'exercice EU Richter qui s'est tenu en mars 2017. Effectivement, il a été très utile, il faudrait le faire tous les ans pour que les très nombreux partenaires intervenants se connaissent et travaillent mieux en cas de catastrophe. Dans les situations d'urgence, ce n'est pas le moment de négocier qui fait quoi, il faut vraiment se connaître en amont. Le même type d'exercice existe dans le Pacifique, avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les autorités françaises de Nouvelle-Calédonie y participent aussi très régulièrement, et ces exercices sont également très utiles.
S'agissant de la coopération régionale, nos plateformes nous offrent un outil extrêmement utile pour prévenir, préparer et répondre aux catastrophes naturelles, et aussi pour travailler à l'adaptation au changement climatique sur le territoire national en outre-mer. Ces plateformes ont aussi une vocation régionale. Elles sont là pour soutenir nos partenaires – dans l'océan Indien, on parle du Croissant-Rouge comorien et de la Croix-Rouge malgache. Nous travaillons avec nos partenaires et les autorités de ces États pour les préparer et renforcer leurs capacités en cas de catastrophe chez eux. Nous assurons des formations tout au long de l'année, et nous sommes à leurs côtés en cas de catastrophe. Nous travaillons aussi à la préparation avec les populations de ces pays.
La PIROI couvre, au-delà de la Réunion et Mayotte, les Comores, Madagascar, les Seychelles, Maurice, la Tanzanie et le Mozambique. Avec la PIRAC, nous avons des stocks positionnés en Guadeloupe et en Guyane. Nous travaillons en partenariat avec toutes les petites Antilles et les îles voisines, notamment la Dominique, Sainte-Lucie, Antigua et Barbuda.
Oui, une branche de la Croix-Rouge française y est présente. Nous étions déjà présents avant l'ouragan Irma, et nous sommes maintenant en phase de post-urgence, pour la réhabilitation, avec une structure assez importante. Nous y serons pendant toute la reconstruction, pour quelques mois encore, peut-être deux ans.
Enfin, dans le Pacifique, nous travaillons avec les pays voisins sur des programmes régionaux de prévention et de préparation aux catastrophes, notamment le Vanuatu, les Îles Salomon et Fidji. Tous nos projets sont régionaux, et il est extrêmement important de ne pas focaliser nos programmes sur les seuls territoires outre-mer, nous devons aussi apporter un avantage comparatif par notre coopération avec les autres partenaires. Pour l'anecdote, nous avons été aidés par les collègues des autres Croix-Rouge lorsque la France était touchée. Si nous travaillons en amont pendant toute l'année, nous sommes plus efficients en cas de catastrophe.
À Saint-Martin, nous continuons à mener les activités classiques de la Croix-Rouge française sur tout type de territoire, notamment les problématiques de santé et de prévention. Nous travaillons à la réhabilitation des réseaux d'eau dans les écoles, nous avons aidé les populations les plus vulnérables à améliorer leur logement en distribuant des coupons, ou vouchers, qui sont donnés par la Croix-Rouge à des bénéficiaires bien identifiés en amont, vraiment les plus vulnérables à Saint-Martin, pour qu'ils puissent se rendre dans un supermarché acheter les matériaux dont ils ont besoin pour améliorer leur habitat. C'est un exemple des activités de post-urgence, qui se termineront à la fin de l'année, je pense.
Pourriez-vous nous donner une idée des montants qui ont été récoltés pour les Antilles dans le cadre d'Irma, et de ce qui a été déployé sur Saint-Martin ? Nous aimerions avoir quelques éléments statistiques s'agissant des moyens et des actions qui ont été déployées spécifiquement sur ces territoires.
Nous proposons de vous faire un rapport détaillé de ce que nous avons pu réaliser, et des projets envisagés dans les dix-huit mois qui viennent.
Pour compléter, pourriez-vous nous indiquer quelles étaient vos relations avec l'hôpital de Saint-Martin pendant ces opérations d'urgence ?
Chaque matin, une réunion se tenait à l'hôpital pour traiter des problèmes sanitaires. Sur 450 bénévoles projetés depuis la métropole, il y en avait en permanence 60 à 80 à Saint-Martin, en plus des bénévoles Saint-Martinois et des salariés, puisque nous avons un établissement à Saint-Martin. Tous les matins, nous avions une réunion à la préfecture pour le bulletin d'information générale, puis une réunion tout de suite après à l'hôpital afin de traiter des problèmes sanitaires, puisque l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) était aussi déployé sur place. Cela nous permettait de rassembler toutes les informations. Nous organisions des maraudes, nous allions au contact des gens pour évaluer leurs besoins et leur état, surtout sur le plan sanitaire car il y avait des problèmes de maladies chroniques, des personnes en rupture de traitement. Nous avions un excellent contact avec la population locale, ce qui nous permettait de faire de l'évaluation et de remonter les informations que nous obtenions.
Nous avons des difficultés avec les moustiques, c'est un peu normal sur place, mais leur forte prolifération a posé problème. Les rats faisaient courir le risque de la leptospirose, et d'autres problèmes liés à l'hygiène, sachant que nous n'avions que quelques heures d'eau par jour, ce qui ne permettait pas de laver à grande eau.
Nos relations étaient donc très bonnes, j'ai été chef de mission sur place pendant quinze jours, et les relations avec l'ensemble des partenaires étaient de très bon niveau.
Plus largement, quel est votre regard sur le rôle des ONG dans ce type d'événements ? Nous avons entendu qu'il y avait plus de 700 ONG déployées dans les Caraïbes sur l'ensemble des zones touchées par ces cyclones, ce qui a pu poser des problèmes logistiques qui sont venus s'ajouter à la question de la gestion locale. Pourriez-vous nous dire comment mieux structurer les choses au niveau international ?
Le problème de l'embouteillage d'ONG et très classique, notamment en cas de grosse catastrophe. La même chose s'est produite suite au tremblement de terre en Haïti, je crois que plusieurs centaines d'ONG étaient sur place, et il est vrai que la coordination est compliquée. C'est toujours plus facile pour les associations ou les ONG qui sont déjà sur place, qui connaissent déjà les populations, les territoires, les autorités de répondre de manière plus efficiente. Pour celles qui viennent sans connaître, c'est toujours un peu plus compliqué, mais chacun a son utilité, je pense qu'il faut surtout renforcer la coordination, les échanges d'informations, afin que tout le monde sache quels sont les besoins, puisse s'assurer qu'ils sont tous couverts et qu'il n'y a pas de doublons. La meilleure façon de gérer le dispositif est de réaliser des réunions de coordination assez fréquemment pour partager l'accès à ces informations.
À Saint-Martin, je ne saurais pas vous dire.
Est-ce que cela existe dans d'autres bassins pour coordonner l'ensemble des acteurs qui interviennent ? Ou peut-être est-ce une piste que nous pourrions proposer : travailler à une meilleure coordination internationale lorsque l'on déploie des ONG sur des lieux de crise ?
Pour l'outre-mer, je ne saurais pas vous répondre, mais en cas de grosse catastrophe, les Nations unies ont ce rôle de coordination et organisent des clusters thématiques. Certaines ONG vont travailler pour le cluster santé, d'autres pour le cluster Wash, en charge de l'eau et de l'assainissement. Il y a aussi un cluster protection, et ainsi de suite. Les choses se passent ainsi, ce sont toujours les Nations Unies qui jouent ce rôle pour les opérations internationales de grande ampleur.
Êtes-vous intervenus à la Dominique, et avez-vous participé au déplacement de personnes réfugiées climatiques ?
Oui, nous sommes intervenus en Dominique. Comme je l'expliquais, il y a une Croix-Rouge dans pratiquement tous les pays du monde. Nous étions aux côtés de la Croix-Rouge de la Dominique, et comme nous étions extrêmement occupés à Saint-Martin, nous avons profité du réseau auquel nous appartenons, le Mouvement international de la Croix-Rouge. La Fédération internationale est venue en appui à la Croix-Rouge de Dominique avec notre soutien, nous avons servi de base logistique depuis la Guadeloupe et la Martinique. Nous avons notamment facilité l'envoi de matériel : nous accueillions des avions à la Martinique, ils étaient déchargés et nous envoyions le matériel vers la Dominique par bateau. Nous pouvions soutenir nos collègues de cette façon.
Parmi les activités de la Croix-Rouge, nous n'avons pas mentionné le rétablissement des liens familiaux, qui est extrêmement important en cas de catastrophe ou de guerre. Grâce à notre réseau, nous pouvons mettre en contact des membres de familles qui se sont perdu de vue. Avec nos nombreux partenaires, nous arrivons à donner des nouvelles de personnes disparues, via internet ou par téléphone. Nous sommes beaucoup intervenus de cette façon à Saint-Martin, beaucoup plus longtemps que prévu car nous y avons recherché des personnes disparues pendant un mois et demi. Cette activité a aussi été déployée en Dominique, où beaucoup de personnes sont disparues.
Quant au suivi des personnes rapatriées, cela n'entre pas dans nos missions et nous n'avons pas été sollicités à cet effet. Nous nous limitons à notre rôle d'auxiliaire des pouvoirs publics, nous pourrions faire plus si on nous le demandait. Nous avons favorisé le départ des personnes, nous les avons aussi accueillies en Guadeloupe dans un grand centre d'accueil à Pointe-à-Pitre, qui a fonctionné plus d'un mois. Mais une fois ces personnes arrivées à Paris, nous n'avons pas effectué de suivi.
Concernant les centres opérationnels départementaux, avez-vous des appréciations sur l'organisation mise en place au niveau des préfectures de Martinique et de Guadeloupe ?
Pas particulièrement. Pour revenir sur la coordination entre les différentes associations, nous avions fini par proposer à Saint-Martin une réunion de tous les services intéressés par les problèmes sociaux chaque après-midi, en plus du point à la préfecture et du point santé chaque matin. Et une fois par semaine, un point était fait avec la collectivité. Ainsi, tous les après-midi, nous échangions sur tous les problèmes sociaux, existants ou émergents. Cela nous a permis de drainer un certain nombre d'associations présentes qui ne savaient pas par quel biais intégrer leur action, et nous avons pu asseoir beaucoup de monde autour de la table.
Nous avons bien ressenti que, dans l'ensemble, l'organisation sur place avait été plutôt satisfaisante.
Vous avez abordé la question de la recherche des disparus, et de votre appui pour remettre les familles en contact. Auriez-vous un bilan humain des personnes encore portées disparues, pas uniquement sur les Antilles françaises ? Ces données nous seraient utiles.
Nous pourrons vous transmettre tous les cas qui nous ont été remontés, et vous dire ce que nous avons fait. Mais nous n'aurons pas les chiffres d'ensemble, nous n'avons connaissance que des signalements qui nous ont été faits.
Nous vous remercions pour votre temps et vos actions, qui sont fondamentales pour venir en soutien aux autorités. Je sais, pour revenir des Antilles, que votre action a été très appréciée, nous en avons beaucoup entendu parler sur place. Il nous paraît essentiel, dans ce type d'événements majeurs, de pouvoir compter sur une aide internationale telle que vous l'organisez.
L'audition s'achève à quatorze heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 20 mars 2018 à 14 heures
Présents. - M. Yannick Haury, Mme Maina Sage
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bertrand Bouyx, M. Philippe Michel-Kleisbauer