Examen, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions audiovisuelles (n° 1020) (Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure).
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Avant toute chose, je voudrais vous communiquer les voeux de la Présidente, Marielle de Sarnez, et ses regrets de ne pouvoir être présente aujourd'hui, car elle accompagne le Ministre Jean-Yves Le Drian dans un déplacement au Moyen-Orient, en Irak et en Jordanie.
Je m'associe à la Présidente pour vous souhaiter tous mes voeux pour cette année 2019. Je vais vous présenter le traité de l'OMPI – l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle – sur les interprétations et exécutions audiovisuelles, qui a été adopté à Pékin le 26 juin 2012. Il s'agit d'un traité négocié au sein de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI, institution spécialisée des Nations Unies créée en 1967 pour élaborer un système international efficace de propriété intellectuelle, et dont le siège se situe à Genève. Cette institution concentre ainsi les discussions multilatérales en matière de droit d'auteur.
Le traité qui nous intéresse, appelé « traité de Pékin », porte plus spécifiquement sur les droits des artistes interprètes de l'audiovisuel. Qui sont les artistes interprètes ? Ce sont tous les artistes qui interprètent ou exécutent de toutes manières des oeuvres artistiques dont ils ne sont pas les auteurs. Ces interprétations sont elles-mêmes créatrices sur le plan artistique, c'est pour cela que des droits de propriété intellectuelle s'y attachent. On les appelle les droits « connexes » ou « voisins », sous-entendu aux droits d'auteur, qui eux portent sur l'oeuvre originale.
À présent, qui sont les artistes interprètes de l'audiovisuel ? Ce sont tous les artistes dont l'interprétation associe l'image et le son. En gros, cela recoupe deux grandes catégories : le spectacle vivant (théâtre, cirque, opéra, ballet…) et le cinéma. Quelle est la situation de ces artistes sur le plan international ? La convention de Rome, adoptée en 1961, avait reconnu les droits de propriété intellectuelle des artistes interprètes, mais dans une formulation très restrictive et complètement inadaptée à l'ère numérique dans laquelle nous sommes entrés. Dans ce contexte, ces artistes risquaient de se trouver complètement dépossédés de leurs interprétations.
C'est pourquoi des négociations multilatérales ont été engagées dès les années 1990 pour adapter leurs droits. Ces négociations ont abouti en 1996 pour ce qui concerne les droits d'auteur et les droits des artistes interprètes du sonore, mais pas pour l'audiovisuel. Pourquoi ? Parce que les pays porteurs d'une grande tradition audiovisuelle, notamment en Europe et aux États-Unis, n'arrivaient pas à se mettre d'accord, en particulier sur la question de la cession des droits au producteur.
Depuis lors, nous sommes donc dans la situation assez surprenante et choquante où les interprétations musicales bénéficient d'une protection internationale en termes de propriété intellectuelle, mais où il n'existe pour ainsi dire plus de protection dès que l'on associe l'image au son. Par exemple, un clip ne bénéficie pas du tout du même niveau de protection que le morceau de musique seul.
Comme vous le savez, plusieurs pays ont adopté leur propre législation pour protéger les interprétations audiovisuelles. La France l'a fait avec la loi de 2006 sur les droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information, qui transposait une directive européenne de 2001. En effet, une partie des législations en matière de droits d'auteur et droits voisins a été harmonisée au niveau communautaire. Mais la plupart des pays dans le monde en étaient restés à la convention de Rome de 1961. Il était donc urgent de renforcer la protection des interprétations audiovisuelles et de supprimer la discrimination existant avec les interprétations sonores.
C'est ce que fait le traité de Pékin, et nous pouvons nous en réjouir. Il reconnaît, pour les artistes interprètes de l'audiovisuel, un droit moral, c'est-à-dire le droit de revendiquer la paternité de leurs interprétations et de les protéger contre toute déformation nuisible à leur réputation. Le traité leur reconnaît également des droits patrimoniaux, c'est-à-dire des droits sur l'exploitation économique qui est faite de leurs interprétations. Ils doivent pouvoir en contrôler la radiodiffusion, la communication au public, y compris via le streaming et le téléchargement, la fixation sur un support audiovisuel, et la reproduction, la location et la distribution de ces fixations.
Je disais tout à l'heure que la question de la cession des droits patrimoniaux avait été parmi les plus controversées lors de la négociation du traité. En effet, lorsqu'un artiste interprète signe un contrat avec un producteur, il est fréquent que cela conduise à une cession des droits sur l'exploitation de l'interprétation. Aux États-Unis, il existe un système de présomption de titularité des droits au producteur dès qu'un contrat est signé. En France, le système est sensiblement différent : le contrat entraîne une cession des droits au producteur en contrepartie d'une rémunération sur toutes les exploitations qui sont faites de l'interprétation. Les États-Unis voulaient imposer une application extraterritoriale de leur système, ce qui aurait été assez peu protecteur pour les artistes, dans les pays où ils ne sont pas fortement organisés comme aux États-Unis. Finalement, le traité ne tranche pas : il procède à une reconnaissance mutuelle des systèmes de cession des droits et incite les États qui ne l'ont pas fait à les encadrer sur le plan juridique : c'est un premier pas.
Pour finir, l'un des autres apports du traité est qu'il impose aux États de prévoir des mesures juridiques visant à garantir aux artistes interprètes la capacité de protéger l'accès à leurs interprétations, afin de faire valoir leurs droits de propriété intellectuelle. Ce point est essentiel pour faire que les artistes ne soient pas dépossédés de leurs interprétations dans l'environnement numérique.
Voici, en résumé, les principaux apports du traité de Pékin. Il était très attendu par les artistes interprètes du monde entier. La France, qui est l'un des membres les plus actifs de l'OMPI, a été l'un des principaux promoteurs de ce texte, au-delà des alternances politiques. Notre droit interne, grâce à la loi de 2006 que j'évoquais tout à l'heure, est déjà conforme à toutes les stipulations de ce traité, avec un niveau d'exigences supérieur. Cela ne signifie pas que le traité ne produira pas d'effets en France : avec la clause du traitement national, la France s'engage à reconnaître le même niveau de protection pour tous les artistes des autres États parties qui ont mis à niveau leur législation. Réciproquement, les artistes français doivent pouvoir bénéficier, auprès des autres parties à la convention, du même niveau de protection.
Mais les autres parties à la convention, pour le moment il n'y en a pas tant que cela. Seuls 24 États ont ratifié depuis 2012, et un seul État de l'Union européenne : la Slovaquie. Cela s'explique par le fait qu'il existe un conflit de compétences entre la Commission et les États membres sur la question du droit d'auteur. La Commission prétend à une compétence exclusive, mais certains États, dont la France, considèrent que cette compétence ne peut être exclusive tant que les législations nationales ne sont pas complètement harmonisées. Nous souhaitons par ailleurs défendre notre tradition audiovisuelle. Ce débat n'est pas tranché, et de toute façon, la Commission n'a toujours pas présenté de proposition de ratification du traité de Pékin. Dans ce contexte, cela me semble important que la France continue à jouer un rôle moteur pour l'entrée en vigueur de ce traité, qui sera effective lorsque 30 États auront ratifié. Voilà pourquoi je vous engage à voter en faveur de la ratification du traité de Pékin, dont les clauses sont largement conformes aux préoccupations de la France. Je vous remercie.
Nous nous félicitons de voir ce traité bientôt ratifié par notre Assemblée : c'est un acte important et nécessaire dans la protection du monde artistique. Nous pouvons être fiers de voir le modèle français et européen de protection du droit d'auteur porté en exemple dans le monde. Nous nous félicitons de constater que ce sujet est désormais pris en compte par un nombre croissant d'États. Au-delà de la question du droit d'auteur, il y a celles de la vie démocratique, du pluralisme d'opinion, et de la possibilité pour une société de garantir à ses artistes les moyens de vivre. Le mouvement démocrate et apparentés (MoDem) est attaché depuis longtemps à la reconnaissance internationale la plus large possible des droits d'auteur et droits voisins. Le combat se mène aussi bien ici dans notre pays qu'en Europe et dans le monde. En témoignent les initiatives récentes de la France pour faire reconnaître le droit des artistes, penseurs, journalistes â être rémunérés. C'est donc une question fondamentale dont dépendent le développement économique d'une filière importante pour notre pays, l'amélioration de la situation des artistes, et la protection des biens culturels qui font le rayonnement de notre pays. Comme vous le disiez, Mme la rapporteure, ce traité n'emporte pas de conséquence sur notre ordre juridique interne, mais il permettra à nos artistes d'être mieux protégés sur le plan international. C'est pourquoi le MoDem apportera son soutien au projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui.
Notre pays, du fait de sa longue tradition culturelle, est vraiment en pointe sur ces questions. En ratifiant le traité aujourd'hui, nous pourrons inciter d'autres à faire de même, et ainsi parvenir aux trente ratifications nécessaires pour que ce texte entre en vigueur.
Ce texte a été déposé sur le bureau du Sénat en janvier 2015, et adopté par cette assemblée en mai 2018. Le processus semble long ! Cela paraît compliqué de convaincre les différents partenaires de s'engager. Pensez-vous vraiment que la ratification française pourra avoir une influence déterminante pour l'entrée en vigueur de ce texte ?
Nous avons auditionné les syndicats d'artistes interprètes qui ont vraiment mis en valeur le rôle de locomotive de la France pour ce texte. Et nous avons déjà 24 ratifications sur les 30 requises : nous ne sommes plus très loin de l'objectif. C'est vrai que cela a pris du temps : entre 2012 et 2019, 7 longues années se sont écoulées. Mais comme je vous le disais, c'est en partie imputable au désaccord sur l'étendue des compétences communautaires et nationales dans ce domaine. Je reste optimiste, et pense que les 30 ratifications pourront être atteintes en 2019.
Je vous remercie de nous avoir exposé de façon claire ces questions techniques. Je regrette que le processus de ratification de ce traité soit si long : les droits voisins des artistes interprètes sont mis à mal du fait de ces délais, avec tous les développements technologiques qui ont cours. Nous sommes tous d'accord pour dire que la France, pays de culture et de droits, doit jouer un rôle spécial à cet égard. Les nouveaux moyens de diffusion – streaming et téléchargement par exemple – ne doivent pas aller à l'encontre des droits des artistes. L'exemple que vous citiez sur la différence de protection entre clips et morceaux de musique est stupéfiant, quand on voit le développement qu'ont connu les clips au cours des dernières années. Je suis donc très favorable au traité que vous nous présentez. Savez-vous quels autres pays pourraient le ratifier prochainement ? Pouvons-nous jouer un rôle spécifique auprès de certains d'entre eux, pour accélérer le processus ?
Nous comprenons qu'il existe un débat politique sur la compétence mixte ou communautaire de ce texte. La France est attachée à la compétente mixte pour pouvoir conserver un droit de veto sur un sujet important pour elle. Mais si d'autres États membres estiment que la compétence communautaire est exclusive, que va-t-il se passer ? La Cour de justice de l'Union européenne a-t-elle été saisie ? La Commission a-t-elle déjà engagé le processus de ratification de son côté ?
Par ailleurs, j'ai été surpris par la distinction effectuée par la Cour de Cassation – citée dans votre rapport – entre l'artiste de complément et l'artiste interprète. En vertu de cette jurisprudence, l'artiste de complément serait « interchangeable ». Avez-vous en tête des noms d'artistes dont on pourrait considérer qu'ils sont interchangeables ?
Nous avons bon espoir que la Suisse ratifie rapidement ce traité. Les syndicats d'artistes avaient l'air vraiment confiant sur l'effet d'entraînement qu'aurait la ratification française. La discrimination existant entre le sonore et l'audiovisuel m'a également choquée, mais elle se comprend mieux quand on considère que le sonore est bien plus facile à « décomposer » que l'audiovisuel. Dans une oeuvre sonore, il y a un ou deux intermédiaires, c'est tout. Dans une oeuvre audiovisuelle, ceux-ci sont bien plus nombreux : artistes, producteurs, scénaristes, caméramans, etc. C'était donc beaucoup plus complexe de progresser dans ce domaine.
Pour répondre à votre question, la Cour de justice n'a pas été saisie précisément sur le cas du traité de Pékin, mais sur des sujets connexes. J'ai bon espoir que les désaccords qui se sont manifestés sur ces questions ne conduiront pas à une opposition frontale entre la Commission et les États membres pour la ratification de ce traité, d'autant que les enjeux sont connus et compris de tous. Quant à l'artiste de complément, pour résumer, il s'agit d'un figurant.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi n° 1020.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante-trois.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 15 janvier 2019 à 17 h 30
Présents. - M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, M. Michel Fanget, M. Éric Girardin, M. Michel Herbillon, Mme Aina Kuric, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Christophe Naegelen, Mme Delphine O, M. Frédéric Petit, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas
Excusés. - M. Lénaïck Adam, M. Moetai Brotherson, Mme Laurence Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Anne Genetet, M. Meyer Habib, M. Christian Hutin, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marine Le Pen, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, Mme Sira Sylla, M. Sylvain Waserman