La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité́, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale, auditionne le général François Gieré, directeur des opérations et de l'emploi de la gendarmerie nationale.
L'audition débute à quatorze heures.
Mesdames, messieurs, le 10 avril dernier, la commission d'enquête a entendu le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Richard Lizurey. Nous avons souhaité compléter cette audition par celle des responsables des directions opérationnelles de la gendarmerie et, aujourd'hui, nous recevons le général François Gieré, directeur des opérations et de l'emploi de la gendarmerie nationale.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(La personne auditionnée prête serment.)
Mon général, nous souhaiterions avoir des explications sur la doctrine d'emploi, la réglementation et la coordination que vous menez dans le cadre du maintien de l'ordre, mais aussi des attaques terroristes. Il sera aussi intéressant d'évoquer les modalités de la collaboration entre les différentes forces de sécurité.
En tant que directeur des opérations et de l'emploi, je suis chargé de toute la partie opérationnelle de la gendarmerie dans l'ensemble de ses domaines : police administrative, police judiciaire, maintien de l'ordre et renseignement. La gendarmerie déploie son action sur trois types de territoires. Tout d'abord, un territoire physique, classique : celui des brigades de gendarmerie ; ensuite, sur un territoire numérique qui est de plus en plus connu et sur lequel des infractions peuvent être également commises ; et enfin un troisième territoire qui est le territoire des mobilités, celui des 8 millions de personnes qui, tous les jours – dans des mouvements pendulaires ou saisonniers –, se déplacent sur notre territoire. La gendarmerie doit s'organiser pour répondre à ses missions sur ces trois types de territoires.
Concernant le territoire physique, 74 % des forces de gendarmerie exercent leurs missions dans des territoires urbains ou périurbains. Sur 34 000 gendarmes en brigade, seuls 12 300 servent dans des unités rurales. Notre politique principale est celle de la police de sécurité du quotidien (PSQ) avec cette notion de contact qui implique de renforcer notre présence et notre visibilité sur les territoires. Comment fait-on ?
Tout d'abord, par une organisation du service qui nous permet de bien concilier les capacités d'intervention, d'investigation et de contact avec la population. La primauté pour nous c'est l'intelligence territoriale, c'est-à-dire l'adaptation locale à l'ensemble de ces missions.
Nous appliquons également un principe de concentration des moyens. Une vingtaine de départements ont ainsi été jugés prioritaires et nous y portons un effort particulier en y renforçant nos capacités d'intervention, en densifiant les partenariats et en multipliant les contacts avec les populations. Bien entendu, et je crois que cela vous tient à cœur, les partenariats avec les polices municipales sont pour nous un objectif prioritaire. 8 000 policiers municipaux servent en zone gendarmerie et nous portons un effort particulier sur le lien avec ces polices municipales.
Le deuxième territoire est le territoire numérique. Les progrès technologiques sont un moyen pour la gendarmerie de se déployer de manière plus active sur le territoire. L'outil Néogend nous permet aujourd'hui de travailler en mobilité, d'être moins dans les bureaux, de manière à pouvoir être plus au dehors, au contact de la population. Tous les outils, toute la doctrine que nous mettons en œuvre, visent à renforcer ce travail en mobilité. Nous employons également des structures nouvelles pour entrer en contact de manière informatique ou immatériel avec la population : c'est la mise en œuvre d'une brigade numérique qui est disponible 24 heures sur 24 pour échanger avec la population. Cela doit nous permettre de mettre en place des outils dématérialisés et d'éviter les papiers et les écritures. Évidemment dans ce domaine-là, la nouvelle procédure pénale numérique sur laquelle nous travaillons avec la police nationale et le ministère de la justice doivent nous permettent de mieux travailler en mobilité. J'insiste, dans ce domaine, sur la notion d'interopérabilité. Aujourd'hui les outils informatiques sont de plus en plus vastes et les logiciels, auxquels on demande de prendre en compte une multitude d'éléments, conduisent parfois à l'échec. Il me semble donc préférable de travailler sur l'interopérabilité entre les systèmes, afin qu'ils soient adaptés à chacun des intervenants et donc plus performants.
Le troisième territoire, celui des mobilités, concerne 8,3 millions d'actifs qui effectuent chaque jour des trajets sur route, par le train, dans les airs et éventuellement sur l'eau. Nous devons être en mesure de prendre en compte tout le spectre de ce qui peut advenir sur ce territoire, c'est-à-dire la lutte contre le terrorisme – car les terroristes se déplacent également sur la route –, la délinquance itinérante – notre champ d'action traditionnel –, le contrôle de l'immigration irrégulière et, évidemment, la lutte contre l'insécurité routière. Pour travailler sur ce territoire, nous avons mis en place, au sein de la DOEGN, un centre national de sécurité des mobilités. Il nous permet de travailler en partenariat avec les opérateurs de transport et d'échanger de l'information, de récolter un maximum de données pour être certains de pouvoir intervenir efficacement.
Bien entendu, pour agir sur ces trois territoires, nous devons être en état de pouvoir gérer les crises, ce qui implique un outil de commandement adapté. Vous vous êtes rendus, monsieur le rapporteur, au Centre des opérations de la gendarmerie, qui procède à des opérations d'envergure sur l'ensemble du territoire. Il a vocation à être décliné aux échelons régionaux afin qu'il y ait une conduite de proximité des opérations. La gestion des crises doit conduire à travailler sur les meilleures techniques de maintien de l'ordre afin d'offrir aux escadrons de gendarmerie mobile une capacité de manœuvre sur le terrain qui soit comparable à celle dont disposent les brigades. Évidemment, nous avons besoin d'équipements adéquats, tant pour les gendarmes mobiles que pour les gendarmes départementaux.
Quant à la réserve opérationnelle, elle doit nous permettre, lorsque nous sommes en difficulté, de revenir à un rapport de forces qui nous soit favorable. Dans la situation actuelle, nous montrons que nous sommes capables de faire face à des chocs.
Je voudrais évoquer l'augmentation constante de la violence dans notre société. Le nombre des blessés entre 2014 et 2018, dans nos rangs, a augmenté de 30 %. Nous avons aujourd'hui environ une vingtaine de blessés par jour. Malgré cela, sur l'année 2018, le nombre de cas d'usage des armes a diminué de 11 % par rapport à 2017 ce qui est pour moi le signe d'une force maîtrisée. Les résultats opérationnels sont significatifs : 85 % d'armes saisies en plus, 5 % de gardes à vue en plus et une hausse de 21 % des saisies des avoirs criminels. Le rythme d'emploi de la gendarmerie mobile dans ce contexte tendu est très élevé et depuis le 1er janvier 2019, le maintien de l'ordre représente 43 % de l'activité de la gendarmerie mobile alors qu'il y a encore quelques années, la gendarmerie mobile effectuait 75 % de son temps en renfort de la gendarmerie départementale et en sécurisation de nos espaces. La gendarmerie mobile est donc fortement engagée.
Nous sommes capables de faire face à des pics d'activité. Pour la journée du 8 décembre nous avons engagé 65 500 gendarmes sur l'ensemble du territoire. Sur la séquence « Gilets jaunes », nous avons procédé à 1 809 interpellations et 1 711 gardes à vue, et près de 6 500 gendarmes sont allés renforcer nos camarades policiers dans le cadre de la coopération opérationnelle dans les agglomérations et les territoires. La gendarmerie mobile a donc une capacité de réactivité forte.
Pour faire face à cela, l'entretien de la robustesse doit être développé. Nous sommes dans une société qui a besoin de dialogue mais qui est de plus en plus violente, et nous devons démontrer la robustesse de nos gendarmes. Cette robustesse, cet esprit de corps et cette cohésion viennent bien entendu de notre organisation, de la vie en caserne, d'un encadrement de contact en permanence auprès des hommes, de cette cohésion liée à notre statut militaire et de notre organisation territoriale. Cette organisation nous permet de faire face à ces situations difficiles.
Notre capacité d'innovation doit également être développée et encouragée. Pour nous, cela se matérialise par le travail en mobilité et par la mise en place de matériels adaptés à nos besoins telle la captation d'images et l'utilisation de drones.
Je vous remercie, mon général, de ce propos liminaire. Vous avez parlé de la brigade numérique des centres de commandement de la gendarmerie. Dans ce domaine, avez-vous pensé à mutualiser avec la police nationale ? Par exemple, la brigade numérique, dont la création est un succès, pourrait-elle être généralisée à l'ensemble des forces de sécurité intérieure et mutualisée ? Cela pourrait-il également être envisagé pour les salles de commandement au niveau départemental, puisqu'à ce jour chaque département dispose de salles de commandement différentes avec une salle police et une salle gendarmerie ? N'y aurait-il pas moyen de mutualiser pour gagner en effectifs, en temps, en moyens, en matériels et gagner surtout en opération avec des possibilités de renforts de l'un sur l'autre ?
Aujourd'hui, nous sommes en mesure de mettre en place des systèmes qui communiquent entre eux et des gens travaillent à partir de plateformes virtuelles. C'est l'interopérabilité que j'ai évoquée dans mon propos liminaire. Nos institutions, la police, la gendarmerie, mais aussi les pompiers ont développé une organisation à partir de leurs missions et de leurs emprises territoriales. Nous sommes par exemple organisés pour piloter 3 200 brigades. L'articulation sur le terrain de ces 3 200 brigades ne peut se faire de manière identique à celle des systèmes policiers qui eux sont adaptés à la concentration de population dans les villes. Nous, nous gérons des espaces. La police gère une concentration. Ce qu'il faut, c'est développer harmonieusement l'interopérabilité entre ces structures afin de nous renforcer. Les 6 500 gendarmes qui ont été engagés à l'occasion de la crise des Gilets jaunes depuis le 17 novembre démontrent que nous savons dialoguer et intervenir ensemble. Mais vouloir systématiquement rassembler des gens qui ont des logiques très différentes au même endroit, je ne pense pas que ce soit un gain opérationnel. Quand on est dans une « logique pompier », par exemple, un appel implique l'envoi systématique d'un véhicule ou d'un moyen car il existe toujours une notion d'urgence. Dans nos métiers de policiers et de gendarmes en matière de sécurité publique, nous avons des espaces à gérer ou, pour les policiers, des densités potentielles d'intervention à gérer et donc il faut être économe de moyens et il faut pouvoir analyser finement la situation avant d'intervenir.
Pour moi, la mise en commun doit se faire à partir de plateformes qui vont « débruiter » très vite une situation pour l'envoyer dans un canal métier adapté : soit celui de la gendarmerie pour ce qui concerne la gestion des espaces, soit celui de la police pour la gestion de la densité et de la concentration des problèmes, soit celui des pompiers pour le volet secours. Le service d'aide médicale urgente (SAMU), lui, va réagir un peu comme nous, policiers et gendarmes, c'est-à-dire qu'il va se dire « attention, je n'ai pas les moyens d'envoyer un médecin sur chaque intervention, donc il faut que j'analyse la situation ».
Pour conclure, oui, il faut développer des outils communs, des process communs, des processus d'interopérabilité communs, mais concentrer systématiquement tout le monde au même endroit ne représente pas obligatoirement une source d'économie, en tout cas pas au début, car cela nous obligerait à créer de nouvelles structures. Aucune des structures actuelles n'est capable d'en absorber une autre. Dans une « logique pompier » on travaille sur des plateformes départementales parce que c'est la base de l'organisation. Dans notre logique police ou gendarmerie, nous travaillons en supradépartementae parce que les centres peuvent capter les problèmes au niveau métiers, puis activer soit des commissariats dans les villes, soit des compagnies et des brigades au niveau de la gendarmerie.
Je vous remercie, mon général, mais ma question ne portait pas sur le SAMU et sur les pompiers : uniquement sur la police et la gendarmerie.
J'ai étendu, pour montrer qu'il y avait des logiques différentes et qu'il faut prendre en compte l'ensemble de ces logiques.
Quel est pour vous l'impact dans vos missions opérationnelles au quotidien de la baisse conséquente du budget alloué aux réservistes ?
Comme toujours quand on doit faire face à une baisse de budget, on essaie de prioriser et de porter des pointes d'effort. Très concrètement, en matière de réservistes dans la période des Gilets jaunes, nous avons favorisé l'emploi de nos réservistes le week-end plutôt qu'en semaine. À chaque fois, nous nous demandons où nous devons prioriser les moyens, à quel moment et à quel endroit dans l'espace. Nous avons favorisé l'emploi de nos réservistes les week-ends de crise plutôt qu'en contact permanent sur les circonscriptions.
Il me semble que l'objectif était de recruter 30 000 réservistes en 2018. Avez-vous atteint ce chiffre non négligeable ? Il y a trois ou quatre ans, j'avais fait un rapport sur la réserve. Nous avions recommandé d'augmenter la réserve opérationnelle de l'armée, mais également celle de la gendarmerie et de la police nationale.
La formation des gendarmes réservistes, qui s'appelle la formation opérationnelle du réserviste territorial (FORT), dure approximativement quatre semaines. Pensez-vous que la durée de cette formation est suffisante, notamment pour les civils qui, contrairement aux anciens militaires, ont une expérience limitée à leur service militaire ?
Les réservistes qui jouent leurs rôles lors des grosses manifestations, sont-ils tous agents de police judiciaire ? Cela est important si l'on souhaite positionner ces réservistes sur les enquêtes et non pas exclusivement sur la circulation routière ou sur les grosses manifestations.
Je pense que l'objectif des 30 000 réservistes recrutés est atteint. Vous pourrez toutefois demander au directeur des ressources humaines de préciser ce chiffre.
La réserve est aujourd'hui composée de 30 % d'anciens gendarmes ou militaires et de 70 % de personnel issu du monde civil. La formation de base que nous leur donnons doit leur permettre d'effectuer, à la sortie des stages, les missions simples avant de suivre un processus de formation interne et continue qui leur permet de monter en grade et d'obtenir des qualifications supérieures. Au début, le réserviste va être employé à partir de ses connaissances de base. Selon le nombre de missions qu'il effectue chaque année, il progresse plus ou moins vite et nous l'employons en fonction de cette progression.
La réserve telle que nous l'employons dans la gendarmerie est très différente de la réserve employée dans des unités militaires. En unité militaire, les gens vont être employés dans des unités constituées qui vont se situer dans des régiments répartis sur le territoire. Nous, nous avons l'avantage de pouvoir utiliser un réserviste isolé au sein d'une brigade et, en plus, tout près, chez lui, s'il le souhaite. Nous avons donc une souplesse d'emploi qui nous permet de travailler à la carte, de ciseler finement les conditions d'emploi de manière à répondre à l'ensemble du spectre des missions qu'on pourrait confier aux réservistes. Donc les réservistes qui sont anciens, qui ont de bonnes connaissances, vont pouvoir appuyer des enquêteurs, mais ce n'est pas leur mission essentielle. Vous le savez mieux que moi, la procédure pénale est de plus en plus complexe et devient une affaire de spécialistes. Les réservistes représentent donc un appui à la manœuvre et nous n'avons pas vocation à les engager dans une voie trop professionnalisée.
Concernant la ruralité, comment vous êtes-vous organisés pour revenir à des missions qui permettent aux gendarmes d'être, comme dans le passé, plus proches des citoyens ? Quel a été l'impact sur toutes les tâches administratives ?
Prochainement, un rapport de la Cour des comptes sur les réserves de la police nationale et de la gendarmerie va sortir. Connaissez-vous déjà les orientations à envisager pour améliorer les réserves de gendarmerie ?
S'agissant de l'aspect territorial et de l'action de la gendarmerie, il y a trois grands volets : l'intervention, l'investigation et le contact avec la population. Le sujet, c'est de régler ces curseurs de la meilleure manière possible. Il y a des endroits où il y a beaucoup d'interventions. Là, nous allons donc régler le curseur vers l'intervention et dédier seulement quelques gendarmes à la notion de contact, afin de pouvoir également mettre des moyens sur la partie investigations. Nous avons demandé à nos commandants de compagnie d'établir une sorte de contrat opérationnel, c'est-à-dire de faire une analyse de leurs circonscriptions, avec une analyse de l'heure des menaces, et ensuite de dire comment ils placent le curseur entre interventions, investigations et contacts. Ils doivent bien entendu confronter ce contrat opérationnel à l'autorité administrative – leur sous-préfet –, à l'autorité judiciaire – le procureur de la République – et aux élus. Nous demandons aux commandants de compagnie de faire tous les six mois un bilan participatif avec les élus sur ce contrat opérationnel. Le changement et la nouveauté résident dans la régionalisation des modes d'action. Ce n'est donc pas moi qui impose le positionnement des curseurs. Notre rôle c'est de vérifier la cohérence de l'action par rapport au territoire.
Pour revenir à la question de l'engagement des réservistes, je les mets là où j'en ai le plus besoin. Chacun à son niveau, que ce soit au niveau du commandant de compagnie à la base, au niveau du commandant de groupement qui va faire un schéma départemental d'action, au niveau des commandants de régions où à mon niveau, nous appliquons ce principe. Nous insistons sur l'importance de rendre compte de ce contrat opérationnel comme je le fais aujourd'hui devant vous en précisant ce que nous pouvons faire, ce que nous ne pouvons pas faire, les raisons de nos empêchements et nos choix. Nous acceptons évidemment le droit à l'erreur. Actuellement, je n'ai pas de problème de fonctionnement sur la doctrine de la réserve. Le sujet aujourd'hui, c'est de savoir combien on peut payer de soldes, combien on peut en utiliser.
Vous avez parlé de capacité de réactivité forte et indiqué que, depuis le début de la crise des Gilets jaunes, 6 500 gendarmes avaient été engagés au profit de la police et que l'on constatait une augmentation du nombre de blessés de plus 30 %, ce qui représente 20 blessés par jour. Les forces de l'ordre se trouvent-elles dans un état de saturation et de fatigue ?
Il n'y a pas forcément de récupération, et nous savons également qu'il existe un malaise dans les forces de l'ordre, avec un taux de suicide élevé dans la police. C'est un constat alarmant. Quel est votre sentiment ? Avez-vous constaté ce malaise dans votre corps ? Va-t-il y avoir des récupérations ? Dans quels délais ? Et comment revenir à une situation normale ?
En ce qui concerne la manière dont nous réagissions face à cette crise, nous prenons en compte le volet récupération. J'applique mon principe de curseurs. J'engage mes forces dans les périodes et aux endroits où il faut les engager. Bien évidemment, lorsque les escadrons sont engagés fortement le week-end, nous essayons de les préserver en semaine. Ce choix se fait malheureusement au détriment de la sécurisation publique telle que nous la pratiquions il y a encore quelques années.
Nous avons également pris en compte le volet saturation, avec une organisation différente de celle de la gendarmerie mobile. Lorsqu'une mission nous semble moins sensible, nous autorisons les escadrons à venir avec un effectif moindre. Le commandant de compagnie fait des choix sur son territoire, et le commandant d'escadron de gendarmerie mobile doit faire exactement les mêmes choix après avoir analysé la mission qu'il reçoit.
Nous sommes également en train de modifier le système de nos relèves outre-mer. Vingt et un escadrons, 365 jours par an, sont engagés outre-mer et ces relèves, qui avaient lieu en bloc tous les trois mois, immobilisaient des escadrons aussi bien dans la période de voyage de transition que dans celle de récupération. Nous sommes donc en train d'essayer de lisser cette mise en place des escadrons de manière à harmoniser l'attribution des repos. Nous prenons des mesures de conduite de gestion du service et de gestion des priorités afin de faire face à la crise.
Concernant la fin de la crise, les politiques sont mieux placés pour moi pour évoquer cette situation, mais nous nous organisons pour y faire face.
Nous prônons la robustesse du commandement, avec un chef au contact de ses troupes, qui commande, par opposition à un chef qui dirigerait de loin. Je demande aux commandants des écoles de mettre en œuvre dans la formation de ses élèves gendarmes le même état d'esprit. Nous l'insufflons sans difficulté auprès des réservistes qui viennent chercher cet engagement, cette proximité et cette action de contact.
Les récents débordements autour des manifestations des Gilets jaunes ont été l'occasion de mettre en avant les véhicules blindés de la gendarmerie. Ces engins datent des années 1970 et ont été particulièrement utiles pour déblayer les barricades. Leur remplacement a été plusieurs fois annoncé puis reporté. Leur renouvellement coûterait, selon une réponse faite au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, 45 millions d'euros. Aussi souhaiterais-je, mon général, connaître l'état d'avancement de la réflexion sur ce sujet.
Le ministre a annoncé une loi de programmation et, bien entendu, nous allons proposer ce renouvellement des blindés. Les membres de la commission de la défense le savent bien, l'une des caractéristiques du budget de la défense, c'est cette programmation qui permet de lisser les investissements dans le temps. En cas de problèmes financiers, on allonge un peu, mais on avance. Au ministère de l'intérieur, jusqu'à présent c'est le principe d'annualité qui prédomine. Par exemple, pour le plan de lutte antiterroriste, on a mis d'un coup des moyens pour pallier les déficiences. L'arrivée d'une programmation va nous permettre de travailler différemment. Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin de renouveler immédiatement l'ensemble du parc. En revanche, nous avons besoin de rendre supportable l'investissement budgétaire que représente un renouvellement sur plusieurs années. Les blindés ont montré qu'ils étaient encore extrêmement efficaces. Aujourd'hui, il n'existe pas « sur étagères » de blindé adapté au maintien de l'ordre, car les blindés de type militaire ont le moteur et la tourelle à l'avant, et l'ajout d'une lame conduirait au déséquilibre de l'engin. Nos vieux véhicules blindés à routes de la gendarmerie (VBRG) ont, eux, un moteur central et supportent une lame à l'avant. Ce n'est donc pas parce qu'il est ancien que le VBRG n'est pas efficace. Le « rétrofitage » et l'acquisition de véhicules à partir d'une loi de programmation me semblent être des pistes intéressantes pour nos finances.
Dans le cadre du maintien de l'ordre, les forces de gendarmerie mobiles ont été extrêmement mobilisées. Aujourd'hui, les 109 escadrons, composés en moyenne de 110 militaires, sont insuffisants. D'après vous, combien de gendarmes supplémentaires seraient nécessaires en gendarmerie mobile ?
On estime que 110 à 115 militaires par escadron permettent d'assurer les missions et le temps de repos chaque semaine. C'est une piste qui me semble réalisable.
Général, vous nous avez parlé du 8 décembre avec cette mobilisation exceptionnelle de 65 500 gendarmes. Quels sont les éléments intrinsèques à la gendarmerie qui nous permettent d'avoir une capacité de réactivité aussi forte ? Quelles sont les spécificités ?
Vous nous avez également parlé du développement nécessaire de l'entretien de la robustesse de nos gendarmes. Pourriez-vous m'en dire un peu plus ?
En qui concerne la capacité de mobilisation, c'est le statut militaire qui nous a permis d'engager ce jour-là 106 escadrons sur 109. Le 109e n'est pas manœuvrable puisque c'est celui de l'Ile-Longue. Pour ces 106 escadrons, l'ensemble des repos et des permissions des gendarmes départementaux avaient été suspendus pour ce week-end-là. Des gens se sont ensuite volontairement rendus disponibles, y compris des personnels civils des états-majors qui n'étaient pas astreints à des permanences. Cela nous a permis de mener une manœuvre logistique importante. Pour rappel, au début de la crise, plus de 2 100 points étaient tenus en zone gendarmerie. Nous avons dû faire face à des bascules de moyens et notamment de munitions. Cette chaîne logistique, composée des militaires du corps de soutien de la gendarmerie appuyée par quelques civils volontaires, a permis de faire face.
Concernant la notion de robustesse, il s'agit de tenir compte de ce que dit le sociologue Thomas Sauvadet : nous avons une société qui a augmenté son capital culture et intelligence, mais qui a perdu sa capacité de résilience et de résistance aux chocs. Le volet innovation et nouvelles technologies de la gendarmerie est important, mais il n'est pas le seul à l'être. Le volet robustesse l'est également. Il s'agit de pouvoir responsabiliser les hommes, chacun à leur niveau. Ça commence avec l'entretien individuel de chaque gendarme et avec la notion de groupe. Une patrouille à moto, ce n'est pas deux gendarmes isolés qui se promènent, mais un chef de patrouille et un adjoint. Une brigade c'est un groupe de travail dans son unité, dans son casernement avec ses chefs au contact. C'est la notion d'un chef qui commande en analysant une situation, en donnant un ordre initial avec une intention de manœuvre qui doit être comprise par tous et déclinable immédiatement ou ultérieurement. Ces pratiques sont celles que j'apprenais il y a très longtemps dans certaines écoles, mais elles sont indispensables. Il faut éviter la paperasserie et être sur le terrain au contact de la population et des élus pour ressentir les vrais besoins cette société.
Merci, mon général, pour ces précisions et pour être venu répondre à ces questions. Si nous en avions d'autres, nous vous les poserions par écrit.
L'audition s'achève à quatorze heures cinquante.
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Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale
Réunion du mardi 4 juin 2019 à 14 heures
Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Olivier Gaillard, M. Denis Masséglia, M. Christophe Naegelen, M. Joaquim Pueyo, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.