Jeudi 11 juillet 2019
La séance est ouverte à quatorze heures cinq.
Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de M. Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'Université d'Évry-Val-Essonne, et de M. Denis Le Paslier, chercheur en biologie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (chercheurs Genoscope).
Mes chers collègues, nous commençons aujourd'hui nos auditions en recevant Monsieur Denis Le Paslier, chercheur en biologie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et Monsieur Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'Université d'Évry-Val-Essonne.
Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne. Les vidéos seront ensuite consultables sur le site internet de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, messieurs, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
M. Denis Le Paslier et M. Loïc Saaidi prêtent successivement serment.
Je vous donne maintenant la parole pour un bref exposé liminaire, avant que nous ne poursuivions par un échange sous la forme de questions et de réponses.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous avoir invités à participer à cette audition.
Je suis Denis Le Paslier, directeur de recherches au CNRS. Généticien de formation, je travaille actuellement plutôt dans le domaine de la microbiologie et je suis responsable du laboratoire « Métagénomique des procaryotes » – on appelle « procaryotes » l'ensemble constitué des bactéries et des archées, et le terme « métagénomique » fait référence au fait que ces micro-organismes vivent en communauté plutôt qu'individuellement.
Je précise que l'ensemble des propos que je tiendrai devant vous n'engage que moi, et en aucun cas mes autorités de tutelle que sont le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le CNRS et l'Université d'Évry.
L'histoire du chlordécone a commencé pour nous en 2009 – nous ne nous étions alors jamais intéressés à cette mollécule dans le cadre des recherches effectuées dans nos laboratoires – avec la parution du rapport de Monsieur le député Jean-Yves Le Déaut et de Madame la sénatrice Catherine Procaccia. Ces parlementaires ont contacté l'Agence nationale de la recherche (ANR) afin de financer une recherche sur la biodégradation du chlordécone. Nous avons donc déposé une demande de financement à l'ANR, mais elle a été rejetée. Notre directeur de l'époque, Monsieur Jean Weissenbach, directeur de recherches et médaille d'or du CNRS, a cependant décidé de nous faire poursuivre ce projet qui représentait un défi important et intéressant, tant du point de vue de la recherche fondamentale que d'un point de vue sociétal. Au final, nous avons sollicité l'ANR quatre fois lors de divers appels à projets, mais ont tous été refusés.
En mai 2010, j'ai été invité par mon ami Yves-Marie Cabidoche à participer à un atelier sur « la remédiation à la pollution par le chlordécone aux Antilles », qui s'est tenu à la Martinique et à la Guadeloupe. Notre participation à cet atelier international nous a confortés dans l'idée qu'il fallait poursuivre les travaux pour étudier la dégradation de la chlordécone.
Finalement, en dix ans, nous n'avons reçu que 30 000 euros de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) lors d'un appel à projets portant sur le chlordécone et, récemment, 19 000 euros par le préfet de la Martinique, Monsieur Franck Robine, via la délégation régionale à la recherche et à la technologie (DRRT) de Martinique pour étudier les sédiments de la James River, dont vous a parlé Monsieur Luc Multigner il y a quelques jours et dont nous vous reparlerons peut-être plus tard.
Ce manque de financement de la recherche sur la dégradation du chlordécone n'a fait que retarder l'obtention des résultats que nous allons vous présenter maintenant.
Après avoir publié un premier article en 2016, montrant que le chlordécone pouvait être dégradée par des consortia bactériens, c'est-à-dire des mélanges de bactéries obtenus sous contrôle en laboratoire, nous avons isolé des bactéries capables de dégrader le chlordécone de la même façon. L'utilisation de méthodes de chimie analytique a permis à Monsieur Pierre-Loïc Saaidi et son équipe d'établir la structure chimique de nombreux produits de dégradation du chlordécone et de les classer en au moins cinq principales familles.
Nous vous avons apporté un document résumant nos résultats les plus récents, publiés sous la forme d'un article dans la revue Environmental Science and Technology, ainsi que des diapositives que nous allons vous commenter, et un ensemble de suggestions portant sur des projets de recherches relatifs au chlordécone.
Publiés en juin 2019, les résultats de notre étude ont été présentés en octobre 2018 à Schoelcher, à la Martinique, lors du colloque « Chlordécone, Santé, Environnement ». Dans cet article, nous avions montré, pour la première fois, que de nombreux produits de dégradation du chlordécone existent dans des échantillons de sols, d'eaux de rivière, de mangrove et de sédiments de mangrove de Martinique.
Si vous le permettez, je vais maintenant laisser la parole à Monsieur Pierre-Loïc Saaidi pour se présenter et commenter les diapositives.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis Pierre-Loïc Saaidi, enseignant-chercheur à l'Université d'Évry. Chimiste de formation, j'ai d'abord été chimiste organicien, puis me suis orienté, au fil des années, vers la chimie analytique. Dans le cadre du projet d'étude de la dégradation du chlordécone, je suis responsable de tout ce qui a trait à l'analyse chimique et à la compréhension de la structure des produits issus de la dégradation du chlordécone, ainsi qu'à la production de ces produits par des voies chimiques alternatives, visant à en disposer en plus grande quantité et à être ainsi en mesure d'étudier leurs propriétés.
La première dispositive représente une carte de la Martinique, sur laquelle ont été représentés les différents prélèvements réalisés afin de rechercher les produits de dégradation que nous avions observés en laboratoire et dont nous possédions donc les références analytiques.
Sur la partie droite de la diapositive, des histogrammes montrent, pour chaque échantillon analysé, les concentrations du chlordécone et de ses principaux produits de transformation. La barre verte située à gauche indique la concentration en chlordécone – on en trouve systématiquement – et sert en quelque sorte d'étalon. Les autres barres de couleur –bleue, jaune, rose, violette et mauve – indiquent la concentration estimée des produits de dégradation présents aux Antilles.
Nous avons réalisé une douzaine de prélèvements dans divers sols, mais aussi dans des eaux de rivière, dans la mangrove et dans des sédiments de mangrove. Il est frappant de constater que des produits de dégradations étaient présents dans chaque échantillon. Nous avons été très étonnés car, en contradiction avec tout ce qui avait été publié jusqu'alors et qui tendait à la conclusion que le chlordécone ne se dégradait pas, ou quasiment pas, dans l'environnement, nous avons systématiquement trouvé des produits de dégradation, à des niveaux de concentration du même ordre que ceux du chlordécone lui-même.
Cette constatation pose une question essentielle, celle de la pollution de l'environnement aux produits de dégradation du chlordécone. Elle a constitué un résultat tout à fait inattendu lors de cette campagne préliminaire, et nécessitera la réalisation de travaux complémentaires.
Pour confirmer la capacité de l'environnement à dégrader spontanément le chlordécone – c'est-à-dire sans stimulation –, l'équipe de Denis Le Paslier a utilisé des sols de même nature que ceux sur lesquels des prélèvements avaient été effectués initialement, afin de réaliser des expériences en laboratoire.
La deuxième diapositive montre le résultat des expériences menées en laboratoire et visant à vérifier si les sols martiniquais avaient bien la capacité de dégrader le chlordécone.
Nous avons mis en culture trois échantillons de sols représentatifs de la Martinique – andosol, ferralsol et nitisol – pour observer leur aptitude à dégrader le chlordécone. Pour ce faire, cinq grammes de chaque sol ont été mis en culture, en conditions de laboratoire, en présence d'une forte concentration de chlordécone – 40 microgrammes par millilitre – et nous avons laissé le tout incuber pendant deux mois.
Les graphes font apparaître les résultats des analyses effectuées par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (en anglais Gas chromatography-mass spectrometry ou GC-MS). Le premier jour, à l'issue d'un temps de rétention de vingt à vingt-deux minutes, on observe un pic de chlordécone pour chacun des trois sols.
Au bout de dix-huit jours, le pic de chlordécone a soit disparu, soit fortement diminué, tandis qu'un nouveau pic fait son apparition à l'issue d'un temps de rétention de seize minutes : il correspond au produit de dégradation B1, en général le plus abondant et celui que l'on détecte le mieux dans les échantillons environnementaux.
Enfin, au bout de soixante jours, on ne voit plus aucun pic de chlordécone – celui-ci est complètement dégradé –, mais on observe toujours le pic de produit de dégradation B1.
Cette expérience montre que les trois types de sols testés possèdent la capacité de dégrader le chlordécone, c'est-à-dire qu'ils contiennent les micro-organismes qui y sont nécessaires. Contrairement à toutes les études précédemment publiées et nonobstant le scepticisme de certains, les analyses chimiques montrent que la dégradation est bien opérante aujourd'hui dans les sols martiniquais – nous pensons pouvoir dire que c'est le cas pour l'ensemble des Antilles.
Ces résultats apportent des preuves irréfutables que le chlordécone se dégrade déjà bel et bien aux Antilles, dans des proportions importantes et de manière très répandue. Notre travail met en évidence pour la première fois l'existence d'une seconde pollution des sols antillais, qui n'est pas due au chlordécone lui-même, mais à ses produits de dégradation, qui sont également des produits chlorés mais présentent des structures tout à fait différentes. Cette pollution est également présente dans les eaux de rivière – en l'occurrence, nous avons analysé la rivière Galion et sa mangrove. C'est un changement de paradigme profond dans la gestion de cette crise sanitaire.
La troisième diapositive résume quelques-unes des questions soulevées par nos travaux et évoque des axes de recherche possibles.
Les éléments figurant sur la troisième diapositive sont mentionnés à titre d'information, mais ils dépassent largement le cadre de nos compétences et de nos moyens. Les projets de recherches évoqués ne pourraient s'effectuer que dans le cadre de collaborations avec d'autres équipes scientifiques. Très récemment, nous avons adressé de nouvelles demandes de financement, qui ont encore été repoussées
Pour ce qui est de la pollution par le chlordécone lui-même, il nous semble important de prendre conscience de la capacité naturelle de dégradation, ce qui implique de mettre à jour les modèles d'Yves-Marie Cabidoche qui, en son temps, n'avait pas tenu compte de ce flux de dégradation. Ainsi, il est permis de se demander si, plutôt que d'envisager une contamination sur 500 ans, il ne faut pas l'envisager sur un seul siècle, voire sur quelques décennies.
Il faut également se demander dans quel milieu le chlordécone se dégrade le mieux et pour quelles raisons, pour ensuite éventuellement mettre au point des procédés rendant la dégradation naturelle la plus efficace possible.
En ce qui concerne la pollution émergente aux produits de dégradation du chlordécone, que nous avons mise en évidence au moyen de nos travaux, nous savons qu'il existe d'autres produits de dégradation que ceux que nous avons identifiés jusqu'à présent sur le terrain, puisque les expériences en laboratoire ont montré que cela pouvait être le cas – nous n'excluons même pas l'existence de produits de dégradation qui n'auraient pas encore été obtenus en laboratoire, c'est pourquoi les recherches doivent se poursuivre.
La question du devenir des produits de dégradation constitue également un vaste champ d'étude, portant à la fois sur la contamination de l'environnement, le transfert vers l'alimentation – étant précisé que, certains produits de dégradation ayant des propriétés très différentes de celles du chlordécone, nous ne disposons à ce jour d'aucune donnée analytique à leur sujet – et, enfin, la persistance de ces produits de dégradation et leur dégradation en d'autres molécules.
Cela nous conduit naturellement à nous pencher sur l'exposition et l'imprégnation des populations locales par les produits de dégradation, ainsi que sur la toxicité de ces produits pour l'homme, seuls ou en mélange.
Comme l'a fait Monsieur Denis Le Paslier, je vous précise à mon tour que l'ensemble des propos que je tiens devant vous n'engage que moi.
En conclusion, nous sommes en mesure d'affirmer que le chlordécone se dégrade dans les sols martiniquais, à une vitesse que nous ignorons et avec des conséquences que nous ne sommes pas en mesure d'évaluer à ce jour.
Tout à fait, Madame la rapporteure, et nous vous remercions de nous donner aujourd'hui l'occasion de nous exprimer devant votre commission d'enquête.
C'est nous qui vous remercions d'avoir répondu favorablement à la convocation qui vous a été adressée.
Votre exposé initial était très complet, mais il est de notre devoir de vous poser quelques questions complémentaires – étant précisé que nous avons bien noté que vous vous exprimiez à titre personnel et non pas au nom du CEA, CNRS ou de l'Université d'Évry.
Pour ce qui est de la dégradation du chlordécone, pouvez-vous nous détailler les caractéristiques chimiques de cette substance ? En quoi est-elle biopersistante et bio-accumulable ? Quel est le délai envisageable pour qu'il se dégrade naturellement dans l'environnement des Antilles de manière significative, voire totalement ?
L'objectif « zéro chlordécone » dans les fruits et légumes vous semble-t-il envisageable ?
Enfin, dispose-t-on d'études sur l'évolution du chlordécone depuis son utilisation durant la période 1972-1993 ?
Pour ce qui est des caractéristiques chimiques du chlordécone, il vaut mieux laisser la parole au chimiste, en l'occurrence à Monsieur Pierre-Loïc Saaidi.
Le chlordécone est un peu comme une gouttelette sur une poêle antiadhésive : avec l'ensemble des chlores présents à sa surface, elle va passer à travers beaucoup de milieux sans être forcément attaquée ou reconnue par les organismes vivants. Elle a donc une forte persistance du fait de ce « scaphandre ». Cela le rend hermétique aux attaques ou aux modalités classiques de dégradation. Parallèlement, du fait de son hydrophobie, elle aura tendance à se fixer sur des matières aux propriétés similaires et à se concentrer au niveau de la chaîne alimentaire. Elle est peu biodisponible – les eaux de ruissellement et la percolation vont l'entraîner, mais moins que d'autres pesticides.
Sur la première diapositive que je vous ai présentée, à gauche de la carte de la Martinique, on retrouve des structures chimiques, dont celle de la chlordécone (CLD) en vert. Aujourd'hui encore, certains chercheurs la dessinent sous une certaine forme et d'autres, comme nous, la visualisent sous sa forme réelle, hydratée, telle qu'elle est présente dans l'environnement. Cela montre à quel point, malgré toutes les recherches réalisées par de nombreuses équipes dans des domaines très variés, la molécule questionne encore. Certaines personnes utilisent la mauvaise structure pour tenter de comprendre son comportement dans l'environnement et en tirer des conclusions. Or il faut utiliser la structure hydratée, celle qui comporte deux hydroxydes (OH).
Vous m'avez interrogé sur sa dégradation naturelle : nous avons simplement mis en évidence que le chlordécone se dégrade et génère des produits de dégradation en même quantité. Bien sûr, il faudrait que des laboratoires d'analyses réalisent des investigations complémentaires – ils ont les capacités analytiques que nous n'avons pas : nos études portent sur une douzaine d'échantillons. Même si plusieurs analyses ont été réalisées sur chaque échantillon pour conforter nos conclusions, il s'agissait d'une simple étude prospective. Habituellement, une campagne d'analyses correspond à plusieurs centaines d'échantillons, qui sont analysés et réanalysés.
S'agissant de sa dégradation naturelle, il faut se poser la question de la vitesse. Sachant que le chlordécone a été utilisé il y a vingt à trente ans et que les produits de dégradation correspondent en quantité au chlordécone, on pourrait se dire que, dans vingt ou trente ans, tout aura disparu. Mais on ne peut raisonner de cette façon car on ignore quand la dégradation a commencé dans les sols – peut-être il y a quelques années, peut-être il y a quarante ans. Nous ne savons donc pas si c'est une dégradation sporadique, liée aux épisodes cycloniques ou de pluie – il est possible que les conditions climatiques aient des conséquences. En outre, il faut prendre en compte un autre paramètre : a priori, les produits de transformation n'ont pas le même comportement dans l'environnement que le chlordécone – certains sont plus accrochés dans les sols. Pour le moment, nous avons une image statique, alors qu'il faudrait envisager le problème de manière dynamique.
Un grand consortium d'équipes – disposant de toute la palette des compétences d'analyses – devrait donc poursuivre les recherches pour répondre à votre question.
En utilisant un vocabulaire simple, pourriez-vous nous présenter en détail votre proposition ? D'autres études, d'autres recherches sont en cours sur la remédiation et la phytoremédiation. Selon vous, le sol antillais contient des produits de dégradation du chlordécone : ce sol pourrait donc être à l'origine de remèdes permettant de se débarrasser de manière naturelle du chlordécone. Quelles sont ces matières ? Comment cela fonctionne-t-il ? Comment les activer ?
Toute dégradation génère des produits de dégradation, sauf à trouver un moyen de dégrader totalement le chlordécone – ce que nous appelons la minéralisation. Dans ce dernier cas, soit tous les carbones de la molécule sont transformés en composés inorganiques, soit ils sont intégralement mangés et recyclés dans l'environnement. Malheureusement, la dégradation du chlordécone que nous avons observée, comme celle réalisée chimiquement en laboratoire avec du fer zéro valent, génèrent des produits de dégradation. Ce ne serait pas une bonne idée de dégrader le chlordécone en un produit plus dangereux. Nous nous interrogeons donc sur la toxicité relative des produits ainsi créés par rapport au chlordécone. Avant de décider si on veut le dégrader plus vite, il faut se poser cette question.
En outre, ce sont des processus différents qui vont le dégrader en certains produits plutôt que d'autres. Actuellement, nous ne sommes pas capables de vous expliquer comment le chlordécone se dégrade dans l'environnement. Nous pensons que c'est grâce aux bactéries du sol, mais nous ne connaissons pas les conditions favorables. Nous savons seulement qu'il existe plusieurs types de composés et nous avons constaté que les produits ne sont pas les mêmes suivant l'environnement et les sols.
On les retrouve à gauche sur la première diapositive que nous vous avons présentée : celui que nous avons nommé A1 a la même structure globale que la chlordécone, mais un chlore est remplacé par un hydrogène. Les composés sont donc de structure proche, mais A1 a moins de chlore. On peut supposer qu'il se dégradera plus facilement, mais cela reste une supposition car nous n'avons pas de preuve tangible pour l'instant.
Les produits B1, C1, C2, C3 et C4 ont connu quant à eux un changement fondamental de structure – ils ne ressemblent plus à une cage comme la chlordécone : il s'agit de structures de type aromatique, qui se rapprochent un peu des polychlorobiphényles (PCB), avec des décorations diverses à base de chlore ou d'acide carboxylique. Nous ne connaissons pas leur toxicité.
Tout comme le chlordécone, faiblement disponible, certains de ces produits le sont probablement aussi. Nous démarrons tout juste des études en laboratoire pour essayer de les dégrader grâce à des bactéries. Les produits C1, C2, C3 et C4 aiment beaucoup l'eau. Ils vont donc être beaucoup plus biodisponibles que le produit B1. Cela ne signifie pas que nous avons trouvé des moyens pour les dégrader, mais les produits de type C se fixent plus facilement sur la matière organique. Nous avons donc bon espoir qu'ils soient évacués plus rapidement par le biais de la percolation – l'entraînement par l'eau dans les sols ou en surface – ou qu'ils soient eux-mêmes déjà dégradés.
Au laboratoire, nous tentons également d'atteindre le Graal : minéraliser totalement le chlordécone, c'est-à-dire le transformer en carbone, en hydrogène, etc. Nos chimistes ont été capables de synthétiser et de purifier la plupart des produits indiqués sur cette diapositive. Cela leur a permis d'établir de manière certaine leur structure chimique, en utilisant des méthodes de chimie analytique et de résonance magnétique nucléaire (RMN) afin d'en extraire des produits purs. Ces derniers servent de standards – quand on recherche un produit dans l'environnement, on le trouve car on a sa structure et ses caractéristiques chimiques. On essaie aussi de les dégrader par des consortia bactériens. C'est ce que nous faisons depuis plusieurs mois pour le produit B1, produit de transformation du chlordécone que l'on retrouve le plus dans l'environnement.
Un dernier point, déjà évoqué par Monsieur Hervé Macarie, microbiologiste à l'IRD Marseille (IMBE), et le Professeur Luc Multigner, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) lors de précédentes auditions, concerne notre collaboration avec les Américains, plus précisément le Virginia Institute of marine science (VIMS).
La réunion est suspendue cinq minutes.
Quelles sont les différences et les points communs entre votre solution et la phytoremédiation ?
Je ne suis pas un spécialiste de la phytoremédiation, mais Madame Magalie Lesueur Jannoyer, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) – qui a longtemps travaillé à la Martinique – estime que ce système fonctionne mais n'est pas suffisamment efficace : la phytoremédiation arrive à prélever plusieurs microgrammes de chlordécone par hectare, alors qu'il faudrait arriver à en prélever plusieurs grammes. En outre, il faut trouver des plantes dont les racines atteignent le chlordécone, quelle que soit la profondeur à laquelle il est située – de la surface jusqu'à 90 centimètres de profondeur, dans les cas où le sol a été labouré.
Il n'est pas évident de trouver des plantes efficaces à différentes profondeurs. Peut-être faudrait-il trouver des mélanges de plantes. Le chlordécone se fixant facilement sur la matière organique, il faudrait ensuite trouver des bactéries en symbiose avec ces plantes qui libéreraient suffisamment de chlordécone pour qu'il arrive au niveau de leurs racines. Ce n'est pas évident...
La réduction chimique in situ (ou in situ chemical reduction-ISCR) zéro valent a fait ses preuves sur une parcelle. Mais combien de fois faut-il l'appliquer pour qu'elle soit réellement efficace ? Quel est son coût ? Je connais mal – mais un peu quand même – la topographie des Antilles, mais les bananeraies sont rarement sur des surfaces planes. Or, à mon avis, cette solution n'est utilisable que sur ce type de surface.
Seule, cette solution ne fonctionnera pas. Il faudrait trouver des combinaisons afin que les choses avancent.
Concernant la minéralisation du chlordécone, nous collaborons avec le Virginia Institute of marine science (VIMS). Nous y avons envoyé une de nos étudiantes en thèse, Madame Oriane Della-Negra. Elle est allée y faire des prélèvements de carottes de sédiments dans la James River en juin dernier. Nous avons récupéré six carottes et avons commencé à mettre en culture 200 ou 250 échantillons pour en extraire l'acide désoxyribonucléique (ADN).
Les vitesses de sédimentation des carottes prélevées ont des caractéristiques physiques différentes. Elles vont être analysées par les scientifiques du VIMS, qui vont réaliser la datation isotopique au césium 135 et au plomb 210. Ils essaieront ainsi de retrouver la période, à partir de 1976, à laquelle le chlordécone a commencé à descendre dans les sédiments. L'objectif est de retrouver le chlordécone grâce à la datation – si elle existe toujours. Peut-être n'en trouvera-t-on plus car il aura été détruit ou peut-être retrouvera-t-on des produits de dégradation. Nous n'en savons rien. Mais faisons le pari que, quelque part dans ces carottes, des bactéries sont capables de dégrader totalement le chlordécone – en tout cas beaucoup plus que ce qu'on est actuellement capable de faire en laboratoire !
Les Américains ne l'ont jamais fait auparavant. Ils ont réalisé le carottage avec leur bateau et sont également chargés de la datation isotopique. Ce travail de recherche a été partiellement financé par la délégation régionale à la recherche et à la technologie (DRRT) de Martinique, par l'intermédiaire de Monsieur Franck Robine, préfet, et Monsieur zcPhilippe Hunel, délégué territorial.
Non, notre laboratoire est sous la tutelle conjointe du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), établissement public industriel et commercial (EPIC), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'université d'Évry.
Vous avez répété que vous étiez dépendants des subventions. Ainsi, vous avez présenté des dossiers à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et, à quatre reprises, n'avez pas obtenu de subventions, alors que le sujet est très important. Vous le confirmez ?
Oui, c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de travailler sur fonds propres. Ce n'est pas facile – je dirai même que cela s'apparente à un sacerdoce ! : il faut prouver à vos collègues que vous faites un travail intéressant, mais qui ne donnera pas lieu à beaucoup de publications.
Votre laboratoire est sous la tutelle du CNRS. Or vous êtes livré à vous-même pour financer des recherches aussi essentielles que celles concernant la pollution au chlordécone. Vous le confirmez ?
Tout à fait.
Vous recherchez donc des financements un peu partout, y compris en Martinique. C'est dans ce contexte que le préfet de Martinique vous a octroyé 19 000 euros. Vous avez ensuite obtenu 30 000 euros il y a peu de temps. Ce sont donc ces financements, aléatoires, qui font avancer vos recherches, et non le besoin d'identification des problèmes. J'ai bien compris ?
Vous avez très bien compris. Ces propos n'engagent que moi, mais j'estime que tout le monde s'en fout.
D'ailleurs, la personne qui va être auditionnée après nous, auprès de laquelle j'avais sollicité un financement, m'avait répondu que les plans chlordécone ne visaient pas à financer la recherche sur la dégradation de la chlordécone. Elle m'avait conseillé de m'adresser à l'ANR.
Je comprends, mais j'en suis attristé. Il n'y a donc ni ciblage, ni garantie, ni financement prospectif pour la recherche multisectorielle et multifacteurs – eau, terre, etc. Certes, vous n'êtes qu'une solution de remédiation parmi d'autres, mais le besoin de recherche n'est absolument pas pris en compte. Or l'important est de savoir comment on sort de ce problème, alors que le produit va rester six cents ans dans le sol !
J'espère que le Président de la République en tiendra compte et qu'il retiendra des propositions dans ce champ de recherche. Il est dramatique de voir des chercheurs aussi impliqués dans une si grande précarité financière !
Nous sommes ici avec un message d'espoir : nos résultats récents laissent à penser que le chlordécone se dégrade naturellement. En conséquence, notre image de la pollution est incomplète. Nous ne cherchons pas tant à marteler qu'il faut de l'argent pour essayer de dégrader le chlordécone aux Antilles qu'à en demander pour faire un état des lieux complet de la pollution et pour comprendre comment le chlordécone s'est dégradé – même partiellement – au cours des trente à quarante dernières années.
Plutôt que d'être invasif, en utilisant certains végétaux ou des produits chimiques – le procédé ISCR utilise du fer zéro valent à un niveau qui n'est pas naturel dans le sol –, essayons déjà de mieux comprendre ce que la nature a fait. L'essentiel est qu'elle a déjà partiellement fait le travail, et non de savoir si elle l'a fait d'un point de vue microbiologique – comme nous en laboratoire – ou d'une autre façon – grâce à la lumière, aux plantes ou par un autre moyen.
Contrairement au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou au laboratoire départemental d'analyse de la Drôme (LDA26), nous ne sommes pas des spécialistes ou des laboratoires d'analyses attitrés. En outre, nous ne sommes pas sur place. Nous avons simplement mis en évidence des faits et sommes prêts à collaborer avec d'autres chercheurs.
J'apprécie votre intervention. Depuis notre rencontre, je savais que votre message était plein d'espoir. Depuis toujours, nous entendons que la chlordécone est hydrophobe, peu soluble et non dégradable. Vous vous êtes également exprimé lors du colloque en Martinique.
Mais je connais aussi vos difficultés de financement. C'est navrant quand nous savons que les sols sont pollués pour quatre à sept siècles. Il aurait fallu un véritable comité de recherche scientifique pour analyser toutes les solutions. Vous avez clairement expliqué les difficultés de la phytoextraction, de la séquestration, du procédé ISCR. Les laboratoires agréés, tels que celui de la Drôme, mesurent-ils les produits de dégradation ?
C'est plus compliqué… Nous avons des contacts avec le BRGM et le LDA26 – désormais appelé La Drôme laboratoire – et ils se heurtent à des difficultés liées aux coûts d'analyse. L'analyse d'échantillons fait désormais l'objet d'appels d'offres. La réponse financière des laboratoires ne s'intéresse donc généralement pas aux produits de dégradation. Les analyses sont organisées et les cartographies réalisées dans l'optique du moindre coût. Pour ce faire, on mesure uniquement le chlordécone.
En outre, le BRGM peut proposer de rechercher certains produits de dégradation, mais ils ne les possèdent pas tous, puisque nous sommes les seuls à disposer de tous les standards analytiques et donc à savoir détecter et analyser leur concentration.
Ce n'est que récemment que Monsieur Pierre-Loïc Saaidi et nos étudiants en thèse ont réussi à produire et à purifier les produits de dégradation pour les utiliser comme standards. Ils l'ont fait à une petite échelle – quelques milligrammes – pour les fournir à d'autres laboratoires afin qu'ils puissent faire la cartographie des études de toxicité, etc. En fait, il faudrait des dizaines, voire des centaines de milligrammes de ces produits, ce qui nécessite surtout des bras et un peu de matière grise.
Faudrait-il refaire toute la cartographie et les tests pour prendre en compte les produits de dégradation ?
La réponse est sans ambiguïté : oui.
Autrement dit, vous pensez que le travail de cartographie effectué jusqu'à aujourd'hui mériterait d'être revu et corrigé.
Je crois que oui.
Si je comprends bien, vous pensez qu'on pourrait entreprendre la dépollution des sols dans le cadre de vos recherches sur la dégradation et en vue de la préparation du plan chlordécone IV.
Je ne peux pas vous répondre. Nous ne sommes pas des spécialistes de la dépollution. Je pense que cela concerne les industriels plutôt que les laboratoires de recherche académique. J'avoue ne pas avoir beaucoup de contacts dans ce milieu. Le BRGM est acteur dans ce domaine, et il existe des industriels comme Biogénie, Enoveo, et des sociétés canadiennes dont c'est le métier. C'est un milieu qu'on connaît assez mal. J'ajoute qu'un certain nombre d'industriels avait assisté à l'atelier sur la remédiation à la pollution par le chlordécone qui s'était tenu aux Antilles en 2010 : il y avait des Américains, des Canadiens, des Français et des Allemands.
Vous avez mené des recherches sur les produits de dégradation. Dans le cadre de la préparation du prochain plan chlordécone, quelles actions souhaiteriez-vous mettre en place ou voir mises en place en matière de recherche scientifique ?
Le document que nous vous avons remis dresse la liste de pistes qui pourraient être étudiées pour préparer le futur plan, ou pour financer la recherche sur le chlordécone. Cela concerne à la fois le chlordécone, ses produits de dégradation, leur présence dans l'environnement et la chaîne alimentaire chez l'homme. Nous proposons aussi un volet sur les sciences humaines et sociales et l'action à mener aux Antilles.
Il nous semble quelque un peu ridicule que des milliers d'échantillons des Antilles soient envoyés en Hexagone pour y être analysés. Il serait bon d'envisager des moyens analytiques et la formation de personnes aux Antilles, afin de parvenir à une indépendance.
S'agissant de la bioremédiation, on a imaginé, avec Monsieur Le Paslier, la mise en place de parcelles de tests sur lesquelles plusieurs techniques pourraient être utilisées. Il serait intéressant d'avoir un organisme ou des équipes de chimie analytique sur place qui puissent analyser en parallèle l'évolution sur chaque parcelle, mais de manière objective. Quand le BRGM ou d'autres réalisent leurs propres tests, ils utilisent généralement aussi leurs capacités analytiques. Cela entraîne nécessairement un biais. Ce n'est pas que je veuille mettre en doute leurs résultats puisque s'agissant par exemple du dosage du chlordécone ils sont bien meilleurs que nous, mais cela limite pour eux la recherche d'autres produits de transformation et de dégradation.
Pour avoir des éléments de comparaison objectifs, il faudrait que les mêmes analyses soient réalisées sur toutes les parcelles où ont lieu tous les tests, qu'il y ait une cohérence en ce qui concerne l'outil analytique et la façon dont les analyses sont réalisées, et que toutes nos connaissances soient mises sur la table pour que les analyses soient réalisées de la manière la plus complète possible.
On connaît assez bien ces produits de transformation du chlordécone et on n'a aucune idée de la façon dont ces échantillons sont envoyés dans la Drôme pour analyse, etc. Certains de ces produits seront probablement plus volatiles que d'autres, ils ont des caractéristiques physico-chimiques qui ne sont pas toutes identiques. La simple façon de traiter des échantillons peut faire que vous trouviez ou que vous ne trouviez pas ces produits de façon correcte.
Lors du colloque qui a eu lieu à Schoelcher en octobre 2018, Monsieur le préfet Franck Robine avait dit être favorable à l'établissement de zones atelier. Il pensait que l'État était prêt à allouer une ou plusieurs parcelles pour ce genre d'atelier.
Vous démontrez des problèmes de cohérence en matière de stratégie de recherche. Comment voyez-vous la résolution de ce problème ? Quel type d'organisation pourrait-on avoir ? Le plan chlordécone suffit-il ? Ne faudrait-il pas quelque chose de plus puissant pour traiter à la fois la question des recherches au sens pluriel du terme ?
Je ne pense pas que les plans chlordécone aient apporté jusqu'à présent des solutions sur la recherche. Au contraire, il faudrait revoir la façon dont sont pilotés ces plans et par qui.
Oui.
Messieurs, je vous remercie pour le document complet que vous nous avez fait parvenir qui comporte des propositions en matière de sciences humaines et sociales.
Faut-il refaire une cartographie de l'ensemble de la surface agricole, des parcelles où des bananes ont été cultivées et sur des terrains tests choisis etou sur des terrains tests choisis spécifiquement ?
Il est difficile de refaire toute la cartographie alors qu'elle n'a jamais été faite en entier. Seulement 7 à 10 % des parcelles ont été cartographiées.
Il faudrait peut-être définir des priorités. Il conviendrait d'abord de vérifier les jardins familiaux (JAFA), les sources, les captages d'eau, bref toute l'eau qui est utilisée aux Antilles, et pas uniquement l'eau mise en bouteille. Comme on connaît l'historique d'un certain nombre de parcelles, on peut classer les bananeraies selon qu'elles sont à grand risque, à risque moyen élevé, à risque moyen faible et à risque faible, voire nul. Les parcelles sur lesquelles des bananes ont été cultivées de 1972 jusqu'à maintenant peuvent être considérées comme étant à risque élevé, celles où des bananes ont été cultivées depuis 1993 à risque moyen faible, etc. On ne peut pas commencer à un endroit et terminer à un autre, mais peut-être plutôt définir des priorités dans ces analyses.
À mes yeux, ce qui manque aujourd'hui et ce qui a manqué, c'est qu'aucune parcelle n'a été suivie dans le temps, ce qui aurait pu montrer cette dégradation naturelle du chlordécone que nous avons pu mettre en évidence via les produits de dégradation. Au final, on est parti d'un constat énoncé par les personnes qui avaient mis en évidence cette pollution au début des années 2000, avec l'article d'Yves-Marie Cabidoche sur les projections à l'échelle de plusieurs siècles. Toutefois, à cette époque, il n'avait pas de données sur le suivi d'une parcelle sur dix, cinq ou trois ans. Je pense que c'est ce qui lui a manqué pour manquer la dégradation naturelle qui s'opérait peut-être alors déjà. Peut-être faudrait-il choisir quelques parcelles et les analyser tous les deux ans selon la même méthodologie analytique pour voir si on constate une augmentation de certains produits de dégradation, si le chlordécone diminue bien. Bref, cela permettrait d'avoir une idée en ce qui concerne l'aspect temporel et pas uniquement spatial du chlordécone. Mais j'imagine que ce doit être très compliqué, sinon cela aurait déjà été fait.
Aujourd'hui, on peut dire que l'on a constaté – et ce constat est irréfutable – une capacité des sols et des produits du sol à dégrader naturellement le chlordécone. Il est possible, selon vous, de stimuler cette dégradation par les produits que vous avez cités tout à l'heure qui sont intrinsèques au sol martiniquais. On a toujours entendu, au contraire, que le chlordécone n'était pas dégradable, mais peut-être biodégradable, c'est-à-dire qu'il fallait apporter une végétation particulière pour entraîner la dégradation. Pour votre part, vous dites qu'il existe une mécanique de dégradation interne. Est-ce bien cela ?
Oui, il y a des bactéries aux Antilles qui dégradent le chlordécone.
Les produits que l'on a obtenus, ce sont les produits de la dégradation, mais aujourd'hui nous n'avons pas de protocole pour stimuler la dégradation naturelle. Nous ne sommes pas certains que les bactéries que nous avons isolées en laboratoire, même celles en provenance de Martinique, survivent si on les remet en Martinique ni qu'elles dominent parmi toutes les bactéries présentes dans les sols.
Nous avons trouvé plusieurs bactéries en Martinique capables de stimuler une dégradation du chlordécone. Au vu de la cartographie, nous pensons qu'elles sont déjà présentes de manière très répandue. C'est plus probablement le fait que soit les conditions ne sont pas réunies pour que la dégradation soit très efficace, soit qu'elles sont très minoritaires. Si par exemple on remet dans un environnement des bactéries que l'on aura produites en laboratoire en grande quantité, mais que très rapidement cet environnement ne leur convient pas, elles ne prédomineront pas. Peut-être faudra-il apporter d'autres éléments pour soutenir leur prédominance. Ce sont des équilibres biologiques qui sont compliqués à comprendre et encore plus à stimuler.
Si j'ai bien compris, c'est pour cela que vous proposez la mise en place de terrains pour tester afin de passer à une autre échelle et que des moyens financiers soient dégagés pour accompagner cette recherche.
Comme cela dépasse largement nos compétences, nous proposons d'échanger d'avec d'autres.
Vous dites que vous n'avez pas encore établi de protocole pour les produits de dégradation, et que vous ne pouvez donc pas les produire à grande échelle. Est-ce bien cela ?
On peut les produire, mais pour passer d'une petite à une grande échelle il faut du temps et des bras, autrement dit du temps de travail de chercheurs confirmés.
Pour nous, la toxicité des produits de dégradation est également très importante. Là aussi, nous sommes acteurs pour les produire. Comme vient de le dire Denis Le Paslier, il nous manque des bras. Au-delà, il faut bénéficier de suffisamment de financements pour essayer d'étudier la toxicité. Dégrader pour dégrader n'est pas une bonne idée : il faut dégrader en quelque chose qui soit moins nocif, dont on soit sûr.
Avez-vous pu déjà discuter de vos recherches, en tout cas de vos trouvailles sur les produits de dégradation, avec ceux qui sont en lien avec le territoire et qui essaient de chercher des solutions ? Je pense au BRGM, à la Direction générale de l'alimentation et aux scientifiques qui ont participé avec vous au colloque scientifique.
Par exemple Pierre-Loïc Saaidi a déposé une demande de financement à l'Agence nationale de la recherche (ANR), en collaboration avec le BRGM et l'École nationale de santé animale de Nancy, projet qui a été refusé.
Nous vous remercions de nous avoir écoutés.
La réunion s'achève à quinze heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14 heures 05
Présents. – Mme Justine Benin, Mme Annie Chapelier, M. Serge Letchimy, Mme Cécile Rilhac, Mme Hélène Vainqueur-Christophe