L'audition commence à quatorze heures trente.
Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Edgar Bonte, président d'Auchan Retail, M. Jean-Denis Deweine, directeur général d'Auchan Retail France, et M. Franck Geretzhuber, secrétaire général d'Auchan Retail France.
Cette audition est publique, donc ouverte à la presse, mais si la nature de nos échanges le nécessite, notamment si nous abordons des sujets considérés comme hautement confidentiels et stratégiques, il est possible qu'elle se poursuive à huis clos.
Messieurs, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais demander à chacun d'entre vous de prêter serment.
Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
M. Edgard Bonte, M. Jean-Denis Deweine et M. Franck Geretzhuber prêtent successivement serment.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux tout d'abord vous remercier pour votre invitation. Avant de répondre à vos questions, je souhaite vous transmettre quatre messages.
Premier message : dans le monde de la grande distribution, Auchan est une enseigne différente. Créée en 1961 à Roubaix, elle avait pour premier objectif, pour raison d'être, d'augmenter le pouvoir d'achat des ouvriers de l'industrie textile de cette ville.
Auchan est une entreprise différente en ce qu'elle est un groupe familial qui a développé l'actionnariat salarié. Ainsi, en France, 89,9 % de nos collaborateurs en contrat à durée indéterminée (CDI) sont actionnaires. Il en résulte une véritable solidarité entre actionnaires, dirigeants et collaborateurs de l'entreprise. Pour preuve, en 2018, année très difficile en termes de résultats, l'actionnaire a renoncé à prendre ses dividendes.
Elle est différente parce que, guidés par les valeurs fortes puisées dans la culture humaniste du Nord, nous plaçons l'humain au coeur de nos préoccupations. En conséquence, en France, Auchan emploie 73 000 collaborateurs, dont 86 % en CDI, et recrute 13 000 personnes par an, auxquelles sont proposés un parcours de réussite et un dispositif complet de partage des résultats.
Elle est différente parce que, n'étant pas cotés en Bourse, nous pouvons nous développer de façon durable, sans dépendre des aléas de la bourse ni des fonds de pension. Nous savons donner du temps au temps, prendre le temps nécessaire pour tester les produits, les innovations proposées par nos fournisseurs.
Elle est différente, enfin, parce que nous avons une culture d'entrepreneur. Nous formons nos collaborateurs à l'économie d'entreprise, ce qui donne en particulier à nos acheteurs une culture de discernement dans leurs relations avec les PME.
Deuxième message : cette différence est connue et reconnue par nos partenaires commerciaux. C'est ce que les représentants de certaines fédérations industrielles et agricoles que vous avez auditionnées ont mis en avant. Je pense à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et à la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB), ainsi qu'à l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et à l'Institut de liaison et d'études des industries de consommation (ILEC), qui ont souligné l'esprit collaboratif de nos négociations commerciales.
Je me réjouis que nos convictions soient partagées par d'autres. En France, la grande distribution n'est pas homogène ; elle est composée d'entreprises de distribution différentes, qui ont des valeurs, des cultures, des politiques et des relations commerciales spécifiques. Chacune a une façon tout à fait particulière de faire son métier.
Troisième message : notre différence majeure réside dans la confiance que nous plaçons au coeur de nos relations commerciales.
Confiance, d'abord, dans nos partenaires grands industriels. C'est la raison pour laquelle nous avons créé l'alliance à l'achat Horizon et l'avons mandatée pour développer un nouveau mode de négociation commerciale, plus collaboratif.
Confiance, ensuite, dans nos partenaires PME, pour lesquels Auchan est un partenaire majeur.
Confiance, enfin, en l'agriculture française, comme le démontrent nos approvisionnements. Ainsi, 100 % du porc frais, du boeuf frais – hors Angus – et de la farine destinée à nos ateliers de boulangerie, 95 % de la volaille et les deux tiers des fruits et légumes vendus par Auchan sont d'origine française, de même que 100 % des steaks hachés frais et surgelés, du jambon cuit, des oeufs, du foie de canard, du lait de consommation, de la crème et de l'emmental de marque Auchan.
Résultat : lors de nos négociations 2018-2019, 100 % des dossiers de négociations ont été finalisés dans une relation jugée constructive par nos interlocuteurs industriels. Les prix d'achat des produits « États généraux de l'alimentation » (EGA) jugés sensibles – pommes de terre, steaks hachés – ont été revalorisés, conformément à l'esprit de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGAlim », 40 % du montant final des accords de négociation ont été signés un mois avant la date légale et sept accords pluriannuels ont été conclus.
Quatrième message : notre métier est de proposer au consommateur une alimentation saine, locale, durable mais aussi accessible en prix. À cette fin, nous développons des « Filières responsables Auchan », axées sur la qualité du produit, le respect de l'environnement et du bien-être animal, et la juste rémunération des producteurs agricoles. Ces filières sont au nombre de 115 en France à date – de 350 dans le monde –, pour un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros en France, dont la filière du veau d'Aveyron, qui a déjà 23 ans.
Nos approvisionnements en produits frais sont majoritairement français. Nous développons les circuits courts avec 2 800 PME ou producteurs agricoles, qui livrent directement nos points de vente. Nous travaillons au quotidien avec 2 500 PME, qui nous fournissent en produits à leur marque, et nous proposons des produits Auchan de qualité fabriqués à plus de 80 % par des entreprises françaises.
Pour que cette offre soit accessible à tous les consommateurs, nous négocions avec exigence, parce que le prix est le premier critère de choix pour la majorité des consommateurs et que la concurrence entre distributeurs est très forte en France. Mais nous négocions avec le souci permanent de l'équilibre. Un exemple : l'exigence de qualité nutritionnelle pour nos produits Auchan, avec le Nutriscore, et notre refus, pour ne pas entretenir la guerre des prix, de baisser les prix de vente de ces mêmes produits au moment où est publiée l'ordonnance sur le seuil de revente à perte.
Pour que l'on comprenne bien la répartition de votre chiffre d'affaires, pourriez-vous m'indiquer, d'une part, le montant des chiffres d'affaires réalisés respectivement en France et à l'international par le groupe Auchan Retail dans sa globalité et, d'autre part, le pourcentage du chiffre d'affaires dans le domaine agro-alimentaire qui est signé, au niveau des achats, en déflation, en « flat » et en inflation ?
Je vais répondre à votre première question, puis je laisserai mes collègues répondre à la seconde. En France, nous réalisons un chiffre d'affaires de 17 milliards sur un total groupe de 50,5 milliards, dont 12 milliards en Chine.
Nous pouvons seulement vous indiquer qu'en France, cette année, 32 % de la masse d'achat est en inflation, soit une hausse de 1,76 %. En ce qui concerne les 68 % restants, nous vous communiquerons l'information d'ici à la fin de la semaine.
Monsieur le président, vous avez fait référence à la genèse de la construction du groupe Auchan, un groupe familial dont les valeurs, avez-vous dit, sont celles des gens du Nord. Les personnes que nous avons auditionnées nous ont quasi unanimement expliqué que la France était le pays où les négociations commerciales étaient les plus difficiles, les plus tendues. Pourtant, lorsque l'on vous écoute, on perçoit une volonté de bien faire. Lorsque vous évoquez une offre saine, locale, durable et accessible ou la filière du veau d'Aveyron, on voit bien que vous adoptez une démarche de territoire, qui donne du sens à l'acte de négociation, d'achat et de vente. Comment expliquez-vous que les négociations soient, en France, si tendues et si crispées qu'un certain nombre de députés ont éprouvé le besoin de créer une commission d'enquête sur le sujet ?
Tout d'abord, cette situation s'explique par le fait que la France est l'un des pays où le secteur de la distribution alimentaire compte le plus grand nombre d'acteurs significatifs. Il y a donc une guerre des prix. En fait, la négociation avec les industriels est historique et elle dure. Il est vrai que l'on ne rencontre pas les mêmes difficultés dans les autres pays où nous sommes exposés : que ce soit en Espagne, en Russie ou au Portugal, les négociations sont moins complexes. Cela dit, en tant que cinquième ou sixième distributeur, nous sommes un peu suiveurs et, sans vouloir jouer à Calimero, nous essayons de nous battre avec les mêmes armes que les autres. Or, il est vrai que, avec le temps, les dispositifs se sont complexifiés, sans pour autant devenir forcément plus efficaces.
Ensuite, nous sommes intimement convaincus, en tant que famille du Nord, avec nos valeurs, que remettre du sens dans la filière globale a du sens. Auchan – c'est son gros défaut – communique mal dans ce domaine, mais nous réalisons énormément de choses. Je pense notamment aux filières, au bio, aux circuits courts ou aux contrats pluriannuels que nous nous efforçons de développer avec les PME ou les agriculteurs, pour leur permettre d'avoir de la visibilité et d'investir dans la durée. Nous estimons que c'est important, que cela fait partie de notre rôle dans la société. Je ne vais pas dire que nous le faisons toujours bien, mais nous y consacrons beaucoup d'énergie.
Contrairement à beaucoup de nos confrères, et c'est une différence importante, notre actionnaire est le même depuis 60 ans : c'est une famille et elle veut rester actionnaire dans la durée. C'est un discours que nous tenons à nos partenaires, notamment nos fournisseurs, et à nos collaborateurs et auquel nous attachons beaucoup d'importance.
Permettez-moi d'ajouter un mot sur la spécificité française. Toute phase de négociation est marquée par une tension entre les acteurs. Ce qui élève le niveau de tension en France, c'est en particulier la date à laquelle nous sommes contraints de contractualiser, pour le dire ainsi. En effet, une telle date n'existe nulle part ailleurs au monde. Or, cette pression du temps augmente la tension inhérente à tout exercice de négociation – c'est une véritable question. Le second facteur de tension est lié au fait que, nulle part ailleurs dans le monde, l'encadrement administratif, légal, des négociations n'est aussi élevé qu'en France. Ces deux éléments sont probablement de nature à éclairer les réponses qui vous ont été faites par les personnes que vous avez auditionnées.
Monsieur le président, la complexité que vous évoquez n'est-elle pas due à la créativité des acteurs de la distribution, qui ont élaboré un système de négociation d'une complexité telle qu'elle conduit le législateur français à s'employer à équilibrer les discussions par la régulation et l'encadrement ? Quel est, par exemple, le nombre des étapes de négociation qu'un fournisseur doit franchir avant de pouvoir fournir les magasins Auchan ? Je pense aux centrales et à tous les dispositifs créés par vous, ou vos concurrents.
Vous avez raison. Du reste, c'est ce qui nous prive parfois de certains bons fournisseurs. J'imagine, en effet, que ceux d'entre eux qui ne savent pas produire suffisamment ne prennent plus la peine de passer par nos fourches caudines pour se faire référencer chez nous, tant le système est compliqué. Nous sommes, du reste, en train de réfléchir à une simplification des démarches, afin de ne nous priver de personne et d'être accessibles au plus grand nombre de ceux qui sont capables de nous fournir – je ne suis pas en train de faire de la politique. Je ne vais pas vous raconter mon cursus mais, pour tout vous dire, je suis arrivé dans ce métier il y a neuf mois. Donc, je découvre, et je découvre notamment la complexité de nos démarches, qui est due, certes, comme le disait M. Deweine, à une réglementation extrêmement difficile, mais aussi, peut-être, à l'industriel ou au retailer – c'est le problème de la poule et de l'oeuf.
Pour éclairer le mode de fonctionnement de la négociation, puisque j'ai pratiqué ce métier un certain temps…
Pouvez-vous nous dire quel est le nombre d'étages, d'interlocuteurs : magasin local, éventuellement centrale régionale… ? Dites-nous quel est « l'arsenal institutionnel » d'Auchan.
Chez Auchan, c'est finalement assez simple. La négociation est d'abord la conséquence d'une stratégie commerciale dont le but est la création de valeur. À la base, nos enseignes élaborent des stratégies commerciales dans cette perspective. Ces stratégies sont ensuite transmises à une équipe d'achat unique – située au 200, rue de la recherche, à Villeneuve d'Ascq –, qui les transforme en stratégie d'achat, en répartissant les volumes entre les différents acteurs, puis engage la négociation.
À ce stade, Auchan a créé une dérivation : d'un côté, les fournisseurs de très grande taille, au nombre de 113 actuellement, sont négociés par Horizon, donc en alliance avec des partenaires ; de l'autre, les autres fournisseurs sont négociés par des acheteurs d'Auchan, basés à Villeneuve d'Ascq, qui sont la porte d'entrée dès lors que ces fournisseurs veulent avoir une audience nationale. Si leur rayonnement est plus régional, il leur est possible de négocier, sans venir à Villeneuve d'Ascq, soit directement avec les magasins, soit avec des représentations régionales. Mais, en définitive, il n'y a qu'un seul niveau de négociation.
Restons sur les pourcentages. J'aurais besoin de connaître le pourcentage du chiffre d'affaires sur les ventes d'Auchan représenté par ces 113 fournisseurs.
Par ailleurs, tout à l'heure, vous avez indiqué que 68 % du chiffre d'affaires des achats étaient négociés, soit à zéro, soit en déflation. Qu'en est-il dans les autres pays ? Si vous ne pouvez pas nous communiquer cette information dès maintenant, pourriez-vous nous la transmettre le plus rapidement possible ? Elle nous permettra de comprendre quel est le niveau de négociation à l'export.
Comme je le disais tout à l'heure, dans les autres pays, nous ne sommes pas tenus de respecter la date du 28 février. Les réponses que nous pourrons vous apporter concernent donc l'année 2018, qui vous permettra d'établir une comparaison. De mémoire, les 113 fournisseurs représentent 4,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit environ 30 % de notre chiffre d'affaires global, qui est de 15 milliards.
Pouvez-vous nous expliquer plus en détail le rôle d'Horizon International ? Quels services proposez-vous aux industriels concernés ? Quelles sont les relations entre le groupe Auchan en France et cette centrale de services et où celle-ci est-elle située ?
Horizon International est une centrale de négociation et de prestation de services qui réunit quatre partenaires : Casino, Métro, Dia et Auchan. Elle est basée à Genève – et ce depuis très peu de temps, puisqu'elle a été créée au mois de février dernier – et concerne aujourd'hui 78 fournisseurs, dont 62 appartiennent au secteur alimentaire. Elle a été créée pour offrir un nouveau panel de services au monde des grands fournisseurs internationaux. Elle a, en effet, une caractéristique propre : c'est la seule centrale de ce type à réunir exclusivement des intervenants internationaux. De fait, Casino, Métro, Dia et Auchan sont des entreprises de retail internationales ; elles interviennent dans 48 pays.
J'ajoute que ces quatre intervenants ont pour caractéristique d'être parfaitement complémentaires du point de vue des formats proposés aux industriels. En effet, nous couvrons, avec Dia, le hard ou le soft discount, avec Métro, le cash-and-cary, et avec Casino et Auchan, l'ensemble ou presque des formats retail BtoC qui existent actuellement dans la distribution. C'est pour cette raison que nous nous sommes associés. Nous avons ainsi la première couverture géographique et la première couverture des formats. Par ailleurs, cette centrale propose aux fournisseurs 19 services répartis entre quatre grands piliers : joint business plan, data sharing, opérationnel et croissance. Nous pourrons vous donner le détail de ces 19 services, qui figurent d'ailleurs aux statuts de cette alliance.
Auchan est une entreprise française du Nord, dont vous avez vanté les qualités, que je reconnais, du reste : c'est une très belle entreprise, et je vous en félicite. Mais il y a une chose que je ne parviens pas à comprendre. Les distributeurs prennent une marge sur le business fait à l'exportation ; vous, vous prenez une marge sur le chiffre d'affaires réalisé en France – que vous facturez, qui plus est, en Suisse, d'où la complexité de la mécanique qui est la vôtre. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous prenez un pourcentage du chiffre d'affaires français pour du business qui, en définitive, est réalisé à l'exportation. Je sais que vous prenez aussi un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation, mais il y a là une certaine logique : vous êtes un gros groupe, qui permet à des entreprises françaises – je pense à des groupes comme Lactalis ou Danone, qui ont peut-être besoin de votre aide pour cela – de se développer à l'export.
En fait, ces pourcentages sont la rémunération de services que nous rendons au niveau international, France comprise. La valeur ajoutée de ces services tient précisément au fait qu'ils s'appuient sur la puissance de feu que peut avoir Auchan au niveau international et qu'ils sont exactement les mêmes dans les 14 pays où nous sommes présents. Ils sont donc tarifés, d'une certaine manière, au même niveau, en pourcentage, quel que soit le pays dans lequel on se trouve. La France, à cet égard, n'est pas, pour nous, un pays différent, dès lors que nous rendons un service à caractère international.
Désolé, je n'arrive pas à comprendre. Joint business plan, plans promo internationaux… Pourtant, on prend un pourcentage du chiffre d'affaires français d'industriels avec lesquels vous aviez, en plus, l'habitude de travailler avant de créer cette centrale de services, de sorte que le business était déjà lancé. Grâce à vous, ces entreprises ont pu se développer : la grande distribution a aidé les industriels français à devenir des fleurons internationaux. Pour l'international, je le comprends. Mais pourquoi prendre, pour des plans promo internationaux, un pourcentage du chiffre d'affaires 100 % français ? Cela, je n'arrive pas comprendre.
Vous partez du principe que l'essentiel des fournisseurs avec lesquels nous négocions à l'international sont français ; mais, sur les 78 fournisseurs dont je vous ai parlé, il n'y en a pas quinze qui le sont, tous les autres viennent d'autres pays. Coca-Cola par exemple n'est pas vraiment française, or elle fait partie de ces 78.
Ce n'est pas une « taxe » que nous prélevons sur le chiffre d'affaires français des fournisseurs pour financer l'international. C'est une prestation que nous rendons à l'identique, qu'il s'agisse de promotion, de marchandising, etc., mais elle a pour caractéristique et pour valeur de ne pas être réalisée à l'identique pour chacun des pays. La prestation réalisée à l'international est exclusivement réalisée internationalement par tous les pays.
Nous ne pourrions pas atteindre un tel niveau de prestation puisque nous ne le rendons pas dans le pays en question. Les prestations négociées par Horizon International ne sont pas rendues à l'identique dans les autres pays ; par plus d'ailleurs par la France, zone d'activité que je dirige et dont je peux facilement vous parler.
Ma question portera sur la stratégie ; car on sait que le groupe Auchan traverse un moment compliqué, comme beaucoup d'acteurs du retail actuellement. À quoi attribuez-vous cette situation, alors que cette guerre des prix pour le consommateur, qui est censée vous faire gagner des parts de marché, est installée depuis plusieurs années ? Malgré tout, on constate que ce n'est pas ce qui aide votre groupe à être en forte croissance.
Vous existez depuis neuf mois, ce qui n'est pas le fait du hasard, mais parce que votre prédécesseur n'a hélas pas obtenu les résultats que le groupe attendait. Quels axes stratégiques allez-vous privilégier ? Quels seront leurs impacts sur votre relation avec vos fournisseurs ?
Effectivement depuis quelques années le groupe Auchan a été très orienté vers son développement à l'international, peut-être au détriment de son réseau français, en tout cas de la France, et cela pas uniquement par des capitaux, aussi par les hommes que nous avons envoyé un peu partout dans le monde. Nous sommes d'ailleurs très fiers et très heureux d'être premier employeur étranger en Russie et en Chine, cela avec succès.
Toutefois, année après année, la pression sur la France a continué à s'exercer, et notre rentabilité s'est érodée de manière très significative.
Il est vrai que si vous faites allusion aux annonces parues dans la presse sur nos résultats, il y a effectivement eu une moins forte performance, puis aussi une dépréciation d'actifs. C'est pourquoi il nous a fallu être transparents avec nous-mêmes au sujet de la valeur réelle de nos actifs.
Le premier axe de ma stratégie a été nommé Renaissance, dont la mise en oeuvre a commencé il y a quelques mois. Nous travaillons sur nos structures de coûts, notre efficacité, sur l'ensemble de la chaîne de notre métier, mais aussi sur les foyers de pertes, ce qui a malheureusement conduit à quelques cessions ainsi qu'à un nombre très limité de fermetures en France. Il était en effet urgent de faire en sorte que l'entreprise renoue avec la rentabilité.
Il faut ensuite incarner un vrai projet pour redynamiser l'entreprise, et tout notre projet est organisé autour du produit, qu'il soit conçu ou sélectionné. Nous avons en effet été trop longtemps des référensseurs, ce qui nous a conduits à référencer trop de produits avec des besoins clients redondants, au détriment de notre rôle de sélectionneurs et de concepteurs de produits.
Si nous nous sommes positionnés comme une enseigne voulant être une référence dans l'alimentaire de confiance, et si nous souhaitons le demeurer, nous avons le devoir de sélectionner beaucoup plus précisément. À cette fin, nous travaillons avec les équipes « Achats », des nutritionnistes et des équipes spécialisées pour pouvoir acquérir cette expertise et offrir à nos consommateurs une charte qualité.
Nous sommes convaincus que ce deuxième axe de notre action sera fondé sur des producteurs locaux, des PME. Avec les PME fournissant notre enseigne, nous voulons poursuivre dans cette voie, en plus de ce que nous faisons dans les filières, et développer une communication plus percutante sur le sujet, car nous sommes peut-être trop discrets sur ce que nous faisons de bien. Je ne puis pas toutefois en dire plus à ce stade et encore moins donner de dates précises.
Les centrales de la grande distribution ont une certaine faculté à se ressembler, notamment en constituant des centrales d'achats proposant certains services. Un acteur de la grande distribution a d'ailleurs décidé de déporter ses centrales d'achats en Belgique, échappant ainsi à la réglementation française à mesure du transfert des parts. Le groupe Auchan envisage-t-il, à court, moyen ou long terme de déporter lui aussi une centrale d'achats ?
Nous avons déjà au Luxembourg une centrale d'achat historique qui a pour nom Patinvest, mais nous y sommes aussi acteurs avec 1 300 collaborateurs et trois magasins. Le Luxembourg était une sorte de plaque centrale pour nos exportations, notamment dans les pays de l'Est, dans lesquels nous sommes assez bien développés ainsi qu'en Russie.
À part cette exception, nous n'avons pas prévu de délocaliser nos sièges sociaux et nous restons à Roubaix, plus précisément à Croix, et nous n'avons pas la volonté de déplacer nos centrales d'achats en plus des dispositifs déjà en place.
Je reformule la question afin que les choses soient bien claires : envisagez-vous, à court, moyen ou long terme, d'acheter les produits qui seront commercialisés sur le territoire français à une centrale d'achats qui ne serait pas située en France ?
Nous n'avons pas de nouveaux projets à ce titre, mis à part ce qui existe aujourd'hui.
C'est toutefois une chose qui pourrait se produire…
Comment analysez-vous cette situation ? Car le rapporteur évoquait des similitudes – que j'appelle du mimétisme – entre les différentes enseignes de la distribution ; ce qui vous a amené à considérer que vous étiez en queue de peloton, mais que vous suiviez le mouvement. Ce que nous ont d'ailleurs dit d'autres distributeurs ; qu'ils avaient adhéré à une centrale internationale parce que les collègues le font et qu'ils y voient une source possible de revenus supplémentaires, car sinon ils risquaient de perdre la compétition, de mourir et d'être rachetés par le voisin.
M. le directeur général a considéré le droit français compliqué, et qu'en France le commerce était très encadré : est-il plus facile de faire du commerce en Belgique ou en Suisse, par exemple ?
Je vais tâcher de formuler la réponse la plus claire possible ; car il me semble avoir identifié l'acteur auquel vous faites référence.
Nous observons très attentivement ce qui est en train de se passer du côté de Bruxelles, particulièrement cette pratique, car elle pourrait être source d'un niveau de compétitivité auquel nous n'aurions pas accès.
Cette pratique consiste, entre deux acteurs de pays différents où les niveaux de prix d'achat nets sont différents, à aligner les prix sur les plus bas des deux. C'est l'objectif poursuivi par cette structure totalement innovante qui a vu le jour il y a quelques années.
Le deuxième objectif poursuivi est de bénéficier des conditions juridiques plus simples en Belgique qu'en France dans le domaine des délais de paiement par exemple. Un modèle comme le nôtre, qui vit par le BFR (Besoin en fonds de roulement), etc., avec tous les dispositifs successifs, a subi une érosion de nos délais de paiement et donc de nos BFR.
Si l'entreprise en cours, dont le chiffre d'affaires s'apprécie désormais en milliards, si ce type d'organisation devait croître et embellir, nous Auchan, animés de la volonté d'être pérennes dans notre métier qui est le retail, serions contraints de chercher à atteindre ces niveaux de compétitivité qui nous échappent aujourd'hui. Je veux être très clair dans ma réponse.
Curieusement, une des enseignes que nous avons entendues a indiqué qu'elle souhaitait sortir du système des centrales, notamment de services, et une autre a estimé que le principe devra évoluer, car il n'est pas sans interpeller.
Vous êtes d'accord avec nous pour considérer que ces centrales de services, dont pour votre part vous fournissez la liste, recherchent plus une contribution financière qu'autre chose. Nous avons ainsi bien compris que le rôle principal des centrales internationales consiste à jauger le fournisseur, notamment sa capacité à faire du résultat, et à « l'encourager » à prendre des services, à les facturer, et donc à générer de l'activité financière. L'argent étant ensuite redistribué aux bénéficiaires que sont les enseignes ; c'est a priori le circuit normal que nous essayons de comprendre.
L'ADN d'Auchan, qui est une entreprise familiale, a poussé le groupe à monter Horizon International, qui est une centrale de services, avec un contenu et un sens. Nous n'avons pas pour objet de faire de cette entité une sorte de péage. Vous faites allusion à des entités concurrentes à la nôtre, qui allient des opérateurs « monopays » et ont la possibilité de prendre des mesures dites de rétorsion dans leur pays.
De ce fait, l'organe international sort de sa finalité originelle de vente de services pour devenir une sorte de zone de récupération de remises supplémentaires. Pour notre part, nous sommes clairs sur notre finalité : nous avons structuré et développé notre structure, et nous « vendons » des services qui rencontrent un écho réel auprès des industriels.
Je parlais bien des centrales de service, celle dont nous parlions et qui est hébergée à Bruxelles est une centrale de négociation d'achat ; ce n'est pas la même nature.
Nous sommes d'accord. Ce qui explique, s'il ne s'agit pas d'un péage, qu'un fournisseur, une entreprise internationale, peut refuser de bénéficier des services proposés par Horizon International. Cependant, tout en refusant ces services, elle peut vendre des services à Auchan ; il n'y a pas de péage ou de passage obligé. Ce que M. le rapporteur appelle un péage sans autoroute desservie…
C'est pour cela que je me suis permis de reprendre le terme. Horizon International ne conditionne pas le fait de pouvoir travailler dans les pays, et je puis dire que, parmi les grands industriels, deux pour l'instant n'adhèrent pas à la proposition de service et sont malgré tout présents dans les quatorze pays où nous travaillons.
Nous nous inscrivons véritablement dans une logique de sens et de contenu.
Que représente, en pourcentage de votre résultat net, le montant global reversé de Genève à la France ?
Quel est le pourcentage du résultat net de l'entreprise par rapport au résultat net dégagé par ces centrales de services ?
Il est difficile de répondre, car le résultat net est négatif…
Quel est le chiffre d'affaires en pourcentage de ces centrales de services par rapport au chiffre d'affaires du groupe ?
Me demandez-vous quel est le chiffre d'affaires des fournisseurs dont le dossier se trouve là-bas, ou quel est le montant de ristourne que nous récupérons ?
Nous ne parlons pas de ristourne, nous revenons à Horizon 1 ; pas de lapsus !
Les services proposés par Horizon International dégagent un chiffre d'affaires. Combien ce volume de chiffre d'affaires représente-t-il en pourcentage du chiffre d'affaires d'Auchan retail France ?
Horizon International a été créé au mois de février dernier, nous ne disposons donc pas encore de chiffres. En revanche le chiffre d'affaires de Patinvest représente 0,28 %.
Je rappelle que le but de cette commission d'enquête est de bien comprendre comment se passent les négociations ; rien n'est à charge, il s'agit de comprendre comment cela fonctionne.
Si, à l'époque de Patinvest et le cas échéant avant, à l'international un industriel invité à acheter des prestations de service déclinait l'offre, l'information circulait-elle entre les centrales d'achats françaises ? Existe-t-il une communication signalant les bons fournisseurs ayant acheté des services afin de leur proposer des plans d'affaires plus efficients et plus intelligents ? Y a-t-il une communication entre les services ?
Un peu de la même manière dont je vous le décrivais tout à l'heure lorsque je disais que les enseignes briefent les négociateurs, une pratique de même nature existe pour les services internationaux. Chaque pays identifie la nature des services susceptibles d'être internationalisés.
De façon bilatérale, un débriefing de ces négociations est réalisé, au cours duquel sont signalés ceux qui jouent le jeu et ceux qui ne le jouent pas, cela jusqu'à la nature des services qui ont été acceptés ou non.
Peut-il se produire que, dans le cadre des négociations françaises, si on constate, à l'époque de Patinvest, que tel industriel ne souhaite pas adhérer à ces services, car il dispose de ses propres services de data sharing internes ou qu'il achète des études à un prestataire externe – même si la prestation SAP (Systems, Applications and Products for data processing) n'est pas fournie –, ses commandes soient ralenties ou certaines de ses références bloquées ? Quitte à les reprendre trois mois après ; je ne parle pas de déréférencement, mais d'arrêt de commandes, de dégressivité…
Car des chiffres nous ont été transmis, qui montrent peut-être des similarités annuelles, des périodes au cours desquelles certains produits sont moins commandés. Cela est-il normal à vos yeux et fait-il partie de la négociation ?
À ma connaissance, ce que vous décrivez entre l'international et le pays France n'existe pas. Il n'y a pas de pressions qui pourraient être exercées depuis la France pour faire en sorte que le contrat international puisse être d'une certaine manière signé.
Il n'existe pas de mesures pouvant s'apparenter à des formes de pression, des mesures de rétorsion, des pratiques que l'on pourrait qualifier de discutables, déloyales, voire abusives ? C'est ce qu'il nous a été parfois rapporté, quelques fois en huis clos, par certaines des personnes que nous avons entendues.
Véritablement, à ma connaissance, non.
En revanche, il fait partie du savoir-faire d'utiliser les bonnes relations ou les relations que l'on peut avoir dans un pays. Si nous rencontrons une difficulté à un niveau de négociation international alors que les négociations se passent très bien en France, on peut utiliser ces bonnes relations pour demander à notre interlocuteur de contacter son correspondant à l'international pour essayer d'amener le fournisseur à de meilleures dispositions.
C'est le maximum que nous faisons, et c'est une action plus positive que négative. Nous cherchons à utiliser les aspects positifs de nos relations sans nous livrer à des manoeuvres négatives.
Est-ce que cela vous parle si j'évoque des industriels de l'agroalimentaire réalisant la plus importante partie de leur chiffre d'affaires en France, adhérents parce qu'ils avaient besoin de services à l'international, mais dont les chiffres d'affaires avec Auchan, donc Patinvest, seraient très faibles dans l'activité services, et dont l'ensemble ou la moitié de ce chiffre d'affaires serait consommé par les taux d'accords ?
Spontanément non. Il y a peu, nous nous sommes fixé des règles, particulièrement lors de la constitution d'Horizon, afin d'évacuer tous ces risques.
Je ne parle pas d'Horizon, mais de Patinvest. En 2017, de telles choses auraient-elles pu se produire ?
À titre personnel, je n'ai pas en tête d'exemple de cette nature ; je ne vois pas…
Comment gérez-vous les pénalités logistiques dans vos contrats avec vos fournisseurs français ? Quelles sont vos pratiques dans ce domaine ? Quels sont les taux de services que vous demandez dans les secteurs alimentaire et non alimentaire ? Garantissez-vous à vos fournisseurs la transparence sur les raisons de l'application de ces pénalités ?
Comment leur garantissez-vous le taux d'approvisionnement dans les rayons ? Comment un fournisseur peut-il s'assurer que vos rayons sont bien fournis avec ses produits ?
Le taux de services demandé à nos fournisseurs français sur les produits alimentaires est de 98,5 %, il me semble que c'est le niveau normatif dans la profession.
Pour ce qui regarde le taux de service « magasin » que nous assurons à nos fournisseurs, nous disposons d'instruments de mesure de la rupture – car c'est ainsi que le défaut de service se mesure chez nous – avec lesquels nous travaillons et pouvons entrer en relation avec nos fournisseurs. Au sujet du On Shelf Availability nous développons avec un panéliste un service qui est un des plus attendus par les grands fournisseurs, car si nous sommes exigeants à l'entrée, eux le sont à la sortie.
C'est d'ailleurs un de nos services internationaux, à cet effet nous avons passé contrat avec un grand panéliste international afin de proposer ce service dans tous les pays où nous sommes présents.
Vous ne m'avez pas répondu au sujet de la transparence et de la façon dont vous justifiez des pénalités auprès de vos fournisseurs.
Les pénalités de retard font partie des plans d'affaires à l'année, qui sont contractuels ; elles sont donc le fruit d'une négociation avec le fournisseur.
Par ailleurs, vis-à-vis des PME il n'y a aucune application systématique des pénalités facturées tout au long de l'année, qui pourraient l'être en fin d'exercice. Une facture retraçant le montant annuel des pénalités est adressée, que les PME concernées ont le droit de contester.
Enfin, pendant la durée du conflit des « gilets jaunes », soit du 17 novembre jusqu'au début du mois de janvier dernier, nous avons décidé de n'appliquer aucune pénalité de retard aux PME.
Pour revenir au sujet de la transparence, j'indique que le non-respect du taux de service s'apprécie ligne à ligne ; soit le produit n'est pas livré dans les quantités souhaitées, soit il est absent ou en retard, etc.
La transparence sur la pénalité est donc établie de fait puisque c'est au moment de l'avis de réception que le défaut de respect du taux de service est constaté.
Comment gérez-vous les pénalités logistiques dans les contrats vous liant à vos fournisseurs français ? Quelles sont vos pratiques dans ce domaine ? Quels taux de service demandez-vous dans les secteurs alimentaire et non alimentaire ? Pratiquez-vous la transparence avec vos fournisseurs sur les motifs des pénalités ? Comment leur garantissez-vous le taux d'approvisionnement dans les rayons ? Comment un fournisseur peut-il s'assurer que vos rayons sont bien garnis de ses produits ?
Le taux de service demandé à nos fournisseurs français sur les produits alimentaires est de 98,5 %. C'est la norme, me semble-t-il, dans la profession pour ce qui touche l'alimentaire.
Nous garantissons un taux de service en magasin à nos fournisseurs et employons à cet effet des instruments de mesure de la rupture – c'est ainsi que nous évaluons le défaut de service –, qui nous servent de base dans nos relations avec eux. Nous développons un service avec un panéliste, nommé « on shelf availability ». Cette disponibilité est l'un des services les plus attendus des grands fournisseurs car, si nous sommes exigeants à l'entrée, ils le sont à la sortie. C'est d'ailleurs l'un de nos services internationaux. Nous avons conclu un contrat avec un grand panéliste international pour rendre ce service dans tous les pays où nous sommes présents.
Vous ne m'avez pas répondu sur la transparence et la façon dont vous justifiez les pénalités auprès de vos fournisseurs.
Les pénalités de retard sont contractualisées dans les plans d'affaires, à l'année. C'est le fruit d'une négociation avec le fournisseur. Toutefois, les PME ne se voient pas appliquer systématiquement les pénalités. Celles-ci sont facturées tout au long de l'année, et peuvent parfois l'être à son issue. Nous adressons au fournisseur des factures regroupant le montant annuel des pénalités. Celui-ci – en l'occurrence, la PME – a évidemment le droit de contester le montant des pénalités que nous voulons lui appliquer. Par ailleurs, nous avons décidé, en raison du conflit des « gilets jaunes », de n'appliquer aucune pénalité de retard aux PME du 17 novembre 2018 au début du mois de janvier 2019.
Pour revenir sur la transparence, le non-respect du taux de service s'apprécie ligne par ligne : soit le produit n'est pas livré dans les quantités voulues, soit il est absent, soit il est en retard, etc. La transparence sur la pénalité est effective, puisque c'est lors de la remise de l'avis de réception que l'on constate le défaut de respect du taux de service, lequel est immédiatement relevé et transmis au fournisseur.
Vous nous dites que les pénalités font l'objet d'une facturation annuelle, mais que le fournisseur a connaissance des problèmes au fur et à mesure de leur survenance. Comment les prévenez-vous des incidents intervenus ?
Si la livraison porte sur les bons produits, dans les quantités prévues et les délais impartis, nous établissons un bon de livraison. Nous mettons ensuite en regard, ligne par ligne, le bon de livraison et le bon de commande. Si l'écart excède un point et demi – le taux de service attendu étant de 98,5 % – nous constatons immédiatement le défaut imputable au fournisseur, lequel va donner lieu à l'émission d'une facture de pénalité, à moins que nous n'engagions des discussions et des négociations permettant de compenser l'éventuelle défaillance de l'entreprise.
Pouvez-vous nous dire à combien se sont élevées, en 2018, les pénalités que vous avez appelées et recouvrées ?
Je suis désolé, mais je ne dispose, dans l'immédiat, que du montant perçu. Nous avons encaissé 32 millions d'euros au titre des pénalités relatives à la logistique, concernant 1 400 fournisseurs. Ce n'est donc pas un phénomène concentré. Nous facturons la non-réalisation : ce n'est pas une taxe.
Je voudrais que l'on comprenne la philosophie d'Auchan Retail. L'objectif d'Auchan est d'emmener des fleurons alimentaires français et internationaux à l'export. Pour cela, peut-on dire que vous leur fournissez des services qui vont vous permettre de faire du business, c'est-à-dire de gagner de l'argent sur votre coeur de métier, ou ces centrales de services sont-elles là aussi, en tant que telles, pour réaliser des bénéfices ? Autrement dit, votre but est-il de gagner beaucoup d'argent à l'exportation, sur votre coeur de métier, grâce à la fourniture de services qui, eux, vous procurent des revenus accessoires, ou l'objectif d'Horizon international est-il aussi de réaliser des bénéfices sur les services ?
L'objectif n'est pas de gagner de l'argent sur les services. Ce n'est pas cela, mon métier. Mon métier est de faire de la distribution alimentaire de confiance localement. Je comprends votre préoccupation et votre volonté d'avoir un éclairage sur le sujet. Notre action est souvent très bénéfique pour les industriels ou les fournisseurs qui nous accompagnent, parce que nous leur ouvrons les portes de marchés qui sont parfois difficiles à pénétrer – je pense, par exemple, à la Russie ou à la Chine, où la langue, les normes sont complexes. Nous avons une véritable capacité à les emmener, d'une part, et à leur fournir de la connaissance client, d'autre part. Vous allez me dire qu'on dispose des sorties de caisse, des analyses de caisse, pratiques assez basiques employées en France. Mais cela permet aussi à des industriels de mettre un pied de manière plus efficace dans des pays comme la Russie ou la Chine, dont les typologies de consommation sont parmi les plus singulières. Lorsque je leur ouvre cette possibilité – comme l'a dit M. Deweine, c'est une opportunité que nous leur offrons, et non une obligation –, je renégocie un accord global, puisque la volumétrie augmente. Nous renégocions l'ensemble. Mais faire grossir les centrales d'achat n'est en aucun cas un objectif final, ce n'est pas notre métier.
J'emploierais volontiers l'expression de « péage sans route » quand la barrière s'ouvre. Le trait est peut-être un peu forcé, mais pas si éloigné de la réalité, telle qu'on nous l'a rapportée. On nous a expliqué que certains services ne sont pas du tout utilisés : vous les fournissez alors que les entreprises ne souhaitent pas les acheter. On nous a également rapporté les prix astronomiques de réunions catégorielles… J'en passe et des meilleures. Étant donné que votre but n'est pas de gagner de l'argent avec ces centrales de services, seriez-vous prêt, aujourd'hui, en votre qualité de président, vous qui êtes toujours en pointe sur la façon de faire du business en France et à l'étranger, à jouer véritablement la carte de la transparence ? Seriez-vous prêt à annoncer que telle réunion est facturée 10 000, 100 000, 400 000 euros de l'heure ? Pourriez-vous admettre que le data sharing vous a coûté 100 000 euros cette année et que vous appliquez une marge de 20 % ? Pourriez-vous reconnaître qu'un plan promotionnel – par exemple une campagne de publicité au Brésil, en Chine et en Russie, dans des catalogues – a coûté 25 000 euros, en présentant les factures, éventuellement en demandant à un tiers d'exercer un contrôle, et annoncer que vous appliquez une marge de, mettons, 20 % ? Seriez-vous capable, en votre qualité de président, de jouer la transparence totale ?
On nous a rapporté qu'il n'y avait, à l'heure actuelle, aucune transparence. Vous facturez une prestation, chaque mois ou chaque trimestre, mettons un douzième ou 25 % d'un montant de 2 millions d'euros, sans même fournir un intitulé. Vous ne dites pas que vous allez facturer le data sharing à 70 % de l'année, avec trois réunions et deux plans de promotion. On nous a indiqué que vous facturiez sur la base d'un pourcentage négocié, mais qu'il n'y avait rien derrière la facture mensuelle. Quand je fais des travaux de service, chez moi, on me facture d'abord, mettons, la peinture, puis, le mois suivant, le changement de l'évier !
Je ne veux pas grossir le trait, mais il faudrait une vraie transparence. Je sais que vous demandez de la transparence aux industriels, mais êtes-vous capable, pour votre part, d'offrir une véritable transparence sur les services que vous apportez ?
Vous avez fait allusion à des réunions à des coûts horaires astronomiques. Chez nous, ça n'existe pas. Depuis que je suis arrivé, je n'ai jamais adressé de telles facturations à qui que ce soit que j'ai rencontré en talk to talk.
En avez-vous entendu parler chez d'autres ? Même si vous n'êtes chez Auchan que depuis neuf mois, j'imagine que vous en avez connaissance. Plusieurs fournisseurs nous ont expliqué les choses dans le détail. L'un d'eux s'est vu proposer une mise en contact, à 340 000 euros, avec M. « X », qui devait lui permettre de faire du business dans tel pays, mais derrière, ça s'est révélé un courant d'air, du vent. Ça, nous ne l'avons pas inventé. C'est ce qui nous a fait dire à certaines auditions – M. le rapporteur l'a indiqué – que les services proposés par plusieurs centrales étaient davantage de l'ordre du virtuel que du réel : un tampon, une facture, un montant viré en Suisse ou en Belgique, et puis c'est terminé !
Ça n'existe pas chez moi et, à ma connaissance, ça n'a pas existé. J'ai découvert ce genre de pratiques en écoutant vos auditions, tout simplement.
Je suis tout à fait favorable à ce que l'on ait une transparence complète. De toutes les façons, il ne faut pas être dupe. D'abord, quand nous négocions un plan d'affaires avec un fournisseur, nous stipulons tout dans le détail, point par point. Les facturations que reçoivent les fournisseurs – partons du principe qu'elles arrivent mensuellement, bien que je n'aie pas vérifié ce point – ne constituent donc sûrement pas une surprise. Les choses ont été convenues et, même si le motif n'est pas indiqué précisément, je pense – sans chercher à défendre qui que ce soit – que tout est stipulé dans le contrat.
Ensuite, quand nous facturons des services de publicité portant, par exemple, sur des plans promotionnels, nos fournisseurs ne sont pas dupes ; ils sont de grands professionnels et connaissent le coût réel des choses. Encore une fois, il n'y a pas de tromperie de la part de distributeurs – j'espère, en tout cas, que ce n'est pas le cas.
Vous me demandez si je serais capable de mettre cartes sur tables pour parvenir à une transparence totale. Je n'ai aucun problème avec ce sujet-là. Nous le faisons d'ailleurs plus facilement ailleurs qu'en France, pour toutes les raisons que nous avons évoquées jusqu'à maintenant. Nous serions évidemment preneurs de cette facilité de négociation, en tout cas de cette simplification. Vous comprendrez aussi que nous devons consacrer des ressources à ces procédures, instituer des contrôles, par exemple du contrôle de gestion ; cela induit une complexité qui, au fond, n'apporte de valeur ajoutée pour personne dans la chaîne de valeur.
À plusieurs reprises, vous avez évoqué la date butoir du 28 février pour la conclusion des négociations commerciales. Quelles seraient vos propositions pour détendre les conditions, réduire la tension liée à ce délai ? Faut-il, par exemple, raccourcir le temps de la négociation ?
Comme je vous le disais, la négociation relative à l'année n + 1 marque la fin d'un processus qui nous amène à envisager la création de valeur de l'année à venir. Ma première réponse consisterait à vous dire que, plus vite on termine les négociations – par exemple, autour du 31 décembre de l'année n –, mieux c'est. L'enjeu, c'est la création de valeur. La négociation n'a de sens qu'en vue de celle-ci. Quand on termine le 28 février ou le 1er mars les négociations de l'année n, on a déjà perdu trois mois. On se met en mouvement en avril ou en mai – pour les plus lents, c'est parfois pendant l'été. D'ailleurs, chez Horizon, nous nous sommes astreints, cette année, à achever 30 % de nos négociations au 31 décembre, non pas par volonté de fixer des règles, mais parce que nous savons que les fournisseurs apprécient la mise en mouvement commerciale que cela entraîne. J'aurais donc tendance à vous répondre en évoquant la date du 31 décembre ou, à défaut, à proposer qu'on ne fixe pas de date et que la négociation devienne permanente. En effet, avant la date limite du 31 décembre, il faut qu'on trouve le moyen, en cours d'année, de rouvrir les négociations pour s'adapter à la vie commerciale. Des événements – par exemple, des innovations – doivent pouvoir donner lieu à de nouveaux échanges, parce qu'ils modifient les conditions de création de valeur qu'on avait imaginées. On devrait donc fixer la date du 31 décembre, tout en prévoyant la possibilité de rouvrir les négociations en cas de changement de conditions.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que la gestion comptable est facilitée si l'on connaît le montant prévisionnel des achats entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année suivante. Dans l'hypothèse où, de surcroît, l'entreprise est cotée, c'est beaucoup plus pratique. Cela évite de subir une pression permanente, de se demander si on va tenir le choc, alors que l'année a déjà commencé.
S'agissant de la renégociation, je m'interroge. Certains industriels nous ont expliqué ce qu'il se passait lorsqu'ils proposaient une nouveauté. À cet égard, le modèle français se distingue des systèmes étrangers. Dans certains pays, des nouveautés peuvent être mises en place très rapidement – il semblerait qu'en Hollande, le délai moyen pour l'installation d'un produit soit de quinze jours à un mois – quand en France, en moyenne, il faut entre six et huit mois pour mettre en place une nouveauté dans la grande distribution. En effet, il est souvent demandé aux industriels une participation à l'effort commercial, qui n'est pas fondée sur la mise en place du nouveau produit mais sur la vente des produits qui ont été négociés auparavant. Cela revient à négocier sous la menace d'une épée de Damoclès. On se dit : j'ai l'impression qu'on n'a pas vendu assez de produits, la grande distribution va nous demander de payer son manque de marges. Il s'agit là, comme le président le rappelle souvent, d'une forme de compensation des marges. Vous allez nous dire que vous ne le faites pas, mais la réalité, qui nous est relatée par les industriels, c'est qu'une véritable compensation des marges est demandée à chaque fois qu'on veut installer une nouveauté. Comment pourrait-on éviter ce genre de méthodes ? Peut-être ne les pratiquez-vous pas, ce dont je me féliciterais, mais, apparemment, certains y recourent.
S'agissant des nouveautés, nous sommes également lents, non pas parce que nous négocions beaucoup mais parce que nos systèmes sont un peu lourds, comme l'a dit Edgard Bonte tout à l'heure. C'est paradoxal, puisque nous avons un ADN de commerçants. Nous avons longtemps été et nous demeurons réputés pour notre rapidité de référencement, parce que nous sommes orientés business. Nous savons très bien que l'essentiel de la croissance d'une année avec un fournisseur est tirée par les produits nouveaux. Nous démarrons toujours une année de négociations par ce qu'on appelle une « business review » avec l'industriel. Nous lui demandons, dans ce cadre, de nous indiquer combien il va sortir de nouveautés – sans nous dire exactement quel produit à quel endroit – de telle sorte que nous puissions anticiper les plans de sortie. En général, l'année est ponctuée de deux vagues de sortie de nouveautés par les industriels. Nous n'avons pas pour habitude de prendre les produits nouveaux « en otage » des négociations parce que nous savons que, d'une certaine façon, ce serait se tirer une balle dans le pied !
Ce n'est pas cet exemple que j'avais à l'esprit quand je parlais de rouvrir les négociations. Le prix de certains produits au sujet desquels nous négocions peut être affecté par des variations, parfois élevées, du cours des matières premières, dans un sens ou dans un autre. La survenance d'un fait de marché, par exemple l'effondrement du prix de telle matière première, pour une raison « x » ou « y », ou, inversement, une flambée des prix, serait un moment assez légitime pour rouvrir les négociations.
L'apparition d'une nouveauté, quant à elle, ne me paraît pas justifier la reprise des négociations, puisqu'on est tout à fait en mesure de l'anticiper.
Je voudrais revenir sur le pourcentage de votre chiffre d'affaires réalisé en déflation, voire en « flat », c'est-à-dire à un niveau de prix stable. Nous disposons, pour nombre d'entreprises de la grande distribution, de chiffres similaires aux vôtres. Vous n'êtes ni le meilleur, ni le plus mauvais élève. La moitié, à peu près, de votre chiffre d'affaires, devrait apparaître en déflation – j'attends les chiffres avec impatience. De manière générale, on connaît, depuis cinq ans, un phénomène de déflation. Lors des EGA, on s'est tous tapé dans le dos en se disant qu'on allait faire en sorte que le monde agricole puisse vivre dignement du travail produit dans la ferme France, chez nos 400 000 agriculteurs. Je voudrais vous interroger sur les 68 % de votre masse d'achat qui seraient en « flat » ou en déflation. On estime la déflation à 15 % sur les cinq dernières années. Alors que les EGA devaient redonner du pouvoir d'achat aux agriculteurs, pouvez-vous nous expliquer comment cinq années de baisse consécutives pourraient conduire à une hausse du revenu des agriculteurs ?
Je suis d'accord avec vous, si on pose l'équation comme cela, on ne peut pas aboutir à une augmentation. Il faut entrer dans le détail et ne pas s'en tenir aux masses. L'évolution de nos prix d'achat, pour 2018, se caractérise par une baisse de 0,48 %. Toutefois, cela ne concerne pas uniquement des produits qui touchent le monde agricole. Il faut mener une analyse un peu plus poussée pour répondre précisément à votre question.
Cette année, dans le cadre d'Horizon achats France, nous avions assez tôt identifié les produits « EGA sensibles » qui avaient été affectés par une augmentation du coût de la matière première. Le nouveau mode de négociation s'étant installé avec peine, il a fallu un peu anticiper. Nous ne pouvons pas vous communiquer de chiffres, si ce n'est à huis clos, mais, sur ces produits « EGA sensibles » – je pense au steak haché, à la pomme de terre, cette année en particulier, au lait, évidemment et pour lequel tout le monde l'a fait –, nous avons conclu des accords sur les prix d'achat qui prenaient en compte l'augmentation de la matière première. Nous l'avions déjà fait l'an passé, notamment sur le beurre, lorsque les cours de ce produit avaient progressé. Le ministre de l'agriculture de l'époque avait publiquement salué le fait que nous avions pris les devants sur ce sujet.
Vous avez évoqué les plans d'affaires, qui se caractérisent par leur précision. Les fournisseurs prennent-ils des engagements tout aussi précis en termes de volume d'approvisionnement ?
Oui, tous les plans d'affaires partent d'un postulat de volume, qui est défini avec le fournisseur.
Après une brève suspension, l'audition se poursuit à huis clos et se termine à seize heures quinze.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 17 juillet 2019 à 14 h 30
Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, M. Yves Daniel, M. Guillaume Garot, M. Yannick Kerlogot, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois
Excusé. - M. Arnaud Viala