La mission d'information procède à l'audition de M. Michael Lockwood, directeur général de l'Independant Office for Police Conduct (IOPC) britannique.
La séance est ouverte à 11 heures 10.
. Nous avons l'honneur d'entendre Michael Lockwood, directeur général de l' Independant Office for Police Conduct (IOPC), équivalent britannique de l'Inspection générale de la Police nationale (IGPN).
Cette mission d'information se donne pour objectif de dresser un état des lieux des différentes formes de racisme dans la société française. Nous nous appuyons pour cela naturellement sur des expériences européennes et internationales. Même si nos travaux ne portent pas exclusivement sur le racisme dans la police, nous sommes nécessairement amenés à aborder ce sujet, mis en lumière par l'actualité aux États-Unis puis en France.
Nous sommes intéressés par la manière dont le Royaume-Uni a réussi à mettre en place un service d'inspection reconnu pour son indépendance et son efficacité. Tenant compte des spécificités du rapport qu'entretient la société britannique aux communautés, ce service fait référence en matière d'impartialité.
. Nous ne voulons bien évidemment pas faire d'amalgame entre police et racisme, mais suffisamment de manifestations ont lieu dans la rue pour étudier précisément la question du racisme et de la police. La création de l'IOPC est relativement récente : pouvez-vous nous en expliquer la genèse ?
. Tout d'abord, permettez-moi de retracer la genèse de l'IOPC. En avril 1993, la confiance du public envers la police a été mise à mal à la suite de la mort de Stephen Lawrence dans le cadre d'un contrôle de police. À l'époque, le ministre de l'intérieur avait mis en place une commission d'enquête parlementaire. Son rapport avait souligné un certain nombre de dysfonctionnements au sein des services de police, aboutissant notamment à la recommandation de créer un organe indépendant. En 2004 a été mise en place l' Independent Police Complaints Commission, mais cette structure s'est rapidement révélée insuffisante malgré le renforcement des financements.
Depuis cette époque, le nombre de dossiers traités a augmenté. La structure de base de l'IPCC, composée de 6 commissaires, s'est révélée trop restreinte. Elle était dépassée et ne fonctionnait plus.
En 2018, nous avons décidé de revoir complètement cet organe et de concentrer les pouvoirs aux mains d'un directeur général. En tant que directeur général, je suis entouré d'un comité exécutif composé de six membres et d'un bureau dont le rôle est de m'aider et de remettre en question mon travail. L'IOPC émet ses recommandations dans un cadre réglementé. La compétence de l'IOPC couvre toutes les forces de police de Grande-Bretagne et du Pays de Galles, soit environ 130 000 policiers. Nous employons plus de 1 000 salariés et disposons de bureaux locaux dans tout le territoire national.
Nous sommes compétents pour traiter toutes les accusations de dommages corporels ou de blessures perpétrées par les forces de police, en cas de décès des suites d'interventions policières, et, de manière générale, pour tous les comportements déplacés et pratiques illicites au sein de la police (corruption, etc.). L'année dernière, nous avons ouvert 718 nouveaux dossiers. Chaque enquête se conclut par un rapport. Si nous estimons que les pièces du dossier donnent matière à engager une poursuite pénale, nous le transférons à une institution judiciaire qui décidera, en toute indépendance, de l'opportunité d'engager des poursuites. Il nous arrive aussi de renvoyer l'affaire à la police pour qu'elle applique elle-même des sanctions disciplinaires (un blâme ou un licenciement, par exemple). La personne poursuivie est alors auditionnée par les services de police. Quelquefois, nous constatons que le policier n'a pas véritablement agi de manière répréhensible, mais il doit être rééduqué, remis sur le droit chemin.
Aux yeux de l'IOPC, une plainte est l'expression d'une insatisfaction envers les services rendus par les forces de police. Le périmètre des plaintes est très conséquent. La faculté de faire appel est ouverte aussi bien au plaignant qu'aux forces de police. Chaque plainte, dont il est établi qu'elle est fondée, bénéficie ainsi d'une enquête et d'un droit d'appel. Près d'un tiers des plaintes déposées l'année dernière a abouti à une enquête et à des poursuites.
L'IOPC est aussi composée de représentants de la police (environ un quart des effectifs), mais ceux-ci n'occupent aucun des postes exécutifs et décisionnaires. J'ai été nommé par la reine d'Angleterre et je suis indépendant du gouvernement. Cela ne nous empêche pas de passer du temps sur le terrain, dans les commissariats, afin de discuter avec des officiers de police et de comprendre de l'intérieur la pression à laquelle ils sont confrontés. Cela permet de resituer les incidents dans leur contexte.
Il est important que la police discute avec les jeunes, avec les Noirs et les personnes issues des communautés ethniques pour instaurer un climat de confiance réciproque. Il existe aussi au Royaume-Uni ce que l'on appelle le « délit de sale gueule ». Les policiers arrêtent des personnes sans raison valable, simplement parce qu'elles se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment – surtout quand elles sont issues de l'immigration. Ce sont ces mêmes personnes qui sont aussi plus souvent victimes du taser. Quand un dysfonctionnement se produit de manière intentionnelle, les policiers doivent rendre des comptes ; il est important que ce processus soit caractérisé par la transparence et la responsabilisation des forces de police. Nous remplissons également une mission préventive, permettant aussi d'éviter l'usure morale des forces de police qui se traduit par un taux de suicides très élevés en leur sein.
Depuis deux ans, je fais en sorte que l'IOPC passe plus de temps auprès des jeunes issus des communautés notamment ceux qui sont connus des services de police et de la justice, pour comprendre leurs préoccupations et instaurer un climat de confiance avec la police. Nous avons notamment travaillé avec les jeunes des communautés africaines. Nous avons évoqué ensemble la confiance, les contrôles, les fouilles et la question du « racisme institutionnel ». En deux ans, nous sommes parvenus à de très bons résultats et à regagner un certain niveau de confiance des populations, en particulier d'origine africaine. Nous partions quasiment de zéro. Nous avons également amélioré la rapidité de nos actions. Les retours de nos personnels sont aussi excellents. Depuis, l'autorité de la police est mieux respectée qu'auparavant.
. Ma question porte sur l'organisation de votre institution de manière à garantir son indépendance. En France, l'IGPN est dirigée par un commissaire de police et composée essentiellement de forces de police. Paradoxalement d'ailleurs, cela peut la conduire à adopter une conduite plus dure afin de montrer son impartialité.
Comment êtes-vous parvenu à une réelle indépendance et comment expliquez-vous que ce modèle qui suscite l'admiration soit finalement peu reproduit en Europe ?
. Vous avez évoqué à de maintes reprises la confiance : rétablir le lien de confiance entre la population et sa police est une préoccupation principale dans votre mission. En Angleterre, il faut consentir à la police pour qu'elle soit efficace, ce qui lui permet de gagner le respect de la population. En France, nous aurions peut-être tendance à voir les choses de manière inverse.
La France connaît de nombreuses situations de contrôles d'identité contestés. Existe‑t‑il des alternatives au contrôle d'identité ? De la même manière, existait-il au Royaume-Uni des pratiques qui n'étaient pas tolérées ou qui étaient perçues comme discriminantes par ceux qui les subissaient, et si oui, comment avez-vous réussi à changer ces pratiques ?
. Vous avez questionné l'indépendance de notre inspection. Cette question est de toute première importance ; elle a ses défenseurs et ses détracteurs. Ce qui nous semble le plus important est d'insuffler parmi les forces de police un sentiment de responsabilité à l'égard des communautés, principalement les communautés noires.
Comment faire savoir aux populations que les contrôles sont indépendants et impartiaux ? Il faut pour cela instaurer de la confiance, de façon à ce que si une intervention se passe mal ou si un acte délibéré est établi, le public ait la garantie que les personnes concernées soient tenues responsables de leurs actes. L'indépendance est garantie par le fait que le directeur de l'IOPC ne peut avoir travaillé pour la police et j'ai appliqué la même règle à mes équipes afin que nous n'apparaissions pas comme étant partiaux face aux affaires. Les anciens policiers travaillant pour l'institution (de 20 % à 25 % des fonctionnaires de l'IOPC, ce qui est relativement peu), qui mènent des enquêtes, n'ont pas de pouvoir de décision. Je réponds directement au Parlement, qui peut à tout moment me demander de rendre des comptes sur mon travail. Ces choix d'organisation expliquent que notre organisation bénéficie d'une grande confiance de la part du public.
La face négative de cette médaille est que nous sommes des cavaliers solitaires. Nous travaillons seuls et ne pouvons pas satisfaire tout le monde. Nos détracteurs prétendent que nos enquêteurs ne sont pas assez qualifiés. Bien sûr, l'indépendance ne signifie pas que je sois entièrement coupé des forces de police : je réfute cette idée car je suis en contact avec les directeurs généraux et les policiers pour comprendre les défis et les pressions auxquels ils sont confrontés. Il s'agit pour moi de gagner la confiance et le respect, à la fois du côté de la population et du côté de la police. Je ne veux pas être considéré comme un lointain satellite.
Vous m'avez également interrogé sur certaines pratiques soupçonnées de discriminations raciales, comme les contrôles au faciès. Au Royaume-Uni, le mouvement Black lives matter a largement relayé les préoccupations des communautés. Une majorité de policiers fait bien son travail et est soucieuse du bien-être des populations, mais je dois être informé des dysfonctionnements éventuels. Nous appliquons au Royaume-Uni le concept de la proportionnalité : les réactions des forces de police doivent être proportionnées par rapport au cas qu'elles traitent. Les discriminations raciales au sein de la police existent, j'ai pu le constater. La police est majoritairement blanche, seules 8 % à 10 % des forces de police britannique sont issues de communautés ethniques, et cette proportion est plus faible encore chez les directeurs généraux : la police ne reflète donc pas les communautés qu'elle est censée servir. Cela provoque beaucoup de mépris. Les officiers de police noirs sont plus rarement promus que les autres : seulement 9 directeurs généraux noirs occupent des postes élevés dans la hiérarchie dans tout le Royaume-Uni.
Les communautés LGBTQI (lesbiennes, gays, bi, trans, queers et intersexes), noires, Roms, les gens du voyage, peuvent être l'objet de discriminations – je ne peux pas le tolérer.
Pourquoi est-ce le cas ? Nous nous rendons compte qu'énormément de Noirs sont la cible de contrôles, de fouilles et de l'utilisation du taser. 20 % des cas d'utilisation du taser concernent les populations noires. Je crois que ces chiffres sont anormaux et disproportionnés, malgré les théories qui essaient de les expliquer de manière rationnelle. Très souvent, dans l'esprit des forces de police, les personnes noires sont associées à la délinquance et notamment au trafic de drogue. Il faut interroger ces images. Nous devons discuter avec les communautés qui sont la cible de ces pratiques et les associer aux formations qui sont dispensées aux forces de police, de manière à ce que les deux parties échangent et se comprennent. Pour cela, il ne faut pas éluder la question ni fuir la discussion, mais la traiter de front. Nous nous rendons compte qu'au Royaume-Uni, la distance s'est creusée entre la population et les forces de police au fil des années. Il faut rétablir une proximité. Il faut pour cela que les populations voient, chaque jour, le même visage. Les policiers doivent, eux, comprendre les expériences de vie des populations et leurs préoccupations. Ma première recommandation serait de voir les problèmes en face et d'associer à leur résolution les personnes qui en sont victimes.
. J'ai l'impression que la police, au Royaume-Uni, est davantage portée au dialogue – à l'inverse, en France, elle serait plutôt dans la répression que dans la discussion.
Les personnes portent-elles plainte assez facilement au Royaume-Uni ou avez-vous identifié des freins au dépôt de plainte auprès de l'IOPC ? Quel est le délai moyen entre le dépôt d'une plainte et la réponse que l'IOPC lui apporte ?
. À l'instar de tout système, le système de dépôt de plaintes a ses complexités. Je comprends parfaitement qu'il soit parfois difficile pour les citoyens d'en comprendre les rouages. Le principal défi dans la réorganisation de l'IOPC était de procurer à notre organisme une visibilité auprès du grand public – et plus particulièrement, auprès de toutes les personnes qui avaient perdu confiance dans la police. L'IOPC a mené des opérations de sensibilisation dans les écoles pour expliquer notre rôle et les moyens de nous contacter. Cela a fonctionné. Il est crucial que les jeunes aient conscience qu'ils ont accès à un système de dépôt de plaintes et qu'ils peuvent se plaindre des comportements de la police.
Le système de plaintes a été réformé Royaume-Uni. Nous ouvrons des enquêtes qui prennent du temps et qui aboutissent à des conclusions et des recommandations. Auparavant, la plupart des plaintes étaient traitées directement par la police : les délais de traitement étaient alors plus courts. Nous avons fait en sorte de fluidifier le système et que les professionnels de l'IOPC soient mieux formés pour appréhender les situations et dégager des solutions plus rapidement. Nous avons comme objectif de trouver des solutions dans des délais aussi brefs que possible, sans remettre en cause la qualité de nos instructions et des solutions que nous proposons.
La séance est levée à 12 heures.