Publié le 12 mars 2019 par : M. Fasquelle, M. Abad, M. Dive, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Genevard, M. Hetzel, Mme Kuster, Mme Levy, M. Masson, M. Straumann, M. Viry, Mme Anthoine, Mme Bazin-Malgras, M. Lurton, M. Boucard.
Supprimer cet article.
Lors de la lecture au Sénat de ce projet de loi a été adopté un amendement instituant un article 9bis DB prévoyant de modifier l'article L824‑5 du code de Commerce de la manière suivante : « au 2° les mots : « lié à la mission de certification des comptes ou à tout autre prestation fournie par le commissaire aux comptes aux personnes ou entités dont il certifie les comptes » sont remplacés par les mots : « utile à l'enquête » ».
L'amendement adopté par le Sénat concerne les pouvoirs d'enquête des rapporteurs du H3C sur les fautes disciplinaires telles que définies à l'article L. 824‑1 du code de commerce qui dispose :
« I. - Sont passibles des sanctions prévues à l'article L. 824‑2, les commissaires aux comptes à raison des fautes disciplinaires qu'ils commettent.
Constitue une faute disciplinaire :
1° Tout manquement aux conditions légales d'exercice de la profession ;
2° Toute négligence grave et tout fait contraire à la probité ou à l'honneur »
En élargissant l'accès des rapporteurs à tout document « utile à l'enquête », l'amendement étend les pouvoirs d'enquête des rapporteurs aux « négligences graves ou tout fait contraire à la probité ou à l'honneur » là ou précédemment, le texte limitait ses pouvoirs aux seuls « manquements aux conditions légales d'exercice de la profession ».
Le système actuel institue une distinction dans les pouvoirs d'enquête entre les manquements professionnels et le domaine plus large des manquements à la probité.
Dans les deux cas, il relève de la compétence du H3C d'ouvrir des enquêtes mais celles-ci ne sont pas menées avec les mêmes pouvoirs d'investigation.
Dans le premier cas le rapporteur a le pouvoir de se faire communiquer tout document par le CAC concerné ainsi que par toute personne tierce ce qui est justifié par le fait que l'on se trouve dans la sphère professionnelle et que sont en cause la protection et les intérêts clients des CAC. L'enquête a donc un intérêt public qui dépasse le seul respect de la bonne moralité de la profession.
Dans le second, il n'a pas ce pouvoir de se faire communiquer ces documents. Cette distinction trouve son fondement dans les limites que l'on peut poser aux pouvoirs d'une autorité administratives indépendante qui, même si elle a un pouvoir de sanction, n'est pas une juridiction.
On rappellera utilement que le Haut Conseil du commissariat aux comptes est une autorité publique indépendante aux termes de l'article L. 821‑1 du code de commerce.
Donner au H3C le pouvoir de se faire donner tout document concernant non plus la seule activité professionnelle d'un commissaire aux comptes mais tout document relevant éventuellement de la sphère de la vie privée apparait contraire à la séparation des pouvoirs qui place les libertés individuelles sous la seule protection de l'autorité judiciaire ainsi que l'a toujours maintenu le Conseil Constitutionnel dans sa jurisprudence.
Dès 1983, il a rappelé les limites des pouvoirs d'investigations de l'administration fiscale :
« Considérant cependant que, si les nécessités de l'action fiscale peuvent exiger que des agents du fisc soient autorisés à opérer des investigations dans des lieux privés, de telles investigations ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui de l'inviolabilité du domicile ; que l'intervention de l'autorité judiciaire doit être prévue pour conserver à celle-ci toute la responsabilité et tout le pouvoir de contrôle qui lui reviennent » DC n° 83‑164 du 29 décembre 1983
En 2004, il donne une définition plus précise des libertés individuelles constitutionnellement protégées :
« … la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile privé, le respect des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire » DC n°2004‑492 du 2 mars 2004
Or en étendant les pouvoirs d'investigation des rapporteurs du H3C à n'importe quel document, l'amendement leur donnerait l'accès potentiel à des documents qui relèvent de la vie privée du commissaire aux comptes contrôlé.
Il y a là un problème fondamental d'inégalité de traitement non justifié. Autant, le professionnel, parce qu'il exerce une profession réglementée, peut être soumis à des contraintes de contrôle particulières dans l'exercice de sa profession, autant la personne privée qu'il est par ailleurs a droit aux mêmes protections de sa vie privée que n'importe quel autre citoyen.
La comparaison avec d'autres autorités publiques indépendantes ou autorités administratives indépendantes montre que s'il est usuel d'accorder des pouvoirs d'enquête aux agents de ces autorités, ces pouvoirs sont toujours limités à la seule sphère professionnelle.
Ainsi, les agents de l'autorité de la concurrence, peuvent en application de l'article L. 450‑3 du code de commerce « exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des livres, factures et autres documents professionnels de toute nature, entre quelques mains qu'ils se trouvent, propres à faciliter l'accomplissement de leur mission. ». Le pouvoir est clairement limité aux seuls documents professionnels.
De même, aux termes de l'article L1264‑3 du code des transports les agents de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières voient leur pouvoir d'investigations limités aux seuls locaux professionnels :
« Les agents habilités de l'autorité ont accès entre huit et vingt heures, ou en dehors de ces heures lorsque l'accès au public est autorisé ou lorsqu'une activité professionnelle est en cours, aux locaux, lieux, installations et matériels de transport relevant des entreprises mentionnées aux 2° et 3° de l'article L. 1264‑2, à l'exclusion des domiciles et de la partie des locaux servant de domicile. »
Les enquêteurs et les contrôleurs de l'Autorité des Marchés Financiers peuvent en application de article L. 621‑10 du code monétaire et financier :. « …accéder aux locaux à usage professionnel. Ils peuvent recueillir des explications sur place dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État ». Là encore une limite claire est posée.
L'élargissement du pouvoir d'enquête accordé par l'amendement au rapporteur général et à ses agents est donc frontalement dérogatoire au régime normal d'enquête établi pour les autorités administratives indépendantes.
L'article 9bis DB tel que présenté devant vous constitue une atteinte à l'exercice d'une liberté constitutionnellement protégée dans la mesure où il autorise l'accès à des éléments de la vie privée de certains citoyens à une autorité autre que l'autorité judiciaire.
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