Votre ambition est à peine dissimulée : seule l'Île-de-France est mentionnée dans l'exposé des motifs. Je vois dans ce texte un appel du pied à peine voilé à l'électorat francilien, à l'intention duquel vous pointez un doigt accusateur en direction d'une catégorie de population qui bénéficierait d'un privilège indu. Les Franciliens et plus largement les Français ont, je crois, d'autres sujets d'inquiétude en ce moment.
Nous aurions attendu, de la part de l'un des principaux groupes d'opposition, des propositions concrètes pour aider nos compatriotes à faire face à l'urgence économique et sociale. Vous préférez évoquer pêle-mêle, dans votre niche parlementaire, la fraude sociale, le communautarisme ou encore les étrangers en situation irrégulière. N'est-ce pas réducteur pour un mouvement qui prétend demain diriger le pays ? À moins que vous ne vouliez faire votre marché sur un terrain dangereux…
Vous présentez de surcroît votre initiative sous l'angle de la justice sociale, ce qui me paraît pour le moins curieux. Faut-il rappeler que les personnes en situation irrégulière ciblées par le texte ne sont pas des nantis ? Elles ont bien souvent eu des parcours difficiles – d'autres l'ont dit avant moi – et leur situation administrative ne doit pas nous faire oublier la vulnérabilité et la situation sociale dans lesquelles elles se trouvent. Ce sont des « sans-droits », parfois ni expulsables ni régularisables. Leur accorder le bénéfice de la tarification sociale, c'est non leur donner une prime à l'illégalité, mais leur permettre un début d'intégration en leur reconnaissant le droit à la mobilité ; c'est leur ouvrir la possibilité de se déplacer pour effectuer leurs démarches administratives, pour se soigner ou encore pour aller chercher leurs enfants quand ils sont scolarisés.
Je ne partage pas non plus votre volonté d'opposer les personnes en situation irrégulière et les Français qui ont des difficultés à boucler leur fin de mois. Il est vrai que les transports restent un poste de dépenses important pour certains usagers modestes des transports publics qui paient plein tarif leur titre de transport, ce qui doit nous interroger sur les grilles tarifaires en vigueur. J'invite donc Mme Pécresse, dont c'est la compétence, à mener cette réflexion, quitte à étendre la tarification sociale à de nouveaux bénéficiaires.
Quant à votre argumentaire budgétaire, il ne résiste pas non plus à l'analyse : tout d'abord, parce qu'au moment de rétablir la tarification réduite, la région Île-de-France a mis en oeuvre un ensemble de nouvelles règles qui interdisent quasiment aux sans-papiers d'en bénéficier ; ensuite, parce que la précarité financière génère des fraudes. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en oeuvre, au moyen d'une tarification sociale, le droit au transport pour les personnes en situation de fragilité sociale ou en voie d'insertion, comme d'ailleurs le font certaines villes. En empruntant le chemin inverse, vous prenez le risque de voir s'amoindrir les recettes issues de la vente des titres de transport. Un billet acheté à moitié prix vaut mieux qu'un billet fraudé.
Enfin, parce que nous parlons là d'économies de bouts de chandelle, le chiffre de 43 millions d'euros avancé par votre groupe n'est pas étayé par une étude sérieuse et il faut le mettre en perspective avec les recettes d'Île-de-France Mobilités, de l'ordre de 4 milliards.