La réunion débute à 9 heures 45.
Présidence de M. Jean-Noël Barrot, Président.
Le groupe de travail procède à un échange de vues sur l'organisation de ses travaux.
Mes chers collègues, notre feuille de route nous enjoint d'axer nos travaux sur les moyens propres du Parlement ; nos conclusions sont attendues pour la fin du mois de mai prochain. À cette fin, nous proposons de continuer à nous réunir le jeudi matin à neuf heures trente.
Nous sommes chargés de définir le cahier des charges de ce que pourrait être une structure de contrôle et d'évaluation, aussi bien ex ante qu'ex post, mise à la disposition du Parlement.
S'agissant de notre programme de travail, votre rapporteur et moi-même avons songé à quatre axes de réflexion.
Le premier consisterait à effectuer des voyages d'observation dans des pays comparables au nôtre, et dont les outils d'évaluation et de contrôle mis à disposition des parlements nous ont été signalés comme étant intéressants à étudier. Nous avons ainsi retenu les États-Unis et le Canada, qui pourraient faire partie d'une même séquence, le Royaume-Uni, qui dispose de plusieurs agences, et l'Italie, qui s'est dotée en 2014 d'une structure parlementaire de contrôle et d'évaluation.
Le deuxième axe viserait à mieux connaître le travail, les missions et l'organisation de France Stratégie, car cet organisme est l'un des acteurs centraux de l'évaluation. En outre, dans le cadre de la discussion préalable à la réforme constitutionnelle, le président de Rugy a évoqué la possibilité que France Stratégie soit, à terme, rattachée au Parlement.
Le troisième axe consisterait en l'organisation d'un certain nombre de tables rondes internes à l'Assemblée nationale : présidents des commissions permanentes, consultations des responsables d'organes d'évaluation propres au Parlement, présidents des groupes politiques, anciens rapporteurs de projets de loi et rapporteurs d'application. Nous pourrions par ailleurs associer nos collègues sénateurs à une partie de ces travaux.
Enfin, un colloque sera organisé le 28 juin prochain à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'une initiative prise avec des universitaires qui m'ont approché en proposant de familiariser les parlementaires – singulièrement les nouveaux élus – à l'évaluation ex post. Des personnalités ayant été chargées de l'évaluation de politiques publiques françaises dans les domaines de la santé, de l'emploi, de la fiscalité ou de l'éducation viendront exposer leurs méthodes de travail ainsi que les résultats de leurs travaux et les implications politiques ayant pu en être déduites.
Ce colloque sera présidé par Mme Esther Duflo, économiste enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui fut à l'origine de la pratique de l'économie expérimentale, et qui réside à Paris pour un an. Les universitaires concernés sont attachés à des laboratoires comme l'Institut des politiques publiques (IPP), dirigé par Antoine Bozio, J-PAL, qui en est un équivalent, ou France Stratégie ; nous avons d'ailleurs entendu des représentants de certains de ces organismes.
Il s'agira d'un colloque quelque peu extérieur à nos travaux, puisqu'il se tiendra après que nous aurons présenté nos conclusions au Bureau de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, je précise qu'Esther Duflo n'a accepté la présidence de cet événement qu'à la condition qu'il soit provoqué par un groupe de travail transpartisan.
L'Assemblée nationale a doté notre groupe de travail de moyens permettant de financer le déplacement de cinq membres du groupe de travail par voyage. Nous vous proposerons prochainement des dates.
Je souscris au programme de travail qui nous est soumis.
Il me semble toutefois que la question importante, dont je constate qu'elle n'est pas tranchée, est de savoir si ces futurs moyens de contrôle et d'évaluation doivent être internes ou externes. Je pense que les deux doivent cohabiter et qu'il faut chercher comment travailler le mieux, à l'instar, par exemple, de la façon dont procède la Cour des comptes. Pour parer au risque de redondance, nous devons nous attacher à définir ce qui fait la spécificité du contrôle parlementaire.
Nos travaux vont dans la bonne direction, et je pense qu'introduire un peu de sérieux et de rigueur dans l'examen de la loi de finances et de la loi de règlement, être plus exigeant dans l'évaluation des projets de loi – qui est faite quelque peu « à la louche » aujourd'hui – est une bonne chose. C'est une partie du programme à laquelle j'adhère sans difficulté.
La question qui me gêne le plus, à laquelle je n'ai pas de solution, est au fond celle-ci : à quoi sert l'Assemblée nationale ? C'est pourquoi je déplore que si peu de temps nous soit laissé pour réfléchir à un sujet aussi vaste. On peut tourner autour du pot autant que l'on veut, dire ici où là dans les journaux qu'il s'agit d'un problème de communication, que les citoyens méconnaissent le fonctionnement de l'institution, etc., mais je pense que l'interrogation est beaucoup plus profonde.
Mettre un peu de rigueur dans nos travaux est une chose que je souhaite à titre personnel, mais cela ne résoudra pas le problème, car l'opinion publique se méfie autant des élus que nous sommes que des experts. Accroître notre niveau d'expertise face au Gouvernement est donc assurément souhaitable, mais croire que cette expertise résoudra le problème démocratique très grave que nous connaissons me paraît illusoire. Les experts ne sont d'ailleurs jamais d'accord entre eux, si bien qu'il y aura toujours un expert du Parlement pour dire une chose et un autre pour le contredire.
Il faut certes faire ce travail, mais je considère que le mal est beaucoup plus profond et que nous éprouvons des difficultés à l'affronter.
Je vous concède que l'expertise ne résoudra jamais tout et qu'il n'est pas question de créer une république d'experts. Nous n'avons pas la prétention de résoudre en quelques mois la crise démocratique, mais nous partons de très loin et pouvons au moins améliorer les choses dans ce domaine.
Par ailleurs nous ne nous interdisons pas de poursuivre nos travaux au cours du prochain semestre, car il n'y a pas d'urgence absolue. Nous pouvons aussi consacrer les mois à venir à d'autres sujets, même s'ils excèdent la question de l'expertise, et réfléchir à la thématique de notre prochaine feuille de route.
Ce qui nous est demandé au terme de nos travaux présents, c'est d'élaborer trois scénarios types d'un mode de contrôle et d'évaluation entièrement interne, entièrement externe ou mixte. Nous devons comparer avec d'autres pays, identifier les besoins demeurant insatisfaits afin de converger vers ce qui nous paraît le plus pertinent.
Je me sais isolé lorsque je l'affirme, mais nous devons placer au coeur de nos réflexions la question de l'utilité de l'Assemblée nationale, qui est entièrement organisée autour de la production législative. Je pense que ce temps est révolu et qu'il est temps de passer à autre chose. Ce n'est pas un texte de loi qui résoudra les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il faut une approche toute différente. Or toute notre machinerie parlementaire est organisée autour du travail législatif.
Pour ma part, je crois beaucoup au Comité d'évaluation et de contrôle (CEC), dans lequel je tâche de m'investir. Tout le monde, y compris dans la nouvelle majorité, s'interroge sur la question du contrôle, et l'on voit bien que le sujet est essentiel. Mais le Parlement s'est toujours reposé pour cela sur des organes annexes, et nous ne nous saisirons jamais totalement du contrôle et du diagnostic tant que cet état de fait perdurera.
Le vrai sujet est de savoir comment les commissions pourraient se réorganiser autour de cette activité. Or nous n'avons guère progressé dans ce domaine, qui me semble être l'avenir.
Nous sommes effectivement confrontés au problème que vous évoquez ; il me semble que nous devons travailler par objectifs. Au premier chef, il s'agit de fluidifier et de faciliter.
À plusieurs reprises, vous avez considéré qu'il fallait évoluer à droit constant, et je partage cette idée – ce qui n'interdit pas de modifier à la marge un certain nombre d'articles de la Constitution.
Il s'agit d'une question de culture, et je perçois que ce besoin d'évaluation et de contrôle est partagé par nos collègues députés, peut-être moins par les sénateurs, mais également par les membres du Gouvernement. À l'occasion d'échanges relatifs aux Chantiers de la justice, c'est la ministre elle-même qui a souhaité que des procédures de cette nature soient prévues.
Sur un plan plus mécanique, il faudra travailler à la simplification et la fluidité. À cet égard, nos déplacements dans des pays qui ont une expérience en la matière devraient être précieux. Il me semble en effet que nous sommes englués dans un millefeuille de structures internes qui ne facilite pas du tout la tâche, et suscite même un certain nombre de frustrations personnelles, qu'il est important d'identifier car elles risquent d'empêcher un système, même bien huilé, de fonctionner.
Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce qu'il y ait des députés législateurs d'un côté et des députés contrôleurs de l'autre. C'est donc sur l'organisation qu'il faut travailler. Nous avons quelque peu réfléchi à la répartition entre l'interne et l'externe ; or, ce qui compte est de disposer d'un guichet unique qui rassemble non pas toutes les compétences, mais tous les carnets d'adresses. Il faut que, pour chaque question posée, un référent local soit susceptible d'indiquer la structure à laquelle s'adresser.
Par ailleurs, je suis sensible au tableau que vous avez dépeint : on nous regarde comme une sorte de maison sacro-sainte, avec ou sans experts, dont il y a lieu de se méfier. Un autre groupe de travail se penche sur les nouvelles formes de participation citoyenne que permet le numérique, mais le risque est de créer de nouvelles frustrations, car toutes les idées, même bonnes, n'aboutiront pas nécessairement à des projets ou propositions de loi. Je demeure néanmoins persuadé que cette participation citoyenne permettra d'ouvrir la maison.
Pas encore, mais il est prévu que nos consultations internes au Parlement associent systématiquement, ou spécifiquement, le Sénat. J'observe qu'un certain nombre des préconisations que nous avons formulées dans le cadre de notre rapport présenté en décembre dernier ont été reprises presque intégralement par le président du Sénat lorsqu'il a présenté ses propositions au Président de la République : je pense en particulier aux études d'impact sur les propositions de loi ou les amendements « signalés », ainsi qu'au contrôle renforcé de la publication des décrets d'application à la demande d'un certain nombre de députés ou de sénateurs. Nous devons créer ces liens avec nos collègues sénateurs ; j'ai d'ailleurs regretté que le temps ait manqué pour le faire avant la publication de notre premier rapport.
La question des structures externes d'évaluation est également posée : faut-il instituer une structure par assemblée, ou une structure unique ? Chaque solution présente des avantages et des inconvénients. Je rappelle que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), est une structure bicamérale qui fonctionne de façon satisfaisante, mais ce pourrait ne pas être le cas. Mais nous devons réfléchir au poids respectif de la majorité et de l'opposition au sein de ces structures.
Merci à tous, et n'hésitez pas à nous faire part de tous vos questionnements ! Je rappelle que notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 8 mars.
La réunion s'achève à 10 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. François Cornut-Gentille, M. Jean-François Eliaou
Excusés. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Paul Christophe, M. Régis Juanico