Jeudi 7 juin 2018
Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président, puis de M. Didier Baichère, député, vice-président
La séance est ouverte à 10 heures
– Présentations, ouvertes à la presse, du rapport sur les États généraux de la bioéthique du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) par M. Jean-François Delfraissy, président, et des opinions du comité citoyen constitué dans le cadre des États généraux de la bioéthique
– Je voudrais saluer la présence parmi nous ce matin de M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE, entouré d'une délégation impressionnante, ce qui est tout à fait réjouissant et augure bien de la qualité de nos échanges, ainsi que de plusieurs représentants du comité citoyen constitué dans le cadre des États généraux de la bioéthique.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour écouter M. Delfraissy nous présenter le rapport de synthèse du CCNE sur les États généraux de la bioéthique et, ce, en vertu d'une demande formelle du législateur. En effet, la loi de bioéthique de 2011 charge expressément l'Office à la fois d'apprécier le travail accompli lors des États généraux et d'évaluer l'application de la loi. J'en profite pour saluer la présence des deux co-rapporteurs, notre collègue député Jean-François Eliaou et notre collègue sénatrice Annie Delmont-Koropoulis, qui procèdent actuellement à ce travail d'évaluation de l'application de la loi de 2011.
Nos travaux, ce matin, se dérouleront en quatre temps : après avoir écouté M. Delfraissy, nous regarderons une courte vidéo sur le fonctionnement du comité citoyen ; nous entendrons ensuite les deux représentants du comité présents aujourd'hui, qui nous feront part de leur expérience ; enfin, nous donnerons la parole aux parlementaires.
J'en termine en vous priant de bien vouloir excuser l'absence de notre collègue député Cédric Villani, premier vice-président de l'Office, qui accompagne actuellement le Président de la République dans un déplacement au Canada. Je laisse donc la parole à Didier Baichère, député des Yvelines, vice-président de l'Office.
– Je voudrais remercier les membres du CCNE de leur présence ce matin et saluer plus particulièrement les représentants du comité citoyen pour le travail qu'ils ont accompli. En effet, le choix d'une large concertation était extrêmement important pour la majorité parlementaire et traduit notre volonté de ne pas fracturer la société française sur des sujets essentiels.
J'aimerais également souligner le travail de fond conduit par l'Assemblée nationale en matière de bioéthique et, plus spécifiquement, par les commissions permanentes compétentes. Le co-rapporteur Jean-François Eliaou et Cédric Villani ont déjà participé à quatre tables rondes sur ces questions. Le Conseil d'État doit, lui aussi, se prononcer sur le sujet. Dans ces conditions, le bureau de l'Office aura probablement à réfléchir au format qu'il devra retenir pour mener son évaluation.
– Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames, messieurs les parlementaires, je vous remercie de nous accueillir ce matin. En préambule, je précise que je suis professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses, et que je préside le CCNE depuis maintenant un an et demi.
Peu après ma nomination, j'ai découvert que la révision de la loi de bioéthique impliquait d'ouvrir une consultation citoyenne dans le courant de l'année 2018, dont la mise en oeuvre incombait au CCNE. Nous avons donc réfléchi à la mise en place d'un certain nombre d'outils, destinés à mobiliser nos concitoyens sur des sujets difficiles, qu'il s'agisse de sujets scientifiques complexes comme la génomique, les neurosciences ou la recherche sur l'embryon ou qu'il s'agisse de sujets clivants comme la fin de vie ou, bien sûr, l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation, l'AMP, aux femmes seules et aux couples de femmes.
Pour revenir à l'essence même du débat, nous nous situons dans un contexte très particulier où le législateur a prévu une révision de la loi bioéthique tous les sept à huit ans. Ce contexte constitue un moment privilégié de rencontre entre le politique, les « sachants » et le citoyen, dont la voix, il faut le reconnaître, est essentielle.
Pour la première fois, le CCNE s'est vu confier la mission de mettre en oeuvre et d'animer les États généraux de la bioéthique. Le législateur a souhaité dissocier le temps de l'élaboration de la loi, oeuvre d'un ou plusieurs ministères, d'un temps assez précieux qu'est celui de la tenue des États généraux. Je peux témoigner du fait que le CCNE a pu travailler sereinement, sans aucune pression ou contrainte politique, à une exception près : le timing. On nous a demandé que la consultation citoyenne prenne fin en juillet 2018, afin que le projet de loi puisse être déposé avant la fin de l'année et discuté au premier trimestre 2019.
Le CCNE s'est d'abord attaché à définir le périmètre des États généraux. Dans cette perspective, nous avons souhaité aborder des thèmes attendus, qui figuraient déjà dans les lois précédentes, des sujets nés des avancées de la science ou de la biotechnologie, mais aussi de nouvelles questions, en particulier les relations entre numérique ou intelligence artificielle et santé et celles entre santé et environnement.
Par ailleurs, nous avons hésité à intégrer dans ce périmètre deux sujets sociétaux, qui ne relèvent pas véritablement de la bioéthique : la fin de vie et la problématique « procréation et société ». Un débat a eu lieu au sein du CCNE pour savoir si nous devions inscrire ces thèmes à l'agenda. Finalement, nous avons décidé de débattre de ces sujets et nous l'assumons. Dans le contexte actuel, les États généraux de la bioéthique n'ayant lieu que tous les six ou sept ans, il nous semblait inévitable de discuter de questions qui intéressent non seulement la presse, peut-être trop d'ailleurs, mais aussi tous nos concitoyens.
Aussi se retrouve-t-on, aujourd'hui, avec toute une série de questionnements touchant à des sujets qui ne relèvent pourtant pas stricto sensu de la bioéthique et qui ne relèveront peut-être pas non plus de la future loi relative à la bioéthique.
Dès le début, la mise en place d'un débat citoyen sur des sujets si complexes et spécialisés m'est apparue comme extrêmement difficile, notamment parce que les outils habituels du débat public en France ne sont pas forcément adaptés à ce type de discussion.
Après en avoir défini le périmètre, le CCNE a créé quatre outils en vue des États généraux de la bioéthique.
Le premier a consisté à s'appuyer sur les espaces de réflexion éthique régionaux, qui ont été constitués après 2011 et qui ont porté le débat en région : plus de 270 débats se sont déroulés en métropole et outre-mer, sous des formes diverses. Je tenais personnellement à ce que la couverture soit la plus large possible pour que l'on puisse entendre nos concitoyens.
Le deuxième outil auquel nous avons recouru est un site internet, sur un modèle qui préexistait aux États généraux de la bioéthique. C'est un outil qui n'est pas forcément adapté mais dont on peut difficilement se passer en 2018 : personne n'aurait compris que les États généraux n'aient pas un site internet. En définitive, plusieurs centaines de milliers de personnes l'ont visité, dont 150 000 visiteurs uniques. Surtout, 65 000 propositions ont été récoltées. Ce site se voulait un site d'information utile à chacun. Il sera le dépositaire de tout ce qui s'est passé lors des États généraux. En effet, nous avons souhaité faire preuve de la plus grande clarté en restituant l'intégralité des débats et des auditions sur le site. En revanche, les limites d'un tel outil se voient clairement quand on s'aperçoit que 40 % des propositions ont porté sur l'AMP et son éventuelle ouverture à toutes les femmes.
On le sait, aucun de ces outils pris isolément ne permet de répondre aux questions posées. Seule une bonne articulation de ces instruments permet d'avoir une approche fine des enjeux.
Le troisième outil a consisté à organiser des auditions. Plus de 150 auditions – 52 précisément – ont été conduites : elles ont permis d'entendre les associations de patients, les sociétés savantes, les grands courants de pensée religieux, les start-up spécialisées dans l'intelligence artificielle, les grandes institutions françaises dans le domaine de la recherche et de la santé. Chacun a pu formuler des propositions en vue de la prochaine révision de la loi de bioéthique. Ces contributions serviront à structurer la pensée des membres du CCNE. Les auditions ont indirectement permis de recueillir l'expression de plusieurs millions de personnes : on peut considérer que les mutuelles françaises, pour prendre cet exemple, portent la voix de 31 millions de personnes.
Le quatrième et dernier outil est le comité citoyen. Nous nous sommes demandé s'il fallait mettre en place des jurys citoyens. Cette procédure assez lourde, très formatée, avait été utilisée dans le cadre des précédents états généraux. Le problème, c'est que les États généraux lancés cette année ont un périmètre très large et qu'il aurait fallu une dizaine de jurys citoyens différents. C'est pourquoi nous avons préféré créer un comité citoyen, dont quelques représentants sont présents ce matin.
Quid du résultat ? Évidemment, les membres du CCNE et moi-même ne sommes pas les meilleurs juges de la réussite ou non des États généraux de la bioéthique. Cela étant, un certain nombre d'éléments nous font penser qu'il s'agit, dans une certaine mesure, d'un succès, bien qu'il existe plusieurs « mais ».
Parmi les éléments positifs, nous pouvons nous féliciter d'un certain nombre de résultats même si, je l'ai dit, la bioéthique ne se décide pas sur la base de critères strictement quantitatifs. Entendons-nous bien : notre but n'était pas de faire du chiffre mais de pouvoir entendre un maximum d'arguments sur des sujets complexes. Pour autant, nous avons observé une véritable effervescence, en particulier dans les régions, au travers de débats ou d'ateliers, dont le tiers a mobilisé des jeunes, étudiants en droit, en médecine, élèves infirmiers, etc.
Nous pouvons également nous réjouir que la consultation ait abouti à une forme de consensus sur un socle de valeurs éthiques comme la gratuité du don, la non-marchandisation du corps, la possibilité, pour les populations les plus fragiles, d'accéder aux progrès technologiques et scientifiques, dont les sachants et les riches n'auraient pas l'exclusive. En tant que médecin, je note avec intérêt une telle évolution sur un certain nombre de grands principes éthiques partagés.
Peut-on pour autant parler d'éthique « à la française » ? Je ne sais pas mais, après tout, pourquoi pas ! À voir l'évolution sur ces sujets dans les pays anglo-saxons ou en Asie, il faut reconnaître que les particularités du système français en matière de couverture sociale et de santé sont « soutenues » par nos concitoyens.
Au nombre des éléments positifs, j'évoquerai également l'irruption inattendue d'une nouvelle thématique qui s'est imposée à nous : la place de l'humain, du citoyen dans le nouveau système de santé, au coeur de la médecine du futur. Ce sujet essentiel est venu s'ajouter aux trois grandes thématiques autour desquelles les États généraux étaient organisés : la procréation, la fin de vie et la génomique.
Nos concitoyens ont fait part de leur inquiétude par rapport au système de santé qui est en train de se mettre en place. Je pense en particulier à la question du consentement des patients au partage des données de santé dans le futur monde numérique.
J'ai eu du mal à l'admettre, mais nos concitoyens ont également exprimé des doutes à l'égard des scientifiques et des médecins, en raison de leurs prises de position ou de leurs liens d'intérêt. Jusqu'ici, contrairement aux pays anglo-saxons, nous avions échappé à la détérioration des relations entre patients et corps médical. Au travers des États généraux, il nous a été envoyé un signal d'alerte.
Enfin, nos concitoyens ont émis le souhait de faire partie de la gouvernance de cette médecine du futur : ils veulent se situer aux côtés de l'administration et des soignants et donner leur avis sur un certain nombre de grandes décisions.
De mon point de vue, l'apparition de cette question de la place de l'humain dans le débat est assez rassurante, parce qu'elle montre que les outils mis en place étaient assez ouverts pour permettre aux citoyens de s'exprimer largement.
J'évoquerai maintenant les nuances, les fameux « mais ».
Nous nous sommes aperçus que des « groupes », déjà engagés dans la réflexion, s'étaient emparé des deux sujets sociétaux dont j'ai parlé tout à l'heure : la fin de vie et l'AMP. C'est évidemment une bonne chose qu'ils aient pu s'exprimer, mais leur participation très majoritaire à la consultation, sur le site internet notamment, limite l'intérêt des contributions ainsi recueillies.
S'agissant de la thématique « procréation et société », nombreuses sont les personnes qui, certainement influencées par les médias, ont souhaité parler de l'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes. C'est un vrai sujet, sur lequel émergent quelques points de convergence : en effet, tout le monde s'accorde sur l'importance de l'enfant, sur une conception extensive de la famille. En revanche, deux blocs ont continué de s'opposer : ceux qui sont favorables à l'extension de la procréation assistée et ceux qui s'y opposent.
La discussion a permis d'aborder d'autres sujets très importants comme l'accès aux origines et l'anonymat du don. L'affirmation du don anonyme et gratuit constitue un dogme qui s'est imposé en France il y a plusieurs décennies. Nos concitoyens restent notamment attachés à la gratuité. Cependant, nous sommes confrontés aujourd'hui à un phénomène nouveau : l'accroissement de la demande d'autonomie dans les décisions d'ordre éthique ; ainsi, de plus en plus de jeunes adultes nés de dons de sperme souhaitent avoir accès à leurs origines.
Cela renvoie à une évolution sociétale : voilà une trentaine d'années, une majorité de familles avaient tendance à garder le secret vis-à-vis de l'enfant ; plus récemment, elles lui annonçaient l'existence d'un père biologique à un âge assez avancé ; désormais, elles lui révèlent la vérité dès l'adolescence. Le dogme se heurte à ce besoin d'accès aux origines.
Il faut également évoquer l'innovation technologique majeure que sont les banques de données, comme celle des Mormons à Salt Lake City. On met en ligne de plus en plus de banques de données génétiques avec du séquençage à haut débit, phénomène qui est en train de révolutionner complètement la génomique. Aujourd'hui, on peut se faire séquencer pour 1 500 dollars. De jeunes start-up sont en mesure de faire une analyse phylogénétique de votre séquençage et de trouver des séquences proches de la vôtre aux quatre coins du monde.
Voilà un débat intéressant pour la future loi sur la bioéthique : faut-il faire évoluer un dogme bien établi, compte tenu du désir individuel d'accès aux origines qui se manifeste aujourd'hui et de cette révolution technologique ?
En matière de procréation, une dernière question a émergé autour de l'autoconservation et de la cryoconservation des ovocytes.
S'agissant de la fin de vie, la problématique est différente car nous y serons tous confrontés un jour ou l'autre. Un relatif consensus se dégage autour de quatre idées.
Tout d'abord, la fin de vie ne se déroule pas comme elle le devrait dans un grand pays comme le nôtre. On peut faire mieux ! C'est le constat dressé par les familles, les citoyens.
Ensuite, la problématique de la fin de vie touche essentiellement les personnes du quatrième âge, ce que ne doit pas masquer quelques cas médiatiques très douloureux pour les familles et les patients eux-mêmes. Ce sujet rejoint d'ailleurs l'actualité et la situation des personnes qui vivent dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.
En outre, les auditions l'ont montré, la récente loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie n'est pas suffisamment connue et appliquée, ni par les citoyens, malgré les droits qu'elle leur accorde, ni par les professionnels de santé. Le degré de connaissance et l'application de cette loi sont très hétérogènes selon les régions, les hôpitaux et au sein même d'un hôpital.
Enfin, les moyens alloués aux services ou aux unités de soins palliatifs sont insuffisants.
Les désaccords restants opposent ceux qui souhaitent, au nom de l'autonomie et du libre choix, décider des modalités de leur fin de vie et, donc, s'orienter vers le suicide assisté ou l'euthanasie, à ceux qui, au contraire, pensent que régler les quatre problèmes dont je viens de parler permettra de trouver une solution pour plus de 98 % des cas, pour peu que l'on y consacre suffisamment de moyens.
Certaines thématiques ont eu moins de succès, notamment la thématique « santé-environnement », probablement parce que les personnes concernées par les questions de bioéthique ne sont pas celles qui s'intéressent à ce sujet.
Cet exercice de démocratie sanitaire nous est en tout cas apparu comme très important dans le cadre du débat qui ne manquera pas de s'ouvrir dans les prochains mois.
– Merci. Il était indispensable de rappeler la méthode, puisque toute méthode peut introduire un biais.
Regardons à présent une vidéo sur le comité citoyen.
Une vidéo est diffusée.
– Le comité citoyen était composé de 22 hommes et femmes de toutes générations, d'horizons variés, mandatés par les États généraux de la bioéthique pour en faire une lecture critique. Nous nous sommes réunis quatre week-ends entre les mois de février et mai derniers.
Nous avons été sensibilisés aux enjeux de la bioéthique par des intervenants de qualité, qui ont favorisé la mise en perspective de nos sentiments, de nos intuitions. Nous avons rédigé des avis sur trois sujets : le processus des États généraux de la bioéthique, la génomique préconceptionnelle et la fin de vie. Nous avons travaillé en toute indépendance.
– Pour le comité citoyen, ces États généraux ont été un succès. Les débats en région, organisés en nombre, ont connu une bonne fréquentation. Leur tenue a été satisfaisante malgré deux bémols : une parole très militante qui, parfois, prédominait, gênant l'échange et une inégalité territoriale. Certaines régions ont accueilli moins de débats que d'autres. Il faudra faire des efforts, à l'avenir, pour plus d'égalité territoriale et davantage de modération des prises de parole.
Le site internet des États généraux a été un outil important mais perfectible. Le comité citoyen a apprécié sa pédagogie, sa transparence, son exhaustivité. Toutefois, il fut difficile de se l'approprier aisément et rapidement.
Lors des auditions du CCNE auxquelles nous avons assisté, nous avons noté une qualité d'écoute et de la bienveillance. Nous avons apprécié la stricte égalité de temps de parole entre les personnes auditionnées, regrettant toutefois que le contenu des échanges n'ait pas été publié en ligne, seuls l'ayant été les supports fournis par les intervenants.
La présence d'un médiateur était judicieuse. Il a été peu sollicité, ce qui laisse entendre que le débat a été plutôt serein. Sa réactivité aux plaintes a contribué à assurer la bonne tenue des débats.
La mobilisation citoyenne a été réelle mais quelque peu insuffisante. Pour l'amplifier, nous suggérons une augmentation du budget alloué à la communication. Les thématiques auraient pu être davantage relayées, par de nouveaux canaux, afin que le plus grand nombre puisse débattre. Nous suggérons également la création d'un comité citoyen permanent mais renouvelé régulièrement : il jouerait le rôle de relais du CCNE dans l'opinion publique et offrirait un éclairage citoyen au CCNE. Enfin, le délai de sept années entre deux révisions des lois de bioéthique paraît très long par rapport aux avancées de la science. Nous pensons qu'il pourrait être ramené à cinq ans.
– La génomique est un sujet très intéressant mais complexe, qui suscite beaucoup de fantasmes mais aussi nombre d'espoirs en termes thérapeutiques. Nous avons réfléchi aux pathologies qui pourraient faire l'objet de tests génétiques prénataux, comme la trisomie 21. Nous avons estimé qu'il était essentiel de concentrer la recherche sur les pathologies dont les indications génétiques font l'objet d'une quasi-certitude plutôt que d'une simple suspicion. Nous pensons qu'il faut prévoir le devenir des données découvertes lors de tests génétiques sans qu'elles aient été recherchées.
Une majorité d'entre nous souhaite rendre les données issues des tests génétiques accessibles à la recherche de façon anonyme. En revanche, nous étions partagés quant à leur communication aux patients sans leur consentement.
Nous avons débattu sur l'ouverture du diagnostic préconceptionnel à tous ou seulement aux populations à risque. Une majorité d'entre nous est favorable à la première possibilité mais une forte minorité défend la seconde. S'est dégagé un consensus sur la prise en charge des tests génétiques par la sécurité sociale.
– Nous avons émis un avis sur la fin de vie, sujet important qui nous concerne tous directement et bien plus sensible que ce que nous pensions. Nous avons pris conscience de toutes les questions sous-jacentes.
Le comité citoyen a trouvé un accord sur trois points : la méconnaissance d'éléments fondamentaux tels que la loi Claeys-Leonetti et l'existence d'un système de soins palliatifs en France ; les faiblesses de la loi actuelle, mal connue, mal appliquée et incomplète, ce qui conduit à des situations dramatiques ; l'urgente nécessité de développer les soins palliatifs et de faire respecter les droits du patient. Le comité citoyen s'est alarmé du déficit de services en soins palliatifs. Il convient de mieux sensibiliser la population à ce sujet.
Nous avons constaté un désaccord sur le suicide assisté et l'euthanasie. Les deux tiers du comité citoyen ont jugé la situation juridique actuelle imparfaite et hypocrite et plaidé pour l'accès au suicide assisté et à l'euthanasie sous conditions, par exemple pour les personnes souffrant de maladies incurables et dont l'espérance de vie serait inférieure à six mois, cela, bien sûr, sans remettre en cause l'accès aux soins palliatifs. Le dernier tiers du comité citoyen s'est montré défavorable à cette ouverture, estimant que l'insatisfaction de la population peut être réglée par une application plus rigoureuse de la loi et le développement en masse des soins palliatifs sur le territoire. Il craint les risques d'abus que cette ouverture engendrerait et souligne notre manque de recul sur la loi actuelle.
– Merci de cette restitution, dans laquelle on sent la tonalité et l'esprit de vos travaux. Je me réjouis de la qualité des États généraux et de la capacité à se parler sans s'affronter, tout en affirmant ses convictions. Notre travail de parlementaire est de faire aboutir ces débats pour que notre communauté nationale se retrouve dans les décisions prises.
Le comité citoyen permanent existe, c'est l'Assemblée nationale. Le CCNE, dans son rapport de synthèse, récapitule les travaux législatifs successifs. Depuis 1988, il y a presque eu une loi par an sur ces sujets, ce qui donne de la force aux propos du professeur Delfraissy : il faut faire connaître la loi et mesurer son application effective avant de la changer. Notre travail collectif doit consister à sédimenter les différents apports. Il incombe en particulier à l'Office de se pencher sur les faits scientifiques objectifs incontestables qui créent des situations profondément différentes. Lorsque les moyens de contraception généraux ont été développés, ce qui a abouti à la loi Neuwirth, il a fallu accepter l'idée suivante : dès lors qu'un procédé scientifique devenait suffisamment sûr et accessible et qu'il correspondait à un besoin très largement répandu, il était impensable que la science ne soit pas diffusée.
Il ne faut pas pour autant faire l'économie du débat d'idées : nous allons au rythme de la société. Notre rôle est d'essayer d'identifier les moyens qui existent, tels que ceux de l'intelligence artificielle, qui permettent un traitement rapide des données de masse par des systèmes d'analyse d'une grande puissance, et qui changent la vie publique, qu'on le veuille ou non. Tout cela doit être adapté aux convictions. Je souscris largement à l'éthique française d'un refus de commercialisation du corps. Ce n'est pas si facile. Dans un univers mondialisé où chacun n'a pas la même culture, des sociétés eugénistes et sélectives se développeront : comment réagirons-nous ? Le débat est aujourd'hui largement théorique, mais il ne le restera pas indéfiniment. La tentation du Docteur Frankenstein est absolument permanente.
L'Office ne doit pas se tromper sur les rendez-vous scientifiques et technologiques et s'assurer de n'être ni trop en avance ni en retard.
– Vous avez beaucoup insisté sur l'humain et le champ de l'éthique, très souvent évoqué dans le domaine scientifique. Si le fait scientifique ou les nouvelles technologies ne posent pas la question de l'humain très en amont, on va souvent au-devant de très grandes difficultés. Il est rassurant que cette question se pose aussi sur des sujets aussi fondamentaux.
Diriez-vous que vous avez changé d'opinion ou évolué au cours des débats et, si oui, sur quels sujets ?
– Si le temps d'échange était plutôt court, nous avons pris le temps de réfléchir, individuellement, au contenu des exposés et à la teneur des discussions. Il est certain que, notamment grâce à l'enrichissement mutuel, cela a permis au comité citoyen de faire évoluer sa manière d'aborder les sujets. Sur ces sujets lourds, complexes, techniques, nous partions avec des a priori, des préjugés, avant de constater l'étendue des questions qui ne cessaient de s'accumuler.
– Nous avons pu nous rendre compte, au début, de notre méconnaissance de certains sujets, notamment de la fin de vie. Nous pensions, par exemple, que les soins palliatifs étaient administrés dans les dernières minutes avant la mort, alors qu'ils peuvent débuter six mois avant. Le groupe a acquis des connaissances, notamment médicales. Les neuf débats ont été complexes mais les différents intervenants se sont mis à notre portée, nous ont fourni les bases nécessaires à la compréhension et nous les en remercions.
– Merci au président Delfraissy pour ce rapport de synthèse complet et objectif. En 2011, Gérard Longuet, qui présidait alors le groupe politique auquel j'appartenais, m'avait demandé d'être le rapporteur de la loi de bioéthique lors de sa révision. Ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale ne souhaitaient que la loi de bioéthique soit révisable. Le Sénat l'a imposé. Lors de la commission mixte paritaire, nous sommes tombés d'accord avec Jean Leonetti, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, sur une révision tous les sept ans, dans la mesure où nous étions en 2011 et que la précédente loi datait de 2004. Un délai de cinq ans serait un peu juste. En 2011, j'y insiste, le Sénat a imposé l'élargissement des fonctions du CCNE et la tenue des États généraux, dont l'Assemblée nationale ne voulait plus. Voilà pourquoi il faut défendre le bicamérisme !
Les lois de bioéthique doivent concerner la bioéthique et non les débats sociétaux. La PMA, la GPA, la fin de vie sont des savoirs médicaux sur lesquels il n'est pas question de revenir. Ensuite, des débats sociétaux peuvent avoir lieu en dehors de la révision.
La loi Claeys-Leonetti a un peu plus d'un an ; tous les décrets d'application n'ont pas encore été publiés. Je rappelle qu'elle prévoit la mise en place de l'offre de soins palliatifs sur l'ensemble du territoire national. Laissons déjà cette loi être appliquée comme il est prévu.
Je ne souhaite pas que la PMA, la GPA ou la fin de vie polluent - excusez-moi du terme - les débats, qui doivent plutôt porter sur le transhumanisme, l'eugénisme, la recherche sur l'embryon, la définition du pré-embryon, autant de sujets qui auront beaucoup plus d'incidence sur l'avenir de l'humanité que les premiers.
– En tant que député, il est difficile de s'exprimer après les propos du président Milon, que je rejoins pour une grande partie.
Notre travail sera d'évaluer le rapport, en étant le plus objectif possible et en nous concentrant, pour l'Office, sur la partie scientifique. Nous devons également étudier comment la loi de bioéthique de 2011 a été appliquée.
Notre souci collectif devra trouver l'équilibre le plus parfait possible entre la temporalité législative et celle du progrès scientifique, très différentes l'une de l'autre. Tel est le noeud du problème. D'un côté, nous faisons la loi pour tous ; de l'autre, la science progresse et il n'est pas question que la loi, contraignante, l'en empêche au-delà du nécessaire. Je suis très sensible à la prise en compte des préoccupations de nos concitoyens. La question se pose notamment de savoir qui sont ceux qui demandent à bénéficier des progrès scientifiques. En tant que membres du comité citoyen, aviez-vous les mêmes demandes avant et après votre participation aux débats ? Comment faire pour rendre le citoyen sachant, c'est-à-dire responsable de lui-même mais aussi de l'environnement qui l'entoure ?
Dans la recherche d'un tel équilibre, n'occultons pas l'individualisme de nos concitoyens. Ce n'est pas péjoratif que de le dire, l'individualisme est compréhensible mais il ne faut pas confondre, par exemple, le droit à l'enfant et le droit de l'enfant.
Sachons aussi écouter les chercheurs. La loi doit, bien entendu, avoir une portée générale mais elle ne doit pas devenir une entrave au progrès scientifique et à la recherche de notre pays. Faute de promouvoir la recherche de haut niveau, voire de très haut niveau, nous risquons d'être submergés par les résultats obtenus dans d'autres pays sans qu'on puisse contrôler ni l'efficacité ni la véracité de ces travaux.
Tels sont les paramètres à bien avoir à l'esprit dans cette recherche de l'équilibre entre temporalité législative et temporalité du progrès scientifique.
– Je m'exprimerai au nom d'Annie Delmont-Koropoulis, qui a été contrainte de nous quitter prématurément. Elle tenait à souligner l'enthousiasme qui émane du comité citoyen et, plus largement, saluer la mobilisation que le CCNE a permise sur ces questions. Elle voulait savoir si, de votre point de vue, internet et le comité citoyen répondaient à deux logiques différentes. Nos concitoyens ont la possibilité, via le web, sinon de découvrir, du moins d'approfondir rapidement leurs connaissances sur des sujets majeurs. Il est patent que des personnes ayant de fortes convictions, ce qui est en soi tout à fait légitime, ont sauté sur cette occasion pour peser dans le débat.
Alain Milon a, à juste raison, mis en avant cette volonté très claire de bien distinguer, d'une part, ce que l'on sait faire et qui relève du choix de société, d'autre part, ce qu'évoquait à l'instant Jean-François Eliaou, ce que l'on ne sait pas faire et que l'on doit s'autoriser à approfondir par la recherche scientifique pour pouvoir le maîtriser. Mon expérience d'homme politique me conduit à penser que, à partir du moment où vous ouvrez la voie à une technologie, il est peu vraisemblable, voire impossible, qu'elle reste confinée. Cela ne veut pas dire que l'on peut faire n'importe quoi mais il faut savoir que la pression sera forte.
– J'ai lu dans le rapport de synthèse qu'il y avait eu des comités lycéens. L'approche a-t-elle été la même que pour le comité citoyen ? Combien y en a-t-il eu ? L'année dernière, dans un rapport sur les biotechnologies que j'avais établi avec l'ancien président de l'Office, Jean-Yves Le Déaut, nous avions demandé que les enjeux du débat sur la bioéthique soient présentés aux classes de terminale, de façon à associer le maximum de personnes et, surtout, à les préparer à ce qui va les concerner peut-être encore plus que nous.
J'ai bien entendu les remarques du professeur Delfraissy et d'Alain Milon. Le choix d'ouvrir le champ des États généraux à des sujets qui ne relèvent pas de la bioéthique, encore moins de la future loi de bioéthique, n'a-t-il pas contribué à quelque peu polluer les débats ? Cela ne va-t-il pas empêcher de centrer la future loi sur les vraies questions ? Nos concitoyens sont-ils prêts à accepter qu'il ne soit question, dans cette loi, ni de la fin de vie, ni de la PMA, ni de la GPA ? Je jetais un oeil sur Twitter pendant que le professeur Delfraissy s'exprimait : ses propos, pourtant très clairs, suscitaient déjà des critiques et des remises en cause.
– Le pire serait de susciter l'indifférence !
– Il n'y a pas vraiment eu de comités lycéens à proprement parler. Le comité citoyen n'a pas d'équivalent et il s'est organisé en toute indépendance par rapport au CCNE. C'est dans le cadre des espaces de réflexion éthique régionaux qu'ont pu se dérouler un certain nombre d'ateliers au sein des lycées. J'ai ainsi accompagné les représentants de l'espace de réflexion éthique de la région parisienne dans plusieurs établissements en banlieue et à Paris intra-muros. Par ailleurs, le CCNE a organisé, voilà maintenant trois semaines, une grande réunion avec 400 lycéens venus de toute la France et qui ont souhaité que la discussion mêle différents sujets : science, technologie, mais aussi PMA.
Sur le fond, cela nous ramène à l'épineux problème de la formation, évoqué à plusieurs reprises, avec cette question récurrente : comment aller au-delà de ce mouvement qui s'est créé au cours des derniers mois et formuler des propositions ? Ce sera l'un des objectifs de l'avis que le CCNE publiera au mois de septembre. Dans le rapport de synthèse, le CCNE est resté neutre et s'en est tenu à décrire de façon factuelle ce qu'il a lu et entendu. La formation à la réflexion éthique dans notre pays est un élément essentiel. Elle doit être repensée, reconsidérée au niveau de l'éducation nationale, mais pas seulement. Passé le lycée, on constate une véritable appétence de nos concitoyens pour ces sujets. D'une certaine façon, les espaces de réflexion éthique régionaux constituent une première réponse : la dynamique est maintenant engagée et l'on sent une volonté de poursuivre le débat.
Bien évidemment, il est tout à fait logique d'entendre les positions qui viennent de s'exprimer sur la dissociation entre sujets sociétaux et sujets centrés sur la biotechnologie. Le CCNE, indépendamment de la révision de la loi de bioéthique, s'inscrit lui-même dans cette dualité. Notre coeur de métier, c'est de nourrir la réflexion sur les sujets éthiques issus de la science. Inversement, il est des sujets sociétaux qui posent directement un certain nombre de questionnements éthiques. Mon prédécesseur avait déjà mis en place une réflexion sur des thématiques comme santé et migrants, santé et environnement. Le CCNE a rendu un avis sur le vieillissement. Nous sommes complètement en phase avec cette double vision. Ce n'est pas toujours facile mais c'est essentiel pour un organisme de ce type. Je comprends parfaitement que l'Office place au coeur de sa réflexion les sujets autour de la science et des avancées de la biotechnologie.
– Mes collègues et moi-même étant tous membres d'une commission permanente – lois, affaires sociales, finances… –, nous pouvons y exprimer nos convictions sur les sujets de société et l'application de la science. Dans le cadre de l'Office, nous souhaitons rester ceux qui s'efforcent d'établir l'état de l'art.
– Je suis directeur de recherche émérite à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et membre du CCNE depuis décembre dernier. La révolution numérique impacte tous les domaines. Dans le cadre des États généraux, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés aux aspects santé et bioéthique du numérique. Par rapport à d'autres sujets, les débats ont été très consensuels et ont permis de dégager trois grands constats.
Premièrement, l'apport du numérique dans le domaine de la santé est globalement positif pour nos concitoyens, pour les patients, pour les personnels de santé. Deuxièmement, il y a clairement un déficit d'information et de formation pour pouvoir se positionner et prendre les bonnes décisions : les citoyens, les patients et même les professionnels de santé peinent à saisir complètement ce vocabulaire spécifique, à en comprendre toutes les implications. Troisièmement, dans un tel contexte, il est difficile de maîtriser l'ensemble des sujets, d'où une certaine méfiance sur l'impact du numérique sur la santé de façon globale.
Se font alors jour un certain nombre de demandes prioritaires, déjà mentionnées, mais plus spécifiques au lien entre numérique et santé. C'est d'abord le fait que l'humain doit rester véritablement au centre du processus de décision et maître de cette décision, ce qui implique de respecter l'autonomie de chacun et de favoriser la compréhension de tous, notamment sur le fonctionnement des grandes masses de données ou des algorithmes d'apprentissage.
En outre, il importe que le consentement puisse être totalement éclairé. Il y a un besoin fondamental, de la part du citoyen, du patient qui confie ses données dans le cadre médical, de comprendre à quoi elles vont servir, pendant quelle durée et avec quel impact potentiel sur la recherche. Dans le milieu clinique, il peut s'agir de savoir, pour les associations citoyennes de lutte contre les maladies rares, comment partager les informations au bénéfice de tous.
Il est tout aussi fondamental, compte tenu du phénomène de désertification médicale qui touche particulièrement certaines régions de France, de pouvoir recourir à la télémédecine. Cela concerne aussi bien le patient que le médecin : comment maintenir l'empathie via un média technologique ?
Globalement, un certain nombre de thèmes cristallisent les interrogations éthiques : comment s'assurer, dans le cadre de systèmes particulièrement complexes, que le patient donne un consentement éclairé à leur usage ? Qui est responsable en cas d'erreur ? La machine, l'algorithme, le médecin, l'humain ? Quid de la gestion des données massivement collectées par ces systèmes ? Que deviennent-elles ? Qui en la responsabilité ? Quelle est leur durée de vie ? Que reste-t-il du secret médical ?
Les États généraux ont permis de montrer l'étroite connexion qui existe, à un niveau ou à un autre, entre le numérique, l'intelligence artificielle, la robotique et l'ensemble des autres sujets qui ont été abordés. Tout le monde est concerné : citoyens, patients, personnels médicaux. Au-delà des aspects génomiques et de la télémédecine, c'est l'organisation de l'ensemble du système de santé qui est concernée.
– L'organisation du système de santé pose ainsi la question, ô combien inquiétante, de la place du citoyen-patient dans ce système. Il suffit de s'être rendu dans un service d'urgences pour en prendre la mesure.
– Je suis directrice des soins et docteure en éthique. Ce que vous venez de dire me renvoie particulièrement à mon vécu et aux énormes difficultés que nous rencontrons dans la pratique clinique. La réflexion éthique comme la formation des professionnels est insuffisamment développée pour pouvoir accéder aux processus décisionnels, notamment dans les situations de fin de vie, de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques actives.
Nous avons tous, en tant qu'acteurs de santé, été amenés à réfléchir sur l'éthique, à respecter un certain nombre de priorités, de préalables, de prérequis. Nous devons pouvoir disposer d'une évaluation de la loi Claeys-Leonetti de février 2016. L'insuffisance de la formation, la complexité des processus, tout cela explique les difficultés constatées dans l'accueil aux urgences, dans le système de santé au quotidien, ne serait-ce que pour obtenir un rendez-vous. N'oublions pas les personnes les plus fragiles, les plus précaires, qui ne sont pas toujours correctement prises en charge.
Avant d'envisager de nous ouvrir à d'autres domaines, intéressons-nous d'abord au système de santé, qui a grandement besoin d'être amélioré. Je pense notamment aux soins palliatifs : on meurt aujourd'hui encore beaucoup à l'hôpital, mais on n'y meurt pas bien. Il convient également de nous recentrer sur ce que sont les lois de bioéthique, conformément aux choix scientifiques, tant les dangers et les dérives possibles sont nombreux. Il faut considérer tout cela avec une certaine rigueur, en respectant les périmètres et les compétences de chacun.
J'ai pu apprécier la grande richesse des auditions auxquelles j'ai assisté, notamment le souci de responsabilité exprimé au travers des différentes approches qui ont été présentées. Il y a eu beaucoup de dissensus, étape quasi obligatoire avant d'aboutir au consensus. Dans la réflexion éthique, il faut aussi savoir parfois différer certains processus. Nous sommes encore, me semble-t-il, dans un entre-deux. J'entendais dire précédemment qu'il fallait faire attention à ne pas occasionner de fracture au niveau des communautés, des citoyens : c'est un point extrêmement important, qui montre toute l'importance de la réflexion que nous avons à mener.
De ces États généraux de la bioéthique et du travail réalisé au sein du CCNE, je retiendrai les notions de temporalité, de priorité, de prérequis. Le périmètre des lois déjà votées reste encore méconnu et il faut du temps pour que tous puissent se l'approprier et que soient notamment mieux prises en charge les vulnérabilités.
– Je suis professeure à l'École des hautes études en santé publique et je travaille sur les droits des personnes vulnérables, les questions d'éthique et de démocratie en santé. Je voulais rebondir sur l'interrogation du député et co-rapporteur M. Eliaou : comment faire pour rendre le citoyen sachant ? C'est effectivement une question absolument déterminante au moment où déferle cette vague de démocratie sanitaire, de démocratie en santé, de recherche de l'expression citoyenne. On fait tout pour rendre acteur l'usager en santé, le citoyen de façon générale. Or pour être acteur, il faut connaître les sujets et disposer des outils pour ce faire.
Nous sommes à une période charnière. La consultation citoyenne et le débat public deviennent quasi systématiques. Ce fut le cas pour la stratégie nationale de santé, pour les États généraux de la bioéthique, avec une ampleur beaucoup plus forte que précédemment, pour le plan Grand âge et vieillissement, annoncé pour 2018-2019.
Je retiens des auditions et des manifestations organisées en régions une inquiétude très forte, relayée par les journalistes, des questionnements récurrents sur la manière dont la parole qui s'est ainsi exprimée sera prise en considération. Les citoyens attendent donc beaucoup de leurs représentants à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Au-delà des questions de données de santé ou d'intelligence artificielle, il est ressorti de façon transversale une attention portée à l'importance du consentement, au besoin d'information, à la prise en compte des vulnérabilités. Cela dépasse le débat sur les lois de bioéthique.
– Quoique n'étant pas membre de l'Office, j'aurai une série de questions pour le professeur Delfraissy en sa qualité de président du CCNE, questions qui nous renvoient à notre responsabilité de parlementaire. Comment le CCNE va-t-il procéder pour élaborer l'avis qu'il doit publier à la rentrée ? De quelle manière va-t-il colliger les différents éléments qu'il a pu recueillir au travers des différentes interfaces de consultation, que ce soit via les auditions, les débats publics, les contributions sur le site, les apports du comité citoyen ? Quel degré de pondération va-t-il appliquer pour respecter la place de chacun ?
Cela nous renvoie à notre propre façon de traiter toutes ces questions dans le cadre législatif existant et le respect de la hiérarchie des normes, car il nous faut prendre en compte la parole des experts, idéalement dans un processus contradictoire, pour qu'elle ne soit pas le reflet d'intérêts particuliers. L'opinion publique a beaucoup évolué, comme l'a montré un sondage de l'IFOP en janvier. Nous avons, nous aussi, à donner une place à ces différents niveaux de réflexion, à ces différentes approches.
– Je souhaite prolonger le propos de ma collègue Caroline Janvier. Comment le CCNE envisage-t-il la loi de bioéthique que l'on va réviser ? Une fois le rapport de synthèse des États généraux et l'avis du CCNE publiés, il restera à élaborer la loi, norme supérieure votée par les représentants du peuple que nous sommes. Il y a là un corpus extrêmement riche, d'autant que les agences de régulation ont leur rôle à jouer. N'oublions pas non plus les textes de loi sur la protection des personnes se prêtant à la recherche, le Règlement général sur la protection des données (RGPD), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ainsi que, en matière de déontologie et d'éthique médicale, le Conseil de l'ordre, l'Académie nationale de médecine et l'Académie des sciences. Nous sommes donc un certain nombre de partenaires. La future loi devra-t-elle, à l'instar de la loi de bioéthique de 2011, entrer dans les détails ou bien se cantonner à définir les grands principes, le cadre général, tout ce qui fait notre particularité nationale sur ce qu'est l'évolution de la réflexion et les progrès scientifiques et médicaux ?
– Professeur Delfraissy, le législateur s'interroge et vous interroge, tant sur l'esprit de synthèse du CCNE que sur la place à accorder au travail qu'il va produire.
– Nous tous, nous nous interrogeons, et c'est bien ainsi. J'y insiste, la mission confiée au CCNE d'organiser des États généraux avec la plus grande neutralité possible est un exercice inédit. Le rapport de synthèse s'est efforcé de faire remonter cette série de visions citoyennes. Le CCNE s'est placé dans un rôle différent de son activité habituelle. Nous sommes globalement une assemblée de sachants, d'horizons divers, très multidisciplinaires, avec un tiers de médecins et de scientifiques et deux tiers de non-médecins et de non-scientifiques, de philosophes, de juristes, de représentants des différentes disciplines des sciences humaines et sociales.
Le CCNE s'est mis, pour le dire ainsi, « au service » des États généraux et s'est interdit de communiquer sa propre position au cours des quatre ou cinq derniers mois. Il a reporté la publication de son avis sur le vieillissement en France, attendu pourtant depuis plusieurs mois, ce qui montre tout le retentissement que l'organisation de ces États généraux a eu sur le fonctionnement du CCNE. Il y a sans doute des leçons à tirer en la matière. Cet avis est sorti au cours du mois de mai, une fois la consultation citoyenne achevée. Je ferai d'ailleurs remarquer qu'un certain nombre de points mis en avant par le CCNE sont repris dans le plan Vieillissement.
Je l'ai dit, le CCNE reprend maintenant sa liberté. C'est un travail à quarante que nous allons mener pour élaborer notre avis, ce qui sera loin d'être facile, surtout dans des délais si courts. Cet avis comprendra probablement quatre parties. Une partie sera consacrée à décrire le contexte actuel au regard des évolutions passées et de la révision de la loi, à identifier les nouveaux enjeux : la médecine business, l'intelligence artificielle. Une deuxième partie s'attachera à récapituler une série de grandes valeurs, exprimées au travers de la consultation citoyenne ou issues de la réflexion du CCNE depuis de nombreuses années. Nous avons déjà publié plusieurs avis portant sur l'AMP, sur la fin de vie, etc. C'est évidemment un long continuum qui nous amène à avoir une réflexion sur tous ces sujets. Une troisième partie sera probablement réservée à certaines thématiques, non encore définies, sur lesquelles nous pourrions émettre un avis plus précis et présenter, notamment à l'adresse de l'ensemble des parlementaires, la vision du CCNE. Une quatrième partie sera centrée sur nos propositions pour éclairer le chemin qui nous attend dans les prochaines années, pour nourrir la réflexion bioéthique en France, pour insister sur le besoin de formation, pour souligner la place à accorder à une structure de réflexion éthique autour du numérique. Le CCNE sera peut-être amené à se positionner sur la future loi, sur ce qu'elle doit contenir ou non.
Reprenant son indépendance, le CCNE va s'appuyer sur le passé, sur sa propre vision d'expert et, bien sûr, sur ce qu'il a lu et entendu au cours des États généraux. Mais il n'est pas là pour répéter les commentaires qui figurent dans le présent rapport de synthèse.
Jean-François Eliaou a insisté, avec juste mesure, sur l'importance, dans une loi, de privilégier une stratégie d'ouvertures plutôt que d'interdits. C'est un message que nous essaierons nous aussi de faire passer. Certains sujets sont d'ores et déjà sur la table et sont cités dans le rapport de synthèse. Le législateur aura ainsi à se prononcer sur la recherche sur l'embryon et à y apporter des définitions très précises, tant est vaste la méconnaissance du grand public mais aussi des médecins en ce domaine. Sachons bien distinguer l'embryon, les cellules souches, les lignées de cellules souches embryonnaires produites voilà quinze ans et qui sont maintenant éparpillées dans le monde entier sans avoir plus rien à voir avec l'embryon, les IPS – ou PSI, en français, pour cellules souches pluripotentes induites –, etc. À cet égard, les scientifiques ont su se mobiliser à l'occasion des auditions pour mieux clarifier leur pensée : ils sont dans le temps de la clarification, de la justification, dirais-je même, de ce qu'ils font.
– Cela va peut-être en surprendre certains, j'ai rapporté un texte de loi sur la bioéthique avec le professeur Mattei en 1994. Je voulais juste faire ce témoignage parce que je ne peux pas résister à être un diplodocus une fois dans ma vie ! Je suis extraordinairement admiratif et reconnaissant du formidable travail que vous faites collectivement. Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui : c'est pour moi une fantastique cure de jouvence ; quel bonheur de voir la capacité d'évolution citoyenne, l'intelligence collective, les progrès d'un parlementarisme moderne !
Ce que Jean-François Mattei et moi avons tous les deux vécu n'avait vraiment rien à voir. Pour l'anecdote, nous devons le fait d'avoir été deux rapporteurs à Pierre Mazeaud, qui présidait la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'époque. Pierre Mazeaud est un remarquable juriste mais il a toujours eu une confiance limitée dans les médecins. Il était, pour lui, impensable de laisser les médecins mettre, seuls, les mains dans le code civil. C'est ainsi que j'ai été envoyé en mission pour contrôler le travail de Jean-François Mattei, qui n'avait absolument pas besoin d'être contrôlé. Jeune député, je l'ai pris comme une opportunité fantastique, mais je dois dire que Jean-François Mattei ne m'a pas accueilli avec un grand sourire, il était même fou de rage. Nous avons su tous deux être conciliants et sommes devenus très proches puisque nous avons eu l'occasion de retravailler ensemble, notamment sur le sujet de l'adoption internationale.
Je voulais, par ce témoignage, montrer toute l'importance qu'il y a à mesurer le chemin parcouru. Si les questionnements sont peut-être toujours un peu les mêmes, ayons conscience que le monde, lui, a bien changé.
– Il change tous les jours, et de plus en plus vite !
– Je suis professeure de droit à l'université. Ce qui m'a frappée, lors des auditions, c'est la grande inquiétude de la population face à l'évolution du système de santé mais aussi l'ampleur de ses attentes à l'égard de la loi.
Dans le cadre de nos travaux, nous constatons que les dernières avancées de la science viennent heurter certaines notions fondamentales du droit. Si la loi doit tenir compte d'une réalité, c'est de cette transformation des valeurs en règles juridiques. Aujourd'hui, certaines valeurs, notamment dans le code civil, sont remises en cause par ces évolutions.
Il a beaucoup été question du consentement. Nous n'échapperons pas à une réflexion sur ce qu'est un consentement et sur ce que doivent être les critères d'un consentement libre et éclairé.
On observe également une remise en cause des fondements de la filiation : qu'est-ce que la famille et la filiation aujourd'hui ? Notre code civil a une conception extrêmement étroite de ces notions, ce qui soulève de véritables interrogations.
Les évolutions en matière d'intelligence artificielle, enfin, interpellent les juristes : qu'est-ce qu'une donnée ? Qu'est-ce qu'une donnée de santé ? La loi, au sens strict du terme, a probablement quelques adaptations à opérer.
– Le droit à la connaissance de ses origines soulève un enjeu politique majeur. Attention, il faut avoir en tête qu'ouvrir un droit positif, même minoritaire, a pour effet d'ouvrir un droit positif qui sera majoritaire. N'oublions pas que demeure le principe de la présomption de paternité : pater is est quem nuptiae demonstrant.
En ouvrant ce droit aux personnes nées par procréation assistée, vous risquez de favoriser son exploitation commerciale. Il faut aborder avec une main prudente et un regard avisé les effets généraux d'une situation particulière.
– Je suis professeur honoraire de gynécologie-obstétrique à l'université de Lille. Je voudrais savoir si les parlementaires ont déjà défini le cadre de la révision des lois bioéthiques. Le sénateur Alain Milon a laissé entendre que l'AMP et la fin de vie ne seraient pas au programme.
– Je n'ai fait que donner mon avis personnel. Le Sénat – et donc sa commission des affaires sociales – n'a pas encore été saisi du projet de loi par le Gouvernement.
– L'Assemblée nationale n'a pas non plus été saisie du texte. Cela étant, il est important que le CCNE reprenne sa liberté et exprime son avis. Les parlementaires ont besoin de ses éclairages, qui nous aident à prendre conscience de l'évolution de l'opinion.
– Il ne faut pas oublier que, dans nos institutions, le Président de la République a toute légitimité pour prendre des décisions sur un tel sujet, comme l'ont fait ses prédécesseurs à propos de la peine de mort ou de l'avortement. Il n'est pas exclu qu'il puisse avoir une intuition un peu diffuse sur la manière dont la société est en train d'évoluer, en vertu de ce lien particulier qui existe entre un homme, le Président de la République et la nation.
– S'agissant d'un projet de loi, la balle est dans le camp de l'exécutif. Au demeurant, dans le cadre des institutions de la Ve République, un texte de cette nature porte évidemment la voix du Président de la République.
Vos interventions démontrent clairement l'irruption du numérique dans le domaine de la santé : il faut s'attendre à de grands bouleversements dans la relation entre patient et médecin et dans l'organisation du système de santé au sens large, depuis la maîtrise des thérapies jusqu'à ses aspects administratifs et financiers.
Sans préjuger du travail des co-rapporteurs, l'Office devra certainement approfondir ce sujet pour être en mesure de fournir un maximum d'informations aux commissions permanentes qui se seront saisies du projet de loi.
– Nous vous remercions par avance de tenir compte de nos observations concernant ces questions du numérique et de la santé.
Un groupe de travail, composé de membres du CCNE mais aussi d'experts extérieurs, élabore actuellement un rapport sur cette grande question. Ce rapport matérialise le travail réalisé au quotidien par le CCNE, en parallèle des États généraux de la bioéthique, et le dialogue constant qu'il entretient avec la communauté scientifique.
Pour finir, j'aimerais relayer une question posée par nombre de nos concitoyens : comment se fait-il que, sur certains sujets, notamment sociétaux, il y ait de telles différences entre les pays ? Le débat public et l'expérience française sont aujourd'hui suivis avec beaucoup d'attention hors de nos frontières. Même si la future loi devra certainement prendre en compte les grandes évolutions dont nous avons parlé, il faut bien reconnaître que notre pays a une histoire et une vision particulière de la santé.
– Pour rebondir sur vos propos, il est regrettable qu'aucune commission des sciences et de la technologie n'ait été créée dans nos assemblées. Avec Cédric Villani, nous tentons d'appuyer la création d'une telle commission dans le cadre de la future révision constitutionnelle, car nous sommes l'un des rares pays à nous en passer. Le débat montre pourtant que, sur ces sujets, il est question non pas seulement de science mais également de valeurs, d'usages et d'éthique dans le cadre d'une discussion de nature législative.
– Je suis ingénieur, docteur en physique et spécialiste des neurosciences. Les citoyens s'intéressent relativement peu aux aspects scientifiques des questions touchant à la bioéthique. Il faudrait trouver un moyen de leur fournir une information pluridisciplinaire pour qu'ils puissent avoir un avis éclairé.
Dans le domaine des neurosciences, on commence à s'intéresser à la modulation des fonctions du cerveau et, donc, de la personnalité de nos concitoyens, ce qui rejoint la problématique relative au consentement des patients. Les avancées dans ce secteur sont avant tout le fait de scientifiques et d'ingénieurs. Or ces derniers ont très peu participé aux débats. Il y a probablement encore beaucoup à faire pour que la culture scientifique s'approprie une certaine culture de l'éthique.
À ce sujet, il faudrait se demander si un médecin, dans le cadre de la relation particulière qui le lie à ses patients, a l'obligation morale de comprendre le fonctionnement des nouveaux outils mis à sa disposition, alors que l'on entend de plus en plus parler des boîtes noires de l'intelligence artificielle et du deep learning.
– Nous sommes bien conscients que le chemin à parcourir est encore long. L'Office gardera contact avec le CCNE, tout en lui laissant la liberté de s'exprimer par lui-même sur le réexamen de la loi de 2011.
Je tiens à vous remercier toutes et tous de votre participation, notamment les représentants du comité citoyen, qui, par leur engagement, leur bonne volonté et leur regard assez décapant, nous obligent à toujours être en éveil !
La séance est levée à 12 h 20
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 10 heures
Députés
Présents. - M. Didier Baichère, M. Jean-François Eliaou, M. Pierre Henriet
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Cédric Villani
Sénateurs
Présents. - M. Michel Amiel, M. Jérôme Bignon, M. Roland Courteau, Mme Annie Delmont-Koropoulis, Mme Véronique Guillotin, M. Jean-Marie Janssens, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Gérard Longuet, Mme Angèle Préville, Mme Catherine Procaccia, M. Bruno Sido
Excusé. - M. Ronan Le Gleut