Jeudi 21 juin 2018
La séance est ouverte à onze heures trente.
Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête procède à l'audition du Dr Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Sud 28 et de Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la Mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire .
Mes chers collègues, nous achevons nos travaux de la matinée par l'audition du docteur Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la maison de santé pluri-professionnelle (MSP) de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Sud 28, et de Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la Mutualité sociale agricole Beauce Coeur de Loire.
Madame, monsieur, au nom de la commission d'enquête, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre présence. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultable en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d'une durée de cinq minutes qui précédera nos échanges avec les membres de la commission présents. Mais, auparavant, je dois vous demander, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
M. Bertrand Joseph et Mme Sylvie Mathiaud prêtent successivement serment.
Je veux tout d'abord remercier les membres de votre commission, et notamment son président et son rapporteur, de me permettre de m'exprimer sur la question de l'égal accès aux soins. Médecin généraliste, installé en 1993, j'ai, durant vingt ans, exercé en libéral de manière isolée. Depuis cinq ans, j'exerce au sein d'une maison de santé pluri-professionnelle, dans laquelle je suis maître de stage universitaire et animateur de groupes de pratique. Je suis ainsi, par groupes de six, une quarantaine d'internes par an – ce qui est très important, comme nous le verrons ultérieurement.
Je souhaiterais aborder trois axes. Premièrement, je ferai un parallèle assez rapide entre maison de santé pluri-professionnelle (MSP) et communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Deuxièmement, je vous présenterai les pistes de travail qui permettraient de résoudre les problèmes de démographie médicale. Enfin, j'aborderai la question de la rémunération, puisqu'il en a été question lors de vos précédentes auditions.
En 2004, j'ai pris mon bâton de pèlerin et constitué une équipe de soins primaires. Nous avons organisé des réunions publiques avec l'ensemble des professionnels du territoire, d'où a émergé une équipe d'une vingtaine de professionnels. Au cours de la phase d'élaboration de notre projet, qui nous a pris du temps, nous nous sommes aperçus que le trio réunissant professionnels de santé, élus et partenaires financiers était indispensable.
La maison de santé pluri-professionnelle a ouvert en 2012. Nous nous sommes retrouvés face à des difficultés auxquelles nous n'étions absolument pas préparés : il nous a fallu assurer la gestion du bâtiment, organiser la structure, animer une équipe de professionnels et mettre en oeuvre un projet de santé, qui comprend le développement d'actions de prévention et la recherche de financements. Très rapidement, heureusement, nous avons pu nous appuyer sur un partenaire que nous avions rencontré dès le début : la MSA. C'est pourquoi je suis accompagné de Sylvie Mathiaud, qui est une partenaire indispensable de la maison de santé et qui est aujourd'hui coordinatrice de la CPTS.
L'équilibre d'une maison de santé est très précaire. Le départ à la retraite d'un professionnel, par exemple, provoque un bouleversement financier car les charges pèsent sur le restant des professionnels installés. Grâce à Sylvie Mathiaud et à la MSA, nous avons pu structurer l'organisation de la maison de santé, en désignant un référent distinct pour chaque domaine : le bâtiment, la gestion du personnel, la gestion financière, la gestion des actions de prévention, qui sont au nombre de huit… Par ailleurs, afin d'assurer de bonnes conditions de vie au sein de la maison santé, nous avons également désigné un référent électricité, un référent plomberie, un référent ascenseur, etc. Ainsi chacun des professionnels de santé a pris la charge d'un domaine lié à la vie du bâtiment.
Nous aimons à dire que la CPTS est une MSP sans les murs, mais avec des couloirs représentant autant de voies de communication. Les individualités que nous n'avons pas pu intégrer initialement, en 2004, dans la maison de santé, nous sommes allés les chercher pour organiser le travail sur le territoire. Nous avons ainsi réuni les trente-sept professionnels qui participaient à la réflexion au sein de notre maison de santé et développé une réelle attractivité puisque onze professionnels ont adhéré après la création de celle-ci : un médecin généraliste un kiné, une sage-femme… Dans le cadre de la CPTS, nous avons pu réunir 250 acteurs autour d'un projet de santé.
La maison de santé nous permet d'exercer notre métier, la CPTS permet d'organiser son exercice sur le territoire. On s'aperçoit aujourd'hui que ces 250 acteurs, dans le cadre d'une CPTS, permettent aussi et surtout d'assurer une représentativité face à l'hôpital et à d'autres instances.
Les partenaires qui nous sont indispensables aujourd'hui et sur lesquels nous avons pu nous appuyer sont les suivants : les Unions régionales des professionnels de santé médecins libéraux, l'Agence régionale de santé (ARS), qui est un partenaire important, la MSA – dont le réseau nous a apporté une expertise en ingénierie et en conduite de réunion et de structuration –, la CPAM et l'hôpital, avec lequel nous nous efforçons de travailler à la définition de parcours : l'idée est de revenir à l'accès direct aux services, qui était très facile il y a une quinzaine d'années et qui ne l'est plus aujourd'hui, d'où l'engorgement des urgences. Il est très compliqué de travailler avec l'hôpital – chez nous, le contexte est peut-être un peu particulier –, mais c'est un partenaire indispensable. Il y a moins d'un mois, nous avons pu rencontrer de nouveau le directeur et établir certaines bases de travail ; je pense à la participation d'un représentant au sein de la commission médicale d'établissement, à l'officialisation de ces parcours de santé et à la participation des hospitaliers aux différents groupes de travail de la CPTS.
Deuxième axe : les pistes de travail qui pourraient être explorées pour remédier aux problèmes de démographie médicale sont au nombre de dix.
Première piste : en tant qu'animateur de groupes de pratique, je suis une quarantaine d'internes par an. La maison de santé et, désormais, la CPTS, à laquelle je travaille depuis un an également, sont une vitrine pour le territoire ; notre action porte donc ses fruits. La maison de santé est en effet très bien cotée auprès des internes en matière de maîtrise de stage. Ceux d'entre eux qui la choisissent sont les meilleurs, mais ils ne sont pas toujours, hélas ! originaires de notre territoire et, après leur stage, ils repartent à Angers, Rennes, Brest, Strasbourg ou Metz. Quel dommage ! Une solution consisterait à leur demander, en contrepartie de ce bon stage, de donner à la structure un an ou deux ans.
Deuxième piste : le remplacement. Nous avons la chance inouïe, au sein de notre maison de santé, d'avoir fidélisé, grâce à notre organisation de travail, trois remplaçantes qui, depuis deux ans, viennent chaque semaine et permettent ainsi à l'un des cinq médecins de bénéficier d'un jour « off » pour se former, se reposer ou travailler pour la CPTS. Il est donc indispensable de fidéliser ces jeunes.
La troisième piste de travail, c'est la création d'une unité de soins non programmés. À ce propos, on entend beaucoup parler de l'engorgement des urgences et de la responsabilité des médecins généralistes qui ne prennent pas en charge les soins non programmés. Lundi prochain, je réunirai les trente-sept médecins généralistes du secteur et je les interrogerai sur ce point. C'est ainsi, du reste, que la CPTS a été créée : nous avons établi un diagnostic puis organisé quarante réunions qui se tenaient le soir. L'équipe de soins primaires et les autres professionnels se sont exprimés et nous avons posé huit diagnostics. L'unité de soins non programmés fait l'objet de discussions avec l'hôpital. Il s'agit de faire tourner un service avec des internes de niveau 2, qui sont donc supervisés de manière indirecte, puis en fin de journée. Ces internes doivent donc être suffisamment nombreux pour disposer d'un pool de remplaçants. Hôpital, maison de santé, autres cabinets ? C'est en cours de discussion. L'article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 nous permet de mener une expérimentation dans ce domaine.
Quatrième piste : actuellement, une dermatologue travaille en tant que gériatre à l'hôpital de Châteaudun… Elle est argentine et a enfin pu obtenir la nationalité italienne ; c'est en effet le parcours le plus rapide pour obtenir une nationalité dans l'Union européenne – heureusement, son mari est italien. Ses compétences professionnelles viennent de lui être reconnues, puisqu'elle a été admise au concours du Centre national de gestion (CNG). Du coup, elle doit trois ans au milieu hospitalier ! Son mari – c'est une chance – travaille à Châteaudun, où ses enfants sont gardés par une nourrice. J'ai conclu un deal avec l'hôpital, de manière à ce qu'au terme de ces trois années, elle puisse nous rejoindre tout en conservant une activité hospitalière. La dermatologie évoluant, grâce aux biothérapies et aux nouvelles technologies de traitement de maladies complexes telles que le psoriasis ou les maladies inflammatoires, il est intéressant pour l'activité libérale d'avoir un pied dans l'hôpital. Mais trois ans en gériatrie, n'est-ce pas un peu trop long ? Le secteur libéral est vraiment trop borné par la législation. Or, à l'hôpital, malheureusement, des médecins se retrouvent aux urgences sans avoir les compétences que l'on exige de nous en libéral – vous me pardonnerez de parler cash !
Cinquième piste : l'adjoint. Grâce à Philippe Vigier et Olivier Marleix, deux députés de l'Eure-et-Loir assez toniques, nous avons obtenu – malheureusement, au bout de deux ans – la possibilité de faire travailler un adjoint dans une zone médicalement dépeuplée. Pour ce faire, nous avons un peu inversé la logique du texte, qui a été conçu pour les zones d'affluence, mais le service juridique de l'Assemblée a bien voulu aller dans notre sens, et je les en remercie. Demeurait un seul point noir, qui a été éclairci la semaine dernière seulement : le médecin qui travaille avec cet adjoint n'aura pas de TVA à payer. Il faut savoir en effet que le médecin travaille avec l'adjoint, contrairement au médecin remplacé. En tout état de cause, dans une zone à forte densité de population, les incitations financières ne nous semblent pas être l'élément le plus important car il y a du travail et l'on peut donc gagner de l'argent si on le souhaite.
Sixième piste : simplifier la gestion comptable et financière. Malheureusement, les étudiants, les internes, les remplaçants ne sont pas accompagnés dans ce domaine. Il est prévu, dans le cadre de notre structure, de les accompagner dans leur installation et de les préparer à la gestion comptable et financière.
Septième piste : amélioration de la protection sociale. Pour les médecins libéraux, le délai de carence est de 90 jours, contre trois jours pour le salariat. C'est la raison pour laquelle les jeunes médecins préfèrent le salariat à l'heure actuelle. Qu'attendons-nous pour passer outre ces problèmes de carence ?
Je passe rapidement sur les trois dernières pistes : certains chantiers actuels me semblent très positifs. Tout d'abord, la formation est hospitalo-centrée. Vous en êtes, je crois, tous conscients : la médecine générale n'est pas encore assez représentée dans le monde hospitalo-universitaire. Ensuite, la réduction des tâches de gestion a une grande importance. Enfin, l'article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale nous permet, grâce à l'expérimentation, d'élaborer des protocoles de coopération et de délégation de tâches. Dans ce domaine, nous servons un peu d'exemple, car nous sommes partis bien avant l'heure : une délégation en milieu professionnel existe depuis cinq ans dans le cadre de la maison de santé.
Troisième axe, enfin : la rémunération. Les médecins ou les professionnels doivent-ils être rémunérés pour les réunions du soir ? Non, absolument pas. Gardons plutôt l'argent pour organiser des actions de prévention et des formations, pour rémunérer l'organisateur et défrayer les intervenants, qui viennent de loin. Nous avons organisé quarante réunions, et, si notre CPTS est en train de monter en charge, c'est grâce aux temps de convivialité que nous aménageons. Nous accueillons les participants le soir, nous les écoutons lors d'un tour de table, nous les respectons et nous prenons soin d'eux : à vingt heures, ils n'ont pas dîné, ils ont faim et sont fatigués.
Un mot sur le Contrat de stabilisation et de coordination des médecins (COSCOM). La Sécurité sociale indemnise, à hauteur de 5 000 euros par an, le médecin, et uniquement le médecin, au motif qu'il adhère à une équipe fédérée, qu'il s'agisse d'une maison de santé ou d'un CPTS. Ces 5 000 euros tombent dans la poche du seul médecin alors que nous travaillons dans un cadre pluri-professionnel. Imaginez la discorde que cela peut créer au sein d'une équipe, surtout lorsque la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) insiste lourdement sur cet avantage dont bénéficie le médecin par rapport aux autres… Au sein des équipes, les niveaux de revenus et les indemnités kilométriques – la voiture du médecin coûte plus cher que la voiture de l'infirmière – sont déjà différents. Nous serions les rois du monde si ces 5 000 euros étaient versés à l'association de la CPTS : ils nous permettraient de développer beaucoup plus rapidement nos pistes de travail, les groupes et le projet de santé.
Vous suggérez que l'on demande aux internes de rester deux ans dans la maison de santé qui les a accueillis dans le cadre de leur stage. Cela vous paraît-il jouable ?
Cela doit faire l'objet d'une réflexion. J'ai dit deux ans, mais cela peut être un an ou six mois ; l'important est que le système soit pérennisé. Il est intéressant pour un interne d'effectuer un stage dans une maison de santé ou une CPTS comme les nôtres, dynamiques et qui fonctionnent, grâce à un outil de communication fédérateur, qui facilite l'adhésion de l'ensemble des professionnels. Je n'ai pas le temps d'en parler, mais nous allons, dans chaque canton, prêcher la bonne parole, présenter la CPTS et ses avantages pour les patients. Donc, oui, l'interne qui vient chez nous en tire de nombreux avantages ; il faut donc qu'en contrepartie, il nous donne six mois, un an ou deux ans.
À mon tour de vous dire que je suis très heureux de vous accueillir. Je tiens à souligner le travail considérable qui a été accompli. Mais on a pu constater l'intérêt que suscitent les CPTS lors des auditions que nous avons réalisées ce matin de la direction générale de la sécurité sociale et de l'offre de soins. L'idée d'un maillage généralisé du territoire est en effet en train d'émerger.
Je souhaiterais aborder tout d'abord la question de l'offre de soins et de sa coordination à l'échelle d'un département et des fameux groupements hospitaliers de territoire. Comment imaginer la manière dont l'offre de soins peut, demain, être coordonnée autour de l'hôpital public et des différentes structures privées – cliniques, MSP, centres de santé ou d'autres structures de regroupement –, de manière à offrir un véritable parcours de soins à tous les habitants d'un département ou d'un territoire ?
Ensuite, comment améliorer encore l'attractivité et inciter les jeunes internes à rejoindre les MSP ? Faut-il aller jusqu'à la coercition et imposer dix-huit mois de stage, sur les trente-six mois de l'internat, non pas au début mais à la fin du cursus, pour permettre en quelque sorte leur sédentarisation et faciliter leur prise en charge par une communauté territoriale de professionnels de santé ?
Ma troisième question concerne les relations avec les ARS : comment envisagez-vous cette relation au quotidien, notamment en ce qui concerne le numérique et la télémédecine ?
Enfin – mes collègues m'autoriseront une remarque plus personnelle –, l'Eure-et-Loir, qui m'est très cher, est le département où la densité médicale est la plus faible et celui où est née l'une des premières CPTS de la région Centre. Cette affaire a quelque chose d'un peu héroïque, lorsqu'on connaît la situation dans laquelle nous nous trouvons…
Je laisserai Sylvie Mathiaud parler des partenariats. Le problème des maisons de santé, c'est qu'elles démarrent sans aucune aide. Au départ, nous n'avons rien eu. Ensuite, nous avons bénéficié du fonds d'intervention régional (FIR), puis de l'expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR) et des nouveaux modes de rémunération, et, depuis un an, de l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Quel cheminement incroyable pour toucher une somme qui permet, d'abord, d'ouvrir l'accès aux soins à tous les patients, ensuite, d'assurer une meilleure coordination, et, enfin, de mettre en place un système d'information ! Ces trois axes permettent de toucher un pactole via l'ACI, en proportion du nombre de patients et de professionnels et de l'investissement. Auparavant, il a fallu plusieurs années de bénévolat, et il en faut encore. Heureusement, l'expertise dont nous avons bénéficié grâce à Sylvie Mathiaud, nous a permis, dès le départ, au sein de la CPTS, de bénéficier d'un temps de coordination.
Il y a de nombreuses années, les caisses centrales de la Mutualité sociale agricole ont fait le pari d'accompagner l'accès aux soins dans les territoires ruraux afin de lutter contre les problèmes de démographie médicale qui commençaient déjà à poindre. La MSA est un partenaire incontournable dans la ruralité par le fait que c'est le régime de protection sociale du monde agricole.
La réflexion des caisses centrales les a amenées à créer le poste de chargé de mission, comme celui que j'occupe, pour accompagner les projets de maisons de santé. C'était le projet initial. En effet, il faut des compétences particulières pour créer cet outil de travail au service des professions médicales ; ce n'est ni vraiment le métier des élus, ni celui des professionnels de santé. Nous avons en conséquence inventé une boîte à outils, nous nous sommes formés, et nous avons proposé de l'ingénierie médico-sociale avec une méthodologie applicable à ces projets.
Depuis la création des communautés professionnelles territoriales de santé, nous expérimentons leur accompagnement – cette première expérience en Eure-et-Loir est particulièrement observée au niveau national. Nous apportons une plus-value, car nous connaissons bien nos territoires et leurs populations. Nous sommes en mesure de poser des diagnostics, de travailler là où c'est le plus nécessaire, de faire le lien avec tous les professionnels de santé. Il est important de gérer l'animation des réunions et les moments de convivialité, mais aussi de s'occuper des professionnels de santé qui passent leur temps à s'occuper des autres. La MSA est heureuse d'y contribuer. C'est notre cheval de bataille de relever ce défi aux côtés des professionnels sur des territoires que l'on connaît bien.
Mon métier a sa spécificité : je travaille depuis quarante ans pour la MSA avec une approche particulière des professionnels de santé. Nous sommes un facilitateur ; nous aidons à faire aboutir des projets au service de professionnels dont ce n'est pas le coeur de métier.
La coordination médicale et la coordination administrative sont toutes deux indispensables. C'est la clé de notre réussite – je me permets d'utiliser ce mot, mais nous sommes tout de même un peu fiers de ce que nous avons fait.
Il faut impérativement à la fois préparer les réunions et les coanimer. Des comptes rendus doivent être diffusés immédiatement. La rédaction du projet de santé a exigé un gros travail qui a permis de faire différentes rencontres. Il faut aussi avoir une approche administrative que les professionnels de santé n'ont pas toujours.
S'agissant du rapport au groupement hospitalier de territoire (GHT), sans nous voiler la face, nous pouvons impulser leur dynamique, et être des facilitateurs de l'entente des professionnels extérieurs.
Sur notre territoire, nous sommes repartis à zéro après des éclatements de GHT. Le monde hospitalier va mal. Nous avons travaillé avec deux médecins hospitaliers, mais ils ne sont plus à l'hôpital, ils ont quitté le navire. On sent que la dynamique est lourde : les professionnels de l'hôpital ont besoin d'une autorisation pour assister à nos réunions – j'espère que, bientôt, cela se fera plus facilement.
Faut-il introduire de la coercition pour lutter contre les problèmes de démographie médicale ? Non, je pense que ce n'est pas une bonne idée. De toute façon, les jeunes deviennent salariés, quitte à revenir en libéral plus tard, après avoir acquis une certaine expérience. Si on les force à s'installer quelque part, ils choisiront encore plus massivement le salariat, parce que c'est plus facile pour eux et qu'ils sont bien encadrés.
Les incitations financières ne sont pas une bonne idée. Cet argent serait un peu gaspillé. L'incitation financière peut avoir du sens pour les structures comme celle que nous sommes en train de monter. Là, oui, il faut un peu plus d'aides. La devise de Sylvie Mathiaud c'est : « On fait, on travaille, on prouve qu'on sait faire, et, ensuite seulement on va demander de l'argent. » Je la suis sur ce chemin, parce que je la respecte, mais, honnêtement, c'est galère ! Il faut y croire, j'y crois. Il faut que j'emmène beaucoup de monde derrière moi, mais financièrement, nous aurions besoin d'être aidés dès le départ. Évidemment, comme partout, il faudrait commencer par défendre et expliquer son projet, mais à partir de cela, on devrait pouvoir nous faire confiance. La MSA nous a fait confiance, et c'est grâce à cela que nous avons pu nous lancer.
Nous avons, pour notre part, d'excellents rapports avec l'ARS, en raison de sa structuration. La délégation territoriale départementale nous fait confiance. C'est du donnant-donnant : nous les informons quasiment au quotidien de toute notre activité, et ils jouent pour nous le rôle de facilitateurs, par exemple pour des rencontres.
Nous ne nous sommes pas lancés avec un projet de télémédecine, mais aujourd'hui, pour répondre à la pénurie d'ophtalmologistes qui sévit sur toute la France, nous travaillons à des projets d'installation d'orthoptistes dans la structure, et dans la CPTS, qui utiliseraient la télémédecine en liaison avec des centres de lecture de la rétinographie, par exemple, pour le suivi des diabétiques. Nous cherchons à mettre en place des articulations avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour avoir des ophtalmologues de référence qui soutiendraient ces orthoptistes. Mais nous ne faisons pas de télémédecine en tant que telle – téléconsultation et télé-expertise – pour l'instant.
Votre projet s'est mis en place à une vitesse incroyable. Vous avez été extrêmement mobilisés, mais il est impressionnant de constater qu'en si peu de temps, vous êtes parvenus à trouver des solutions…
Dans quelle mesure pensez-vous que votre expérience pourrait servir de modèle pour d'autres territoires de France afin de répondre aux problèmes que l'on rencontre un peu partout ?
Pourriez-vous nous donner des précisions sur les missions de base d'une CPTS ?
La généralisation de ce modèle est dans tous les esprits : à quoi serviraient demain les CPTS au quotidien ?
Je crois que nous sommes une des causes de la rapidité avec laquelle ce projet a pu se mettre en place. Les professionnels qui veulent entamer une démarche visant à créer une maison de santé ou une CPTS ne disposent pas de la méthodologie indispensable : ce ne sont pas des administratifs. Alors qu'ils savent parfaitement faire leur propre métier, ils ne savent pas forcément faire celui d'un chargé de mission et apporter les outils nécessaires à la mise en oeuvre de ces projets. C'est cela que la MSA met à leur disposition en finançant du temps de chargé de mission, à côté du temps des bénévoles professionnels de santé. Cette méthode explique la réussite du projet.
Grâce à notre méthodologie, nous avons commencé à organiser des réunions par profession : nous avons structuré le diagnostic, nous avons écouté les professionnels. Nous avons par exemple découvert qu'il y avait des infirmières spécialisées dans la prise en charge des plaies chroniques et qu'elles souhaitaient travailler dans ce domaine : aujourd'hui, ce chantier est ouvert. Les kinésithérapeutes ont souhaité remettre à l'ordre du jour les astreintes en kiné respiratoire pendant l'hiver : nous avons travaillé sur ce sujet. Pour ma part, je porte le montage des dossiers relatifs à ces projets.
Le fait que nos réunions soient structurées et donnent systématiquement lieu à des comptes rendus qui fixent des objectifs a permis d'avancer très rapidement. La MSA, qui est un régime de protection sociale avec une identité reconnue sur les territoires, a ses entrées à l'ARS, elle travaille avec la sécurité sociale : elle a pu mettre son réseau à disposition.
Au début de ma mission auprès des maisons de santé, j'ai constaté l'existence de grosses lacunes en matière de partenariat et de réseaux. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet en rencontrant l'ARS. Nous avons avancé progressivement avec elle, nous la tenons en permanence informée. C'est également le cas avec la sécurité sociale. Ils participent à nos réunions. Lundi prochain, nous recevons trente-cinq médecins de la CPTS : les réunions sont préparées, nous avons un ordre du jour, nous savons ce que nous allons leur dire.
Mon métier c'est de chercher, avec le docteur Joseph, le potentiel des professionnels, et de les tirer vers le haut. L'enjeu, c'est de produire quelque chose. On gagne du temps en essayant d'être le plus structuré possible – je m'y efforce en tout cas. Les professionnels de santé s'y retrouvent. Nous n'organisons pas de réunion dont on ne saurait pas à quoi elle aboutirait. Tout est organisé avec quelqu'un qui apporte une méthodologie à des gens qui n'en ont pas – je veux dire : en dehors de leur profession.
L'exercice médical est toujours libéral chez les professionnels dont vous parlez ? Il n'y a pas de salariat ?
Non.
Oui, je suis mise à disposition par la MSA sur un poste de coordination administratif. Comme nous n'avons pas encore de budget – la région va nous octroyer 20 000 euros pour démarrer et l'ARS, 50 000 sur trois ans, nous faisons sans moyens hormis ceux de la MSA. Ailleurs, cela ne se fait tout simplement pas.
Nous commençons par dépenser de l'argent, et par solliciter des emprunts auprès des unions régionales qui nous avancent de l'argent. Il est prévu de mettre en place une plateforme régionale – chaque région avancera dans le cadre du cahier des charges des services numériques d'appui à la coordination (SNAC). Toutefois, à ce stade, nous ne pouvons pas laisser les 250 acteurs que nous avons fédérés sans outils de fédération. Cet outil de communication, c'est une plateforme, un réseau qui permet de créer du lien, de trouver à tout moment le spécialiste nécessaire, de disposer en permanence des contacts des 250 autres acteurs, d'avoir accès à une banque documentaire qui donne au professionnel des outils du quotidien. Cette plateforme permettra aussi de faire de la visioconférence sur les cinq secteurs de notre territoire.
Vous me demandiez à quoi sert une communauté professionnelle territoriale de santé. La loi lui fixe deux rôles : le premier auprès des professionnels qu'elle va soutenir et accompagner pour qu'ils travaillent mieux, qu'ils vivent mieux leur métier, et qu'ils s'organisent mieux ; le second auprès des patients, en apportant des solutions pour mieux les prendre en charge et diffuser auprès d'eux des actions de prévention – ce que nous avons fait dans les cinq secteurs de notre territoire. Nous avons même prévu de répéter régulièrement ces actions de prévention.
Nous essaimons dans les secteurs avec un planning pour les six mois à venir. Lundi prochain, comme vous l'indiquait Mme Mathiaud, nous rencontrons plus de trente médecins généralistes. Au mois de juillet, nous rencontrerons des médecins qui pourraient participer au programme ASALEE correspondant au protocole de coopération en vigueur que nous essayons de développer. Nous réfléchissons au métier avec les médecins généralistes. Nous leur expliquons par exemple : « Vous voyez vos diabétiques tous les quatre mois, vous dites que vous êtes débordés, on vous propose de les voir une fois par an puisque la délégation de compétences va permettre à l'infirmière de les prendre en charge dans le cadre d'un protocole sécurisé et strict. » On économise ainsi du temps médical pour que le médecin puisse éventuellement voir de nouveaux patients. Il y a des patientèles en souffrance sur notre territoire, car elles n'ont pas été reprises. Dans ma seule commune, pas moins de 4 000 à 5 000 personnes se retrouvent en errance médicale, ce qui crée des difficultés pour l'infirmière, pour le pharmacien, pour le patient qui arrête son traitement.
À quoi peuvent servir les CPTS demain ? Nous pensons qu'elles doivent permettre de fluidifier le parcours du patient – il ne faut pas perdre de vue que nous mettons tout cela en place pour le patient. Il s'agit surtout d'organiser un travail entre la ville et l'hôpital, et je peux vous dire que c'est un chantier gigantesque. Nous avons par exemple essayé de mettre en place un parcours pour les patients diabétiques avec l'hôpital de Châteaudun : un seul médecin était d'accord, les autres y étaient fermement opposés. Pour nous, régimes de protection sociale, de telles aberrations ont de quoi nous faire dresser les cheveux sur la tête…
Il faudra travailler sur tous ces sujets. Nous parvenons à motiver les professions libérales, nous trouvons des leviers pour agir ; c'est un petit peu difficile avec l'hôpital.
Une CPTS a vocation à mieux organiser les professionnels sur un territoire, mais elle ne concerne pas uniquement le secteur libéral. Toutes les structures qui gravitent autour du patient sont concernées : l'hôpital, les cliniques, le service de soins, l'hospitalisation à domicile, etc. Sans oublier un axe fort, que la MSA est résolue à développer : les actions de prévention en santé publique. Il faut prendre en charge de nombreuses pathologies et faire beaucoup de prévention. Nous réunissons les professionnels au sein de groupes de travail à partir de leurs besoins, de leurs diagnostics pour trouver des solutions.
Les médecins hospitaliers sont formés par les hospitalo-universitaires : c'est vraiment du nombrilisme car la prise en charge se fait uniquement au sein de l'hôpital. Je vous rappelle que, dans une ville, la plupart des pathologies d'un patient sont prises en charge par le trio pharmacien-infirmière-médecin généraliste : c'est l'équipe de soins primaires. Lorsque nous avons dit aux hospitaliers le nombre de diabétiques que nous voyons dans nos consultations, je crois qu'ils sont restés pantois. Je pense qu'il faut se rencontrer. Tant qu'on ne se voit pas, on ne se connaît pas, on ne s'apprécie pas. Lors de nos différentes réunions de diagnostic, nous avions commencé par mettre des hospitaliers autour de la table : eux-mêmes ne se connaissent pas. Ils ont par exemple découvert que leur hôpital comptait deux infirmières spécialisées en plaies chroniques. Ils ont découvert certaines réalités. Je dis cela sans polémique, c'est un simple constat fait par tous.
Nous avons entamé huit chantiers divers allant de la communication au décloisonnement du secteur psychiatrique. Un chef de service de psychiatrie que j'avais invité dans une réunion m'a dit : « C'est quoi cette usine à gaz que vous montez ? » Je lui ai répondu : « C'est quoi ton usine à gaz de GHT ? » Il m'a répondu : « Oui, c'est bien cela ! » Il comprenait que l'on montait un système parallèle au GHT. Il faut dire que la psychiatrie à Châteaudun, c'est tout un poème… Je lui ai proposé d'unifier nos efforts.
Parmi les huit chantiers, il y a aussi la gestion des patients à domicile. Pourquoi hospitaliser une personne en fin de vie directement aux urgences, alors que l'on peut proposer d'organiser la fin de vie à la maison, et, très souvent, parce que la famille perd pied, dans un service hospitalier dédié – cela évitera d'attendre cinq heures aux urgences, ce qui est inadmissible ? Autrefois, je l'ai dit, il n'y avait aucun problème pour entrer directement dans les services. Aujourd'hui, les infirmières font les douze heures, elles sont moins nombreuses, il y a moins de personnels hospitaliers. Je comprends très bien qu'on nous explique qu'à quinze heures ou dix-sept heures, on ne peut pas faire d'entrées directes parce que l'infirmière est seule pour plus de trente patients ; c'est un scandale, et ce n'est pas mon boulot de défendre un tel système. Mon boulot, c'est de me battre pour trouver une solution, ce que je fais depuis vingt ans, alors que l'on parle d'engorgement des urgences. J'ai même voulu créer une maison médicale de garde à l'hôpital, mais j'ai entendu des directeurs expliquer que cela risquait de faire moins d'entrées aux urgences si nous travaillons à côté d'elles… Avec la tarification à l'activité (T2A), ils n'ont pas intérêt à perdre des entrées. Alors que les médecins et le personnel, qui tiennent le même discours que nous, sont submergés, la direction et l'ARS en tiennent un autre : pour eux, c'est un volume à maintenir.
Nous sommes tous prêts à organiser l'entrée aux urgences. Je pense que les soins non programmés sont un faux problème. Je vais prouver lundi soir, en faisant un tour de table, que les soins non programmés sont organisés dans chaque cabinet. J'ai lu le rapport de M. Thomas Mesnier sur le premier accès aux soins. Ce qui importe, c'est l'éducation de la population, et aussi celle du médecin traitant. Il a la tête dans le guidon ; aidons-le à en sortir ! La CPTS est là pour ça. Relève un peu la tête, tu es plongé dans ton travail ! Il faut dire qu'en médecine générale, on est obligé de faire de la course à l'acte. Vingt-cinq euros, ce n'est pas cher payé pour le boulot accompli surtout que cela concerne à 80 % des pathologies complexes et lourdes. La médecine de mon prédécesseur, celle d'il y a vingt ans, c'est fini. On traitait l'aigu, aujourd'hui on nous demande de suivre du chronique, alors que rien n'a changé dans l'organisation du métier.
La CPTS impulsera ce changement. C'est notre rôle de dire : « Mon gars, le diabétique que tu recevais tous les trois mois, prends-le tous les douze mois : organise ton travail ! » On désengorgera les urgences par une meilleure organisation et par une meilleure prise en charge. Sur le terrain, il y a du professionnel et de la bonne volonté ; il faut seulement réétudier un peu le métier.
Certains signes montrent tout de même que l'on se dirige vers des solutions que vous proposez grâce à des pratiques avancées qui permettront de libérer du temps médical pour les médecins.
Certes, mais c'est demain qu'il faut que ce soit mis en place, alors que les premières infirmières en pratiques avancées ne termineront leur formation que dans deux ans. L'expérimentation est positive. Je suis en relation avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS) dont vous avez reçu la directrice générale ce matin. Heureusement, on nous aide ; heureusement, nous avons nos filières. Nous forçons les portes, et nous faisons preuve de volonté, mais c'est du boulot, c'est du temps médical en moins. Je peux suivre aujourd'hui un moins grand nombre de patients – aujourd'hui, je n'en vois aucun –, mais je suis passionné par ce que je fais. Oui, ce sont des usines à gaz, mais il faut nous aider dans nos montages, il faut nous aider dans nos actions de facilitation.
Vous nous avez demandé si la façon dont nous avions construit la CPTS dans le Sud 28 pouvait être un exemple. Ce n'est pas notre vocation d'être un exemple, mais nous sommes prêts à rencontrer d'autres régions pour croiser nos expériences. Nous l'avons déjà fait lors d'un forum organisé par l'union régionale des professionnels de santé (URPS) de Centre-Val de Loire.
La caisse nationale de la MSA expérimente l'accompagnement de la CPTS, ce qui donnera lieu à des travaux au niveau national afin que les trente-cinq caisses qui maillent le territoire puissent se servir de nos expériences.
La MSA a aussi à coeur l'éducation du patient. On peut toujours travailler avec les professionnels de santé, leur faire faire plein de bonnes choses, les faire évoluer et les tirer vers le haut ; mais si le patient est à contre-courant, ça ne pourra pas le faire ! Il faut travailler sur ces deux pistes à la fois.
Je vous remercie pour la qualité de votre témoignage et pour votre engagement. Vous nous proposez une certaine forme de modélisation, et il y a beaucoup de bon sens dans vos propos.
Nous rendrons nos conclusions fin juillet. Vous en serez évidemment destinataires. La coagulation de tous les éléments abordés par ceux qui se sont exprimés à cette table – et ce n'est pas terminé – doit nous permettre, avec exigence et avec raison, de proposer des pistes innovantes.
L'audition se termine à douze heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 11 h 30
Présents. – M. Didier Baichère, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Alexandre Freschi, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Monica Michel, Mme Stéphanie Rist, M. Vincent Rolland, Mme Nicole Trisse