Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h40

Résumé de la réunion

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  • AMP
  • CCNE
  • PMA
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  • père

La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 24 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de Mme Ludovine de La Rochère, présidente de La Manif Pour Tous, de M. Albéric Dumont, vice-président, et de M. Bruno Dary, conseiller.

L'audition débute à neuf heures quarante.

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Nous poursuivons notre série d'auditions en accueillant des représentants de La Manif Pour Tous. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Ludovine de La Rochère, présidente, M. Albéric Dumont, vice-président, et M. Bruno Dary, conseiller. Madame, messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté de vous exprimer devant nous.

Lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe en 2013, les prises de position de La Manif Pour Tous avaient été largement diffusées. La question de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et celle de la gestation pour autrui (GPA) font désormais partie des sujets régulièrement étudiés par notre mission d'information dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique. Vos positions sur ces sujets contribueront à alimenter notre réflexion.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, toutes les quarante secondes en moyenne, un bébé vient au monde en France. Même lorsqu'il naît d'un couple homme-femme uni au moment de la naissance, nul ne sait si, quelques mois ou quelques années plus tard, il ne vivra pas, par exemple, avec un seul de ses parents, ou avec l'un de ses parents et un autre conjoint, de sexe différent ou de même sexe. Depuis toujours, en effet, des enfants ont été élevés par leur mère seule ou par l'un de leurs parents et un « beau-parent », ce qu'on appelle aujourd'hui des familles monoparentales, recomposées ou homoparentales. Ce sont là des faits qui n'ont rien de nouveau, une réalité que nul ne peut contester.

Nous commençons par là pour souligner un point essentiel : la question qui nous est posée aujourd'hui sur l'éventuelle extension de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes n'a rien à voir avec cela. Il ne s'agit pas de parler des familles monoparentales, recomposées ou homoparentales. La question n'est pas celle-là. Et, d'ailleurs, nombre de déclarations politiques et médiatiques sont trop souvent à côté de ce qui est vraiment en jeu. Il ne faut pas se tromper de sujet !

La question qui nous est posée, la seule, c'est de déterminer si nous pouvons, en termes d'égalité, de justice, d'éthique, décider de priver délibérément, sciemment, des enfants de père dès avant leur conception. Est-il envisageable qu'une société décide de créer volontairement les conditions qui feront que des enfants naissent de père inconnu, des enfants qui seront privés de père toute leur vie ? Autrement dit, peut-on dire qu'avoir – ou ne pas avoir – de père est sans importance, indifférent dans la vie d'un enfant ?

Alors que tous les enfants ont un père et une mère – qu'ils connaissent leur père ou non, qu'ils vivent avec lui ou non – peut-on considérer que les enfants nés de l'AMP, eux, pourraient être volontairement privés de père ? Pour le dire autrement, ces enfants n'auraient-ils pas les mêmes droits que tous les enfants ? Peut-on aller, en somme, à l'encontre de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel « les hommes naissent libres et égaux en droits » ?

Que représente le fait de naître de père inconnu ? Pour chercher des réponses objectives à cette question, nous avons deux possibilités. La première serait de s'appuyer sur des études scientifiques. Malheureusement, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) nous dit lui-même, dans son avis n°126, que « le vécu des enfants nés ou non d'IAD dans des familles homo- et monoparentales a fait l'objet d'études plus récentes mais souvent entachées d'erreurs méthodologiques et dénuées de pouvoir statistique ». Cette absence d'études fiables devrait au moins nous inciter à appliquer le principe de précaution, c'est-à-dire à ne pas avancer en l'absence de certitudes, étant donné le risque d'injustice pour l'enfant.

Il y a cependant une seconde possibilité, qui est de nous appuyer sur l'expérience humaine. Nous pensons d'abord aux enfants adoptés. S'ils ont été adoptés, c'est parce qu'ils ont d'abord été orphelins, parce qu'ils sont nés à l'étranger dans des contextes difficiles, ou parce qu'ils sont nés sous X en France. Un certain nombre ne savent rien de leurs parents d'origine. Or, nous constatons que nombre d'entre eux, alors qu'ils ont été adoptés par des familles aimantes, recherchent leurs origines. Cette quête peut envahir toute leur vie, parfois même jusqu'à l'âge adulte. Je me souviens de Lucas, un homme de 65 ans, né et adopté en France, qui avait pu compter chaque jour de sa vie sur l'amour de ses parents adoptifs, et qui me racontait, les larmes aux yeux, le vide qu'il ressentait en lui-même, le fait qu'il ne pouvait se rattacher à rien ni personne, qu'il ne pouvait se connaître vraiment. De fait, le CCNE indique que la connaissance de ses origines est « un élément structurant de l'identité des personnes ».

D'autres cas, plus proches encore de la question qui nous intéresse, sont ceux des enfants nés d'une insémination avec donneur. Les premiers enfants nés à l'issue d'une insémination avec donneur (IAD) ont aujourd'hui plus de 30 ans. Nous avons donc du recul à ce sujet. Et le fait est que nous savons que c'est une source de souffrance pour un certain nombre d'entre eux, au point qu'ils ont constitué des associations pour mettre fin à l'anonymat des donneurs, pour qu'il n'y ait plus d'enfants qui, par décision de la société, naissent d'un inconnu. Leurs nombreux témoignages sont éloquents. Ils emploient souvent les termes d'« abîme », « flottement », « exclusion », « solitude », « torture psychologique », etc.

Nous ne pouvons donc prétendre qu'être né d'un inconnu soit indifférent. Reconnaissons-le, nous tous présents dans la salle ou suivant nos débats en vidéo, personne ne peut souhaiter à quelqu'un de naître d'un inconnu. Alors, pourquoi provoquer volontairement de telles situations ?

L'absence de père est-elle sans importance pour l'enfant ? Les enfants nés d'une AMP avec IAD, jusqu'à présent, ont bien toujours un père qui les élève, un père « social », comme on dit, puisque l'encadrement de l'AMP la réserve depuis la première loi de bioéthique de 1994 aux couples homme-femme. Mais si l'AMP était ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes, les enfants concernés vivraient en outre une absence totale de père : pas de présence paternelle, pas d'amour paternel, pas de père du tout. Certes, nous comprenons tous la puissance du désir d'enfant. Et nous sommes convaincus qu'une femme seule ou un couple de femmes apporteront de l'amour à l'enfant, qu'il sera choyé. Mais l'amour répond-il à tous les besoins d'un enfant ? La réponse est négative puisque, déjà, nous venons de voir que même élevés par des parents aimants, les enfants nés d'un don anonyme se posent des questions existentielles, parfois même envahissantes.

Mais allons un peu plus loin. Se pose en effet la question du père. Est-il important pour l'enfant ? Compte-t-il dans la vie d'un enfant ? Ou peut-on dire qu'un père peut être remplacé par une mère, ou deux mères ? Suffit-il d'aimer un enfant pour remplacer son père ? Ces questions nous renvoient en fait à la différence père-mère et donc à la différence homme-femme, c'est-à-dire à la différence des sexes et même, pour creuser un peu plus la question, à l'identité sexuelle. Le fait d'être né homme ou femme est-il important, a-t-il du sens, pour nous-mêmes, pour notre entourage, pour nos enfants, pour leur construction psychique ?

Le sexe, nous le savons bien, est une dimension fondamentale de notre être. Il n'est pas possible de balayer d'un revers de la main l'importance de l'identité sexuelle, et par suite l'importance incontournable de la différence des sexes. Et c'est bien pourquoi père et mère diffèrent l'un de l'autre, non d'une simple altérité, mais bien d'une altérité sexuelle. La paternité et la maternité sont différentes, et elles sont complémentaires l'une de l'autre. Un père, évidemment, peut remplir les mêmes tâches qu'une mère, et réciproquement. Mais ce n'est pas le sujet. La véritable question est beaucoup plus profonde que cela et il est clair que la manière d'être à l'enfant, d'être en relation avec l'enfant, diffère entre la mère et le père. Cela explique aussi que l'enfant a éminemment besoin de chacun de ses parents : il a non seulement besoin de connaître ceux dont il est né, mais aussi d'être en relation avec eux, proche d'eux, autant que faire se peut. Il est d'ailleurs des réalités sur lesquelles il est bien difficile de mettre des mots, et parler de ce qu'est un père, ou une mère, en fait partie. Mais cela n'empêche pas de vivre cette réalité au plus profond de son coeur et de reconnaître que, s'il est difficile de définir ce que représente un père pour chacun d'entre nous, il nous est plus aisé de savoir qu'il est le plus souvent irremplaçable. Une mère ne remplace pas un père.

J'observe d'ailleurs que nous entendons dire, parfois, que l'enfant pourra avoir un « référent masculin » dans l'entourage du foyer. Ce besoin de proximité avec des personnes des deux sexes est donc bien identifié par tous. Cette idée, d'ailleurs, d'un référent masculin ne tient pas. Un « référent masculin » ne fait pas un père ! Un grand-père, un oncle, un ami a sa propre vie, ses responsabilités, sa famille, etc.

Par ailleurs, nous nous félicitons aujourd'hui, à juste titre, de voir que des pères s'occupent beaucoup plus qu'auparavant de leurs enfants. Ces « nouveaux pères » sont une bonne nouvelle pour les enfants, pour les mères et pour l'ensemble de la société. Or notre réaction commune, très positive, à ce phénomène nouveau dit bien que nous savons, profondément et intuitivement, toute l'importance des pères. La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 décembre 2017, a jugé qu'être privé de père est un « préjudice d'affection ». La Cour soulignait que l'enfant concerné dans l'affaire, dont le père était mort d'un accident pendant la grossesse de sa mère, « souffre à l'évidence de l'absence définitive de son père ». Et encore, dans ce cas, l'enfant sait au moins qui était son père, connaît sa filiation et sa famille paternelle !

De fait, nous constatons combien l'absence de père pose problème. La magistrate Dominique Marcilhacy indique, par exemple, que 80 % des mineurs qui passent au tribunal en comparution immédiate n'ont pas ou plus de lien avec leur père. Quant au phénomène de délinquance grandissante des mineurs – bien connu des services de police et de justice et qui a défrayé la chronique ces derniers temps –, n'est-il pas, justement, à mettre en relation avec l'absence, la démission ou l'impossibilité de nombre de pères d'assumer leur rôle, pour diverses raisons ? Il en va de même, sans doute, pour les graves problèmes de violence à l'école. M. Thomas Sauvadet, maître de conférences à l'université de Créteil, cité par Libération le 16 octobre dernier, évoque ce sujet, l'absence des pères, et rappelle « leur rôle éducatif fondamental. »

Nous souhaitons maintenant aborder la question des gamètes. Nous savons tous que la France manque de gamètes disponibles pour l'AMP : la France plafonne à 300 donneurs par an. Cette insuffisance est telle que les 3,9 % de couples ayant besoin d'un don de sperme dans le cadre d'une AMP peuvent attendre jusqu'à deux ans pour en bénéficier, alors que l'âge est un facteur clé du point de vue de la fécondité. Quant aux campagnes de communication sur ce sujet, dont la dernière a eu lieu en 2017, on sait qu'elles ont peu d'impact. Or il est évident qu'étendre l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes nécessitera beaucoup plus de gamètes, puisque 100 % d'entre elles auront besoin d'apport de gamètes. La situation changerait donc radicalement au regard des besoins en gamètes masculines.

Alors comment ferions-nous ? Le CCNE met pour condition à l'extension de l'AMP la diffusion, je cite, de « campagnes énergiques, répétées dans le temps ». Qu'est-ce que cela signifie ? Que les campagnes deviendraient tout à coup dix, vingt ou trente fois plus efficaces ? Qu'on va « mettre la pression » sur les hommes ? Qu'on va les culpabiliser de ne pas avoir envie de donner leur sperme ? Ce n'est ni sérieux, ni crédible !

Alors comment font les autres pays, les quelques-uns qui ont étendu l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes ? Las, le fait est qu'aucun État n'a pu échapper au commerce des gamètes en ayant étendu l'AMP. En effet, soit les États ont rendu les gamètes payants, comme l'Espagne et le Danemark, soit ils les achètent à l'étranger, dans des pays où les gamètes sont rémunérés. La Grande-Bretagne a ainsi publiquement expliqué, le 31 août dernier, que si les accords sur le Brexit n'incluaient pas aussi l'AMP, elle serait confrontée à une pénurie de gamètes parce qu'elle ne pourrait pas continuer à en acheter à d'autres pays d'Europe. Au passage, elle a précisé qu'elle achetait près de 50 % de ses échantillons de sperme au Danemark. Il en est de même pour la Belgique. Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont dû être déposés sur vos bureaux.

Ce point est fondamental et il impose de ne pas être naïfs : si elle étend l'AMP à des femmes fécondes mais ayant besoin d'apport de sperme, la France participera au commerce international des gamètes. Et comme le dit le CCNE, ce sont ensuite les autres éléments du corps humain qui seront concernés. Voulons-nous la marchandisation de l'humain ? Est-ce conforme à nos principes bioéthiques ? Est-ce conforme à nos valeurs républicaines ?

Le temps nous manque pour développer d'autres points pourtant essentiels pour les générations à venir. Nous pensons à la finalité de la médecine comme à la finalité de notre système de santé et de l'assurance maladie.

Nous préférons insister sur les conséquences de l'extension de l'AMP sur la pratique de l'AMP elle-même. Les couples homme-femme ne peuvent eux-mêmes recourir à l'AMP qu'à des conditions médicales précises. Autrement dit, en l'absence d'une pathologie de la fertilité ou d'une maladie d'une particulière gravité susceptible d'être transmise à l'enfant ou au conjoint, les couples homme-femme ne peuvent accéder à l'AMP.

Il arrive par exemple que des femmes dont le conjoint est décédé, mais dont le sperme a été conservé, réclament ce qu'on appelle une AMP post mortem. Elle n'est pas autorisée à ce jour, justement pour ne pas faire naître sciemment un enfant orphelin de père. Mais si l'AMP est étendue aux femmes seules, obligera-t-on des femmes veuves à détruire le sperme de leur mari alors qu'elles pourront faire ensuite une AMP seule avec un apport de sperme anonyme ? Non, évidemment.

On voit bien, avec ce seul exemple, que sortir du motif médical pour justifier l'accès à l'acte médical qu'est l'AMP serait un engrenage. Nous voulions par ailleurs souligner que le Conseil d'État indique, dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique de juin 2018, et encore dans un arrêt du 28 septembre dernier, que l'encadrement actuel de l'AMP n'est pas contraire au principe d'égalité et qu'il ne pose pas de problème de discrimination. En effet, écrit-il, « les couples formés d'un homme et d'une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe […] La différence de traitement […] entre les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples de personnes de même sexe est en lien direct avec l'objet de la loi qui l'établit et n'est, ainsi, pas contraire au principe d'égalité. »

L'extension de l'AMP, en revanche, créerait des inégalités nouvelles : entre enfants, les uns ayant un père et une mère, les autres ayant été privés de père par la société ; entre femmes et hommes, les unes ayant accès à un mode de procréation qui leur permettrait d'avoir un enfant, les autres non, la GPA étant à ce jour interdite en France.

Avant de conclure, nous souhaitons rappeler l'engagement pris par le Président de la République. Contrairement à ce que nous entendons souvent, pas un mot n'était dit de l'AMP dans la profession de foi d'Emmanuel Macron en vue de l'élection présidentielle : l'extension de l'AMP ne figurait pas dans son programme. En revanche, dans la dernière ligne droite de sa campagne, puis après son élection, Emmanuel Macron a effectivement exprimé son opinion favorable, mais il a systématiquement précisé qu'il s'agissait de son opinion personnelle. Et il a toujours posé plusieurs conditions, dont celle d'un débat favorable. Il disait ainsi, à Têtu, dans une interview du 24 avril 2017 : « Je souhaite qu'il y ait un vrai débat dans la société. Si un tel débat aboutit favorablement, je légaliserai la PMA, mais je ne le porterai pas comme un combat identitaire. »

Or il est de notoriété publique que la consultation légale, publique et officielle des États généraux de la bioéthique a montré qu'il n'y a pas de consensus, comme l'a souligné à plusieurs reprises le professeur Delfraissy, président du CCNE. Dans le détail, les États généraux de la bioéthique, dans les réunions publiques qui ont eu lieu partout en France, du nord au sud, de l'est à l'ouest, dans les auditions, en prenant en compte la représentativité des organismes auditionnés, comme sur le site internet de consultation en ligne, ont montré que seule une minorité est favorable à l'extension de l'AMP.

Et en ce qui concerne les sondages, si nous les prenons tous, sans écarter ceux qui ne nous conviendraient pas, nous voyons tout de suite que les Français sont certes spontanément favorables à l'ouverture d'un nouveau « droit », mais quand on leur pose la question concrètement, en incluant l'enfant – premier concerné par l'AMP –, les réponses sont à l'opposé : ainsi, mi-septembre 2018, d'après un sondage IFOP, 82 % des Français estimaient que « l'État doit garantir à l'enfant né par PMA le droit d'avoir un père et une mère ». Nous avons apporté des documents à ce sujet, qui ont été déposés sur vos bureaux.

Pour conclure, toutes les instances publiques qui ont réfléchi sur l'éventuelle extension de l'AMP constatent l'ampleur de ses implications et de ses risques. Leurs préoccupations, qui rejoignent les nôtres, portent sur des questions essentielles, sans réponse à ce jour. Cela explique, naturellement, qu'aucune institution n'ait déclaré que l'extension de l'AMP serait une nécessité – bien au contraire – et encore moins qu'il y aurait urgence à la légaliser.

En outre, comme l'a déclaré le président du CCNE, « il n'y a pas de consensus » sur ce sujet. Il n'existe même dans aucun secteur de la société. Au contraire, la consultation publique et officielle, d'une ampleur inédite, a montré la volonté massive de respecter les droits de l'enfant, la finalité de la médecine et de protéger les principes bioéthiques français, en particulier celui de la non-marchandisation de l'humain.

J'ajoute que nous qui vivons, pour l'immense majorité, le confort de connaître nos origines paternelles et maternelles, nous avons sans doute un devoir de courage pour protéger les enfants d'un projet qui priverait délibérément, sciemment, volontairement certains d'entre eux de père. La société ne peut pas dire, d'une part, que les femmes ne peuvent pas se passer d'enfant et, d'autre part, que les enfants n'ont qu'à se passer de père ! En effet, les enfants nés par PMA ont les mêmes droits que tous les enfants. Il semble donc raisonnable de reporter toute initiative qui remettrait en cause l'encadrement actuel de l'accès à l'AMP.

Un renvoi du débat sur le sujet permettrait de poursuivre sereinement, et à l'abri de toute polémique, les échanges sur les nombreuses implications soulevées et soulignées par toutes les parties prenantes. Ce temps donnerait en outre la possibilité au Gouvernement de poser des actes forts attestant d'une opposition réelle et d'une lutte effective contre la pratique des mères porteuses. En effet, au-delà des différents avis sur la PMA en l'absence de père, nous partageons tous la crainte de l'engrenage qui conduirait de la PMA sans père à la GPA, celle-ci étant même déjà présente sur la scène. On nous dit que la PMA sans père n'entraînerait pas la GPA. Avant toute chose, des actes sont attendus.

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Je vous remercie. Ma première question est connexe, mais nous aurons à nous prononcer sur ce sujet, à savoir l'anonymat des dons de gamètes. Le développement des tests génétiques permet de lever dans la pratique cet anonymat. Selon vous, cet anonymat doit-il être conservé, au-delà de l'extension ou non de l'AMP ?

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Nous pensons que dès lors que l'IAD est possible, il serait mieux que le don ne soit plus anonyme, en précisant que si l'AMP était étendue aux femmes seules et aux couples de femmes, le fait de connaître à l'âge de 18 ans quelques éléments d'information ne rendrait pas un père à l'enfant. Un dossier ne fait pas un père. Nous sommes donc effectivement favorables à la levée de l'anonymat du don, mais cela ne changerait pas la question de l'absence de père dans le cadre d'une AMP pour les femmes seules et les couples de femmes.

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Madame, vous souhaitez comme nous une réflexion apaisée et rationnelle, tolérante, et qui se fonde sur les faits les plus rigoureux, plus que sur des impressions, des croyances ou des passions.

Je souhaiterais, si vous me le permettait, rectifier un petit point. Certes vous avez rappelé certaines déclarations du Président de la République, mais la majorité de l'Assemblée nationale a été élue sur deux éléments qui figuraient dans notre programme commun. Je vous les cite : « Nous sommes favorables à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. […] Nous assurerons que les enfants nés de la GPA à l'étranger ait leur filiation reconnue à l'état civil selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. » La majorité des députés actuels s'est engagée en ce sens devant les électeurs. Ces points doivent être pris en considération ; je souhaiterais apporter cette rectification.

J'en viens à mes questions. Premièrement, êtes-vous pour ou contre la PMA pour les couples hétérosexuels ? Vous n'ignorez pas que dans un quart des cas, pour ces couples hétérosexuels, la PMA est pratiquée sans qu'une stérilité médicale soit établie, mais parce que ce couple hétérosexuel, n'ayant pas d'enfants, désire l'aide de la PMA. Plusieurs de ces couples ont d'ailleurs, secondairement, des enfants dans les conditions habituelles, après avoir eu un enfant par PMA, prouvant ainsi qu'ils n'étaient pas stériles. Qu'autoriseriez-vous si vous aviez à revenir sur l'ensemble de l'application de la PMA ?

Deuxièmement, souhaitez-vous « rejouer le match » du mariage pour tous, et remettre en question l'adoption par des couples homosexuels ? Souhaitez-vous remettre en question l'égalité d'accès à l'adoption, comme nous avons malheureusement pu le constater à certains endroits ? Tout cela fait désormais partie de la loi française, et elle doit être respectée. La quasi-totalité des pays qui ont adopté, avant ou après la France, le mariage pour tous ont simultanément adopté la PMA pour les couples de femmes. Le président Hollande, dans son dernier livre, indique regretter que cette disposition n'ait pas été adoptée en même temps, car elle parait naturelle : pourquoi refuser à un couple de femmes, qui est autorisé à se marier et à adopter des enfants, d'utiliser l'utérus de l'une de ses deux femmes pour faire cet enfant ? Cette logique paraît si naturelle et si évidente que l'on ne comprend pas pourquoi la disposition n'a pas été prise en même temps.

Toutes les questions que vous posez sont légitimes. Je n'ai aucun a priori envers quelque question que ce soit. Vous avez tout à fait le droit de vous demander si un enfant qui n'a pas de père ne va pas rencontrer des difficultés. Nous pouvons aller plus loin, et nous demander si le père, la référence paternelle, est indispensable au bon développement de l'enfant. Il est légitime de se poser de telles questions. En revanche, ne pas tenir compte des études scientifiques qui apportent des réponses, voilà qui est moins légitime. J'ai beaucoup de peine à entendre des critiques sur la valeur scientifique de ces études, qui ont été remarquablement menées à l'étranger, à Cambridge par Mme Susan Golombok, aux États-Unis et dans des pays d'Europe du Nord. La France réalise peu d'études, et je le regrette. Un engagement doit être pris pour y remédier. Je crains que nous ne soyons en présence d'un exemple typique de l'arrogance française, dénoncée par d'autres pays, qui nous fait reporter sur l'étranger la solution à des problèmes que nous ne pouvons nous-mêmes régler. Nous laissons des couples qui ne peuvent enfanter légalement en France rechercher des solutions à l'étranger. Nous devrions montrer de la reconnaissance à leur égard, pour cette capacité à résoudre les problèmes que nous ne sommes pas capables de régler. Dans le même temps nous les critiquons, et nous critiquons les études scientifiques qu'ils mènent dans les plus grandes conditions de rigueur. Ces études sont considérées comme les meilleures sur ces sujets ! Elles apportent des conclusions très simples : les enfants élevés par des couples de femmes homosexuelles, par une femme seule ou par des couples hétérosexuels à la suite d'une PMA, par désir d'enfant, ne présentent aucune différence entre eux en termes de développement affectif, intellectuel, d'orientation sexuelle future, etc. Là ne réside pas la difficulté. Beaucoup de choses peuvent entraver le développement de l'enfant, mais pas ce point.

Chacun de ces enfants a d'ailleurs de multiples référents masculins : oncles, cousins, grands-pères, etc. Personnellement, j'ai eu plusieurs référentes maternelles et plusieurs référents paternels. Je m'en porte plutôt bien, et j'estime que c'est une chance. Les hasards de la vie m'ont apporté ces référents multiples, et je n'y vois que des avantages. Il est très important, pour les enfants, de connaître une pluralité de personnes qui lui servent d'exemples. C'est ainsi que l'enfant se développe. Plus nous étudions l'intelligence artificielle, plus nous comprenons que c'est là que réside la capacité de l'enfant à se développer, c'est-à-dire son adaptabilité à des situations très diverses, infinies, bien plus variées que ce qu'un adulte peut assimiler. À cette adaptabilité s'ajoute la capacité à s'inspirer de plusieurs modèles adultes pour progresser.

Madame, êtes-vous d'accord pour reconnaître la fiabilité de ces études scientifiques, et pour séparer ce qui relève du savoir de ce qui relève de la croyance ? Nous avons le droit de croire que nous préférons tel mode de vie ou de famille, mais nous ne sommes pas autorisés à dire qu'il est scientifiquement prouvé que tel ou tel modèle est plus légitime que l'autre, et que ceux qui voit différemment la manière de « faire famille » ont tort.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Monsieur le rapporteur, j'aborderai la question de la croyance par la suite.

En ce qui concerne la promesse de campagne d'Emmanuel Macron, je parlais bien de sa promesse personnelle. Les médias disent régulièrement qu'il s'agit d'une promesse du Président de la République, or ce n'est pas le cas. Voilà ce dont je parlais très précisément. Cela n'a rien à voir avec le fameux engagement no 31 de François Hollande sur le mariage et l'adoption pour deux hommes ou deux femmes. Rien de tel n'existe sur la PMA dans le programme d'Emmanuel Macron.

Vous me demandez si nous sommes pour ou contre la PMA. Ce n'est pas le sujet. Le débat ne porte que sur la PMA en l'absence de père pour l'enfant. Je pense que le sujet est assez important pour m'abstenir d'aborder d'autres sujets.

Vous évoquez le fait que des couples homme-femme auraient recours à la PMA en l'absence de stérilité, ou en l'absence d'une maladie d'une particulière gravité susceptible d'être transmise à l'enfant ou au conjoint. Je suis extrêmement étonnée que vous disiez que les médecins recourent à une pratique médicale dans un cadre illégal. D'autre part, nous parlons ici de la loi, de ce qui sera une éventuelle loi, et donc de la décision du législateur.

Vous nous interrogez aussi sur la loi Taubira. Ce n'est pas le sujet, même si l'AMP pour deux femmes ou une femme seule n'est pas sans lien avec cette loi. Il ne s'agit pas, pour nous, de « rejouer le match ou non ». Ce ne sont que des postures. La question qui importe est humaine : pour l'enfant, pour les générations à venir, pour la non-marchandisation de l'humain, pour la finalité de la médecine. Nous abordons des questions de fond, et c'est la seule chose qui compte. Il ne s'agit pas de La Manif Pour Tous, de vous, de moi, mais du monde que nous voulons pour demain.

L'adoption et l'AMP sont tout à fait différentes. Dans le cas de l'adoption, un enfant a perdu ses parents, à la suite d'un accident ou d'un aléa de la vie. Nous lui retrouvons ensuite un foyer. L'adoption est au service de l'enfant que la vie a malmené. Ce point est essentiel. Avec l'AMP, nous organisons un système qui prive sciemment un enfant d'un parent.

Vous employez les termes « utiliser l'utérus » à propos des couples de femmes. Je m'en étonne. Mais passons.

Vous me dites que j'ai le droit de dire qu'un enfant pourrait souffrir de l'absence de père. Je vous remercie de m'autoriser à le penser et à le dire. De fait, je n'ai pas dit qu'il rencontrerait des difficultés, mais qu'il connaîtrait une souffrance. Je me fonde dans mon exposé sur des faits connus et identifiés. La littérature nous présente des enfants orphelins. Écoutez Johnny Hallyday, écoutez Stromae, ce sont des faits que nous constatons tous autour de nous. Cette souffrance s'est exprimée, tout comme chez les enfants nés d'un don anonyme. Nous la connaissons et ne pouvons pas la nier. Pourquoi une souffrance plutôt qu'une autre ? Ne devons-nous pas donner la priorité au plus vulnérable, à l'enfant ?

Venons-en aux études scientifiques. Le CCNE explique lui-même que les études ne sont pas fiables. Toutes les études parues ont été contestées, pour diverses raisons. Je ne m'étendrai pas là-dessus. C'est un fait de notoriété publique.

Vous dites que d'autres pays ont résolu les problèmes. Justement, ils ne les ont pas résolus ! Seule une toute petite minorité de pays ont légalisé cette pratique, et vous dites que puisque qu'ils l'ont fait, nous devrions le faire aussi. Tirons plutôt parti de l'expérience et des exemples qu'ils présentent. Légaliser cette pratique les a conduits au commerce des gamètes et à la marchandisation de l'humain ! C'est également cela qui est en jeu.

Je vous cite. Vous dites : « Pour vous, le père est important. » Je souhaite vous renvoyer la balle, monsieur le rapporteur. Pensez-vous qu'un père n'a pas d'importance ? Ceux qui sont ici présents, qui sont pères, pensent-ils que leurs enfants n'ont pas besoin d'eux ? Ceux qui nous écoutent pensent-ils la même chose ? Voilà la question qui nous est posée à tous. En principe nous avons tous eu un père, nous avons eu cette chance, et nous pouvons donc penser à ce qu'il représente pour nous. Quant au référent masculin, si nous étendons la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes il n'y aura plus de grands-pères, dans quelques années. Votre vue est à court terme. Quant à un oncle ou un ami, quelle légitimité auront-ils auprès d'un adolescent ? Pourront-ils remplacer un père ? Vous parlez du référent masculin, ce qui montre que nous sommes d'accord, il est essentiel que l'enfant ait la proximité la plus grande possible avec les deux sexes, et le père et la mère ont une légitimité spécifique pour cela.

Les hasards et les aléas de la vie existent. C'est certain. Pouvons-nous et devons-nous pour autant volontairement priver l'enfant de père ? Constater les aléas de la vie et créer sciemment une absence de père, voilà qui est tout à fait différent.

Vous dites que nous pouvons compter sur la résilience de l'enfant. Nous agirions en disant que l'enfant pourra se débrouiller. Dans tous les cas, l'enfant n'aura pas le choix. Heureusement, il est vrai, certains enfants ne souffriront pas. Cependant, l'expérience humaine montre qu'un certain nombre en souffriront.

Je reviens à votre terme de croyance. J'y vois une réduction de ce que nous exprimons à la seule position des religions. Nous sommes absolument tous concernés, le sujet n'est pas religieux. Tout mon exposé comme toutes les réflexions que nous avons menées ont toujours porté sur des faits, des constats objectifs, relevant de sources fiables. Tous les faits que j'ai cités sont constatés par toutes les institutions, sans exception, qui ont travaillé sur le sujet.

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Bruno Dary, conseiller de La Manif Pour Tous

Quand nous souhaitons traiter de manière objective une question sensible, il est nécessaire de présenter toutes les facettes de la problématique. Nous observons dans les débats actuels – sauf ici, dans le cas de l'AMP – que l'enfant est le grand oublié. Nous parlons ici de droit à l'enfant, etc., mais pas du droit de l'enfant.

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Bruno Dary, conseiller de La Manif Pour Tous

Ce n'est pas digne d'un pays qui se veut une grande démocratie que d'oublier les droits des plus faibles, de ceux qui ne votent pas, qui ne sont pas majeurs, et même de ceux qui ne sont pas nés. Nous avons souhaité aborder la question de l'enfant privé volontairement de père, et nous n'avons pas peur de nous intéresser aussi à la femme privée d'enfant. Nous abordons ces questions objectivement.

L'extension de l'AMP présente des paradoxes. Les textes évoquent indistinctement les couples de femmes et les femmes seules. Mais la réalité est bien différente, car nous n'entendons parler que des couples de femmes. Les femmes seules et leur droit de revendiquer la maternité sont oubliés. Seul le législateur a récemment évoqué la famille monoparentale, dans le cadre la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Va-t-on délibérément accroître la précarité dans notre pays en votant une loi démagogique au nom du seul désir ? Les maires nous le disent. Ils sont responsables de ces femmes qui vivent seules, qui élèvent leur enfant et qui vivent dans une très grande précarité.

Reste le cas des couples de femmes qui revendiquent le droit à l'enfant. Nous ne cherchons pas à éluder ce désir d'enfant. Il est naturel chez une femme. Dans ce cas, il faut d'abord répondre qu'il existe d'autres formes de maternité, et que la loi offre la possibilité de l'adoption. Ce n'est certes pas la solution idéale, mais au moins l'enfant, qu'il soit orphelin ou abandonné, connaîtra ses origines et, surtout, saura qu'il a été accepté par une femme en recherche de maternité. Il est important de reconnaître ce besoin de materner d'une femme. Cependant, nous souhaitons qu'il soit encadré, pour que les droits de l'enfant et les droits de la femme soient équilibrés.

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Madame et messieurs, dans le document que vous nous avez fait parvenir avant cette audition, que j'ai pris le temps de bien étudier et que vous avez relu dans votre propos liminaire, vous indiquez que « 80 % des mineurs qui passent au tribunal en comparution immédiate n'ont plus de lien avec leur père ». Est-ce à dire que certains pères ne font que très peu de cas de leurs enfants ? Vous écrivez aussi : « Nous nous félicitons aujourd'hui de voir des pères s'occuper beaucoup plus qu'auparavant de leurs enfants. » Ma question est la suivante : comment faisaient ces enfants pour s'épanouir, au cours des siècles passés, alors que de votre propre aveu les pères étaient absents de l'éducation du fruit de leurs gamètes ? Tous ces enfants sont-ils névrosés ? Tous ces enfants, devenus adultes aujourd'hui, sont-ils devenus à ce point névrosés qu'ils défilent maintenant dans les rues pour lutter contre la possibilité pour deux femmes ou une femme seule d'avoir un enfant sans père, mais qui pourra, malgré ce que chacun pourra en penser, bénéficier de référents, de visages masculins que sont les grands-pères, les oncles et les amis ?

Vous posez ensuite la question : « Les enfants nés de PMA n'auraient-ils pas les mêmes droits que les autres enfants ? » À mon sens, c'est exactement ce vers quoi nous allons tendre, en offrant enfin une filiation double à tous ces enfants. Vous dites : « Des enfants adoptés par des familles aimantes recherchent leurs origines, comme les enfants nés d'une IAD. » C'est exactement la réflexion que nous avons sur l'accès aux origines, que nous envisageons de revoir, pour permettre aux enfants issus de dons de gamètes de mettre des mots ou un visage sur le généreux donneur qui leur a permis d'exister. C'est bien de cela qu'il s'agit. Ces enfants existent depuis de nombreuses années déjà. La seule chose qui les fait vraiment souffrir, ce n'est pas l'absence d'un père, mais plutôt les discours de haine néfastes envers leurs familles et leurs parents.

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Monsieur le président, mes chers collègues, je n'aurai pas de question à proprement parler à adresser à La Manif Pour Tous, mais je ferai une intervention pour exprimer mon désaccord, condamner les propos et actions menées par votre parti politique, qui est loin de représenter toutes les personnes qui s'interrogent sur la procréation et la filiation.

À ce titre, j'ai adressé un courrier à M. le président de la mission d'information ainsi qu'à M. le rapporteur, afin de m'opposer formellement à votre audition. L'enjeu de cette mission est d'éclairer la représentation nationale sur les enjeux de bioéthique dans un temps déterminé, raison pour laquelle toutes les personnes et les organisations qui souhaitent être auditionnées peuvent nous faire parvenir une contribution écrite. En l'occurrence, je crois que vous avez eu tout le loisir de vous exprimer, médiatiquement ou au travers d'un travail de lobbying intensif auprès des parlementaires, par la remise de documents.

Je crois que notre institution aujourd'hui ne s'honore pas en vous donnant la parole, et ce à plusieurs titres. Tout d'abord, parce que vous véhiculez des contre-vérités. À l'instar d'une publication sur votre site internet, le 21 octobre, il y a trois jours – vous avez réitéré vos propos ce matin, lors de votre allocution liminaire –, qui explique que l'extension de la PMA à toutes les femmes n'a jamais fait partie du programme d'Emmanuel Macron. Cependant, cette extension en fait bien partie, elle figure dans un grand nombre de documents, que je tiens à votre disposition. Il s'agit notamment d'une déclaration publique du 16 février 2017, une promesse de campagne réitérée depuis l'élection présidentielle par le Gouvernement et par la majorité parlementaire, alors en campagne pour les élections législatives, et ce même après notre élection.

Ensuite, parce que vous vous proclamez défenseurs de la famille, alors que vous menez un exercice d'attaques systématiques de familles que vous stigmatisez sans vergogne. Je pense aux familles monoparentales, aux familles homoparentales, presque à demi-mots aux familles recomposées. Par voie de conséquence, vous vous attaquez aux enfants de ces familles, qui n'ont besoin que d'un environnement propice à leur développement et à leur bien-être, au-delà du nombre, du genre, de l'orientation sexuelle des figures d'autorité parentale qui composent leur famille. C'est d'ailleurs une différence fondamentale entre votre parti politique et les associations familiales qui, dans leur grande majorité, protègent l'ensemble des familles et sont salies par vos propos.

Aussi, parce que vous êtes dans un exercice d'obscurantisme exacerbé qui consiste à décrédibiliser des travaux de recherche scientifique – vous l'avez fait encore ce matin. C'est notamment le cas pour les travaux menés par le professeur Golombok de l'université de Cambridge, menés sur plus de trente ans, qui mettent en évidence le fait que les enfants élevés dans des familles homoparentales ou monoparentales ne souffrent d'aucun écueil. Vous balayez ces travaux d'un revers de main, tantôt en prenant prétexte d'une déclaration du CCNE, tantôt en disant que la méthode utilisée n'a pas été scientifiquement validée et souffre de certains manques, sans pour autant expliquer ces manques ou citer des travaux scientifiques contradictoires.

Aussi, parce que vous n'avez pas hésité – et je parle bien de votre parti politique – à biaiser les travaux d'une autorité administrative indépendante, à savoir des États généraux de la bioéthique du CCNE, en organisant une sur-mobilisation militante, qui a été saluée par beaucoup, notamment des hommes d'Église, et regrettée par le président du CCNE, M. Delfraissy, que vous citez souvent. Elle a poussé certains acteurs associatifs à déserter les ateliers de réflexion sous les sifflets et les huées. Vous êtes même allés jusqu'à tenter de vous substituer au CCNE en produisant et en diffusant votre propre synthèse des travaux, comme pour jeter l'opprobre ou le doute sur cette autorité administrative indépendante.

Enfin – et c'est pour moi le plus tragique –, par votre attitude, vos propos et vos actions, vous véhiculez la haine crasse qu'est l'homophobie. Je vais prendre quelques exemples. Le 22 septembre dernier, M. Jean-Marie Andrès, à la tribune de la sixième université d'été de votre parti politique, a dit : « Le problème, c'est pas que les pédés… » La campagne d'affichage que vous avez initiée ou à laquelle vous avez participé en 2017 présentait les slogans suivants : « Après les légumes OGM, les enfants à un seul parent ? », ou « Agir pour le respect de nos animaux et des plantes, mais pas pour celui des enfants ? » Avec ces comparaisons, vous niez l'appartenance d'individus et d'enfants à l'espèce humaine. C'est absolument abject et inacceptable dans notre République.

Je ne sais pas, sincèrement, si vous comprenez l'impact de tels propos sur les enfants, les familles, quelle que soit leur composition, les femmes et hommes homosexuels, bisexuels, transsexuels, transgenres, etc. Ces personnes, comme vous et moi, doivent jouir des mêmes droits et des mêmes libertés.

Il existe un droit qui, aujourd'hui, n'est pas garanti dans l'accès à la PMA, au-delà du principe même de discrimination : c'est le droit à la sécurité. En 2012-2013, pendant les treize mois de mobilisation que vous avez initiés contre le mariage pour tous, les actes homophobes ont augmenté de 78 %. Je ne dis pas que vous, personnellement, avez commis des actes homophobes. Cependant, ayez bien conscience que l'on ne peut pas fonder son discours sur la discrimination sans être responsable des faits qui en découlent. Il faut assumer. Pour ma part, j'assume qu'il y ait aujourd'hui des manques, des discriminations, des violences inacceptables. Les assumer, c'est les combattre ; or, vous ne faites que les attiser en affichant un discours discriminant.

En prononçant ces mots, je pense très fort à Florian, agressé il y a six jours en raison d'une orientation sexuelle avérée ou supposée, à Guillaume, agressé il y a sept jours en raison d'une orientation sexuelle avérée ou supposée, à Arnaud, agressé il y a un mois alors qu'il se promenait dans la rue avec son compagnon, et à toutes les autres victimes que je n'ai pas citées. Oui, en France, aujourd'hui, il est toujours dangereux d'être homosexuel et de le montrer. En comparaison avec le mois de septembre 2017, les témoignages ou signalements d'actes homophobes ont augmenté de 37 % au mois de septembre 2018. C'est insupportable.

Je serai très clair avec vous, madame de La Rochère. L'objectif partagé d'avoir un débat apaisé, auquel vous ne contribuez nullement, se poursuit au bénéfice de ces victimes ou des potentielles victimes, et non pour le confort de votre représentation sociétale, qui se fonde exclusivement sur le patriarcat.

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Avant de laisser la parole à notre collègue Thibault Bazin, je souhaite apporter une précision. Notre collègue Guillaume Chiche nous a demandé que cette audition n'ait pas lieu ; j'en ai parlé avec le rapporteur. Il nous a semblé bon que tous ceux qui participent à ce débat puissent être entendus, conformément au principe de liberté d'expression. Nous ne pouvons pas refuser la liberté d'expression à ceux qui ne vont pas dans notre sens. L'absence de liberté pour les ennemis de la liberté, nous savons où cela mène.

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Ce n'est pas le cas, monsieur le président.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Monsieur le président, aurai-je le temps de répondre à ces accusations gravissimes ?

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Je suis aussi épris de liberté d'expression, et en même temps je condamne toute agression à caractère homophobe. Je pense que tout le monde, ici, condamne de telles agressions. Il est important de ne pas caricaturer le débat. Lors du débat sur le mariage pour les couples homosexuels, votre mouvement citoyen avait alerté sur la question de la filiation, en mettant en avant les droits de l'enfant et en évoquant le risque que la loi Taubira n'aboutisse à terme à l'ouverture de la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, puis à la GPA. Ces éléments revenaient régulièrement pour expliquer pourquoi vous vous opposiez au projet de loi à l'époque. Il est incontestable que des citoyens, non engagés dans des partis politiques, ont partagé cette inquiétude et se sont mobilisés. Nous pouvons nous demander si l'évolution envisagée va créer un climat similaire dans quelques mois et donner raison à ceux qui s'étaient mobilisés il y a quelques temps.

Je souhaiterais savoir, madame la présidente, ce que l'altérité peut apporter aux enfants dans leur construction. Vous avez aussi mentionné des souffrances. Dans l'avis du CCNE, les raisons éthiques conduiraient à ne pas étendre l'AMP, mais les souffrances des candidats à la parentalité amènent à donner un avis favorable. Est-ce que la souffrance que vous évoquez peut être mise en balance avec la souffrance des parents ?

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Madame, je trouve très intéressant d'avoir cet échange, aujourd'hui, avec vous. Je me permettrai une citation attribuée à tort à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » Cela étant – et je suis tout à fait d'accord avec M. le rapporteur –, il est nécessaire, pour avoir un débat serein et le plus objectif possible, de nous appuyer d'une part sur les études scientifiques et d'autre part sur les enquêtes d'opinion. Toutefois, il va sans dire que nous ne pouvons pas légiférer qu'en fonction de l'état de l'opinion, sans quoi nous n'aurions jamais aboli la peine de mort. Les sondages, notamment celui de l'IFOP, publiés par le quotidien La Croix en janvier 2017, indiquent que 60 % des Français sont favorables à la PMA, pourcentage en nette progression par rapport aux années 1990.

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'à l'heure actuelle il n'y a pas de discrimination quant à l'orientation sexuelle à l'égard des femmes homosexuelles, puisque – comme le CCNE l'a rappelé – la situation est différente, et explique la différence de traitement. Nous pouvons effectivement retenir cet argument pour la GPA. Une crainte existe de passer de la PMA à la GPA, du fait de cet argument de non-discrimination. Là encore, la situation est différente, puisque les femmes ont un utérus et les hommes n'en ont pas ; il n'y a donc pas de discrimination à autoriser dans un cas la PMA et à refuser dans l'autre la GPA.

Ma question est la suivante. Vous insistez sur l'importance du père, engagement qui est d'ailleurs récent. Quelles sont les caractéristiques genrées que vous pensez essentielles et intrinsèquement liées au père ou à ses compétences, qui feraient défaut dans le cas d'un couple de femmes ? Comment justifiez-vous ces caractéristiques et leur nécessité dans l'éducation et l'épanouissement d'un enfant ?

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Madame la présidente, messieurs les représentants de La Manif Pour Tous, je souhaiterais revenir sur deux points. Comme l'indiquait M. Bazin, depuis le début de votre mouvement, vous avez insisté sur une corrélation inexorable entre mariage pour tous, PMA et GPA. Pourriez-vous revenir sur ce point, souvent mentionné dans les débats sur la loi Taubira ? En effet, l'étanchéité entre les trois sujets n'est pas garantie.

Deux souffrances se font face : la souffrance de l'adulte, qui peut avoir un désir d'enfant, et la souffrance de l'enfant, qui ne connaîtra pas son père. La question est alors de savoir quelle souffrance choisir. Dans votre intervention de ce matin, vous dites que l'enfant est le plus vulnérable et qu'il mérite davantage de protection. Pourriez-vous nous exposer les arguments en présence ? La vulnérabilité de l'enfant n'implique-t-elle pas une asymétrie quasi consubstantielle ?

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Selon Mme la députée, j'aurais dit qu'autrefois les pères ne s'occupaient pas de leurs enfants. Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

J'ai dit qu'aujourd'hui des pères s'occupent plus de leurs enfants qu'auparavant. Nous ne sommes pas passés d'un extrême à l'autre. Une évolution se constate chez certains pères ; nous nous en réjouissons.

Vous parlez d'enfants « névrosés » qui défileraient dans la rue. Je ne pense pas que les personnes qui défilent dans la rue soient plus ou moins névrosées que le reste de la population. Je vous remercie au passage pour cette aimable remarque.

Vous dites que vous allez enfin offrir une filiation double à tous ces enfants. Pardonnez-moi, je suis un peu perplexe. Les accidents de la vie font que parfois, malheureusement, et depuis toujours, des enfants naissent de père inconnu. Cependant, de manière générale, les enfants sont reconnus et ont une double filiation. Il n'existe pas d'enfant qui ne soit issu d'un homme et d'une femme. Je suppose que vous vouliez dire qu'actuellement, pour les couples de femmes, l'une des mères est reconnue comme mère de l'enfant, et que l'autre mère n'est pas inscrite à l'état civil. L'adoption plénière, depuis la loi Taubira, permet à l'épouse de la mère d'être également liée à l'enfant. Cela étant dit, du point de vue de la filiation, le fait est qu'il y a une mère et une belle-mère. Cela a toujours existé. Un parent a un conjoint, ce conjoint n'est pas lié par une filiation au sens où nous l'entendons, et est donc un beau-père ou une belle-mère. Cela n'a rien de nouveau et n'est pas insécurisant pour l'enfant. En revanche, ce qui peut mettre en difficulté la sécurité de l'enfant, c'est d'être né d'un père inconnu.

Vous dites être favorable à l'accès aux origines. Je m'en réjouis, mais je ne pense pas qu'un dossier remplace un père, surtout quand l'enfant n'apprend, à dix-huit ans seulement, que quelques éléments médicaux, voire un prénom ou un nom. Il ne pourra pas pour autant trouver ou retrouver un père. Je note par ailleurs que des associations qui militent pour la PMA en l'absence de père sont également opposées – et je m'en étonne – à la levée de l'anonymat du don de gamètes. J'avoue ne pas comprendre.

Je souhaite aussi répondre sur la question des discours de haine. Comme M. Chiche est intervenu sur ce point, j'aborderai cette question dans les réponses que je lui ferai. Monsieur Chiche, vous dites condamner le fait que nous intervenions ce matin. Je n'ai que peu de commentaires à faire sur votre refus du débat.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Vous avez employé le mot « condamner » ; vous refusez donc le débat, l'écoute, le dialogue. Cela n'engage que vous. Pour un député de la nation, c'est extrêmement grave et regrettable.

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Moi aussi, je trouve tout cela regrettable.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Vous évoquez la question du programme. Encore une fois, les propos des candidats, lors des législatives, et du bureau de La République en Marche, qui datent de quelques semaines, ne sont pas le programme d'Emmanuel Macron, tel que je l'ai évoqué…

M. Guillaume Chiche manifeste sa désapprobation.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Ce point est incontestable. Vous parlez de lobbying. Beaucoup d'associations adressent des documents à Mmes et MM. les députés, puisqu'ils sont les représentants de la nation. Nous le faisons aussi, et je ne vois pas où réside le problème. Le document que vous évoquez n'est pas une réinterprétation ou une critique des documents du CCNE. Je constate que j'ai souvent cité ce Conseil ce matin. Si vous ouvrez ce document, monsieur Chiche, puisque vous en avez beaucoup parlé dans les médias, vous constaterez qu'il ne s'agit pas d'un argumentaire…

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

…mais d'une compilation d'extraits, d'un document extrêmement complet sur ce que les Français ont exprimé, car – au contraire de ce que vous pensez – ce qu'expriment les Français est intéressant, important, et mérite d'être écouté.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Toutes les opinions méritent cette écoute, et elles sont ici toutes reprises.

En termes d'influence médiatique, vous faites les réponses ! C'est bien vous qui semblez avoir des difficultés avec le débat, avec le dialogue, peut-être avec la démocratie. Il faudra probablement y réfléchir.

Nous dites que nous salissons, que nous portons un discours de haine, et vous établissez une distinction avec les associations familiales. Pour votre information, l'Union nationale des associations familiales (UNAF), qui représente 7 000 associations familiales et 700 000 familles adhérentes, a exprimé comme nous son opposition à l'idée de légaliser la PMA en l'absence de père pour enfant.

Nous rencontrons parfois chez certains un refus du débat. C'est un fait que, pour éviter et empêcher le débat, des accusations sont portées contre nous. Un proverbe dit : « Si tu veux tuer ton chien, dis qu'il a la rage. » C'est ce que vous faites. Vous refusez le débat et vous nous accusez de haine et d'obscurantisme. Concernant les études scientifiques, le fait est que j'ai cité le CCNE. Trouvez-vous le CCNE obscurantiste ? Ce n'est pas mon cas.

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Madame, le CCNE mène-t-il des études scientifiques ?

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Monsieur Chiche, je vous invite à écouter les réponses, comme vos collègues, s'il vous plaît.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Concernant les États généraux de la bioéthique, vous parlez de sifflets, de huées et de noyautage. Soyons très clairs. Un grand nombre de médias ont assisté aux débats. Que je sache, aucun n'a évoqué de débat houleux ou difficile. Je n'en ai pour ma part jamais entendu parler. Deux incidents ont eu lieu, le premier à Lyon, où la représentante d'une association, Mme Streb, a été empêchée de parler par des sifflets venant de militants du Planning familial, sauf erreur de ma part. Elle n'a pas pu s'exprimer. Un autre incident a eu lieu à Sciences Po. Une banderole militante en faveur de la PMA ou de la GPA a été déployée. Voilà les deux seuls cas. Autrement – et M. Delfraissy s'en est beaucoup félicité, tout comme nous –, les débats se sont très bien déroulés et ils ont été par ailleurs d'une ampleur inédite.

Vous abordez la question de l'homophobie. Nous avons toujours condamné toute forme d'homophobie. Tout manque de respect à l'égard des personnes en raison de leur orientation sexuelle nous scandalise et nous heurte. En revanche, et je vous prie de ne pas faire d'amalgame, nous avons le droit de ne pas être d'accord avec les revendications des associations LGBT. Ne pas être d'accord, est-ce être homophobe ? Quel amalgame ! Vous faites ensuite un amalgame avec des attaques épouvantables et scandaleuses qui ont eu lieu ces derniers temps. Attendons d'identifier les auteurs de ces attaques d'une part, et, d'autre part, ce n'est pas parce que des violences homophobes ont lieu qu'il est légitime de faire violence à des enfants en les privant volontairement de père. Je ne vois ni le rapport ni la signification d'un tel rapprochement.

Vous citiez M. Jean-Marie Andrès, qui est intervenu au cours de notre université d'été. D'autres intervenants étaient présents, dont M. Dominique Reynié, qui est absolument favorable à la PMA sans père. Il a pu s'exprimer normalement, car nous acceptons le dialogue. Chaque intervenant tient des propos qui n'engagent que lui-même, et nous ne sommes pas toujours d'accord avec ce qui est exprimé. Chacun est responsable de ses propos.

Vous évoquez ce visuel « Après les légumes OGM, les enfants à un seul parent. » Ne soyons pas naïfs. En publicité, faire des parallèles est courant et banal. Le fond de la question posée, très importante – vous l'avez ensuite évoquée –, est l'écologie. À juste titre, nous veillons sur notre environnement, sur la faune et sur la flore ; ne serait-il pas temps de se poser les mêmes questions pour l'être humain ? Voilà la question qui était posée. Elle me semble fondamentale.

Madame Janvier, vous évoquiez le sondage paru dans La Croix en janvier 2018, qui indiquait que 60 % des personnes étaient favorables à la PMA en l'absence de père pour l'enfant. Au mois de janvier également, un autre sondage IFOP est paru. Il disait que 64 % des Français pensaient que l'État devait garantir à l'enfant né de PMA d'avoir un père et une mère. La même question a été posée dans un autre sondage, il y a quelques jours : ce pourcentage est passé à 82 %. Que signifie ce paradoxe apparent ? Considérons l'ensemble des sondages. Quand on nous demande si nous sommes favorables à un nouveau droit, nous acquiesçons tous très volontiers ; mais quand on évoque des points plus concrets, et notamment l'enfant, qui est le premier concerné par la PMA, les personnes sondées réalisent les implications de leurs propos, et une partie d'entre elles, change de position. Ces opinions évoluent très nettement, sans doute à cause des débats, en faveur de l'idée que l'enfant né de PMA a le droit d'avoir un père et une mère.

En ce qui concerne l'engrenage PMA-GPA, vous dites que la PMA pour toutes n'implique pas la GPA. Nous constatons simplement un effet domino ; M. Hetzel l'évoquait aussi. Je ne fais que des constatations. On a dit, lors du débat sur le pacte civil de solidarité (PACS), que le PACS n'impliquait pas le mariage ; lors du débat sur le mariage, que le mariage pour tous n'impliquait pas la PMA ; aujourd'hui, que la PMA n'implique pas la GPA. Demain, on nous dira que la GPA n'implique pas la GPA commerciale. C'est un fait. Si nous sommes capables de nier, aujourd'hui, que les enfants ont besoin d'un père, nous nierons demain que la GPA est une exploitation de la femme. Hélas, c'est aussi simple que cela. C'est pourquoi nous devons nous en tenir au motif médical concernant l'AMP. J'ai montré qu'avec la PMA sans père, la PMA post mortem, etc., la médecine sortait de sa finalité et devenait une prestation de service pour répondre à nos désirs individuels, lesquels sont illimités, et très souvent compréhensibles. Nous ne saurons pas nous arrêter.

Quant à la caractéristique genrée du père, c'est une question très intéressante. Je n'ai pu la développer tout à l'heure. J'ai envie de vous renvoyer la balle et de vous demander de nous montrer que père et mère sont identiques et interchangeables. Si nous posons la question à l'envers, nous comprenons qu'il n'est pas possible de répondre, car père et mère sont différents. Il est très difficile de donner ces caractéristiques, car chaque être humain est unique. Les généralités conduisent vite aux stéréotypes. J'évoquerai deux points.

Les personnes victimes d'attouchements sexuels se disent atteintes dans leur « intégrité ». Elles disent combien ces faits sont graves. Nous constatons ainsi que le sexe est bien une dimension fondamentale de notre être. Nous sommes bien dans l'être, et non dans le faire, ou dans l'avoir. La question de l'identité sexuelle est constitutive de notre être, ce qui rend difficile la définition de ce que sont un père et une mère.

Je vous donnerai un exemple très concret, où beaucoup se reconnaîtrons. Quand une mère joue avec son enfant, elle joue à le faire gagner ; c'est ce qui lui fait le plus plaisir. Un père – souvent, mais pas toujours –, quand il joue avec son enfant, veut gagner ; c'est là qu'est son plaisir. D'un côté l'enfant expérimente la sécurité, de l'autre le challenge, qui participe aussi de l'apprentissage de la vie. L'enfant a besoin d'un amour inconditionnel et doit aussi apprendre la vie. Cet exemple peut illustrer ce qui fait la différence profonde dans l'être père et l'être mère.

Par ailleurs, au moment de la naissance d'un enfant, la mère l'a porté pendant neuf mois. Elle le met au monde. Une fusion toute naturelle existe entre la mère et l'enfant. Nous savons que le nourrisson ne sait pas qu'il se distingue de sa mère. Dans cette fusion, une tentation de toute-puissance de la mère est possible. Elle a besoin d'un tiers légitime, puisqu'il est lui aussi le parent de l'enfant, c'est-à-dire du père, à la fois extérieur et légitime, pour entrer dans ce duo. Ce duo devient alors un trio. Le père, incontestablement, ouvre à l'extérieur. L'un dira qu'il pourrait s'agir d'une autre personne. Cependant, dans la relation amoureuse qu'elle a avec le père, la mère reconnaît l'importance de son conjoint. Elle reconnaît aussi la légitimité du père comme père de l'enfant. Quand on imagine deux mamans autour d'un berceau, on se rend compte que ce n'est pas si simple. On peut faire courir un risque à ces femmes, dans leur intimité. D'une part, l'une se sait être la mère car elle a porté la vie ; d'autre part, l'autre ressent intérieurement qu'elle n'a pas porté l'enfant, ce qui peut être une difficulté. Un article de Slate traite de ces difficultés potentielles.

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Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif Pour Tous

Quant à l'intérêt supérieur de l'enfant, ce dernier est entièrement dépendant des adultes – c'est le propre de l'être humain –, en l'occurrence des décisions de la société, que vous, législateurs, pouvez prendre de manière générale. L'enfant est vulnérable. Toute sa vie dépend de nos décisions. Cette vulnérabilité impose avant tout de veiller sur lui.

L'audition s'achève à onze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 9h40

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Patrick Hetzel, Mme Caroline Janvier, M. Alain Ramadier, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti

Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Marc Le Fur, M. Maxime Minot, M. Laurent Saint-Martin