Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 10h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures 05.

Présidence de Mme Muriel Ressiguier, présidente.

La commission d'enquête entend en audition M. Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur.

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Mes chers collègues, la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite poursuit ce matin ses travaux par l'audition de M. Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.

Votre parcours, monsieur Nuñez, nourrira nos échanges en de nombreux points. Vous avez une longue expérience au sein du corps préfectoral, notamment en tant que préfet de police des Bouches-du-Rhône entre 2015 et 2017. Vous êtes secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur mais vous avez aussi été directeur général de la sécurité intérieure. Votre expérience de la sécurité sur le plan territorial ainsi que votre vision d'ensemble des risques sécuritaires liés à ces groupes, contribueront à nous éclairer.

L'audition de ce matin va s'articuler autour de la réponse administrative aux agissements de groupuscules, la surveillance de ces groupes et l'étendue des pouvoirs de l'autorité administrative.

Cette réunion ouverte à la presse fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Son enregistrement sera disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale. Dans son rapport, la Commission pourra décider de citer tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition.

Avant de vous poser une première série de questions, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Laurent Nuñez prête serment.

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J'en viens donc aux quelques questions liminaires auxquelles vous aurez la possibilité de répondre au cours d'un exposé d'une quinzaine de minutes.

S'agissant de l'état des lieux, que sait l'administration de la situation de ces groupuscules ? Quel est leur nombre estimé ? Quelles sont les procédures que vous avez l'habitude de suivre pour surveiller ces groupes et les membres qui ont déjà été condamnés ?

Quels sont le niveau et la ventilation des moyens budgétaires et humains consacrés par le ministère de l'intérieur à la lutte contre ces groupuscules ? Dans les décrets de dissolution pris en conseil des ministres, on remarque l'usage systématique de la mention du deuxième alinéa de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qui fait référence à la dissolution des groupes de combat et des milices privées. Pourquoi ne pas utiliser davantage l'alinéa 6 du même article, qui permet de dissoudre les groupes qui provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence ? Cette caractérisation est-elle plus difficile à établir, notamment eu égard à l'obtention de preuves ?

En ce qui concerne l'état actuel du droit, les dispositions législatives existantes, notamment l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ainsi que l'article 431-15 du code pénal qui punit la reconstitution de groupes dissous, vous paraissent-elles suffisantes pour lutter contre les groupuscules ?

Vous avez la parole, monsieur Nuñez.

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Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, avant d'entrer au Gouvernement j'ai été directeur général de la sécurité intérieure, numéro deux de la préfecture de police de Paris – donc en charge d'un service de renseignement – et numéro un de la préfecture de police de Marseille. Ce parcours fait que je connais bien les règles qui entourent le secret de la défense nationale. Cette audition se rapporte à des sujets sur lesquels travaillent un certain nombre de services dont les productions et les actions sont couvertes par le secret de la défense nationale. Il y a des choses que je pourrai dire. Il y en a d'autres que je ne pourrai pas révéler pour ne pas m'exposer à des poursuites au titre de la compromission. Il y a aussi des éléments dont je ne pourrai pas parler pour des raisons opérationnelles : des procédures de police administrative – notamment de dissolution – et des procédures judiciaires sont en cours. En matière de lutte contre les mouvements extrêmes, l'entrave est administrative mais elle peut aussi être judiciaire compte tenu de l'urgence à agir. Nous devons donc être extrêmement prudents pour ne pas compromettre des investigations en cours.

Après ce préambule, je voulais vous remercier, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir convié à parler de ce fléau que sont les groupuscules extrémistes. Le périmètre retenu par le Gouvernement pour y faire face englobe tous les groupes et mouvements qui ne respectent pas les principes démocratiques et qui sont susceptibles de porter atteinte à nos institutions, notamment par des actions violentes. Ce périmètre englobe des idéologies véhiculées à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, en particulier celles qui prônent le racisme, l'antisémitisme et celles qui encouragent le recours à la violence.

S'agissant de l'extrême droite radicale, seuls les groupuscules ou les individus embrassant un socle commun – racisme, antisémitisme et xénophobie – et qui sont porteurs d'un projet violent – c'est-à-dire ceux qui, par la subversion violente, visent à attenter à l'intégrité physique des personnes ou à la pérennité des institutions – font l'objet d'une surveillance étatique. La frontière entre ce qui relève du monde politique et ce qui relève du domaine de la subversion violente est parfois ténue. Lors des investigations, nous devons veiller à bien respecter cette frontière. C'est une exigence démocratique. Les services de renseignement, qui suivent ces mouvements et qui sont placés sous l'autorité exclusive du ministère de l'intérieur, s'intéressent moins à la radicalité des opinions politiques qu'à la radicalité des comportements afin de prévenir des troubles à l'ordre public ou des actions violentes.

La lutte contre les groupuscules est un sujet d'actualité permanente. L'apparition de mouvements d'ultras dans la vie publique ou politique et sur la voie publique peut prendre des formes diverses et variées. Certains participent à des manifestations de voie publique pour y commettre des exactions. C'est l'une des formes auxquelles nous sommes actuellement confrontés, mais ce phénomène n'est pas nouveau. Depuis plusieurs années, des groupes extrémistes infiltrent des cortèges de manifestants, provoquent des violences, des dégradations, de la peur. La violence peut s'exprimer dans d'autres types d'actions sur lesquels nous reviendrons. Autre dimension importante de la vie de ces groupuscules d'ultradroite : l'opposition inhérente et violente entre eux et à l'égard des groupes d'ultragauche. Nous avons pu constater cette opposition violente lors de manifestations récentes mais aussi dans le cadre de dégradations de locaux ou de rixes sur la voie publique.

Le reste de mon propos introductif se décomposera en trois points : les mouvements d'extrême droite et d'ultradroite et leur idéologie ; leurs différents types d'action ; les moyens dont l'État dispose pour les contrer. Je vais rester concis mais je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, même si je ne pourrai pas m'étendre sur les techniques opérationnelles utilisées pour lutter contre ces groupes. En revanche, nous pourrons revenir sur le dispositif juridique que vous avez évoqué, madame la présidente, et notamment sur son caractère perfectible ou non.

Dans les groupes auxquels s'intéresse votre commission, on distingue plusieurs familles : les néo-nazis et les skinheads, les néo-populistes, les ultra-nationalistes, les identitaires. Dans cette dernière famille, nous rangeons ceux que l'on appelle les survivalistes, qui, dans la clandestinité, se préparent au cas où notre pays tomberait dans l'islamisme. Ils se préparent à s'opposer, au besoin par la violence, à cette évolution qu'ils pressentent. Des groupes de cette mouvance ont donné lieu à des actions de police judiciaire au cours de l'année 2018.

Ces groupes ont quelques points communs.

Le premier, qui fonde la compétence des services de renseignement et de police, est la violence. Elle est souvent intrinsèque à leur idéologie, à leur propagande, aux thématiques de leurs réunions ou de leurs entraînements. Il leur arrive de porter la violence aux nues. Elle est souvent un moyen de recrutement et d'identification au sein du groupe.

Deuxième point commun : la haine. C'est le plus petit dénominateur commun de tous ces groupes qui sont le plus souvent animés par les clivages et la division. Cette caractéristique nous amène à l'alinéa 6 de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, que vous citiez, madame la présidente. C'est l'un des éléments pouvant justifier le recours à cette disposition légale mais ce n'est pas le plus facile à établir. L'appel à la haine est souvent fondé sur des considérations racistes, xénophobes, antisémites. On constate aussi une haine de l'État ou de l'autorité.

Troisième point commun : ces groupes sont rivaux entre eux et à l'égard d'autres groupes violents d'extrême gauche. Il ne règne pas forcément une grande cohésion dans ces rangs-là. On peut comprendre la rivalité entre l'ultragauche et l'ultradroite, mais elle peut exister au sein des mouvements d'ultradroite. On assiste parfois à des règlements de comptes assez violents contre les opposants idéologiques. C'est d'ailleurs l'un des moteurs importants de l'action de ces groupuscules d'ultradroite. Je dois dire que l'on observe exactement la même chose dans la mouvance d'ultragauche.

Quatrième et dernier point commun : leur communication et leur propagande se font essentiellement sur internet ou par le biais des réseaux sociaux.

Quelle est la nature des actions commises par ces groupuscules ? Le constat est assez clair : on observe surtout des actes de violences volontaires et des dégradations. On peut d'ailleurs établir une typologie des affaires provoquées par les groupuscules et des raisons de leur passage à l'acte. Il va s'agir de rixes entre groupes antagonistes, de dégradations de biens privés – par exemple de locaux d'opposants ou d'associations pro-migrants –, d'outrages ou d'actes de rébellion dirigés vers les forces de l'ordre, d'agressions racistes. Les dégradations de biens sont parfois revendiquées. Les actes de violence peuvent être commis en marge de manifestations, comme ce fut le cas le 1er décembre 2018, à l'occasion du mouvement des « Gilets jaunes ».

Certains groupuscules ont préparé des actions plus violentes qui s'apparentent à des actions de type terroriste. Depuis environ un an et demi, des procédures judiciaires ont été engagées à l'encontre d'individus appartenant à ces mouvances et qui projetaient des actions violentes. Je ne pourrai pas m'étendre sur ces affaires judiciaires mais je peux rappeler celles qui ont été évoquées par la presse. Dans le Sud de la France, un jeune garçon a été interpellé avec un groupe qui projetait d'agir contre des cibles, notamment des élus. Une procédure a été engagée au plus vite pour essayer d'y voir plus clair. En 2018, deux affaires ont été médiatisées. Dans l'Est de la France, un individu a été interpellé alors qu'il se rendait sur l'itinéraire que devait suivre le Président de la République au moment des commémorations du 11 novembre. En juin 2018, des individus ont été interpellés alors qu'ils envisageaient un passage à l'action violente contre des imams salafistes ou des boutiques halal. Dans la première de ces trois affaires, on est confronté à un individu qui a fréquenté les formations d'ultradroite. Dans les deux autres, nous avons plutôt affaire à des survivalistes qui s'organisent pour être en mesure de réagir le jour où, comme ils le pensent, les islamistes auront conquis notre pays. Ces préparatifs peuvent inclure des actions violentes. Je vais revenir sur ces procédures judiciaires en cours au moment où j'aborderai l'entrave et la manière dont on met un terme à ces projets d'actions violentes.

Que faisons-nous ? On ne peut pas dissoudre un mouvement seulement en raison de son idéologie, s'il respecte la loi. La liberté d'expression et la liberté d'association sont deux principes fondamentaux de la République, qui sont aussi reconnus par le droit international, je pense en particulier à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il faut donc des raisons sérieuses de menaces de trouble à l'ordre public pour permettre la dissolution d'une association. Des critères jurisprudentiels illustrent ce que sont ces raisons sérieuses de penser qu'il y a une menace de trouble à l'ordre public.

Les services de renseignement ont une stratégie pour prévenir la violence des groupuscules extrémistes de droite comme de gauche. Un suivi extrêmement strict des activités de ces groupuscules est effectué au niveau national et, en lien avec les préfets, au niveau local. Il permet de détecter des menaces et de prévoir d'éventuelles mobilisations. Nous sommes également dotés d'outils de surveillance sur internet et les réseaux sociaux, notamment en milieu ouvert.

Nous menons une action de renseignement, de documentation sur la vie de ces mouvements, leur intérêt, leur mobilisation, le type d'actions envisagées. Ce travail est effectué par plusieurs services français qui relèvent tous du ministère de l'intérieur et dont la particularité est d'échanger en permanence de l'information sur ces thématiques. Ils suivent des individus et des groupements, des structures. Ce travail est couvert par le secret de la défense nationale.

Dans certains cas, ce travail de renseignement peut conduire les services de police mais aussi de gendarmerie à procéder à une judiciarisation. S'ils considèrent que les éléments matériels recueillis sont suffisamment probants, ils saisissent un juge plutôt que d'aller vers une procédure administrative de dissolution ou d'entrave. Quand les éléments matériels laissent à penser que des individus sont sur le point de commettre une action violente, on en vient à l'entrave judiciaire qui permet de les mettre hors d'état de nuire.

Nous luttons avec la même vigueur contre tous les extrémismes et toutes les violences. Quelle que soit l'idéologie qui sous-tend les actes ultra-violents, un cocktail Molotov reste un cocktail Molotov, des abribus détruits restent des abribus détruits, les blessures commises restent des blessures commises. La violence des divers groupuscules obéit à des dynamiques très semblables. Ce sont en réalité les deux faces d'une même pièce, même si les idéologies sont à l'opposé. Ces groupes ont parfois les mêmes modes opératoires, les mêmes techniques de dissimulation, les mêmes procédés pour faire déraper une réunion ou une manifestation. Il n'y a pas de méchants ultra-violents ou de gentils ultra-violents. Il y a une mouvance ultra qui nous préoccupe et, en tant que républicains, nous devons unir nos efforts pour les stopper.

Au cours de la discussion, nous pourrons revenir sur ce qui a été fait par le passé. En 2013, plusieurs groupes – L'Œuvre française, Troisième Voie et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires – ont été dissous. Cette procédure a son efficacité, elle a porté ses fruits et eu un réel impact.

Dans le monde de l'ultradroite, il y a les mouvements et les individus. Les services de renseignement se préoccupent des deux. En Norvège, un attentat très meurtrier a été perpétré par Anders Breivik, un homme qualifié de « loup solitaire », expression que je n'aime pas beaucoup en tant qu'ancien professionnel du renseignement et des services de police. Les services de renseignement français n'écartent pas la possibilité qu'un individu de la mouvance ultra puisse passer à l'action de manière un peu isolée. C'est une vraie préoccupation. Dans l'une des trois affaires que j'ai précédemment évoquées, le dossier a été judiciarisé parce que nous craignions que l'individu passe à l'action de cette manière, notamment parce qu'il étalait sur les réseaux sociaux son admiration pour Anders Breivik. Dans l'ensemble de ces groupes – c'est vrai aussi pour la mouvance ultragauche et anarcho-autonome –, il y a des individus qui baignent dans une philosophie de violence et qui peuvent connaître une dérive individuelle. Nous devons être capables de détecter le phénomène le plus rapidement possible.

Voilà ce que je voulais dire en introduction. Encore une fois, je m'excuse par avance si je ne peux pas répondre à certaines de vos questions. En tant que secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, je suis l'un des premiers à devoir respecter le secret de la défense nationale. Quand on ne le fait pas, on s'expose à des sanctions pénales. En tant que responsable au ministère de l'intérieur, je dois veiller à ce que mes propos n'affectent pas certaines procédures très opérationnelles, administratives ou judiciaires. On ne peut pas tout se dire. Quoi qu'il en soit, je vous remercie de votre attention.

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Nous avons parfaitement conscience qu'il ne vous est pas possible de tout dire ici. Si nous avons besoin de vous réentendre de manière plus confidentielle, nous le ferons. En tout cas, je vous remercie pour votre présentation et pour tous les éléments que vous pourrez nous apporter.

J'aimerais que vous reveniez sur les moyens humains et financiers dont vous disposez. Quels sont-ils et, à votre avis, sont-ils suffisants ?

J'avais une question sur les sites internet. La semaine dernière, nous avons auditionné des chercheurs spécialisés, notamment l'historien Stéphane François. Il nous a signalé l'existence de sites nazis tels que « Devenir européen » qui a été signalé plusieurs fois depuis 2011. Quelles difficultés rencontrent vos services pour le traitement de ces signalements ?

Depuis 2009, il existe un outil qui permet de dénoncer l'expression du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie : la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS). Cette plateforme est gérée par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC). Pourquoi cet office ne fournit-il pas un rapport d'activité relatif à PHAROS et aux suites données aux différents signalements ? Est-il envisageable qu'il le fasse ? Pouvez-vous nous donner votre avis sur cet outil, sur les évolutions éventuelles dont il pourrait faire l'objet ?

De quels éléments pouvez-vous nous faire part concernant le financement de ces groupuscules d'extrême droite ?

La semaine dernière, nous avons aussi auditionné Nicolas Lebourg. Il a appelé notre attention sur les implantations et le financement des groupuscules d'extrême droite et sur les études menées par les services de renseignements, qui sont déposées aux archives nationales. Apparemment, le ministère de l'intérieur rend difficile la consultation de ces documents pour la période post-1980. Y a-t-il une raison particulière à cela ? Existe-t-il des synthèses de ces données ? Utilisez-vous ces études ? Si oui, de quelle manière ?

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Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Il m'est impossible de vous répondre précisément sur la question des moyens humains et financiers engagés dans le suivi de la mouvance d'ultradroite. Je vais vous expliquer pourquoi, tout en essayant de vous rassurer.

Les agents qui travaillent sur cette mouvance travaillent, plus globalement, sur les mouvements dits de subversion violente au sein de divers services de renseignement, dont les trois principaux sont : la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris, le service central du renseignement territorial (SCRT) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Par ailleurs, certains services de police ou de gendarmerie exercent également une forme de suivi, souvent individuel. S'il est difficile de répondre précisément à votre question, c'est parce que, vous le voyez, ces agents ont des missions polyvalentes.

Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que les effectifs et les moyens budgétaires des services de renseignement ont considérablement augmenté au cours des dernières années, notamment depuis 2015. La DGSI, par exemple, connaîtra une augmentation budgétaire de 20 millions d'euros en 2019 par rapport à 2018, dont une grande partie sera consacrée au développement de nouvelles techniques. Par ailleurs, un engagement fort a été pris, celui de recruter 10 000 policiers et gendarmes sur l'ensemble du quinquennat, dont 20 % seront affectés aux services de renseignement.

La thématique qui nous réunit aujourd'hui demeure une thématique prioritaire pour les services de renseignement et je veux souligner qu'elle n'a jamais été abandonnée. Les attentats qui ont frappé notre pays ont certes fait de la menace terroriste une priorité, mais cela n'a jamais détourné nos services du suivi des mouvances d'ultradroite et d'ultragauche. Ce n'est pas trahir un secret que de dire que certains mouvements peuvent avoir des prolongements violents : je pense notamment à certains mouvements survivalistes. Les services de renseignement et de police ne sont pas les seuls à être impliqués dans le suivi de cette mouvance : c'est aussi le cas des services juridiques et, au sein du ministère de l'intérieur, de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), qui peut prendre des mesures d'entrave, voire de dissolution.

Les sites nazis font l'objet d'un suivi en milieu ouvert très assidu, le but étant évidemment d'obtenir une saisine judiciaire à chaque fois que des propos tombent sous le coup de la loi, ou d'engager des procédures administratives de dissolution. Les appels à la haine ou à la violence peuvent en effet justifier une dissolution, en vertu de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, que nous citions tout à l'heure. Nous surveillons ces sites de près et certains d'entre eux ont déjà été fermés à la suite d'une décision judiciaire. Je pense notamment au site « Démocratie participative ». La difficulté, c'est que ces sites se reconstituent souvent en un temps record, en se contentant de modifier une lettre ou un signe dans leur adresse.

Le Gouvernement réfléchit à ces questions, mais des initiatives peuvent aussi être prises au niveau européen : comme en matière de lutte antiterroriste, il s'agirait d'obliger ces sites à retirer des contenus dans un délai très bref. Un règlement relatif aux contenus terroristes va bientôt être examiné au niveau européen et nous pourrions imaginer de créer le même genre de dispositif pour lutter contre les contenus haineux, discriminatoires, ou incitant à la violence. Nous y travaillons, mais je répète que nous disposons déjà d'outils judiciaires qui nous permettent d'obtenir la fermeture de ces sites, à chaque fois que nous les identifions. L'autorité judiciaire peut décider d'un blocage, sur le fondement de l'article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Des mesures judiciaires peuvent également être prises sur le fondement de l'article 6-I de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. C'est à ce titre, je l'ai déjà indiqué, que le site Démocratie participative avait été bloqué depuis la France.

Au sujet des archives, vous m'avez demandé pourquoi les documents postérieurs à 1980 ne pouvaient être consultés. Cela est dû au statut de certains documents, qui ne peuvent être consultés qu'après un délai de cinquante ans, dans la mesure où leur communication porterait atteinte au secret de la défense nationale. Ces documents doivent d'abord faire l'objet d'une procédure de déclassification.

Vous m'avez également interrogé sur la plateforme PHAROS. Comme vous le savez, elle permet principalement à des internautes de signaler des contenus terroristes, des propos discriminatoires ou des appels à la haine, mais elle a aussi un fonctionnement autonome, dans la mesure où elle exerce une mission de veille. Le fonctionnement de cette plateforme est satisfaisant, puisque des signalements débouchent régulièrement sur des investigations judiciaires – je rappelle qu'elle est implantée auprès d'un service de police judiciaire – et qu'elle joue efficacement son rôle de veille sur internet, particulièrement sur les réseaux sociaux.

J'en viens à la question du financement. Ces groupuscules se financent à bas bruit et ne bénéficient pas de flux massifs d'argent, provenant par exemple de pays étrangers. Si tel devait un jour être le cas, je rappelle que nous disposons d'un certain nombre d'outils, qui sont déjà mobilisés dans le cadre de la lutte contre les subversions violentes : je pense notamment au traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, dit TRACFIN. J'ai omis d'évoquer, dans mon propos liminaire, une question sous-jacente, celle des connexions pouvant exister entre des mouvements d'ultradroite au niveau international – et cela vaut aussi pour l'ultragauche. Ces connexions existent et se traduisent notamment par une participation croisée à certaines manifestations, parfois violentes, et par des réunions. Elles donnent lieu à des échanges d'information entre États, ce qui est aussi une manière de lutter contre ces groupuscules.

Je crois, madame la présidente, avoir répondu à toutes vos questions. S'agissant du bilan de PHAROS, je pourrai, si vous le souhaitez, vous fournir à l'issue de cette réunion des données plus précises et chiffrées.

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Nous en venons aux questions des membres de la commission d'enquête, en commençant par celles du rapporteur.

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Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie pour votre exposé, à propos duquel j'aimerais vous poser quelques questions.

Dans quelle mesure les événements actuels, notamment le mouvement des gilets jaunes, amplifie-t-il l'influence de ces groupuscules ? On a constaté au cours des dernières années que, même si l'influence physique de ces groupuscules n'évolue pas, leur influence sur internet ne cesse de progresser. La propagande qu'ils mènent sur internet, notamment sur les réseaux sociaux, doit-elle nous faire craindre une augmentation de la population desdits groupuscules ? Voyez-vous, enfin, un moyen d'améliorer le cadre législatif actuel pour lutter plus efficacement contre ce phénomène ?

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Monsieur le secrétaire d'État, comme vous le savez, le périmètre de cette commission d'enquête a été volontairement circonscrit aux seuls groupuscules d'extrême droite – cela a été répété à plusieurs reprises par notre présidente. Il est indéniable que nous assistons, depuis quelques années, à une recrudescence préoccupante des actions menées par des groupes violents d'extrême droite. Lorsque certains d'entre eux sont dissous, ils se reforment aussitôt et l'État a du mal à neutraliser ces organisations.

À titre personnel, je ne peux néanmoins m'empêcher de penser que ce focus sur l'extrême droite, qui a d'ailleurs été critiqué au sein de notre commission d'enquête, témoigne d'une indignation sélective, voire d'une certaine hémiplégie intellectuelle. Il procède d'un biais idéologique persistant, selon lequel certains groupes extrémistes, de type « Black Blocs » ou « antifa », mériteraient davantage de compassion ou de compréhension. On constate cependant des convergences entre groupuscules d'extrême droite et groupuscules d'extrême gauche sur un grand nombre de sujets : remise en cause de la démocratie, défiance vis-à-vis de la République, utilisation de poncifs antisémites éculés pour dénoncer le « système », haine d'Israël, antisionisme ou « nouvel antisémitisme ». Nous avons tous à l'esprit cette rhétorique complotiste et commune, qui s'exprime par exemple dans les slogans évoquant la banque Rothschild et le passé du Président de la République au sein de cette banque. Or ces éléments de langage émanent aussi bien de l'extrême droite que de l'extrême gauche. J'ai apporté une photographie prise lors d'un défilé de Gilets jaunes, où l'on voit côte à côte un militant de l'Action française tenant un drapeau tricolore orné du Sacré-Coeur et un militant « antifa » portant un drapeau à l'effigie de Che Guevara. En politique, je ne crois pas aux coïncidences.

Pour moi, l'incitation à la haine et à la violence politique n'ont pas leur place dans la République. Or le déchaînement de violence invraisemblable qui a lieu en marge du mouvement des gilets jaunes émane aussi bien de l'extrême droite que de l'extrême gauche et, n'en déplaise à certains, je les renvoie dos à dos – comme vous l'avez également fait, monsieur le secrétaire d'État. Chacun doit balayer devant sa porte. Sur internet, la « dieudosphère » et ses « quenelles » fait d'ailleurs la jonction entre la « fachosphère » et la « gauchosphère ». Je ne rappellerai pas que la menace la plus grave pour l'ordre républicain provient aujourd'hui de l'islam militant et radical, qui prospère dans les quartiers grâce à la complicité de la gauche radicale – quand celle-ci ne fraie pas carrément avec lui. On a vu tout récemment le parti des Indigènes de la République s'allier aux « Black Blocs ».

Monsieur le secrétaire d'État, j'ai deux séries de questions à vous poser.

Premièrement, quelle menace ces groupuscules d'extrême droite représentent-ils exactement et quels sont les signes de convergence avec les groupes de la gauche radicale ?

Deuxièmement, dans le prolongement des questions de la présidente, comment peut-on mieux lutter contre l'incitation à la haine sur internet ? La crise des gilets jaunes a été l'occasion de rappeler que ces mouvances prospèrent sur internet, qu'il s'agisse de la fachosphère, de la « gauchosphère » ou de la « dieudosphère ». Parmi les dix sites politiques les plus consultés, sept sont liés à l'extrême droite. Le site « Égalité et réconciliation », du polémiste antisémite et antirépublicain Alain Soral est le 273e site le plus visité de France, et le premier site politique. Le problème, c'est que ces sites, qui sont légaux, renvoient à des plateformes situées à l'étranger et qu'ils échappent ainsi aux décisions administratives de fermeture. Ce fut le cas du site antisémite « Démocratie participative », dont il a déjà été question. Dispose-t-on aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'État, d'outils efficaces pour combattre et endiguer l'incitation à la haine sur Internet ?

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J'aimerais revenir un instant sur le périmètre de cette commission d'enquête. Certains d'entre vous regrettent qu'il ne soit pas plus large, mais je rappelle que nous nous intéressons uniquement aux groupuscules d'ultradroite qui, selon nous, ont des caractéristiques propres. Libre à vous d'ouvrir une commission d'enquête sur d'autres sujets, mais je voudrais que l'on s'en tienne au périmètre que nous avons défini.

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Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour les informations que vous nous avez données, notamment pour nous avoir dit que votre action de surveillance et de lutte concernait aussi bien les groupuscules d'extrême droite que d'extrême gauche. Même si Mme la présidente vient de rappeler que le périmètre de la commission d'enquête se limite aux groupuscules d'ultra droite, je veux à mon tour insister sur la porosité qui peut exister entre l'ultragauche et l'ultradroite. Ce que nous voulons combattre, ce sont toutes les formes de violences racistes, antisémites et xénophobes, comme celles qui sont dirigées contre nos institutions et contre la République.

Je voulais d'abord revenir sur le site « Démocratie participative », dont notre collègue Meyer Habib a dit qu'il était antisémite : j'ajoute qu'il est également raciste. Comme mes collègues Laurence Gayte, Huguette Tiegna et Jean François Mbaye, j'ai été la cible d'attaques et de menaces très violentes publiées sur ce site. Interdit à trois reprises à la suite d'une saisine judiciaire, il a revu le jour à chaque fois. Il semble donc que les moyens dont nous disposons soient insuffisants. Pourriez-vous nous donner des conseils pour améliorer la législation en la matière ?

Je voulais également vous interroger sur la frontière, dont vous avez rappelé qu'elle pouvait être ténue, entre l'action politique et le risque d'action violente. Vous avez indiqué que les services de renseignement avaient pour mission d'éviter les actions violentes. Il se trouve que le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), qui appelle au boycott d'Israël et qui est sanctionné par la loi, passe régulièrement à l'action violente : il a essayé d'empêcher un spectacle de danse à l'Opéra de Paris et saisit régulièrement des marchandises israéliennes dans des supermarchés, en exerçant des pressions sur le personnel. Comment peut-on empêcher ce type d'action et pourquoi ne le fait-on pas systématiquement ? Ce mouvement organise des rassemblements toutes les semaines place de la République et il semble qu'on le laisse faire. Si tel est le cas, est-ce pour éviter des débordements plus importants ?

Je voulais revenir, enfin, sur la porosité entre l'ultragauche et l'ultradroite : le mouvement des gilets jaunes a montré qu'il peut y avoir des rapprochements entre les deux mouvances. Vous avez surtout parlé de leur affrontement, mais j'aimerais savoir si vous avez aussi constaté des rapprochements, une connivence, voire des actions communes entre des groupuscules d'extrême gauche et d'extrême droite.

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Vous essayez à nouveau de modifier le périmètre de notre commission d'enquête. Je comprends ce qui vous pousse à le faire, mais je rappelle que si nous avons défini ce périmètre, c'est parce que l'ultradroite présente, selon nous, des spécificités – antisémitisme, xénophobie, racisme, homophobie, sexisme… – et une stratégie de violence dirigée contre les individus. Nous sommes un certain nombre de parlementaires à avoir été menacés, comme le Président de la République ou le ministre de l'intérieur. Je vous invite donc, à l'avenir, à respecter le périmètre de notre commission d'enquête, y compris dans les réponses qui seront faites aux questions.

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Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué brièvement la dimension transnationale, à la fois de la coopération entre l'ultradroite française et d'autres groupes d'ultradroite européens, et de la réponse de nos services de renseignement et de nos ministères. Pourriez-vous nous donner des détails sur cette question, par exemple sur les liens entre l'ultradroite française et l'ultradroite italienne ? Des actions conjointes ont-elles déjà été menées ? Comment coopérez-vous avec d'autres États frappés par ce fléau ?

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Monsieur le secrétaire d'État, j'ai deux questions à vous poser. J'ai déjà eu l'occasion d'échanger avec vos services, mais je profite de cette audition pour le faire publiquement.

Avec un peu plus de soixante-dix députés, nous avons écrit, à la mi-octobre, au Premier ministre, pour demander la dissolution du Bastion social, un groupuscule d'extrême droite violent. La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) a fait la même demande pour d'autres groupuscules de la tendance identitaire. Vous avez rappelé que, pour obtenir l'interdiction d'un site ou la dissolution d'un groupuscule, il fallait disposer d'éléments probants et être juridiquement armé. Nous avions adressé notre lettre au Premier ministre, mais cette question relève des compétences du ministère de l'intérieur et je voulais donc savoir où en est cette demande.

Par ailleurs, vous avez parlé tout à l'heure de nouveaux mouvements d'extrême droite, que vous avez qualifiés de « survivalistes » – je pense notamment aux « Barjols » et à Action des forces opérationnelles (AFO) – dont certains évoluent vers le terrorisme. Pourriez-vous nous donner des détails sur ces groupuscules, notamment sur leur niveau d'armement – même si j'imagine que vous ne pourrez pas tout nous dire ? Il me semble que l'on atteint, avec ce type de groupuscules, un autre niveau de violence.

Enfin, j'imagine que les personnes les plus dangereuses relèvent du fichier S ou d'un autre fichier. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de personnes actuellement fichées au titre de leur appartenance aux mouvances d'extrême droite les plus dangereuses ?

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Monsieur le secrétaire d'État, nous constatons, dans nos territoires, une recrudescence des agressions homophobes. Cette semaine, à Saint-Étienne, dans la rue où se trouve ma permanence parlementaire, le gérant d'un bar gay a été la victime de violentes insultes. Avez-vous une idée du degré d'implication des membres des groupuscules d'extrême droite dans ces actes homophobes, qui doivent être recensés par le ministère de l'intérieur ?

Deuxième question : les groupuscules d'extrême-droite, nous avez-vous dit, participent à un certain nombre de manifestations sur la voie publique pour y commettre des exactions. Nous savons désormais que lors des saccages perpétrés le 1er décembre, en particulier celui de l'Arc de Triomphe qui a énormément choqué non seulement les associations d'anciens combattants mais aussi l'ensemble de nos concitoyens, il se trouvait parmi les auteurs de ces actes des membres de l'ultradroite, dont une personne ayant des antécédents au sein des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, de Troisième Voie et d'autres groupes dissous. Pouvez-vous estimer la part de responsabilité des groupuscules d'extrême droite dans les exactions diverses et variées qui ont été commises et constatées lors des manifestations des Gilets jaunes qui se sont tenues ces dernières semaines ?

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Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Je commencerai par répondre à la question du lien entre le mouvement des Gilets jaunes et la mouvance ultra. Le mouvement des Gilets jaunes organise tous les samedis des manifestations sur la voie publique qui ont une fâcheuse tendance à dégénérer. L'un des modes d'action de la mouvance ultra – qu'il s'agisse de l'ultradroite ou de l'ultragauche – consiste à participer à ces manifestations et, si possible, à les faire dégénérer. Je confirme que nous constatons dans le mouvement en cours la présence de militants de la mouvance d'ultradroite et de la mouvance d'ultragauche, souvent aux premières loges, pour faire déraper les manifestations en entraînant dans leur sillage un nombre non négligeable de Gilets jaunes. Voilà la situation sur le terrain.

Cette question en a appelé une deuxième, celle de la convergence entre la mouvance ultra et la revendication exprimée dans les manifestations. Il est important de dire que cette convergence n'existe pas sur le plan idéologique. En revanche, la mouvance ultra s'intéresse à l'une des dimensions du mouvement en cours : sa revendication consistant à mettre à mal nos institutions, à s'en prendre à la République, à appeler à la démission du Président de la République, à porter atteinte aux élus. Cette dimension peut s'inscrire dans un climat insurrectionnel et, de ce fait, incite les ultras à s'infiltrer dans les manifestations et à s'agréger au mouvement en vue de mettre à bas le système, puisque c'est l'un des objectifs des ultras de tous bords. Autrement dit, c'est dans les manifestations sur la voie publique que la convergence existe. La présence des ultras y est même assez significative dans certaines villes. Si le mouvement des Gilets jaunes est d'abord un mouvement social qui défend des revendications légitimes ayant donné lieu au grand débat national et à des mesures exceptionnelles décidées par le Président de la République, on ne saurait nier qu'une part de ses revendications vise à donner un grand coup de balai. C'est cela qui intéresse les ultras.

J'en viens au volet législatif. Le texte et la jurisprudence en vigueur aboutissent à un équilibre satisfaisant, étant rappelé que l'article L. 212-1 du code de sécurité intérieure résulte de dispositions de 1936. Sans doute faudra-t-il le toiletter : le 1°, par exemple, visant les milices de l'époque, fait référence à des « manifestations armées ». Nous examinerons donc l'opportunité d'une actualisation du texte sans rien enlever à sa portée ni à sa vigueur. Un élément mériterait peut-être d'être amélioré, dans ce domaine comme dans d'autres : il n'est pas toujours aisé, lors du traitement par les services de renseignement ou par les autorités judiciaires du comportement d'individus membres d'une structure, d'impliquer la structure elle-même. En clair, certains actes sont détachables de la structure. Peut-être les dispositions législatives en la matière pourraient-elles être modifiées mais, là encore, il faudra faire preuve de beaucoup de prudence et vérifier la constitutionnalité de toute modification éventuelle. Sans doute serait-il néanmoins utile d'avoir la possibilité d'engager des procédures de dissolution à l'encontre de structures qui n'auraient pas mis un terme aux agissements de leurs membres se livrant à des actes qui tombent sous le coup de la loi et qui justifient une dissolution. On pourrait ainsi exciper de cette absence d'action pour mettre le holà aux dérives individuelles de certains membres en prononçant la dissolution de la structure. La réflexion est en cours.

Pour le reste, nous sommes parvenus à un texte assez équilibré qui permet tout à la fois de procéder à des dissolutions – la liste en est assez importante puisque dix-huit dissolutions ont été prononcées depuis 2002 – tout en respectant la liberté d'expression et, plus généralement, les droits et libertés.

Le risque de débordement existe à l'ultradroite comme à l'ultragauche, monsieur Habib. Vous m'interrogez sur la convergence idéologique des deux mouvances. Il existe en effet une convergence du mode opératoire et des cibles – institutions, forces de l'ordre – ainsi que dans le mode d'expression violente. Je n'irai cependant pas jusqu'à prétendre qu'il existe une convergence d'ordre idéologique : ces deux mouvements sont complètement antagonistes. Il arrive en effet qu'ils se retrouvent dans des actions sur la voie publique, comme dans le cadre du mouvement actuel des Gilets jaunes, mais cela ne démontre aucune convergence idéologique, tant s'en faut, puisque des affrontements physiques ont lieu lorsqu'ils se rencontrent sur le terrain – comme cela s'est produit ces deux derniers samedis à Paris.

J'en viens à la question des sites internet. Outre les possibilités d'action judiciaire, il est également possible de procéder à un déréférencement administratif selon certains critères : ceux du terrorisme et de la pédopornographie permettent aisément d'agir, mais le critère des subversions violentes le permet moins, même lorsque l'on peut démontrer qu'un acte de ce type peut se rattacher au critère du terrorisme. Le déréférencement d'un lien appelant à brûler une caserne de gendarmerie a d'ailleurs récemment été annulé par un tribunal administratif ; nous avions plaidé le fait que cet appel relevait du terrorisme, mais notre position n'a pas été retenue. Nous sommes donc limités en matière de police administrative. Loin de moi l'idée de critiquer la décision de justice qui a été rendue, puisque le juge applique un texte ne concernant que le terrorisme et la pédopornographie et que le critère de terrorisme n'est pas extensible à ce type de subversion violente. Les textes en vigueur présentent toutefois une difficulté en matière de déréférencement.

Je reviens un instant sur les dispositions législatives pour ajouter, madame la présidente, que dix-sept des dix-huit dissolutions prononcées depuis 2002 l'ont été sur le fondement du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité publique, qui vise les discours d'incitation à la haine ou à la violence. Cette disposition demeure efficace mais elle l'est d'autant plus que l'on peut l'accoler à un autre motif de dissolution, comme ce fut le cas d'une dissolution prononcée en 2013 sur le fondement du 2° et du 6° de l'article en question, les deux aspects – formation d'un groupe de combat et incitation à la violence – ayant été confirmés par l'autorité judiciaire ; la seule annulation de dissolution a concerné une association de type festif.

En ce qui concerne les sites internet, les mesures de police administrative ne peuvent pas tout, mais nous travaillons constamment avec les plateformes et les opérateurs afin d'obtenir le retrait de contenus répréhensibles, et beaucoup a été fait en la matière. L'intensité de ce travail collaboratif dépend des types de plateformes ; elle fait partie du débat relatif à l'adoption d'un dispositif juridique plus contraignant, en respectant naturellement la nécessité de trouver un équilibre – toujours complexe – entre la liberté d'expression et l'interdiction de diffuser des contenus haineux.

S'agissant de la convergence idéologique, madame Fajgeles, je ne reviens pas sur la réponse que j'ai apportée à M. Habib, mais je vous renvoie à l'affrontement qui a entraîné le décès de Clément Méric en 2013 : quand les deux mouvances se rencontrent, les affrontements sont graves.

M. Castaner et moi-même sommes très attentifs, comme nous l'avons répété à maintes reprises, à la situation relative au mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), qui appelle à boycotter les produits israéliens et qui organise des manifestations publiques ou s'introduit dans des centres commerciaux. Nous ne pouvons interdire ces manifestations qu'en cas de troubles à l'ordre public, qui ne se produisent pas toujours. Il n'y aurait rien de pire que d'interdire une manifestation pour qu'un tribunal administratif annule ensuite cette décision face à notre incapacité à prouver la réalité du risque de trouble à l'ordre public. En revanche, nous suivons cette structure et les infractions pénales qu'elle est susceptible de commettre. Le fait que des infractions soient susceptibles d'être commises à l'occasion d'une manifestation ne suffit pas toujours à l'annuler. C'est plutôt au pénal qu'il convient alors d'agir, tout en gardant à l'esprit – c'est un axe de travail important pour nous – que la frontière entre l'antisémitisme et l'antisionisme est parfois ténue ; nous intégrons cet élément dans notre réflexion. À ce stade, néanmoins, il est juridiquement impossible d'interdire les manifestations que le BDS organise souvent sur la place de la République, à moins qu'elles ne donnent lieu à des troubles assez importants à l'ordre public. Je précise que pour décider l'annulation d'une manifestation, il faut non seulement qu'il existe un risque de trouble à l'ordre public mais aussi que nous ne soyons pas en mesure d'y faire face avec les forces et les moyens disponibles. Nous restons donc prudents mais, encore une fois, les infractions pénales – car le BDS en commet – sont systématiquement relevées et poursuivies.

L'ultragauche comme l'ultradroite entretiennent des liens sur le plan international, madame O. Certains groupuscules d'ultradroite ont des liens avec des mouvements similaires – ils n'en font d'ailleurs pas mystère sur leurs réseaux sociaux. C'est le cas de structures que vous avez citées, dont l'engagement est en apparence de nature sociale ou caritative : leur pendant existe en Espagne ou en Italie, et leurs membres se rencontrent physiquement et échangent des informations. J'ajoute que l'on retrouve parfois ces convergences sur la voie publique à l'occasion de manifestations violentes : il arrive que parmi les personnes interpellées à ces occasions se trouvent des ressortissants étrangers venus faire le coup de poing avec leurs camarades. Ils sont interpellés de la même manière que des ressortissants français sont parfois interpellés à l'étranger dans le cadre de manifestations violentes. Chaque réunion intergouvernementale de grande ampleur – du G7 ou du G20 par exemple – donne lieu à une forte mobilisation de la mouvance et à des déplacements importants de militants qui vont participer aux violences commises dans le pays où se déroule le sommet en question. Il va de soi que nous travaillons déjà à la préparation du sommet de Biarritz, notamment. Je rappelle qu'en juillet 2017, à Hambourg, plusieurs ressortissants français ont été interpellés pour des actes de violence – il s'agissait en l'occurrence de militants de l'ultragauche. Quoi qu'il en soit, il existe des connexions et des soutiens entre certains de ces mouvements – mais pas tous, certains étant plus limités.

S'agissant des dissolutions et des courriers adressés par soixante-dix parlementaires et par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), je suis prudent : l'un de ces courriers visait un organisme particulier. Je fais valoir mon devoir de réserve mais je peux dire ceci : après la manifestation du 1er mai 2018, le Premier ministre avait annoncé que toutes les investigations seraient menées, tous bords confondus, pour engager des procédures de dissolution administrative à chaque fois que les conditions seraient réunies. Dans ces cas, nous ne tremblerons pas. Je ne peux pas vous donner d'informations plus précises, mais c'est à l'ensemble des services de renseignement qu'il appartient de travailler sur tout le spectre des mouvements, depuis l'ultradroite jusqu'à l'ultragauche – qui englobe également la mouvance anarcho-autonome. Le moyen, c'est l'observation par les services de police ; le résultat peut être la dissolution administrative, l'entrave judiciaire voire les deux.

Monsieur Rudigoz, vous avez cité le nom de deux groupes survivalistes – vous êtes bien documenté, comme en témoigne votre intervention mardi, en séance, lors des questions sur l'action policière pendant les mobilisations des Gilets jaunes. Si je me réfère à ce que les médias ont pu relater des interpellations récentes, ces groupes ont un mode d'organisation un peu différent. Ils cherchent effectivement à s'armer, soit de manière artisanale, soit en recourant à des canaux légaux, dans une optique d'autodéfense. Ils fonctionnent, ou essaient de fonctionner, dans la clandestinité, avec une organisation territoriale, des référents, des relais. Je ne peux pas en dire plus, mais c'est un fait que, après que les autorités ont eu connaissance d'un projet d'action violente, même mal défini, et compte tenu de la détermination de certains membres, des procédures judiciaires ont été engagées et des interpellations menées dans les rangs de ces deux structures.

Vous m'avez interrogé sur la part de fiches « S » concernant les groupuscules d'extrême droite. Je ne suis pas certain de pouvoir vous communiquer des données chiffrées, je dois consulter mes services sur cette question, mais il me semble que cela a été fait pour les individus radicalisés au titre de l'islam. En tout état de cause, la fiche « S » demeure avant tout un instrument de suivi qui permet de repérer des déplacements, des mouvements ; ce n'est pas un outil qui préjuge d'un degré ou d'une potentialité de violence. Cela peut être le cas mais pas forcément. Pour ces raisons et dans la mesure où c'est parfois l'environnement qui est concerné, et pas forcément l'individu, il convient de manier avec beaucoup de précautions le débat sur les fiches « S » et les propositions de mesures de police administrative, voire judiciaire concernant ces fiches ne sont pas pertinentes. Les fiches « S » sont une technique à notre disposition, en aucun cas un indicateur, permettant de rendre compte de manière exhaustive du nombre de personnes susceptibles d'être impliquées. Je vous renvoie au très intéressant rapport d'information de M. Pillet, sénateur du Cher, Les fiches S en questions : réponses aux idées reçues, publié en décembre, qui démythifie cet outil et confirme que l'usage qui en est fait est proportionné.

Monsieur Juanico, il m'est difficile de répondre à votre question, et je ne suis pas certain que nous détenions des données chiffrées concernant la part de l'ultradroite dans les agressions à caractère homophobe. Je ne pense pas que les homosexuels fassent partie des cibles prioritaires, mais ce n'est pas à exclure non plus.

S'agissant des exactions commises le 1er décembre, notamment autour de l'Arc de Triomphe, je vous confirme, en prenant garde de ne dévoiler aucun secret de la défense nationale ou de mentionner des faits visés par des procédures judiciaires, qu'un certain nombre de militants de la mouvance d'extrême droite ont été vus – et leur photo publiée dans de grands magazines – et, pour certains, interpellés. Il est difficile d'estimer précisément la part qu'ils représentent car il convient de distinguer entre le fait de prendre part directement à une exaction et celui d'inciter à commettre cette exaction.

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Merci, monsieur le secrétaire d'État, de nous avoir apporté ces éclairages. Nous attendons les éléments que vous voudrez bien nous communiquer.

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Même si vous n'avez pas tout pu dire, cette audition, monsieur le secrétaire d'État, aura permis d'éclairer notre réflexion.

La séance est levée à 12 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Élise Fajgeles, M. Meyer Habib, Mme Véronique Hammerer, M. Régis Juanico, M. Pascal Lavergne, M. Adrien Morenas, Mme Delphine O, Mme Muriel Ressiguier, M. Thomas Rudigoz, M. Jean-Louis Touraine, Mme Michèle Victory, M. Sylvain Waserman

Excusée. - Mme Valérie Thomas