Lundi 6 mai 2019
L'audition débute à quinze heures quarante-cinq.
Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de Mme Christelle Defoort, parent d'élèves.
Mes chers collègues, nous recevons maintenant Mme Christelle Defoort, parent d'élève en situation de handicap.
Madame, je vous souhaite la bienvenue.
L'Assemblée nationale a constitué le 12 mars dernier une commission d'enquête sur l'inclusion des élèves en situation de handicap dans l'école et l'université de la République. Il s'agit de faire un bilan des progrès réalisés depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, et de mesurer le chemin restant à parcourir pour favoriser leur inclusion à tous les stades de leur scolarité.
Il est essentiel pour nous de recueillir la parole des personnes concernées afin de nous faire une idée plus précise des enjeux que rencontrent sur le terrain les parents des élèves en situation de handicap et ceux qui oeuvrent à leurs côtés en faveur de l'inclusion de ces enfants.
Comme c'est la règle pour les personnes entendues par une commission d'enquête parlementaire, et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Christelle Defoort prête serment.
Le choix des familles est naturellement subjectif, j'ai entendu de multiples témoignages et j'organise ce soir un débat où nous en entendrons d'autres, mais il nous a semblé important de permettre à des parents de nous faire part, sans filtre, sans tabou, de manière cash, des réussites, des obstacles, des difficultés – des parcours du combattant –, des marges d'espoir, des nécessités de progression et, en l'occurrence, de vous permettre de vous exprimer en toute liberté devant cette commission d'enquête pour nous aider à progresser dans la réflexion et à apporter des réponses.
Merci de votre invitation. Je suis maman de deux ados, dont l'un, âgé de 17 ans, est autiste. Le parcours fut complexe car les prises en charge n'étaient pas auparavant ce qu'elles sont maintenant. Alors qu'il était non-verbal jusqu'à l'âge de 11 ans, j'ai attendu quatre ans la prise en charge de mon fils par un orthophoniste. Les orthophonistes l'estimaient inutile puisqu'il ne parlait pas. Il a été scolarisé en maternelle en France puis, ne voulant pas le mettre en institut médico-éducatif (IME), je l'ai mis à l'école primaire en Belgique, car je suis originaire du nord de la France. Après l'école primaire en Belgique, j'ai voulu relever le défi de l'inscrire au collège, sachant qu'il ne savait ni lire ni écrire. Il y était favorable et il y est resté quatre ans au collège. C'est la meilleure décision que j'aie prise car il a évolué considérablement, notamment grâce à un personnel pas toujours qualifié mais toujours humain.
La première année, c'était dans le Nord, à côté de Maubeuge. Les deux années suivantes c'était ici, au collège Alexandre-Dumas à Neuville-lès-Dieppe. L'encadrement était super. Même si les AVS ne sont pas formées, mon fils est bien tombé.
Après le collège, comme il a plus de 16 ans, la MDPH a préconisé un institut médico-professionnel (IMPro). Mon fils veut continuer à l'école. Mais comme il n'est pas verbalement autonome, puisqu'il a commencé à parler à l'âge de 11 ans, on m'a dit qu'il n'était pas possible de l'accueillir au lycée. Il doit donc rester à l'IMPro. En allant visiter l'IMPro le plus proche, à Omonville, nous avons compris que ce n'était pas pour lui puisque mon fils y aurait été absent dans le sport. J'ai dit que les métiers présentés ne lui plaisaient pas mais qu'il aimait bien nager. L'éducateur m'a ri au nez en disant : « Madame, ce n'est pas un métier, c'est un loisir. »
J'ai donc arrêté de travailler pour refaire cours à mon fils à la maison via le Centre national d'enseignement à distance (CNED).
Ici, depuis septembre. Ce sont deux ans que je mets entre parenthèses et au cours desquels j'aimerais mettre des choses en place. D'où ma présence ici. Mon fils est fan de natation. J'ai créé une section natation qui compte pour l'instant trois jeunes autistes, dont Victor, 17 ans, qui, est chez lui après le collège et ne fait rien, parce qu'il ne veut pas aller en IMPro.
Après avoir créé la section de natation, des recherches m'ont permis de constater qu'il existait en France des centres de formation d'apprentis (CFA) adaptés, passerelles entre l'IMPro et le lycée. Les personnes handicapées peuvent y apprendre un métier tout en poursuivant un cursus scolaire. Il y en a un dans les Alpes du Sud, qui permet de décrocher des diplômes comme le CAP. Un encadrement par des professionnels est prévu pour les handicaps les plus lourds. Ils débouchent sur des CAP de coiffure et de petite enfance. J'ai pris contact avec M. Lanuzel, le directeur du CFA du quartier de la Grand'Mare à Rouen, qui est en train de constituer un dossier en vue d'ouvrir une section adaptée – tout est centralisé à Rouen, à Dieppe on n'a pas grand-chose. En secteur rural, des familles dans le besoin sont uniquement orientées vers les IMPro. Il serait intéressant de créer un CFA adapté pour permettre aux jeunes qui en sont capables d'apprendre un métier différent de ceux qu'on voudrait leur imposer.
Dans les CFA, il y a un référent handicap qui doit être en mesure d'accueillir des adolescents en situation de handicap et de les aider à préparer un CAP ou une validation de compétences. Que vous a-t-on répondu dans les sections existantes ?
Je n'ai pas encore pris contact avec eux, sauf avec M. Lanuzel, qui est favorable à ma demande de création ici d'une annexe du CFA de Rouen et d'y mettre à disposition des professeurs. Créer une classe ULIS au sein des CFA, comme dans les collèges, permettrait au moins une inclusion avec les personnes qui n'ont pas de handicap, dans des corps de métier autres que la restauration ou l'entretien des espaces verts. Je ne suis pas contre ces métiers, mais en mettant nos jeunes dans les IMPro, on leur impose des solutions que mon fils n'aime pas. Je ne vais pas le mettre en IMPro parce qu'il faut l'y mettre. Je souhaite que mon fils soit épanoui dans ce qu'il fait. Je vous invite à venir le voir à la piscine, au club de Dieppe où il fait du tennis et à voir les autres jeunes tout aussi épanouis, au point qu'on a l'impression que leur handicap n'existe pas.
Il aimerait bien devenir maître-nageur. À côté du brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BP-JEPS), un nouveau diplôme vient d'être créé ici, le certificat professionnel JEPS (CP-JEPS), qui correspond au CAP. Il serait assistant du maître-nageur. Ce serait plus abordable pour lui.
Certains services médico-sociaux de la région ne seraient-ils pas à même d'assurer un accompagnement ? J'ai travaillé en établissement médico-social où nous accompagnions soit des jeunes en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), soit des jeunes en IMPro. Nous n'avions pas de jeunes en situation d'autisme, mais nous accompagnions aussi ceux qui en étaient capables dans un parcours de CFA et d'apprentissage à l'extérieur de l'établissement.
J'évoque un CFA ordinaire où un jeune en situation de handicap est accompagné par un service médico-social, comme un SESSAD, et un enseignant, qui l'aide à suivre des études à l'intérieur du CFA. Normalement, chaque CFA doit avoir un référent handicap permettant l'adaptation du nombre d'heures et de niveau des cours pour tout jeune en situation de handicap.
On continuera à se voir pour examiner comment vous accompagner, mais la commission d'enquête a vocation à se nourrir de cas particuliers, et je déduis de votre témoignage, soit que cela n'est pas connu par les parents, soit que cela n'existe pas dans tous les CFA.
Si la loi était appliquée également partout, il n'y aurait pas de commission d'enquête.
Ce qui m'interpelle le plus dans votre témoignage, c'est le parcours du combattant du début, la scolarisation, puis le sentiment d'un retour à la case départ avec la déscolarisation. Vous dites avoir arrêté votre travail pour élever vos enfants seule. Comment faites-vous ? Quel est votre statut ? De quel accompagnement bénéficiez-vous ? Il est important de dire à la commission d'enquête ce que cela implique.
C'est un choix et un sacrifice. J'ai « « bac + 2 ». Je suis comptable. Si je peux reprendre un petit travail, tant mieux, mais je pense surtout à son avenir. Je préfère mettre de côté ma carrière pendant deux ans, mais deux ans créatifs afin d'aboutir à quelque chose pour lui, pour qu'il ait un avenir et une vie décente. Cela signifie pas de vacances. Mes enfants sont conscients qu'ils n'ont plus les mêmes avantages qu'avant. Nous l'acceptons parce que c'est pour quelque chose de bien.
Une commission d'enquête ne doit pas seulement voir ce qui ne va pas, mais aussi ce qu'on fait bouger, ce qu'on bouscule. J'entends la demande de CFA adapté ou de faire vivre les référents handicap dans les CFA qui existent.
Il y a aussi les ULIS pro où il reste des places libres – nous entendions l'inspecteur ce matin –, qui peuvent apporter le soutien scolaire nécessaire et éventuellement accompagner à l'extérieur dans les expériences professionnelles. Il y a tout de même des pistes ici.
Au sortir du collège, la référente collège et l'intervenante pivot du centre de ressources autisme (CRA) s'opposaient déjà à ma décision de recourir au CNED. Pour elles, mon fils devait aller en IMPro. Dans le projet personnalisé de scolarisation (PPS), il est indiqué qu'ils sont contre mon choix, alors qu'il a de super-notes au CNED et même en matière sportive. Il voit du monde. Bien qu'autiste, il est hypervolontaire, calme et compréhensif. Il est dommage que les professionnels ne valident pas les choix des parents. À part l'IMPro, c'est tout ce qu'on m'a proposé. Il y a un manque total de communication.
Tout à l'heure, nous avons reçu deux enseignantes exerçant dans des unités d'enseignements au lycée L'Émulation dieppoise, de création récente, dans lesquelles il y aurait peut-être de la place aujourd'hui. Peut-être est-il possible de faire un recours auprès de la MDPH pour l'aider différemment.
Outre mon fils, Victor, qui est intégré à la section piscine, a aussi 17 ans. Épileptique, la restauration et l'entretien des espaces verts lui sont interdits et il voudrait se lancer dans l'informatique.
Merci beaucoup pour ce témoignage. Il est important pour nous de le faire entendre nationalement. Votre cas pose la question de l'aidant et du sacrifice qu'il doit consentir, ainsi que celle de l'orientation. Le fait d'avoir un handicap implique-t-il qu'on subisse son orientation ?
Oui, et avec une autre intervenante. Toutes deux étaient opposées au projet de mon fils.
L'audition s'achève à seize heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 6 mai 2019 à 15 heures 45
Présents. – Mme Jacqueline Dubois, Mme Nathalie Elimas, M. Sébastien Jumel, Mme Sabine Rubin
Excusés. – Mme Monique Iborra, Mme Catherine Osson, Mme Sylvie Tolmon