L'audition débute à neuf heures dix.
. Bonjour et bienvenue à tous !
Notre audition de ce matin va s'attacher au financement des projets favorables à la transition énergétique dans les territoires.
Nous recevons des représentants de la Caisse des dépôts et consignations : M. Antoine Troesch, directeur des investissements de la Banque des territoires, M. Emmanuel Legrand, directeur des investissements « transition énergétique et écologique » et M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles.
Créée en 2018, la Banque des territoires a notamment pour rôle le financement de prêts et d'investissements des collectivités locales, en particulier au titre de leur politique de transition énergétique, qu'il s'agisse de développement d'énergies renouvelables ou de réduction de leur consommation énergétique.
À quelles conditions, notamment de visibilité à long terme et de lissage des prix de marché de l'énergie, le banquier est-il prêt à s'engager dans le financement de projets de développement d'énergies renouvelables ? J'espère que vous serez en mesure de nous apporter une réponse.
Nous allons vous donner un temps d'exposé liminaire d'une quinzaine de minutes, puis les membres de la commission d'enquête vous interrogeront à leur tour. Vous entendrez tout d'abord mes questions, suivies par celles de Mme Meynier-Millefert et des membres de notre commission qui nous auront rejoints, j'espère, d'ici là.
Je devrai m'absenter à dix heures et quart. Le vice-président, M. Thiébaud, du groupe majoritaire complétera les propos de Mme la rapporteure, qui appartient également au groupe majoritaire. Preuve de la très grande tolérance de l'opposition dans cette maison !
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ». Ne sont concernés que ceux qui prendront la parole.
(M. Antoine Troesch et M. Emmanuel Legrand prêtent successivement serment.)
. Dans un premier temps, je dessinerai le contexte dans lequel la Banque des territoires investit dans le secteur des énergies nouvelles renouvelables ; dans un second temps, M. Emmanuel Legrand décrira plus précisément notre stratégie d'intervention.
L'investissement dans les énergies renouvelables s'inscrit assez naturellement dans la démarche de la Banque des territoires dont vous venez de rappeler la naissance et la mission. Il forme l'un de nos objectifs stratégiques.
En créant la Banque des territoires, la Caisse des dépôts a voulu marquer sa volonté d'avoir un impact concret sur les territoires par un effet de levier, le meilleur possible, afin d'être créatrice de valeurs financières environnementales et sociétales à long terme.
Le directeur général de la Caisse des dépôts et le directeur de la Banque des territoires ont placé la lutte contre les fractures territoriales au cœur de la stratégie. C'est, bien sûr, une des missions historiques de la Caisse des dépôts ; dans le contexte actuel, elle est plus que jamais nécessaire. Nous pensons que nos investissements dans les énergies renouvelables y participent, et d'ailleurs la transition socio-environnementale a été identifiée par le Commissariat général à l'égalité des territoires comme l'un des six facteurs de la cohésion territoriale.
Notre activité est historique, elle est aussi complémentaire du marché.
Précision liminaire : la Banque des territoires investit sur les fonds propres de la Caisse des dépôts, avec des prises de participation dans les sociétés « projets d'énergies renouvelables ». Les premiers investissements remontent à 2006. À l'époque, quelques millions d'euros étaient investis dans des projets relatifs à l'éolien, au photovoltaïque et à la biomasse. Depuis, le rythme a fortement crû, jusqu'à 40/50 millions d'euros par an dans les années 2010 et à un rythme annuel de 100 à 150 millions d'euros d'investissements en fonds propres depuis 2015. Notre effet de levier, d'environ 7, représente un montant d'investissement d'un milliard d'euros par an en faveur des projets des territoires.
Ces investissements ont concerné toutes les filières : éolien, photovoltaïque, dont on parle beaucoup, mais aussi géothermie, biomasse, bois, méthanisation.
La Caisse des dépôts a d'ailleurs été l'un des premiers investisseurs à soutenir cette filière très locale et très industrielle, puisque, dès 2003, nous avons accompagné le développement d'un des premiers projets dans ce domaine.
D'une façon générale, les investissements de la Caisse des dépôts ont aussi permis d'amorcer le développement d'entreprises dans le domaine. C'est ainsi que nous avons permis l'émergence de sociétés comme Quadran, Neoen ou Albioma. C'est donc un investissement ancien de la Caisse des dépôts. La stratégie et la création de la Banque des territoires s'inscrivent dans cet historique.
Nous accompagnons une nécessité économique. Parfois, le marché sait accompagner ce développement, mais dans la structuration de filières nouvelles, il faut souvent combler la carence du marché. C'est aussi une des missions historiques de la Caisse des dépôts.
Dans ce contexte, la légitimité d'intervention de la Banque des territoires est renforcée par la loi. La mission de la Caisse des dépôts, qui est un établissement public sui generis, est d'appuyer les politiques publiques de l'État mais aussi celle des collectivités territoriales. À ce titre, la Caisse des dépôts respecte la feuille de route de l'accord de Paris, en accompagnant les territoires dans leur développement bas carbone et en répondant aux enjeux du changement climatique. Dans le contexte de l'examen de la loi PACTE, le législateur a voulu clairement inscrire cette mission dans la liste des missions de la Caisse des dépôts. L'article L. 518-2 du code monétaire et financier indique que la Caisse des dépôts doit contribuer au développement économique local et national, et particulièrement dans les domaines du développement durable.
Nos modalités d'intervention sont spécifiques. La Banque des territoires accompagne de nombreux projets d'avenir : construction d'infrastructures, équipements, réseaux, valorisation et transformation du patrimoine du pays, développement de l'innovation sociale et technologique. Nous intervenons essentiellement en tant que partenaires minoritaires, ce qui permet cet effet de levier de 7, à l'instant évoqué.
Au titre des énergies renouvelables, nous prenons en compte plusieurs critères, en suivant très précisément la feuille de route de la transition énergétique.
Premièrement, nous contribuons à augmenter la part des EnR dans le mix énergétique. Encore faible à ce jour, nous nous efforçons d'accompagner cette montée en puissance, les outils de production, mais aussi les fonctions connexes comme le stockage, les réseaux intelligents, le pilotage des réseaux et l'intégration au marché.
Deuxièmement, nous essayons d'aider le pays à constituer un outil de production pérenne. J'en ai parlé, nous avons accompagné des entreprises du secteur ; nous pensons que ce sont des actifs stratégiques et nous essayons d'avoir une vision de long terme.
Troisièmement, nous œuvrons à la solidité du modèle économique et des partenaires. Vous n'êtes pas sans savoir que, dans ce secteur, les modèles de multiples entreprises sont assez fragiles. Aussi, l'intervention de la Caisse des dépôts, permet-elle de les solidifier, notamment dans certaines filières. Pour la biomasse et la méthanisation, nous avons fortement contribué à soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) intervenant dans le secteur.
Quatrièmement, la Banque des territoires est animée d'une volonté forte de se doter d'un portefeuille énergétique diversifié, donc pas uniquement exposé, par exemple, à l'éolien ou au photovoltaïque mais d'être présent sur l'ensemble des filières de façon très cohérente avec les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Cinquièmement, la Banque des territoires recherche l'équilibre territorial du portefeuille. Elle a vocation à servir tous les territoires. Nous essayons de faire en sorte que le portefeuille d'énergies renouvelables couvre l'ensemble du pays, en fonction de ses spécificités. La production d'énergies renouvelables dépend d'aléas climatiques, mais aussi de bassins d'entrants, notamment dans les filières bois ou déchets. Aussi veillons-nous à ce que la répartition géographique de notre portefeuille optimise cette gestion des aléas climatiques et la disponibilité locale des intrants, de sorte à toucher tous les territoires.
Enfin, nous essayons d'accompagner l'innovation dans ce secteur, afin de contribuer à la baisse des coûts et à la diminution du coût au mégawattheure.
La Banque des territoires fait partie du groupe Caisse des dépôts et sa stratégie est étroitement liée à la stratégie de Bpifrance, une filiale de l'État et du groupe Caisse des dépôts qui intervient dans l'accompagnement des entreprises du secteur.
Je terminerai mon propos en évoquant l'acceptabilité sociale de notre action. Être à l'écoute des projets des territoires et des projets des citoyens est dans l'ADN de la Banque des territoires. À ce titre, nous avons voulu lancer avec l'ADEME des dispositifs favorisant les financements citoyens. Nous avons lancé le dispositif ENRCIT qui permet un accompagnement méthodologique à l'émergence de projets d'EnR citoyens et met à disposition un fonds de dix millions d'euros afin de financer la phase de développement des projets. De la même manière, nos investissements aident les collectivités locales dans les projets d'énergies renouvelables, à travers les sociétés d'économie mixte dans lesquelles nous sommes actionnaires. Par exemple, l'année dernière, auprès du groupe public Sorégies, le fournisseur d'énergie du département de la Vienne, nous avons acquis un certain nombre d'ouvrages d'hydroélectricité ; nous venons également avec la SEM West Energies d'acquérir un parc photovoltaïque.
Nous sommes très attentifs à la qualité du dialogue local ; dans le cadre des projets, nous poussons très fortement nos partenaires à nouer le dialogue local et à prendre le temps de la concertation. Cela se traduit de manière positive, pensons-nous, pour les projets dans lesquels nous sommes investis. Je citerai notamment le développeur JPee avec lequel nous sommes partenaires, et dont les projets suscitent très peu de recours.
Plus généralement, la Caisse des dépôts et la Banque des territoires considèrent que la rentabilité n'est qu'un critère parmi d'autres de l'investissement. Ayant la chance de présider le comité d'investissement, je m'appuie sur des critères de rentabilité, mais aussi sur des critères extra-financiers pour prendre les décisions d'investissement.
Ces critères sont les suivants : préservation des équilibres écosystémiques et climatiques ; cohésion sociale et territoriale ; emplois créés ; nombre de mégawattheures décarbonés produits par an ; nombre de tonnes de CO2 évités, etc.
Je laisse la parole à Emmanuel Legrand qui va décrire plus précisément notre portefeuille et notre stratégie d'intervention.
. Préalablement, je rappelle que nous intervenons plus largement dans la transition énergétique, dans la production d'énergie avec les EnR, mais aussi dans l'efficacité énergétique des sites industriels ou des bâtiments, dans les réseaux de distribution d'énergie, notamment les réseaux de chaleur et de froid – je citerai le réseau d'Amiens dans lequel nous avons investi avec Engie Cofely. Nous intervenons en faveur de la mobilité douce. À cet égard, nous avons pris une participation pour aider l'émergence de la société Hype, qui gère la flotte de taxis hydrogènes circulant dans Paris. Nous intervenons également dans les services innovants et la gestion des déchets de l'eau. Les énergies renouvelables restent néanmoins l'essentiel de nos investissements en montant et en nombre de projets.
Nous essayons toujours d'être utiles à tout ce qui peut servir la mutation de nos systèmes énergétiques et leur financement sur la base de trois lignes directrices.
Premièrement, être un investisseur public de référence des grands projets structurants dont le pays a besoin. Nous avons pour ambition de soutenir les grands projets structurants sur notre territoire. Parfois, les grandes infrastructures énergétiques ont besoin d'un investisseur institutionnel public de long terme. Je citerai deux exemples : l'éolien offshore posé flottant. Par exemple, nous sommes actionnaires du projet éolien offshore flottant de Leucate, aux côtés de Engie et DPR pour aider à l'émergence de cette filière.
Nous avons également candidaté à l'appel d'offres de Dunkerque aux côtés de l'électricien public suédois Vattenfall, que nous avions choisi parce qu'il est connu pour faire baisser les prix de rachat de l'électricité demandés pour équilibrer un projet.
Au titre des grands ouvrages d'hydroélectricité, depuis 2001, la Caisse des dépôts est un actionnaire important de la Compagnie nationale du Rhône, mais au-delà de la CNR, nous sommes évidemment à la disposition de l'État et du pays pour faciliter l'avenir des grandes concessions d'hydroélectricité. Nous avons déjà largement travaillé avec les services de l'État pour être prêts en cas de lancement des projets d'essaimage qui étaient prévus par la loi de 2016.
Le deuxième axe est d'être un partenaire essentiel de la transition énergétique des territoires. L'une de nos priorités vise à accompagner les collectivités locales dans la définition de leur stratégie et dans la mise en œuvre de leurs moyens d'action, dans les énergies renouvelables, les réseaux de distribution ou l'efficacité énergétique, notamment des bâtiments tertiaires. En effet, les collectivités locales sont amenées à jouer un rôle croissant dans le paysage énergétique français en raison de l'évolution de leurs prérogatives, voulue par le législateur, mais aussi des réalités technologiques. La production d'énergie sera à l'avenir beaucoup plus diffuse et des ruptures, comme l'arrivée massive des véhicules électriques, impacteront des infrastructures sur les territoires. De par leur connaissance précise du territoire et de ses habitants, de ses acteurs économiques publics et privés, les collectivités territoriales sont les mieux placées pour développer un véritable aménagement énergétique des territoires.
De nombreuses collectivités souhaitent aller au-delà de leur rôle de planificateur pour s'engager dans la production d'énergies renouvelables ou la gestion des réseaux. Depuis très longtemps, la Caisse des dépôts est présente aux côtés de certaines collectivités comme actionnaire des grandes entreprises locales de distribution (ELD). Nous sommes actionnaire à Metz, dans la Vienne, à Grenoble ou à Dreux, par exemple. Ces ELD ont développé des activités de production d'énergie renouvelable, souvent à partir de filiales dont la Banque des territoires est également actionnaire. Je peux citer Energreen pour l'UEM à Metz.
Plus récemment, plusieurs régions ont mis en place des fonds régionaux pour investir dans les énergies renouvelables, avec le soutien de la Banque des territoires : Oser en Auvergne et Rhône-Alpes ; Eilañ en Bretagne, MPEI en Occitanie ou Terra Energies en Nouvelle-Aquitaine.
La Banque des territoires a répondu favorablement à de nombreuses sollicitations de création de sociétés d'économie mixte (SEM) départementales, souvent à l'initiative des syndicats d'énergie qui disposent de compétences sectorielles. Ainsi, dans le Finistère, le Morbihan, l'Aude, la Dordogne – je ne citerai pas tous les départements concernés –, nous avons accompagné la création de SEM dédiées aux énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous sommes actionnaires d'une dizaine de SEM ou de filiales de SEM qui investissent dans les EnR aux côtés des collectivités locales.
Le troisième axe, que je n'aurai sans doute pas le temps de développer en totalité, mais sur lequel nous pourrons revenir, c'est que nous souhaitons accompagner l'émergence de solutions innovantes. Je mentionne le travail que nous avons fait aux côtés de Rennes Métropole, Langasolar, Schneider Electric ou d'autres acteurs, pour développer le projet de RennesGrid sur le quartier de Ker Lann à Rennes, un projet visant l'autoconsommation.
Tels sont nos trois axes de priorité d'intervention.
Je terminerai par quelques chiffres. À ce jour, le portefeuille est constitué d'à peu près une centaine de lignes qui représentent une valeur d'environ 400 millions d'euros. En 2018, nous avons investi 170 millions d'euros pour une capacité équivalente à 360 mégawatts.
Deux sujets sont emblématiques : le partenariat avec JPee, un développeur normand. Nous avons libéré des moyens financiers de JPee en rachetant une partie des projets qu'il avait déjà développés qui sont en exploitation et en signant un accord-cadre avec JPee pour financer ses projets futurs, ce qui permet au développeur de se focaliser sur son métier qui est de développer les EnR et de disposer d'une solution financière quand il en a besoin.
Par ailleurs, nous avons investi avec la station de Serre-Chevalier dans un projet territorial multi-énergies ; la station développera des projets éoliens, photovoltaïques ou de l'hydroélectricité pour alimenter ses usages en énergie verte.
J'en viens aux perspectives. Nous voyons le marché évoluer, nous nous y adaptons. Le coût des technologies est globalement en baisse et les revenus nécessaires moins importants, ce qui explique la baisse des attentes sur les tarifs de l'achat d'électricité. Dans le même temps, les rentabilités attendues sur ce type d'actifs sont en baisse et le prix de ces projets est une alternative intéressante de placement, vu les investisseurs, les fonds de pension ou les assureurs. Ces actifs sont devenus intéressants pour placer les liquidités des acteurs.
L'introduction des appels d'offres à la place du guichet ouvert et du complément de rémunération a un effet immédiat : elle permet d'accélérer la baisse des tarifs d'achat. Elle met la pression sur l'ensemble des coûts des projets, elle accélère également la phase de concentration des acteurs. Les économies d'échelle sont un facteur devenu central dans les projets d'énergies renouvelables. Les rachats des petits développeurs par les trois grands groupes français notamment se sont accélérés ces derniers mois.
Face à ce mouvement, nous souhaitons accompagner les collectivités locales et continuons à investir dans les sociétés d'économie mixte, et nous nous interrogerons sur la place que ces acteurs pourront trouver demain en étant en concurrence à travers les appels à projets de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), avec de grands groupes tels que ceux que je viens de mentionner.
Néanmoins, dans les années à l'avenir, la Banque des territoires souhaite intensifier son soutien aux grands projets d'infrastructures énergétiques en s'adaptant aux besoins des acteurs publics ou privés et en continuant à investir dans tout type d'EnR, même si nous avons rencontré plus de difficultés sur les EnR de type biomasse qui sont des vrais projets industriels ; pour un financier, les projets sont plus compliqués à gérer que les projets éoliens ou photovoltaïques.
Nous poursuivrons nos efforts pour financer la rénovation énergétique des bâtiments, vaste et complexe sujet s'il en est, mais qui représente un réservoir significatif d'économie d'énergie.
. Merci beaucoup.
Vous avez parlé de concentration des acteurs dans le domaine des énergies renouvelables suite à la modification du tarif de rachat en appel d'offres. Pour vous, les trois grands acteurs sont EDF…
. EDF, Engie et Total qui ont procédé à plusieurs acquisitions récemment.
. Ils partent de situations très diverses.
. Leur point commun réside dans la volonté de participer à la décarbonation, chacun à son niveau, puisque chacun d'entre eux n'intervient pas de la même manière dans le paysage énergétique. Mais ils ont la volonté d'accompagner la décarbonation et une vraie vision du basculement qui est en train de s'opérer au titre du mix énergétique.
Nous parlons ici de trois acteurs français. Mais nous observons que des acteurs étrangers s'intéressent de plus en plus au territoire français.
. Vous êtes des banquiers. Vous étudiez des stratégies d'investissement, vous avez les vôtres. Je suppose que vous vous penchez sur ce que font ces groupes. Vous nous avez d'ailleurs expliqué que cela peut soulever des questions s'agissant des petits acteurs que vous accompagnez. Peut-être votre vision est-elle plus distanciée. Comment qualifieriez-vous la stratégie d'investissement de ces acteurs ?
. La qualité de ces acteurs se caractérise avant tout par une stratégie industrielle et opérationnelle. Ils sont animés d'une vraie volonté d'accompagner la feuille de route. Il suffit de se reporter à leurs objectifs, que ce soit ceux d'EDF avec le plan solaire ou les positions d'Engie sur les véhicules, autour de 5 gigawatts d'énergie renouvelable. Ce sont eux qui tirent les objectifs globaux de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Le groupe Engie a opéré une bascule voilà environ dix ans. Le groupe EDF également par la création de la filiale EDF Renouvelables qui est ancienne et qui monte en puissance. Total également s'intéresse à ces sujets depuis longtemps. La montée en puissance se traduit par les montants investis par ces groupes qui sont colossaux et significatifs au regard de la globalité des montants investis.
Je ne perçois pas de différence nette entre les stratégies financières propres à chacun des acteurs industriels.
. Tous les acteurs financiers planifient de la même façon, sous la forme d'une dette « projets » importante, d'au moins 80 % pour les projets photovoltaïques et éoliens. Des nuances peuvent toutefois intervenir sur la façon dont ces projets impactent ou non les bilans des acteurs. Sans doute, le bilan de Total est-il plus robuste que celui d'EDF ou d'Engie. Même si ces projets d'énergies renouvelables peuvent être financés par une dette « projets » – ce qui est essentiel dans le prix de revient de ces projets –, la dette « projets » peut être consolidée ou non dans le bilan de ces acteurs. Peut-être des subtilités différencient-elles la stratégie de ces acteurs.
. Avez-vous l'impression que les dispositifs mis en place aujourd'hui par l'État, notamment pour donner de la visibilité aux investisseurs dans le domaine des énergies renouvelables, seraient susceptibles de perturber une concurrence pure et parfaite dans ce domaine ? Pensez-vous que, dans quelques mois ou années, le marché sera un marché comme un autre, mettant en jeu des acteurs qui s'affronteront et se battront sur les marges ou des éléments sont-ils encore aujourd'hui susceptibles de modifier la concurrence ? Pensez-vous que ces acteurs essayent de profiter de la nature particulière de ce marché ? Je vous livre quelques exemples que j'ai à l'esprit.
À l'occasion d'un vote sur un texte relatif à l'énergie et au climat et d'un débat sur le rachat du prix de l'électricité nucléaire, nous avons relevé que des amendements provenaient de Direct Énergie, qui est une filière de Total. On peut penser que Total et EDF débattent à ce sujet.
Vous aidez l'éolien en mer, des renégociations se sont engagées. EDF est un groupe public. La relation avec l'État peut être compliquée, qui souhaite éventuellement aider une filière à émerger, la situation n'étant pas la même pour un groupe qui n'est pas public. Vous qui êtes extérieurs, avez-vous l'impression que le marché est totalement concurrentiel ou des éléments empêchent-ils qu'il se déploie pleinement pour des raisons financières ?
. Il existe un marché par filière et les situations diffèrent très fortement selon les filières. Certaines sont matures comme l'éolien terrestre ou le photovoltaïque, d'autres sont à forte teinte industrielle et locale, telles que la biomasse et la méthanisation ; d'autres encore sont émergentes telles que la filière hydrogène, la géothermie, la filière éolienne offshore.
Il s'est passé beaucoup des choses au cours de ces dix dernières années, il s'en passera encore beaucoup ces dix prochaines années.
Les grands groupes sont entrés sur ce marché en acquérant nombre de sociétés, qui se sont constituées et qui ont aidé à la structuration du marché. Elles ont été aidées par la Caisse des dépôts.
La croissance organique de ces sociétés permet la structuration du marché. Je pense aux filières photovoltaïque et éolienne on shore. On assiste à « une commodotisation » d'un certain nombre de filières. Par « commoditisation », j'entends que le marché se normalise, rendant moins nécessaire l'intervention financière de la puissance publique. En effet, les coûts ont baissé, notoirement ceux des panneaux photovoltaïques, ce qui ne s'est pas toujours accompagné d'une production locale – c'est regrettable. La recherche et développement se poursuivent. Je citerai les efforts du Centre d'énergie atomique et d'autres acteurs en faveur des panneaux de nouvelle génération.
Les coûts ont donc baissé et des économies d'échelle sont à l'œuvre. Les rendements se sont stabilisés et ont commencé à intéresser des acteurs privés, y compris des financiers qui avaient parfois un ADN différent de celui de la Caisse des dépôts. En abordant ce secteur il y a dix ou quinze ans et en acceptant de prendre un risque supérieur à sa rentabilité attendue, la Caisse des dépôts était pionnière. Sa résilience a payé. Aujourd'hui, les filières de l'éolien et du photovoltaïque se sont structurées, des acteurs financiers classiques arrivent sur le marché, obtiennent des rentabilités classiques qui suivent les grandes infrastructures. La baisse des taux a aussi largement participé à la baisse des objectifs de rentabilité de ces acteurs.
Sur le jeu de la concurrence, vous connaissez mieux que moi la situation particulière du mix énergétique de notre pays. Nous sommes dans « un équilibre » permanent, si je puis dire. Nous pensons que les tarifs proposés sur les actifs brownfield, c'est-à-dire les actifs existants, permettent de stabiliser ces filières, de les rendre attractives pour des financiers, sans pour autant que les rendements soient hors marché. Ils permettent de continuer à croître, mais dans une logique où les tarifs continueront de baisser. C'est ainsi qu'à un moment donné on rejoindra le marché. C'est ce que l'on observe donc quand on se réfère aux portefeuilles de certains acteurs. Pendant encore une dizaine d'années, différents tarifs cohabiteront sur le marché, et puis le tarif du marché s'appliquera, ce qui sera positif pour le consommateur final.
. Vous avez évoqué le partenaire industriel Vattenfall. Vous n'avez pas remporté l'appel d'offres.
. Hélas non ! C'est le jeu de la concurrence.
. À cet égard, deux questions. Vous avez expliqué que vous étiez associés à cet acteur parce qu'il était performant pour faire baisser les coûts. Quand on s'associe à un acteur qui est particulièrement bon dans son métier, on pourrait se dire qu'il va remporter l'appel d'offres. Comment expliquez-vous que cela n'a pas été le cas et pourquoi ne vous êtes-vous pas associés à un acteur français puisque vous nous avez expliqué que des géants pouvaient relever le gant ?
. Nous avons cité un nom en exemple, mais nous sommes en partenariat avec tous les groupes du secteur qui deviendront des acteurs importants tout en soutenant les PME et les petits groupes. Par exemple, nous avons soutenu et été actionnaires pendant longtemps du développeur Valeco. Nous avons cédé notre participation cette année après avoir porté cet acteur pendant une dizaine d'années.
Pour vous répondre sur notre partenariat avec Vattenfall, je dirai que ce fut l'appel d'offres le plus concurrentiel que le pays ait connu. Huit candidats avaient fait une offre. Les grands groupes EDF et Total étaient présents mais aussi des groupes étrangers, tels que Shell ou Ørestad, donc un actif attractif. Nous avons perdu, cela arrive. Cela dit, les fourchettes de prix étaient très basses, ce qui démontre que l'éolien offshore, sur certains projets, est en mesure de proposer des coûts relativement bas. Nous avons perdu face à un groupe qui cherche à ancrer sa présence dans ce secteur et qui proposera, pensons-nous, un tarif très compétitif. Il convient de souligner que ce champ revêt une spécificité. On connaît les qualités du vent de la Mer du Nord. Dunkerque est un champ qui possède de grandes qualités d'un point de vue de la productibilité.
. Nous sommes présents dans d'autres parcs, tels que celui de Saint-Brieuc, du Tréport ou de Noirmoutier.
. Comment expliquez-vous la très grande différence de tarifs de rachat ? À l'issue d'une négociation il y a quelques mois, le mégawattheure de l'éolien s'affichait à 150 euros, six mois plus tard à 50 euros. Je veux bien que les vents ne soient pas les mêmes partout, mais, en l'occurrence, la marche franchie est importante.
. Cette question a suscité de nombreux de débats et a conduit à une renégociation. La lenteur avec laquelle émergent ces projets fait que bien des choses se sont passées entre l'attribution de ces projets et la situation actuelle, notamment du côté des turbiniers où le paysage a été relativement bouleversé et surtout des technologies utilisées. On parlait de turbines de 5 mégawatts, on parle aujourd'hui de turbines de 10 ou 12 mégawatts. Le grossissement de la taille des turbines a permis des économies assez élevées. Par ailleurs, d'énormes progrès ont été réalisés sur le plan de l'exploitation et de la maintenance des éoliennes. Ce peut être des éléments d'explication. Par ailleurs, il convient de prendre en compte la situation spécifique du parc de Dunkerque. On retrouve en Belgique et aux Pays-Bas des coûts relativement similaires à ceux de Dunkerque.
. Vous avez indiqué que la rentabilité n'était pas l'élément central de vos décisions, ce qui honore un banquier ! Rares sont les investisseurs qui ne réfléchissent pas uniquement en termes de rentabilité.
Vous avez évoqué le parc de Noirmoutier. Nous avons reçu les pêcheurs de Noirmoutier ici même, qui nous ont expliqué qu'ils avaient une activité de pêche côtière et que les zones où sont implantées les éoliennes risquent de les exclure. Ils ont considéré que l'on ne prenait pas en compte leur activité. Pourquoi n'intégrez-vous pas dans votre choix d'investissement le critère de l'acceptabilité sociale ? Des projets sont très contestés par les populations locales. N'y a-t-il pas une contradiction à être un acteur public qui investit ou réinvestit l'argent des Français et avoir contre soi une partie substantielle des Français au plan local ?
. C'est évidemment un fait que nous prenons en compte et sur lequel nous essayons de travailler. Avec l'ADEME, nous avons instauré un dispositif citoyen pour mieux associer les citoyens et faire émerger des projets citoyens. C'est un sujet que nous prenons en compte de façon générale.
La question des parcs éoliens offshore est très spécifique, parce que la zone d'implantation du projet est définie par l'État ; ce point faisait partie intégrante du cahier des charges. Dans le cadre de ces projets, le travail avec les industriels, auprès desquels nous insistons fortement, consiste à entretenir un dialogue continu avec les acteurs locaux – les pêcheurs, les collectivités territoriales du littoral – pour faciliter l'acceptabilité du projet. Je prendrai l'exemple du Tréport, qui est souvent cité. Un gros travail a été engagé, non pas pour déplacer le parc dans la mesure où c'était une contrainte du cahier des charges dont dépendait l'autorisation du projet, mais pour limiter le nombre des éoliennes, pour changer l'implantation des câbles électriques qui relient les éoliennes à la sous-station puis à la terre et permettre ainsi le passage de chalutiers dans le parc. Depuis 2015, le préfet maritime a plusieurs fois réitéré la possibilité pour les pêcheurs de pêcher au sein du parc. On peut comprendre une certaine réticence des pêcheurs, des acteurs en général, de voir apparaître un objet nouveau dans un paysage, mais un dialogue est instauré avec les acteurs, y compris les pêcheurs qui, par ailleurs, toucheront des indemnités au moment de la construction des projets.
. Vous touchez une corde sensible. Dans les projets d'énergies renouvelables dans lesquels nous investissons, nous cherchons à être le tiers de confiance qui permet le dialogue entre les investisseurs privés, que nous cherchons à attirer – on sait bien que la puissance publique ne peut plus tout développer, seule, dans ce pays – et les responsables des projets des territoires. Nous nous appelons « banque », certes à dessein, puisque notre vocation est de financer, mais nous nous mettons aussi au service de l'intérêt général et, en fonction de l'intérêt général, il nous arrive très souvent de nous retrouver entre le marteau et l'enclume, entre l'industriel privé et la collectivité territoriale, et d'essayer de trouver le juste chemin. Pardon pour cette réponse un peu politique, mais tel est le quotidien des quelque 450 investisseurs de la Banque des territoires.
. Vous avez répondu au sujet du Tréport. Nous comprenons que les enjeux diffèrent en fonction des situations, mais vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question.
Votre grille d'analyse est très large : elle comprend la rentabilité et bien d'autres critères. Pourquoi ne pas retenir celui de l'acceptabilité sociale ? Pourquoi, avant de financer un projet, ne pas décider de s'assurer du consensus, peut-être pas de la population, car c'est compliqué, mais au moins de celle des élus : les maires, le président du département… Ne serait-ce qu'en termes d'investissement, un projet qui est barré par des contentieux est un projet dont la rentabilité risque d'être reportée dans le temps. N'est-ce pas un principe de précaution ? Si la moitié de la population est contre le projet, peut-être est-il préférable de passer son tour.
. Ne serait-ce que du point de vue de l'investisseur financier, il est important de limiter les recours, car chaque recours retarde le projet. Ce travail a été réalisé, en particulier à Noirmoutier. Nous avons noué une relation de grande proximité avec les élus vendéens, ne serait-ce que parce que nous sommes actionnaires de la SEM Vendée Énergie et que nous avons beaucoup travaillé avec votre ancien collègue Alain Leboeuf sur les questions d'acceptabilité. Cette structure a été le relais des préoccupations des élus. Le travail est donc fait. Sur ce projet qui a été attribué en 2012-2013, les questions d'acceptabilité ont évolué. La position des pêcheurs également.
. Je ne parle pas uniquement de l'éolien offshore, mais aussi de la méthanisation ou de l'éolien terrestre. Pour toutes les énergies, à l'exception peut-être du photovoltaïque, au sujet duquel il n'a pas été fait état de problèmes d'acceptabilité sociale, on observe que, selon le porteur, des projets sont mieux conduits que d'autres. La résistance peut être plus ou moins forte, plus ou moins globale. Je pense notamment à un projet dans un parc naturel régional où nous avons retrouvé l'union sacrée droite/gauche, chasseurs/protecteurs des oiseaux. Il peut paraître étonnant que l'on ait choisi ce lieu d'implantation et que l'on ait investi dans un tel projet. Vous nous dites que vous vous déplacez dans la zone, mais on s'est aperçu qu'en amont chacun prospecte, détermine, sur la foi d'accords passés avec des propriétaires privés, et que les régions ou les maires ne sont pas forcément dans la boucle. Tout n'est pas aussi cadré qu'on pourrait le penser en termes d'investissement.
. Je ne trouve pas dans notre portefeuille le projet qui pourrait susciter une telle opposition. Ce que je peux vous dire c'est que nous sommes vigilants dans le choix de nos partenaires pour qu'ils traitent la question de l'acceptabilité.
Je reviens sur le partenariat que nous avons signé avec JPee. Un développeur dont le projet ne ferait l'objet d'aucun recours n'existe pas. Le recours systématique est une pratique en développement. JPee enregistre un taux de recours sur ses projets de 40 %, à rapporter à un taux moyen de recours sur les projets d'EnR au sol, notamment éoliens, qui avoisine les 60 %. Lorsque nous décidons un partenariat, nous sommes vigilants quant à la façon dont nos partenaires développeurs travaillent.
. La Banque des territoires a-t-elle une procédure particulière avec les régions ? Les régions développent des schémas. Fixez-vous une clause de rendez-vous ? Rencontrez-vous chaque région qui présente son projet et, de votre côté, lui dites-vous à quelle hauteur vous êtes susceptibles de le financer, cela afin de systématiser l'apport financier ?
. Plus qu'une clause de rendez-vous, nos directions régionales sont riches de 850 personnes dont le métier consiste à accompagner les élus locaux dans leur stratégie territoriale et leur financement. Nous sommes non seulement dans le dialogue, mais aussi parfois dans l'initiative, y compris au titre des moyens financiers, à travers l'ingénierie qui est l'un de nos différents métiers, que je rappelle : conseiller, financer, opérer. Conseiller c'est précisément mettre des moyens financiers à disposition des collectivités territoriales pour qu'elles soient en mesure de définir leur stratégie dans tous les domaines du développement économique local. Ce sont des dizaines de millions d'euros de financement d'études à destination des collectivités que nous mettons à disposition.
Nous entretenons un dialogue très pointu avec l'ensemble des échelons, puisque, à travers notre portefeuille de sociétés d'économie mixte, nous connaissons à peu près tous les acteurs des EPL ; nous sommes proches des départements, des mairies, des régions.
En tant qu'investisseur financier, nous essayons de prendre en compte l'ensemble des acteurs, mais, en tant qu'investisseur financier, nous restons modestes dans notre rôle. Vous savez comme moi qu'une feuille de route est définie par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous essayons de l'accompagner en adoptant une forme de neutralité. La Caisse des dépôts ne refuse pas de soutenir telle ou telle filière ; l'ensemble de ces filières créent de l'emploi local, permettent d'accompagner la transition énergétique. Bien sûr, elles rencontrent, çà et là, des oppositions mais nous essayons d'être au cœur du dialogue.
Comme Emmanuel Legrand à l'instant, je cherche dans ma mémoire des projets pour lesquels nous nous serions obstinés à apporter notre soutien contre la population locale. Je n'en trouve pas car telle n'est vraiment pas notre philosophie.
. Si je prends l'exemple de la région sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, figurez-vous au comité des financeurs de l'opération d'intérêt régional sur les énergies de demain ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la production de mégawatts décarbonés. Parmi vos critères, prenez-vous en compte le coût de la tonne de CO2 évitée afin de trancher entre différents projets ?
. C'est vrai que j'aurais dû m'informer sur ce qui se passait dans la région sud PACA.
. Je suis président de l'opération d'intérêt régionale Énergies de demain. Mais je vous pose la question sans arrière-pensée, car je ne siège pas au comité des financeurs.
. Nous allons vérifier si un des acteurs de la Banque des territoires siège au comité des financeurs.
S'agissant de l'accompagnement des régions, j'ajoute que nous avons accompagné à peu près l'ensemble des structures dédiées aux énergies renouvelables. Nous avons commencé en Bretagne avec Eilañ ; actuellement, nous accompagnons la région Occitanie avec la mise en place de l'Agence régionale Énergie Climat (AREC). Bien évidemment, nous serons disposés à travailler sur ce type d'approche en sud PACA.
. S'agissant de votre question portant sur le CO2, nous prenons en compte le nombre de tonnes. Nous ne prenons pas en compte le coût de la tonne de CO2, en revanche, nous mesurons le coût du mégawattheure.
Peut-être cela va-t-il vous sembler baroque, mais nous ne faisons pas d'arbitrage financier entre les projets. En effet, la volonté du directeur général de la Caisse des dépôts est de consacrer plus de crédits que par le passé au financement du développement local. Le portefeuille que j'ai la chance de gérer a donc vocation à croître fortement dans tous les domaines dans lesquels nous intervenons – pas uniquement dans les énergies nouvelles renouvelables. Bien sûr, nous sommes attentifs à l'utilisation des fonds propres de la Caisse des dépôts, constitués de l'argent qui appartient à tous les Français, mais notre volonté est de croître. Je rappelais hier aux Assises du numérique, puisque nous finançons un tiers du plan Très haut débit en France, que l'on peut concilier rentabilité, valorisation du patrimoine des Français et soutien à de grandes politiques du pays.
(M. Vincent Thiébaut, vice-président, remplace M. Julien Aubert au fauteuil de la présidence.)
. Vous avez sans nul doute entendu l'ensemble des critiques selon lesquelles les EnR électriques ne permettront jamais au mix de fonctionner seul ; c'est ainsi que le besoin en volume des centrales nucléaires restera le même. La critique est récurrente : nous serions en train de créer une forme d'itinéraire bis de l'électricité décarbonée en France. Le développement parallèle des deux systèmes serait une forme de gaspillage parce qu'un système ne remplacera jamais l'autre dans la mesure où l'un est intermittent et non pilotable contrairement à l'autre et que le premier ne pourra pas fonctionner sans le second.
Vous gérez l'ensemble des projets dans une vision prospective forte. J'ai entendu que vous investissiez aussi dans le stockage. Quels sont vos éclairages sur ce qui se passera à l'avenir et votre vision sur ces critiques selon lesquelles le foisonnement sera un échec, les différentes énergies renouvelables, même différentes, ne permettant pas de couvrir les besoins de manière stable ?
. En tant qu'acteur public, nous suivons la feuille de route tracée par la programmation pluriannuelle de l'énergie. Cela dit, la question que vous posez revient à l'éternel débat : énergie nucléaire contre énergies renouvelables. La stratégie de la France est de ne pas les opposer, de les considérer comme complémentaires. Le pays met l'accent sur la décarbonation de l'économie, et dans les deux cas, ce sont des solutions bas carbone.
Comme tout Français, nous constatons que la part du nucléaire dans le mix énergétique est très élevée et que se manifeste la volonté de rééquilibrer la situation en développant les énergies renouvelables. Nous suivons donc la feuille de route de la PPE.
La production d'énergie est une situation très locale, qui dépend de la géographie. La solution pour un pays comme l'Italie ou comme la Suisse n'est pas la même que pour un pays comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Chaque pays est donc spécifique. Si je prends l'exemple des DOM-TOM, où nous soutenons l'émergence des filières renouvelables, la situation dépend beaucoup de la topographie locale. Sur certaines îles, on trouve vent et soleil à profusion.
La vraie question de la stabilité du réseau électrique réside dans le stockage. Comme tout le monde, nous observons les efforts phénoménaux réalisés en matière de recherche et développement, que nous accompagnons. Par exemple, Bpifrance et la Caisse des dépôts travaillent avec le Commissariat à l'énergie atomique sur tous ces sujets. Nous avons évoqué précédemment notre participation dans les taxis à hydrogène. Nous accompagnons la recherche – davantage Bpifrance que la Banque des territoires. La Banque des territoires, quant à elle, travaille aux infrastructures, en finançant des bornes de recharge électriques mais aussi des bornes de recharge hydrogène. Nous nous attachons aussi au développement des usages. Nous avons parlé des taxis, nous finançons aussi du matériel roulant pour les collectivités qu'il soit électrique ou, dans le futur, à hydrogène. L'un des bons usages de l'hydrogène réside dans la mobilité des véhicules dits lourds, c'est-à-dire les bus, les trains, les bateaux.
Il y a vingt ans, nous faisions des projections sur la courbe des coûts de la production d'énergies nouvelles renouvelables. Quel sera le coût du stockage, quelles seront les technologies dans vingt ans ? Aurons-nous trouvé des moyens massifs – car le sujet est bien celui de la massification ? Beaucoup de personnes cherchent et déploient des moyens en faveur de ce secteur. Aussi, je pense que l'on peut être optimiste au vu du mouvement massif à l'œuvre actuellement dans ce domaine.
. Bien sûr, en termes de prévision, nous restons modestes sur la trajectoire globale relative au stockage mais nous travaillons très concrètement à cette question.
Je mentionnerai le projet de Sainte-Rose, en Guadeloupe, dans lequel nous avons investi aux côtés du développeur Valorem. Il s'agit d'un projet d'éolien avec stockage et pilotage intelligent du stock d'énergie, de la production et de la consommation d'électricité.
. Une des principales critiques portée à l'encontre des EnR est l'idée que l'on fait peut-être cela pour rien si nous ne parvenons ni à stocker ni à piloter.
Même si je comprends que vous appliquez une feuille de route, vous ne le feriez pas en conscience si vous étiez persuadés que cela n'avait pas de sens. Je pense que vous auriez lancé des signaux d'alerte très forts, a minima en interne. A priori, ce n'est pas ce que vous faites.
. Merci de me permettre de corriger mon propos de tout à l'heure. Nous avons des convictions.
. Çà et là, s'agissant de certaines filières dont on observe les difficultés, nous n'hésitons pas à lever le pied.
Je reviens aux critiques sur le financement global des EnR. Même s'il est peu aisé pour les organismes concernés de gérer des tarifs, lorsque les éoliennes tournent, lorsque les parcs photovoltaïques fonctionnent, le coût de production figure parmi les plus faibles. Une fois les parcs amortis, à l'instar du parc nucléaire français, on bénéficie, en théorie, d'un coût de production très bas. C'est inéluctable. On l'a vu précédemment dans le secteur de l'offshore , les progrès technologiques permettent des baisses de coût notables.
Dernier point, les réseaux sont en capacité de faire face. Il est possible d'envisager jusqu'à 30 ou 40 % d'énergies nouvelles renouvelables dans le mix énergétique. Des pays européens l'ont prouvé, produisant jusqu'à 30 à 40 % de leur énergie. Parfois, le pourcentage de 100 % d'énergie produite sur une heure à partir d'énergies nouvelles renouvelables est évoqué mais la donnée est plus ludique qu'autre chose ! Globalement, sur une année, les réseaux peuvent accepter jusqu'à 30 à 40 % d'énergies nouvelles renouvelables.
Parce que c'est important dans la balance commerciale, les énergies nouvelles renouvelables peuvent participer à une stratégie d'optimisation. Je citerai l'exemple de la Suisse qui fait monter l'eau dans ses barrages la nuit grâce à la puissance de ses centrales nucléaires. Elle vide les barrages le jour quand le tarif de l'électricité est plus élevé et exporte chez un certain nombre de ses voisins. Le mix énergétique permet aussi une optimisation financière.
. On peut rappeler de façon très factuelle que les progrès technologiques se traduisent dans les capacités de production des différentes technologies. Aujourd'hui, un parc éolien offshore tourne à pleine puissance la moitié de l'année, soit quasiment 4 000 heures l'an, ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques années. Cela représente bien plus qu'un parc éolien à terre qui fonctionne environ 2 000 ou 3 000 heures l'an. D'où l'importance de ces grands projets structurants. Pour ces raisons, d'autres pays européens ont fait le choix d'accélérer ces modes de production.
. Au cours de nos auditions, la remarque nous a été faite que les projets étaient peut-être trop petits en France et que pour des raisons d'acceptabilité, on avait tendance à aller chercher des projets moins dimensionnés, notamment sur l'éolien terrestre, mais qu'en réalité l'acceptabilité serait meilleure si, au lieu de multiplier de petits mâts, on en implantait moins et de plus hauts. Qu'en pensez-vous ?
. La régulation joue un rôle fondamental. Voyez les seuils qui sont fixés dans le cadre des appels d'offres qui se limitent à des parcs de six mâts, voyez toutes ces régulations successives qui ont été mises en place depuis quinze ans en France et impactent directement la répartition des projets. Si je reprends ma casquette d'investisseur, il est plus facile en termes d'acceptabilité locale et en termes de financement de financer un gros objet que plusieurs petits diffus.
. Vous êtes donc d'avis qu'il faut lutter contre la logique de mitage. Dès lors, que préconiseriez-vous pour lutter contre cela ?
. Il existe un optimum et ce n'est pas le financier qui en décide, mais les contraintes géographiques et industrielles. Les mâts des éoliennes offshore mesurent près de 200 mètres avec toutes les contraintes industrielles qui s'y attachent, sans compter l'acceptabilité locale s'agissant d'objets qui se voient, même s'ils sont implantés loin des côtes. Par ailleurs, la géographie entre en ligne de compte. En France, notamment sur une façade, les fonds marins sont plus près des côtes qu'en Belgique, en l'Allemagne ou aux Pays-Bas. C'est sur ces critères que les champs ont été sélectionnés. Çà et là, il est possible de trouver des lieux où installer des parcs d'éoliennes offshore qui produisent une certaine puissance. Mais le potentiel du pays est, par essence, limité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous finançons la recherche en matière d'éolien flottant qui correspond mieux à la géographie du pays.
. Vous avez évoqué la baisse sensible des coûts de production. Équivalent-ils à des coûts permanents ou au moment des pics de production ? Encore une fois, la critique porte sur l'idée que l'on produit de l'énergie supplémentaire à un moment ou l'on n'en a pas besoin. Certes, on l'utilisera sur un réseau qui peut l'absorber, mais à quoi bon si, au final, on la produit à un moment où l'on n'en a pas besoin ? Comment répondre à cette critique relative au stockage ?
. S'exprimer ainsi est peut-être un peu réducteur. On produit quand même de l'énergie renouvelable à des moments où elle sert.
. Il est extrêmement compliqué d'imaginer ce que signifierait passer de la mise en place d'un système centralisé, fondé sur de gros moyens de production en nucléaire et sur le réseau, à un système décentralisé, qui nécessiterait d'adapter la consommation à la production.
Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué l'aménagement énergétique. La technologie et les prérogatives que l'on peut accorder aux collectivités locales conduiront à des productions plus décentralisées physiquement. Il serait un peu réducteur de penser qu'il suffit de brancher le moyen de production local à la consommation locale. Ce n'est pas ainsi que cela se passe dans le secteur de l'électricité. Comme le rappelait Antoine Troesch, les réseaux jouent un rôle important pour bénéficier des effets de foisonnement et équilibrer la production-consommation à une échelle suffisante. Néanmoins, ces dernières, qui n'avaient pas jusqu'à des années récentes de rôle effectif dans la vision énergétique du territoire, occuperont une place de plus en plus large dans l'aménagement énergétique, dans la répartition et l'implantation des moyens de production sur le territoire pour éviter le mitage. C'est aussi pour cette raison que nous souhaitons travailler avec les collectivités locales. Ce sont aussi les collectivités locales qui, par leurs prérogatives, savent où sont les logements, les sites industriels et donc les lieux de consommation de cette énergie.
. S'agissant des dispositifs pour mieux associer les citoyens, vous parlez d'un partenariat avec l'ADEME. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Par ailleurs, on observe des stratégies de financements participatifs, mais elles ont été dénoncées au cours des auditions comme étant un moyen de faire croire à une adhésion citoyenne alors qu'elles n'étaient nullement d'essence locale. On fait ainsi croire que les populations locales soutiennent ces projets alors que les financeurs viennent de beaucoup plus loin et ne sont pas concernés directement par les projets. Ce sont des informations qui nous ont été remontées.
. Vous soulevez deux problématiques. D'une part, le financement sous la forme du crowdfunding. À l'origine, le crowdfunding s'appuyait sur internet pour lever des fonds dans le monde entier destinés à promouvoir un projet intéressant. Je suis un peu surpris parce que s'agissant des énergies renouvelables en France, les règles définies progressivement par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) imposent que les financements viennent du département d'implantation du projet ou des départements voisins. Ils ne peuvent donc venir de pays autres.
. À l'échelle d'une éolienne, le département voisin peut ne pas se sentir concerné. La population ne passera pas devant, ne se sent pas concernée.
. Je pense qu'il est difficile d'imaginer de lever, à chaque projet, des financements sur la commune dans un rayon d'un kilomètre. La DGEC a recherché le bon positionnement.
Pour revenir au projet ENERCIT, nous avons souhaité soutenir quelque chose d'un peu différent. Il ne s'agit pas pour des citoyens de financer un projet qui est développé par un industriel ou un développeur, mais plutôt de susciter des projets développés et voulus à l'origine par les citoyens. Le dispositif ENERCIT, que nous avons mis en place avec l'ADEME, comprend deux volets : d'une part, un volet d'accompagnement méthodologique auprès des collectifs de citoyens qui souhaitent la mise en place de projets d'énergie renouvelable – car il en existe quand même dans ce pays ; d'autre part, le fonds permet d'accompagner financièrement la phase de développement de ces projets. Ce dispositif s'est déployé progressivement dans l'ensemble des régions de France avec, en général, le soutien des régions elles-mêmes.
. Vous dites qu'il existe dans ce pays des personnes qui souhaitent « quand même » des projets d'énergie renouvelable. Les voix dissonantes, que l'on entend beaucoup, seraient-elles minoritaires parce que très amplifiées ou très organisées ?
Il a également été porté à notre attention le fait que les recours étaient parfois portés par des associations qui, elles non plus, n'étaient pas en lien avec le territoire concerné. S'exprimait davantage une idéologie « anti » que la voix des collectifs citoyens des territoires locaux. Pensez-vous que ce soit vrai ?
. La situation peut être très différente selon les projets. Lorsque les recours sont portés par la population locale, notre rôle est d'être à l'écoute. Pour d'autres projets, vous avez raison de souligner qu'il s'agit d'un phénomène qui est connu : le lobbying « anti » est très organisé ; des voix « anti » peuvent s'élever, venant d'autres territoires. Ces lobbies apportent aussi leur soutien financier à la mise en place de recours issus de sources qui ne sont pas locales. Le phénomène est connu et ne concerne pas uniquement les énergies renouvelables.
Ce matin, on voit très bien toute la difficulté de tracer un chemin dans la définition d'un mix énergétique qui réponde aux enjeux de ce pays et surtout à l'ambition qu'il s'est donnée, chaque pays ou chaque territoire pouvant se fixer une ambition légèrement différente en fonction de ce à quoi il est sensible.
Les critères économiques sont présents partout dans notre pays, mais la fracture territoriale a des conséquences. Aussi, certains territoires, plus fragiles, portent une attention toute particulière aux critères économiques. L'ensemble de nos concitoyens sont très attentifs à la question environnementale. Il n'est nul besoin de se le prouver. Un équilibre est donc à trouver, territoire par territoire, en prenant en compte, par ailleurs, le désir fort que l'économie redevienne locale, ce que la production décentralisée permet. De toute façon, on ne peut pas penser production sans réseaux. On sait aussi que, sur les sujets de changement climatique, 80 à 90 % de l'énergie mondiale sont consommés dans les villes. Ces éléments aussi doivent être pris en compte. M. Emmanuel Legrand a rappelé notre engagement sur la réhabilitation thermique des logements qui est un sujet difficile parce que, en France, 99 % du bâti concerne l'existant et 1 % le bâti neuf.
Il est, par conséquent, très compliqué de donner une réponse tranchée sur ces sujets. Il faut accompagner des convictions et nous essayons, pour ce qui nous concerne, d'accompagner des convictions nationales en suivant la feuille de route tracée par le Gouvernement et des convictions locales avec chaque territoire. Je l'ai souligné précédemment, nous participons pleinement à l'écriture des diagnostics territoriaux. Une filiale de la Banque des territoires, en charge de l'ingénierie territoriale, aide les collectivités, notamment celles qui disposent de peu de moyens financiers pour apprécier des enjeux très techniques. Nous les aidons et une fois le diagnostic établi, nous les accompagnons.
Notre engagement dans les sociétés d'économie mixte notamment est très porteur. Nous finançons ces SEM qui, elles-mêmes, instruisent les projets. Ayant une vue sur l'ensemble des sociétés d'économie mixte du territoire, nous faisons en sorte qu'elles dialoguent afin que, d'un département à l'autre, d'une région à l'autre, elles n'adoptent pas des stratégies antagonistes et contradictoires.
. Vous disiez que le soutien financier à ces recours « anti » n'était pas local. Savez-vous d'où il provient ? Qui a un intérêt financier ?
. Je n'entrerai pas dans des conjectures mais vous savez comme moi qu'il faut des moyens pour financer de telles actions. La vie est ainsi faite que des personnes ont un intérêt à ce que ces projets émergent, d'autres qu'ils n'émergent pas.
. Ce phénomène qui s'est développé au fur et à mesure des recours sur les projets d'énergie renouvelable se termine par des transactions financières. Le requérant retire son recours en échange d'une compensation financière ; au fil du temps, certains ont pu y voir des opportunités de récupérer un dédommagement financier.
. L'une des valeurs de la Banque des territoires, c'est l'optimisme. Nous sommes donc profondément optimistes mais, d'un autre côté, nous sommes aussi réalistes.
. Vous avez dit un mot sur la rénovation énergétique des bâtiments. Une enveloppe très importante de prêts est disponible au titre de la rénovation, néanmoins elle n'est pas consommée.
. Il s'agit d'un sujet extrêmement important pour la décarbonation du pays mais extrêmement difficile parce que, contrairement à la production d'énergie, il est peut-être plus facile de financer de gros objets, ce qui peut être fait dans l'éolien offshore alors que, s'agissant du bâti individuel, on s'adresse à des millions de foyers. Quant aux bâtiments publics, ils forment un enjeu, notamment parce que les collectivités n'ont pas toujours les moyens financiers de procéder aux rénovations.
Ainsi que nous avons eu l'occasion de le dire en comité de pilotage en présence du ministre d'État, l'action de la Caisse des dépôts sur le sujet est très ancienne et s'opère à différents niveaux. Nous sommes opérateur de logements sociaux par l'intermédiaire de notre filiale CDC Habitat. Ces dernières années, 350 000 logements sociaux ont ainsi fait l'objet d'une réhabilitation thermique. Quant au bâti neuf, qui ne représente pas une grosse proportion, il est plus facile de respecter des exigences très élevées, ce que nous faisons et qui figure dans nos critères d'investissement.
Le financement est disponible sous la forme de prêts pour le bâti existant. En revanche, le financement n'est pas aisément accessible, autrement dit le parcours client n'est pas facile. Ce constat a été dressé par tous les acteurs et par la ministre de la cohésion sociale et territoriale qui a marqué sa volonté de le faire émerger. J'espère que le Gouvernement s'est emparé du sujet. Nous sommes contributeur financier mais nous proposons aussi des idées pour un parcours client plus simplifié. Vous devez savoir que nous nous rapprochons du groupe La Poste ; là encore, nous avons un intérêt et des outils communs pour faire progresser rapidement ces questions.
Ensuite, se pose la question de la compétitivité de nos prêts. Le propos n'est pas facile à tenir, qui fait l'objet de discussions avec le ministère des Finances. Dans le contexte actuel, les prêts de la Banque des territoires sur ces sujets n'affichent pas la meilleure compétitivité – c'est le moins que l'on puisse dire ! Au Gouvernement de définir les priorités et nous serons heureux d'accompagner avec les outils adéquats.
La question n'est pas celle de la qualité du produit, si je puis m'exprimer ainsi, il s'agit de savoir à quels acteurs on s'adresse et avec quels outils. S'adresser à une personne qui rénove sa maison nécessite un prêt qui doit être simple d'accès et extrêmement incitatif. S'adresser à une collectivité présente l'avantage de toucher un parc plus grand. Tout dépend de la collectivité mais vous savez comme moi que les responsabilités, que ce soit des lycées, des universités, etc., relèvent de différents échelons. Nous essayons d'accompagner, mais nous militons pour une mutualisation de ces questions pour un impact plus massif.
La Caisse des dépôts soutient un dispositif d' intracting qui permet d'investir et d'être rémunéré en fonction des économies d'énergie réalisées. Nous avons dernièrement annoncé à Saint-Louis en Alsace, une toute petite municipalité qui est exemplaire, la mise en place de dispositifs. Il en a été de même récemment à Ajaccio. Programme de plus grande ampleur, nous procédons à la rénovation d'environ 240 lycées en Île-de-France. Mais là encore, ce que nous réalisons représente une goutte d'eau quand on voit ce qu'il reste à faire ! Nous militons très fortement pour une massification mais aussi pour une simplification du parcours. Tous les critères sont au vert. Une école qui est une passoire thermique règle des factures élevées, mais la question est aussi celle du bien-être.
. Nous avons essayé de porter l'accent sur les bâtiments éducatifs, depuis les écoles municipales jusqu'aux universités, parce que des enjeux sont à relever et que, en outre, pour un élu, la rénovation énergétique des bâtiments est quelque chose de visible par ses administrés.
La notion de parcours de rénovation est importante, le financement se plaçant plutôt à la fin. Pour avoir travaillé en priorité sur la rénovation des bâtiments publics tertiaires des collectivités territoriales, nous avons constaté l'absence du suivi des consommations, de factures agrégées, d'une vision transversale des dépenses énergétiques. Certes, il faut nuancer : les grandes collectivités locales, les agglomérations, disposent souvent de moyens suffisants pour piloter ; par contre, la situation est moins simple pour les communes plus petites. Nous avons identifié la nécessité de disposer de relais et de supports méthodologiques. D'ailleurs, l' intracting ne se limite pas au financement, nous aidons la collectivité locale à adopter une méthodologie de suivi de ses dépenses énergétiques qui se traduira par des réductions de consommation et des économies.
Nous pensons que les syndicats d'énergie sont des relais efficaces, les gens sont compétents et présents sur les territoires, en lien avec l'ensemble des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Au surplus, ils ont envie de faire. Nous connaissons plusieurs exemples de syndicats d'énergie qui ont envie de se lancer et d'aider les communes à la rénovation énergétique de leurs bâtiments. Nous travaillons sur ce sujet avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
. Vous avez parlé du financement qui progresse sur le territoire, ce dont je me félicite, de l'ordre de 150-160 millions d'euros par an, ce qui représente à peu près un milliard d'euros.
Avez-vous mesuré les financements que vous seriez amenés à investir dans les années à venir pour accompagner cette feuille de route sur le territoire ? Combien cela représente-t-il par rapport à l'ensemble des sommes qu'investit actuellement la Banque des territoires à l'échelle des collectivités ?
. Les 100 à 150 millions d'euros que nous investissons actuellement représentent environ 15 % puisque nous investissons de l'ordre de 800 millions d'euros par an à destination des collectivités. Afin de lever toute ambiguïté, je précise qu'investir 1 euro dans un projet permet d'embarquer avec nous d'autres actionnaires qui apportent en général deux euros et des banquiers qui participent à hauteur de trois ou quatre euros. Pour un projet d'un montant d'investissement de 7 millions d'euros, la Banque des territoires investit un million d'euros en fonds propres. Voilà pour l'effet de levier.
Les autres domaines dans lesquels nous investissons sont les infrastructures et les services numériques, l'aménagement économique, l'immobilier, l'économie sociale et solidaire. Je rappelle que la Caisse des dépôts est l'un des premiers financeurs de l'économie sociale et solidaire dans ce pays, ainsi que de tout ce qui relève de la mobilité et des infrastructures de transport, notamment des nouvelles mobilités, qui est un sujet connexe. C'est ainsi que nous adossons la transition énergétique et écologique à tout ce qui a trait aux nouvelles mobilités : les bornes hydrogène, les taxis à hydrogène, etc.
Nous pensons que de plus en plus de financements privés concerneront les filières matures. On pourrait penser que nous pourrions nous retirer si nous n'intervenions que pour combler la carence du secteur privé mais nous avons la volonté de poursuivre afin d'être le garant du dialogue avec les territoires. Par ailleurs, ce sont des rentabilités d'actifs d'infrastructures pour les industries qui sont matures. La rentabilité est donc intéressante pour le portefeuille de la Banque des territoires. Il s'agit d'argent public et nous visons une rentabilité inférieure à la rentabilité exigée par certains acteurs privés mais nous sommes aussi un investisseur avisé, c'est-à-dire que nous ne subventionnons pas, nous visons une rentabilité. Je ferai une petite digression sur l'économie sociale et solidaire. Dans bien des domaines, nous pensons que ce positionnement permet l'émergence de modèles économiques.
. Vous êtes acteurs en termes d'émergence et de soutien d'un certain nombre de filières. Avez-vous déjà identifié des filières où vous n'auriez plus à intervenir d'un point de vue financier parce qu'elles auraient atteint un niveau de maturité suffisant ? C'est la question que nous nous posons aujourd'hui, c'est un sujet majeur de notre commission d'enquête. Cela revient aussi à identifier, parmi les différentes filières EnR, celles qui arrivent aujourd'hui à un niveau de maturité et qui n'auront pas obligatoirement besoin demain d'être subventionnées ou d'un appui particulier.
. D'un point de vue financier, on parle d'actifs qui ont aujourd'hui des durées de vie de 25 ans ou 30 ans, dont les revenus dépendent du tarif d'achat pendant une période, puis du marché. La profondeur du marché de l'électricité en particulier est de trois ans. Si un groupe, par exemple, veut utiliser des outils de couverture et placer son électricité sur les marchés, il ne peut la commercialiser par des contrats supérieurs à trois ans.
Sur un plan peut-être un peu théorique, mais important du point de vue financier, relevons que si les tarifs de soutien à différentes filières disparaissaient, ces infrastructures devraient tirer leurs revenus du marché, alors que le marché d'électricité est de plus en plus volatil en Europe. Le risque pour les revenus et donc pour la rentabilité de l'investissement ou le remboursement d'une dette s'accroîtrait. Dans un monde où il y a profusion de ressources financières, ce n'est sans doute pas un élément majeur ; dans un monde où les ressources financières seraient plus rares, l'impact ne serait pas négligeable. Ce que je dis est vrai pour les énergies renouvelables comme pour tous les actifs de production d'énergie.
. Aujourd'hui, la situation des marchés de l'électricité est très paradoxale. De nouvelles énergies sont arrivées sur le marché européen de l'électricité. De nombreuses filières non soutenues, mais très fortement consommatrices en investissements, notamment le cycle combiné à gaz, connaissent des difficultés. Depuis quatre ou cinq ans, on observe l'absence de nouveaux investissements. C'est d'ailleurs pour cette raison que des acteurs de la filière, comme General Electric, souffrent.
On trouve donc les actifs classiques qui ont du mal à être financés, les actifs historiques qui ont une certaine durée de vie. Je pense notamment au parc nucléaire français qui doit faire face au programme de grand carénage. Là encore, se pose la question de ce qui peut être financé et du prix de l'électricité pour le financer. Enfin, on trouve les filières EnR. Ce qui incite des acteurs à investir, c'est la stabilité des tarifs pendant la durée initiale d'amortissement, qui est aujourd'hui, non pas de trente ans, mais de dix ou quinze ans, et qui permet de rembourser l'investissement initial. Ensuite, l'investisseur est exposé aux risques du marché. C'est la question centrale de cette commission, et pour tout dire elle est très difficile à apprécier.
. Au cours des différentes auditions, il nous a été expliqué, notamment s'agissant du photovoltaïque, que l'on serait capable très prochainement de produire à des coûts inférieurs à 50 euros. Actuellement, le prix du marché avoisine 50 ou 52 euros le mégawattheure. Bien sûr, il existe des effets volatils et saisonniers liés à l'intermittence des EnR, mais sur une année, on obtient un coût moyen qui, à l'heure actuelle, n'a pas tendance à baisser, mais plutôt à progresser. À ce rythme, dans cinq ans, certains contrats permettront le reversement de bénéfices aux investisseurs.
J'imagine qu'en tant qu'investisseur, vous étudiez aussi ces effets pour savoir où positionner votre support financier.
Vous avez parlé d'équilibre territorial de vos projets. Dans sa feuille de route, l'État fixe des objectifs nationaux par filière, ce qui est une bonne chose. On s'appuie sur les régions pour définir la mise en œuvre de la stratégie localement. Or, nous savons que certaines régions sont très sensibles aux « anti », d'autres un peu moins. Comment s'assurer d'un bon équilibre territorial ? Qui en assume le contrôle et qui joue le rôle de gendarme ? Je n'ai pas la réponse aujourd'hui.
À propos des contrats, implantera-t-on toute la partie photovoltaïque dans le sud de la France parce que l'on estime les résultats moins performants dans le Nord et dans l'Est ? Je suis frontalier de l'Allemagne. Si je parcours cinq kilomètres en Allemagne, je constate que toutes les entreprises recourent à l'énergie solaire.
J'éprouve une crainte. Aujourd'hui, nous n'avons pas de contrôle sur cet équilibre territorial et la mise en œuvre des objectifs au niveau des territoires. Je voulais avoir votre avis en tant que Banque des territoires.
. Nous resterons modestes. Nous avons déclaré que nous étions vigilants. La Banque des territoires est à disposition de tous les territoires, quels qu'ils soient, et de tous les acteurs. Les réalités physiques du pays font qu'il est plus facile de faire du photovoltaïque dans le sud – en PACA ou en Occitanie – et de l'éolien dans le nord de la France, plus venteux. La question que vous posez, me semble-t-il, est celle de la régulation. Il y a quelques années, les approches étaient plus régionales. En fonction des zones d'ensoleillement, les tarifs qui étaient accordés aux projets photovoltaïques différaient. Nous nous adapterons aux règles qui seront définies par le Gouvernement.
. Si nous étions le seul financeur, nous pourrions avoir une forme de contrôle, mais nous ne sommes qu'un modeste financeur !
Notre pays ne prend pas la voie de la régulation ou du contrôle national, il appelle de plus en plus à la décentralisation. Néanmoins, les stratégies des territoires privilégient l'économie locale. Tout cela est très focalisé sur la production, mais nous pensons que les sujets de consommation et de distribution sont essentiels. Je viens du monde de l'énergie où l'on dit que la meilleure énergie est celle que l'on ne consomme pas. Nous souhaitons donc accompagner les collectivités sur cette voie.
Je ne dispose pas des chiffres en ma possession aujourd'hui, mais si on rénovait ne serait-ce que 10 % des bâtiments publics, l'équivalent en énergie des centrales nucléaires économisé serait élevé. La stratégie de notre pays en moyens de production doit être « tous azimuts », mais il convient également de diversifier la manière dont il consomme. Sur le plan de la consommation, nous sommes engagés dans le secteur du transport en accompagnant les collectivités sur la base d'une loi prescriptive. L'intérêt des lois prescriptives est de permettre l'innovation.
Sur le sujet de la consommation du bâti, nous avons construit à Strasbourg la première tour à énergie positive. Nous essayons d'accompagner ce type d'action. Mais beaucoup est à faire si l'on veut que les choses changent dans le secteur de l'immobilier.
Par ailleurs, je me suis rendu dernièrement à Bordeaux. Ce qui sera entrepris en termes de décarbonatation du béton est extrêmement intéressant.
. Avez-vous connaissance de pratiques détournées dans les dossiers éoliens terrestres sur les territoires ? Il nous a été rapporté que des installations étaient implantées dans des interstices territoriaux, sur de petites bandes de terre un peu éloignées d'une commune mais plus proche d'une autre. On cible spécifiquement une zone moins gênante pour l'élu en charge du projet et davantage pour l'élu de la commune voisine. On cible spécifiquement des interstices moins couverts, et ce par une politique locale plus forte.
. Je n'ai pas connaissance de ce genre de difficultés dans le cadre de nos projets.
. S'agissant de la méthanisation, prenez-vous en compte les zones de rayonnement d'approvisionnement nécessaires à chaque site ? Le risque existe que les sites ne disposent pas des entrants suffisants et qu'à terme ils soient obligés de les rechercher beaucoup plus loin, ce qui serait contre-productif.
. La filière méthanisation est une filière que la Caisse des dépôts accompagne depuis 2002-2003. Nous avons accompagné la plupart des projets pionniers dont le bilan est extrêmement mitigé. Nous avons investi dans quinze projets et perdu beaucoup d'argent.
Parmi les EnR, je distinguerai les filières que j'appelle EnR de type infrastructures, c'est-à-dire l'éolien et le photovoltaïque, et les filières relevant davantage de l'industrie, telles que la biomasse, le bois-énergie ou la méthanisation. Vous avez sans doute déjà visité des sites, qui se caractérisent par des rotations de camions, du personnel sur place et de vraies difficultés de process.
Vous avez raison, la question des entrants est importante, ce qui sort des sites aussi – le digestat s'agissant de la méthanisation – mais aussi les résidus et les fumées des centrales biomasse. Ce sont là des sujets complexes d'un point de vue industriel, car il s'agit d'unités assez difficiles à stabiliser. D'un point de vue économique, par le jeu de la concurrence sur les intrants dans certaines régions, on peut assister à des effets de ciseaux.
Pour terminer, nous voudrions apporter une réponse à la question du président Aubert sur notre action aux côtés de Rising sud. Le projet Énergie demain, mentionné par le président, est un projet piloté par l'Agence de développement économique de sud PACA, Rising sud, où nous siégeons en tant que l'un des membres fondateurs et dont nous accompagnons les différentes initiatives.
. Merci de cette réponse. Je suis sûr que M. le président Aubert lira avec attention le compte rendu de cette audition.
Merci beaucoup pour la clarté de vos réponses et pour la transparence de vos propos.
L'audition s'achève à dix heures quarante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 9 h 05
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Vincent Thiébaut
Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon