Mardi 4 février 2020
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
La commission poursuit l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous avons examiné hier 245 amendements ; il nous reste donc 20 804 amendements à examiner.
Madame la présidente, je voudrais vous interroger sur les conditions d'examen du texte. Vous venez de l'indiquer, nous n'avons examiné pour le moment que 1 % des amendements en discussion. On peut donc légitimement s'interroger sur la capacité de notre commission à en voir le bout. D'ailleurs, vous-même donnez le sentiment que nous n'y parviendrons pas.
Dans ces conditions, considérez-vous que nous serons amenés à siéger ce weekend, voire la semaine prochaine ? À défaut, que se passera-t-il si vous décidez d'arrêter nos débats vendredi soir sans que nous ayons examiné l'ensemble du texte ? Déciderez-vous que le texte examiné en séance sera celui du Gouvernement, sans aucun amendement ?
En outre, ce texte est incomplet. On a le sentiment d'être à un repas de famille, avec d'un côté la table des enfants, où on s'amuse, et, de l'autre, celle des parents, où il est question des sujets sérieux. À la table des parents, donc, le Gouvernement et les syndicats négocient sur le financement du texte, et à la table des enfants, les députés parlementent sans savoir comment les mesures discutées seront financées.
Aux yeux du groupe Les Républicains, la façon dont notre débat est organisé pose donc plusieurs problèmes.
Ma question porte sur les amendements ayant été déclarés irrecevables. Je souhaite protester solennellement, car certains d'entre eux ont pour objet le coeur du dispositif, notamment l'âge d'équilibre. En d'autres termes, nous ne pouvons pas amender le texte sur cet aspect, ce qui est un problème. Je ne vois d'ailleurs pas sur quel critère se fonde l'irrecevabilité, car le système n'étant pas encore créé, il n'y a pas création de charge. Le Règlement restreint déjà largement le droit d'amendement. On ne peut donc accepter que l'irrecevabilité financière soit appliquée de cette façon. Il me semble qu'il faudrait au contraire ouvrir la discussion.
Je suis certain que vous êtes comme nous tous soucieuse de la qualité de nos débats, madame la présidente, et vous comprendrez que nous ayons besoin d'avoir une certaine visibilité sur vos intentions, ou sur celles de la majorité et du Gouvernement. Beaucoup de rumeurs bruissent ; pourriez-vous lever le doute sur certaines hypothèses ? Un débat long serait, en tout cas, préférable à un débat tronqué ou escamoté.
J'aimerais exprimer la déception du groupe La France insoumise après les échanges qui ont eu lieu hier après-midi et hier soir. Plus de 21 000 amendements restent à examiner, qui seraient autant d'occasions pour la majorité de défendre avec coeur son projet de loi, mais je constate qu'il y a dans les rangs de celle-ci peu d'enthousiasme à le faire.
Je me dois aussi de vous interpeller directement en votre qualité, madame la présidente, car vous n'êtes pas sans savoir que l'un des documents sur lesquels nos travaux se fondent, à savoir la magnifique étude d'impact qui a été remise aux parlementaires, a été truqué. Nous l'avons dénoncé hier à plusieurs reprises et, étrangement, cela n'a étonné personne. Vous-même n'avez rien trouvé à y redire. L'ensemble des cas-types envisagés dans l'étude ont pourtant été faussés par le gel de l'âge d'équilibre, de façon à faire croire que le système par points est plus favorable. Or ce sont sur ces cas que nous serons amenés à débattre. Dans le rapport Delevoye, c'est le système actuel qui avait été minoré pour aboutir au même effet mensonger.
Vous semblez déplorer la lenteur avec laquelle la discussion avance, mais nous ferons en sorte de la ralentir davantage encore si nous n'obtenons pas les réponses à nos questions. Je rappelle que ce projet de loi, non seulement est contesté par une majorité de nos concitoyens, mais aussi contredit les engagements présidentiels. Nous sommes las du ronronnement habituel : si vous voulez que cette discussion aille à son terme, vous devrez monter au créneau et défendre ce projet de loi argument contre argument. Nous ne laisserons pas cette commission défiler tranquillement alors que le pays est en ébullition au sujet des retraites.
Concernant l'organisation de nos échanges, en tant que présidente de cette commission, et nonobstant le nombre d'amendements restant en discussion et la lenteur de nos travaux, je suivrai la procédure et ferai examiner les amendements l'un après l'autre. Il est donc assez vraisemblable que nous siégions ce week-end, et peut-être aussi lundi et mardi ; nous aviserons ensuite, au fil de l'avancée des débats.
S'agissant des cas types de l'étude d'impact, ils ont été évoqués en conférence des présidents, et la question a été tranchée. Vous avez toujours la possibilité d'aller au bout de votre démarche en déférant le texte au Conseil constitutionnel, et je ne doute pas que vous le ferez.
Permettez-moi néanmoins de vous faire remarquer que je ne suis pas responsable du nombre d'amendements déposés ou restant en discussion. Si vous souhaitez que nous puissions débattre du fond de ce projet, et pas seulement de sa forme, peut-être faudra-t-il renoncer à défendre les amendements qui ne mériteraient pas de l'être, mais ce choix vous appartient.
Je réunirai le bureau à l'issue de nos débats de l'après-midi, vers 19 heures 45, de façon que nous arrêtions formellement le nombre de prises de parole et leur durée. J'ai laissé chacun s'exprimer librement hier, mais je pourrais décider qu'il en soit autrement, par exemple en ne laissant la parole qu'à un orateur pour et à un orateur contre, comme cela se pratique en commission des finances. J'ai préféré laisser le débat s'installer, afin que chacun puisse exposer ses arguments, et je souhaite que nous puissions poursuivre ainsi, ce qui repose sur vous.
Sur la recevabilité financière des amendements, monsieur Dharréville, je vais laisser le président Woerth vous répondre.
Permettez-moi de préciser au préalable qu'en commission des finances, chacun est libre de s'exprimer. La règle que vous nous prêtez serait d'ailleurs assez difficile à appliquer, madame la présidente, car les arguments contre un amendement sont souvent multiples, les oppositions étant très différentes.
Je vous ai interrogée précisément sur la façon dont vous-même interpréterez le Règlement si nous n'arrivons pas au bout de l'examen du texte, ce qui est tout à fait possible.
Au sujet de l'application de l'article 40 de la Constitution, la présidente de la commission spéciale m'a consulté, comme de coutume, sur la recevabilité d'un grand nombre d'amendements. Je me suis efforcé de concilier l'exigence de recevabilité financière et le respect de l'initiative parlementaire, comme le faisait le président Gilles Carrez. Dès lors qu'il y a doute, il profite au député.
Le projet du Gouvernement vise à instaurer un système nouveau par rapport au droit en vigueur. Les points ne sont pas l'équivalent des trimestres. Chaque fois qu'un amendement avait pour objet d'améliorer les droits à pension de ce nouveau système, il a été considéré comme créant une charge nouvelle. Lorsque la comparaison avec le système actuel était possible, j'ai déclaré recevables des amendements qui n'ouvraient pas de nouveaux droits par rapport à la situation actuelle. Par exemple, j'ai considéré que le fait de maintenir la prise en compte des six derniers mois de traitement pour les fonctionnaires n'était possible qu'à condition d'exclure les primes ; à défaut, on va au-delà de la situation actuelle et du projet de loi du Gouvernement, ce qui est un motif d'irrecevabilité.
Les amendements visant à supprimer un article sont toujours recevables ; ceux qui visent à supprimer un alinéa doivent être examinés au cas par cas. Je m'y suis employé durant de nombreuses heures compte tenu du nombre d'amendements à examiner.
Le fait qu'il y ait à la fois un projet de loi et un projet de loi organique ouvre la possibilité de déposer plus d'amendements, mais la règle constitutionnelle s'applique invariablement.
Il me paraît nécessaire que nous soyons bien informés sur le déroulement de notre débat et sur la façon dont il pourrait se conclure, car c'est important.
Vous avez pu constater que nous sommes une opposition responsable qui ne fait pas de l'obstruction. Nous avons déposé environ mille amendements pour cent députés, soit une moyenne de dix amendements par député, ce qui, sur un texte comme celui-ci, est tout à fait respectable et louable. Nous avons un contre-projet, et nous ne sommes pas là pour bloquer le pays ni le Parlement. Nous contestons toutefois l'ensemble des modalités de la réforme proposée.
Vous envisagez que nous siégions ce weekend, lundi et mardi. Avez-vous, en tant que présidente de la commission spéciale, la volonté d'aller jusqu'au bout de l'examen de ce texte ? À défaut, si le temps venait à manquer en raison des délais à respecter, notamment pour l'examen dans l'hémicycle, cela signifierait-il que la discussion que nous aurons eue sera nulle et non avenue ? Reviendra-t-on au texte gouvernemental en considérant qu'aucun amendement, pas même celui de notre collègue Bazin, n'a été adopté ? Compte tenu de l'enjeu de nos débats, il serait regrettable que tout le temps et l'énergie qui y auront été consacrés s'avèrent inutiles.
Je souhaite, pour ma part, que la réunion du bureau que vous avez annoncée aborde, outre les modalités de répartition du temps de parole, cette question fondamentale : que prévoit la procédure si nous n'arrivons pas au bout de l'examen du texte ? Autrement dit, à quoi sert notre travail au sein de cette commission ? La volonté cachée du Gouvernement ne serait-elle pas qu'on ne change rien au texte et qu'on n'évoque pas les sujets de fond ? Ce serait profondément dommageable, car nous souhaitons qu'un débat ait lieu sur chacune des modalités de la réforme. Le texte comporte, en effet, plusieurs imprécisions que le Conseil d'État a relevées.
Ces questions ne sont pas neutres. La concertation a échoué, le dialogue social a avorté, et le débat parlementaire risque de s'avérer improductif. La question de la procédure d'examen du texte touche donc directement à la solidité juridique de la loi.
Sur l'irrecevabilité financière, je n'ai pas l'expérience de notre collègue Éric Woerth, mais j'avais cru comprendre que l'article 40 était opposable aux amendements créant une dépense nouvelle ou diminuant une ressource existante. Or les amendements jugés irrecevables touchent à l'âge d'équilibre. S'il existe des éléments tangibles pour affirmer que la modification de ce critère entraîne automatiquement une hausse des dépenses ou une baisse des recettes, il serait souhaitable que le président de la commission des finances les transmette à la commission spéciale. À défaut, ces amendements doivent être discutés.
J'ajoute que le fait de soumettre nos propositions au filtre financier alors même que la question du financement du projet de loi échappe à la compétence du Parlement renforce notre frustration et ne nous permet pas de trancher en connaissance de cause. Nous vous demandons donc de rétablir la recevabilité d'amendements qui portent sur des questions de fond. Il s'agit non pas d'un procédé d'obstruction, mais d'une tentative de débattre du fond. L'âge d'équilibre a été au coeur des préoccupations des organisations syndicales, c'est un sujet central du débat.
J'ai bien écouté vos remarques, chers collègues ; nous reviendrons sur ces questions lors de la réunion du bureau.
Monsieur Woerth, en votre qualité de président de la commission des finances, vous connaissez parfaitement la manière de procéder. Étant parlementaire avant tout, j'aime quand le travail parlementaire paie, quand des amendements déposés sont retenus et qu'on ne revient pas sur ce qui a été voté. J'espère donc que nous pourrons aller au bout de l'examen de ce texte, ce qui dépendra de l'attitude de chacun d'entre vous. Il est souhaitable que la parole circule davantage au vu du nombre d'amendements à discuter. Il y va de notre crédibilité à l'extérieur de ces murs.
Ma volonté est très claire : j'ouvrirai le nombre de jours nécessaire à ce que nous discutions ce texte jusqu'au bout.
J'aimerais néanmoins connaître votre interprétation du Règlement quant à l'éventualité que nous n'arrivions pas au bout de nos travaux, madame la présidente.
Monsieur Jumel, il m'est impossible de donner une réponse d'ensemble sur l'irrecevabilité de plusieurs centaines d'amendements. Je peux, en revanche, vous donner les motifs précis d'irrecevabilité de chaque amendement sur lequel vous vous interrogez. Si des erreurs ont été commises, ce dont je doute, elles seront corrigées.
Article 1er (suite) : Création d'un système universel de retraite par répartition
La commission examine les amendements identiques n° 1799 de M. Ugo Bernalicis, n° 1801 de M. Alexis Corbière, n° 1809 de M. Adrien Quatennens et n° 1813 de M. François Ruffin.
Nous reprenons notre discussion sur l'objectif assigné au système universel de retraite à l'alinéa 7 de l'article 1er : celui « de garantie d'un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d'une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Non seulement l'étude d'impact est truquée, mais on nous trompe aussi dans le projet de loi lui-même en y insérant des affirmations aussi mensongères que celle-ci, car on voit bien, dans les articles qui suivent, qu'il n'en est rien.
Prenons l'exemple des avocats, qui vient d'être abordé à la séance de questions au Gouvernement. Actuellement, en cas de carrière hachée, ces professionnels sont assurés de partir à la retraite avec un revenu plancher de 1 400 euros environ, tandis que votre projet de régime universel prétendument juste prévoit un plancher de 1 000 euros. Pensez-vous vraiment atteindre ainsi l'objectif d'un niveau de vie satisfaisant pour les retraités ? À l'évidence, pour les avocats, on est loin du compte !
Vous prévoyez, en outre, un taux de remplacement de 85 % du SMIC pour une carrière complète. Et vous osez appeler cela une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ? Vous vous moquez du monde !
Voilà donc l'alternative : soit vous changez tout le reste du texte pour qu'il soit cohérent avec l'alinéa 7 de l'article 1er, soit vous supprimez cet alinéa.
L'amendement vise à supprimer cet alinéa, par lequel vous prétendez garantir un niveau de vie satisfaisant. Or, nous en avons déjà débattu hier, un niveau de vie satisfaisant ne saurait être inférieur au SMIC. Le seul objectif chiffré que vous inscrivez dans le projet est pourtant celui d'une pension équivalente à 85 % du SMIC pour une carrière complète. Cette incohérence n'est pas respectueuse pour les lecteurs, ni pour les citoyens qui suivraient notre débat.
Il serait donc sain de supprimer cet alinéa qui ne correspond pas au véritable contenu du texte : la réforme ne garantira pas un niveau de vie décent aux retraités, bien au contraire !
Je le répète, il est particulièrement difficile d'apprécier le contenu d'un texte mité ; vingt-neuf ordonnances, ce sont autant de trous dans le projet de loi, autant de sujets dont nous ne pouvons pas discuter, sur lesquels nous ne pouvons qu'habiliter le Gouvernement à légiférer.
Alors que l'étude d'impact a été truquée, il est question dans l'alinéa 7 de garantir un niveau de vie satisfaisant et de verser une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active. Les deux questions essentielles que se posent les Français sont précisément les suivantes : à quel âge ils pourront partir en retraite, et avec quel niveau de vie. Compte tenu des objectifs qui sont les vôtres dans cette réforme, vous vous contentez de répondre qu'on partira toujours plus tard, à un âge supérieur à l'espérance de vie en bonne santé, et vous n'offrez aucune garantie quant au revenu, car ce sera la variable d'ajustement.
Les générations connaîtront, l'une après l'autre, une baisse des pensions qui sera fonction de leur part dans la population totale et de l'espérance de vie. Vous entendez ainsi pousser les gens à travailler plus longtemps, et il n'y a là rien de satisfaisant.
L'ensemble du projet de loi est faussé, et nous ne pouvons continuer de discuter d'un texte insincère.
Vous prétendez dans cet alinéa assurer un niveau de vie satisfaisant pour les retraités, mais comment comptez-vous vous y prendre ? Alors qu'on sait qu'il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, votre objectif est de faire baisser la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) en la faisant passer de 14 % à 13 %. C'est la quadrature du cercle !
Je crains que le résultat mathématique de ce problème ne soit le même que celui que vous avez obtenu avec la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et vos autres mesures du même type, c'est-à-dire 400 000 pauvres de plus en France. Tel sera l'aboutissement de votre réforme.
En dix ans, les montants versés aux plus de 60 ans au titre du revenu de solidarité active ont augmenté de 157 %. Pourquoi ? Parce que l'allocation de retraite méritée est remplacée par une allocation de pauvreté. Voilà la perspective que vous tracez. Dans ces conditions, nous sommes donc impatients d'entendre vos explications quant à la garantie d'un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
Je reprendrai les explications données hier soir, car MM. Ruffin, Bernalicis et Corbière n'étaient pas présents.
Il est toujours possible de contester les outils et les moyens choisis pour mettre en oeuvre un dispositif, mais l'article 1er rassemble les objectifs que nous nous donnons. L'amendement proposé vise ainsi à supprimer l'alinéa 7 de l'article, c'est-à-dire l'objectif de garantie d'un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
Je ne conteste pas le droit à multiplier les amendements individuels, mais je déplore que, par cette manoeuvre, on détourne le fonctionnement de notre assemblée, on abîme le rôle du Parlement, on empêche les autres oppositions de s'exprimer.
M. Bazin s'interrogeait tout à l'heure sur une hypothétique volonté cachée du Gouvernement d'empêcher que l'examen du texte arrive à son terme. Il n'y a pas loin à penser que le Gouvernement s'est entendu avec le groupe La France insoumise pour exécuter ce dessein... Je vais mener mon enquête !
Au vu des difficultés que rencontrent les retraités, et de celles qui sont à craindre pour les futurs retraités...
..nous ne sommes pas à la hauteur. Nos propositions sont peut-être inadaptées selon votre cadre d'analyse, mais il serait plus approprié que nous travaillions ensemble, au lieu de perdre du temps avec des punchlines, car ces amendements de suppression d'objectifs empêchent la discussion des idées susceptibles d'améliorer véritablement le texte.
L'avis est donc défavorable, et le sera sur tous les amendements de même inspiration.
Après avoir entendu les explications de M. le rapporteur, je constate que la notion de niveau de vie satisfaisant est manifestement dépourvue de portée normative, ce qui rend l'alinéa 7 inconstitutionnel. Dans sa décision du 21 avril 2005, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs censuré pour ce motif un article de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon », qui fixait pour objectif la réussite de tous les élèves.
En outre, la notion de niveau de vie satisfaisant est ici à l'état gazeux, compte tenu du fait que vous prévoyez dans l'étude d'impact une part réduite de PIB consacrée aux retraites à l'horizon de 2050 alors que le nombre de retraités va augmenter.
Vous avez interdit le débat sur le niveau de vie des retraités relativement à celui des actifs. Or le taux de remplacement va baisser de façon très importante tandis que l'âge de départ à la retraite va augmenter. Quant au minimum de pension, il sera de 85 % du SMIC à l'entrée en vigueur du régime universel, mais compte tenu des règles de revalorisation du salaire minimum – qui permettent, pour l'instant, d'en préserver le niveau – on sera peut-être à 75 % du SMIC vingt ans plus tard.
Au total, donc, contrairement à l'objectif qu'il énonce, votre texte de loi ne garantit pas un niveau de vie satisfaisant aux retraités.
Si nous souhaitons supprimer l'alinéa 7, c'est précisément parce qu'il ne correspond pas du tout à vos objectifs réels, qui sont de limiter la part des richesses consacrées aux retraites. Votre objectif, c'est de faire en sorte que les Français travaillent toujours plus longtemps, c'est d'encourager la capitalisation, et rien d'autre. Le reste n'est qu'un écran de fumée.
Vous nous reprochez de nous appuyer sur des punchlines, monsieur le rapporteur, mais c'est vous qui paradez avec votre réforme universelle, juste, simple et pour tous, qui prétendez qu'un euro donnera lieu aux mêmes droits. Toutes ces formules étaient vaines : vous avez perdu la bataille de l'opinion.
Vous êtes bien mal placé pour nous donner des leçons. Vous affirmez que nous abîmons le rôle du Parlement, mais c'est le Gouvernement qui a transmis aux parlementaires une étude d'impact truquée. Alors que l'exécutif a un devoir de sincérité vis-à-vis du Parlement et des Français, nous examinons un texte à trous construit sur la base de cas-types faussés !
Nous jouons ici notre rôle d'opposition parlementaire. Quant à vous, votre dessein est de faire travailler les Français plus longtemps, alors assumez-le. Et ne venez pas dire autre chose. Vous avez truqué l'étude d'impact pour faire croire que la réforme était favorable. Le Parlement est méprisé dans le cadre de cette réforme, et vous le savez.
Sortez du bois, collègues Marcheurs ! Défendez votre réforme des retraites, si formidable, si juste ! Vous êtes silencieux ; avez-vous reçu des instructions ?
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 22451 de M. Pierre Dharréville.
Nous avons fait plusieurs propositions de réécriture de l'alinéa 7, qui nous paraît, à nous aussi, en complet décalage avec le reste du texte.
Pour rappel, il s'agit de fixer un « objectif de garantie d'un niveau de vie satisfaisant aux retraités, et de versement d'une retraite en rapport avec les revenus perçus pendant la vie active ». Rien n'est toutefois précisément défini – ni le niveau de vie satisfaisant ni la retraite en rapport avec les revenus perçus. Le taux de remplacement n'est pas non plus inscrit dans le texte. En revanche, les objectifs sont très clairement énoncés concernant l'équilibre financier et la maîtrise des dépenses. Voilà qui nous renseigne sur la réelle visée de cette réforme.
Nous proposons donc ici que vos objectifs initiaux soient mis en conformité avec le reste du texte. Mon collègue Sébastien Jumel présentera plus tard les objectifs que nous aurions souhaité y voir inscrits.
Avec la rédaction proposée – « le système universel de retraite doit permettre de garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités, reflétant les revenus perçus pendant la vie active » –, ce gouvernement et ceux qui lui succéderont pourront définir précisément, en fonction de leurs objectifs sociaux, ce que pourrait être ce niveau.
S'agissant de la définition du « niveau de vie satisfaisant », je rappelle à M. Vallaud, qui, me semble-t-il, a occupé des responsabilités sous la précédente législature, les termes de l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale tel qu'issu de la « loi Touraine » : « La Nation assigne au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre( les générations et au sein de chaque génération [...] et par la garantie d'un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités ». La précision des termes qui valait il y a cinq ans vaut encore aujourd'hui. Avant d'intervenir, il faut vérifier les textes existants.
Enfin, monsieur Dharréville, J'ai envie de dire : « Chiche ! Adoptons votre amendement et inscrivons à l'article 1er : "un objectif de dégradation du niveau de vie des retraités, et de versement d'une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active" ». Les aspirations du Parti communiste pour les retraités et les conditions sociales dans lesquelles il veut engager notre pays ont bien changé !
Avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, allez-y, votez un tel objectif ! Ce que nous vous demandons, c'est de la sincérité entre les objectifs que vous fixez et les moyens que vous mettez en face.
Je pose ma question pour la deuxième fois, mais peut-être l'entendrez-vous huit cents fois : comment ferez-vous pour garantir un niveau de vie satisfaisant aux retraités ? Alors qu'il va y avoir des centaines de milliers de retraités supplémentaires, vous expliquez très clairement dans votre projet de loi que vous allez baisser la part du PIB consacrée aux retraites. Le gâteau sera plus petit, il y a aura plus de personnes à manger dessus, mais vous prétendez que les parts seront les mêmes. Il y a là un mystère que j'aimerais vraiment que vous éclaircissiez !
Ce midi, j'ai constaté, avec des représentants de la Coordination rurale que j'ai reçus pour évoquer les états généraux de l'alimentation, qu'il y avait un fossé énorme entre les objectifs affichés et les moyens réellement consacrés : cela n'avait plus rien à voir. Cette fois, nous vous demandons de la cohérence entre vos objectifs et les moyens à mettre en oeuvre.
Hormis qu'il s'agit là d'un amendement de provocation, le groupe Les Républicains comprend de votre texte que la variable d'ajustement – il en faut toujours une – dans le système que vous proposez, c'est la baisse des pensions. L'âge pivot engage la baisse des pensions, contrairement au recul de l'âge légal qui entraîne un décalage des droits. Avec un âge pivot, beaucoup de personnes décideront de partir, parce qu'elles en ont le droit, avec une pension dégradée par rapport au système actuel, un malus à vie. La baisse des pensions, c'est le coeur de la variable d'ajustement de ce que vous proposez.
Pour notre part, nous proposons de repousser l'âge légal de départ à la retraite, ce qui n'est pas du tout la même chose.
J'ai effectivement souligné la faiblesse insigne des objectifs que vous fixez. Mais nous voulons aller plus loin en vous proposant d'assumer les conséquences directes de votre texte. Cet amendement de coordination ou de précision, en quelque sorte, vise à inscrire dans la loi ce que sera réellement son résultat : la dégradation du niveau de vie des retraités avec le versement d'une retraite bien inférieure aux revenus perçus pendant la vie active. Le mécanisme que vous nous proposez, c'est non seulement l'allongement de la durée de travail pour avoir droit à sa retraite, mais également la baisse très nette du niveau des pensions pour toute une partie de la population. Nous vous demandons simplement d'avoir la cohérence d'inscrire vos objectifs dans ce texte, plutôt que de faire semblant.
Depuis hier soir, on tourne en rond dans une discussion générale sans fin. Vous placez le débat sur le terrain des principes et présentez des amendements de provocation, sachant fort bien que s'ils étaient adoptés, vous ne voteriez pas la loi. Soyons sérieux !
L'article 1er pose les grands principes. J'ai hâte que l'on en vienne à l'examen des articles suivants afin que l'on aborde les amendements sur le fond. Ceux que nous examinons actuellement sont ridicules et ne font que ralentir les débats
La commission rejette l'amendement.
Puis la commission examine l'amendement n° 14658 de M. Pierre Dharréville.
Vous gouvernez par ordonnances ! Depuis que vous êtes aux responsabilités, il y a eu 56 000 manifestations. Alors que la France est fractionnée, divisée, bâillonnée, humiliée, vous nous donnez des leçons de démocratie : ça suffit ! On joue notre rôle de parlementaires. (Protestations parmi les députés du groupe La République en Marche.)
Après un amendement de provocation, nous vous proposons un amendement de consolidation, qui vise à substituer à l'objectif de garantie d'un niveau de vie satisfaisant celui d'améliorer le niveau de vie. Votre projet ne garantit pas le taux de remplacement ; la réduction du poids des retraites dans le PIB, qui passe de 14 à 12,8 %, a une conséquence sur le niveau des pensions. Contrairement à ce que dit Éric Woerth, les gens ne choisiront pas de partir plus tôt à la retraite, ils y seront contraints parce que certains métiers ne permettent pas aux salariés de travailler comme votre loi va les y obliger. In fine, votre projet va dégrader les conditions de pension. Notre amendement constructif vise à s'en prémunir.
J'ajoute que l'indexation du niveau des pensions sur le niveau des salaires moyens est reportée à perpète – en 2048. Elle n'offre donc pas, elle non plus, de garantie satisfaisante en matière de niveau de vie de nos pensionnés.
Vous refusez l'amendement de provocation, et je l'entends. Mais je vous demande d'adopter cet amendement constructif.
L'objectif est tout à fait louable et nous avons le même. Nous voulons améliorer le niveau de vie des retraités car, si leur revenu moyen en France représente 106 % du revenu moyen de la population active – c'est le meilleur rapport parmi les pays européens –, au sein de cette moyenne, un certain nombre de retraités touchent des pensions excessivement modestes. C'est pourquoi nous proposons de fixer le minimum de retraite à 85 % du SMIC, ce qui est certes toujours modeste, mais c'est une progression par rapport aux 70 % d'aujourd'hui. Notre objectif est plutôt d'aboutir à une meilleure répartition des pensions, d'où notre préférence pour les termes « niveau de vie satisfaisant », étant entendu que nous nous retrouvons sur la philosophie.
Avis défavorable.
S'il y a des amendements de provocation, j'ai dans les mains un document de provocation : celui de mille pages que nous avons reçu il y a quatre jours, dont nous devrions, pour le maîtriser, lire une quarantaine de pages par heure pendant 10 heures... Tout cela n'est pas sérieux ! Évidemment, personne ici n'a lu cette étude d'impact et personne ne la maîtrise. Mon collègue Adrien Quatennens, qui l'a lue plus en détail que moi, a dit ce que la presse a révélé, à savoir que nombre de chiffres sont erronés et que les études d'impact sont biaisées. Voilà ce contre quoi nous protestons !
Je défends cet amendement parce que les conditions dans lesquelles nous travaillons doivent être dénoncées. Vous inscrivez des objectifs qui ne se révèlent pas dans les documents tels que vous nous les présentez, quand on les lit dans le détail. Nos amendements ne sont pas de provocation mais de bons sens. La provocation, ce sont les conditions déplorables, inacceptables, et méprisantes pour toute représentation parlementaire sérieuse, dans lesquelles vous avez placé ce débat. On ne peut pas travailler sereinement à cause du Gouvernement. D'ailleurs, vous ne voulez pas qu'on travaille mais qu'on obéisse et qu'on vote hors de toute connaissance de cause ce projet de loi.
Par sympathie à votre égard, nous avons déposé beaucoup d'amendements pour que vous ayez le temps de réfléchir sur ce scandale démocratique. Au terme de quinze jours de réflexion, vous pourrez ainsi reconnaître que les conditions n'étaient pas réunies pour ce travail et nous pourrons nous rassembler pour représenter ceux qui manifestent actuellement, qui sont majoritaires.
Merci, monsieur Corbière, pour cette charmante attention dont nous vous savons vraiment gré.
Je vais maintenant demander un peu de sérieux à ceux qui réclament un débat parlementaire sérieux, et de cesser de brandir des accessoires – ils ont bien été vus sur la vidéo. J'aimerais que l'on discute posément, comme on l'a fait hier soir, et que l'on s'écoute.
Nous sommes au coeur du problème avec le taux de remplacement sur lequel il n'y a aucune garantie. La réponse que vous avez faite, monsieur le rapporteur, mérite d'être discutée. D'abord, le niveau actuel de retraite n'est pas garanti par les termes « niveau de vie satisfaisant ». Ensuite, vous avez sous-entendu que certains allaient y perdre. Cela mérite des explications. Notre formulation nous semble offrir un objectif beaucoup plus souhaitable pour les salariés et les retraités de notre pays.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement n° 22458 de M. Pierre Dharréville.
Vous avez raison de dire que le système de retraite imparfait que nous connaissons a permis de résorber la précarité, voire l'extrême pauvreté dans laquelle les retraités se trouvent depuis 1970, même si des poches d'extrême pauvreté persistent, comme c'est le cas pour les agriculteurs que je connais bien, comme vous. On peut considérer que le système par répartition que vous allez flinguer a permis une élévation du niveau de vie des retraités.
Vous dites partager la philosophie qui consiste à vouloir améliorer le niveau de vie des retraités, mais vous ne voulez pas l'inscrire dans le marbre de la loi parce que la seule chose que vous êtes capables de garantir, après votre vachement bonne réforme, c'est un niveau de vie simplement satisfaisant. Cela ne veut rien dire !
Soit vous pouvez nous démontrer que les taux de remplacement seront garantis, que le niveau de pension moyen de chaque retraité sera augmenté, que les femmes ne seront pas pénalisées, que les carrières hachées, les carrières précaires s'en sortiront grandies, que les 3 millions d'agriculteurs à qui vous avez fait des promesses verront leur niveau de vie amélioré et le minimum retraite mis en oeuvre, y compris de manière rétroactive pour ceux qui sont déjà à la retraite, et alors vous nous aurez convaincus et nous nous reprocherons de nous être opposés à votre projet. Soit, comme je le crois et comme le démontre à chaque minute le débat sérieux que nous avons depuis plusieurs jours, vous ne le pouvez pas, et cela légitime notre amendement.
Monsieur le rapporteur, vous êtes bien sympathique de dire que vous partagez nos objectifs, mais si cela vous empêche de les inscrire dans la loi, soyez-le moins et montrez-vous plus pragmatique !
Monsieur Ruffin, la taille du gâteau est dynamique puisqu'elle est corrigée de la croissance chaque année. Dans les diverses hypothèses, il est communément admis que, en période de croissance, la taille du gâteau augmente plus rapidement que celle des pensions, d'où la part relative plus faible de ces dernières dans les prévisions, y compris celles du Conseil d'orientation des retraites (COR).
En outre, dans le dernier rapport du COR, un tableau montre que la proportion des pensions moyennes, qui représente aujourd'hui 106 % du revenu moyen des Français, dans un contexte de croissance à 1 % ou 1,3 %, et sans réforme, s'écroulerait puisque les revenus progresseraient plus rapidement qu'évoqué. Nous proposons de tenir compte de l'évolution du revenu moyen pour caler le niveau des pensions.
Nous assumons que la réforme proposée par le Gouvernement soit extrêmement redistributive. Cela implique que certaines professions gagneront moins en proportion que les autres. Assurément, ce sont celles dont les revenus sont les plus élevés qui y perdront, pour autant qu'on doive parler de perte. Mais puisqu'on renforce la solidarité nationale, au final c'est un gain pour tous.
Monsieur Jumel, je suis d'accord avec vous, si nous sommes le pays européen où les revenus des retraités sont les plus élevés en proportion des revenus moyens constatés, il existe néanmoins de forts écarts. Tout l'enjeu de cette réforme est d'y remédier. Vous avez cité les agriculteurs, auxquels je suis particulièrement attaché. Comment moins de 400 000 agriculteurs actifs pourraient-ils assumer, de façon équitable et honnête, une retraite à 1,6 million de retraités agricoles ? Ce n'est pas possible !
Imaginons, dans votre logique, que les informaticiens réclament l'instauration d'un régime qui leur soit propre. Actuellement, ils sont très nombreux, manifestement mieux payés que la moyenne des actifs, et très peu sont retraités. Si on votait un tel système aujourd'hui, la caisse de retraite des informaticiens engrangerait très rapidement des réserves pendant que d'autres accumuleraient des déficits. Des systèmes de correction existent, mais ils fonctionnent très mal – c'est ce qu'a indiqué le président du COR, la semaine dernière. Comme nous ne savons pas quelle profession nous-mêmes ou nos enfants exercerons demain, la mutualisation est la meilleure façon d'assurer une garantie de retraite la plus équitable et la plus satisfaisante possible à nos futurs concitoyens.
Compte tenu de ces éléments, j'émets un avis défavorable.
En alignant le niveau de vie des retraités sur celui des actifs, le résultat est qu'on abaisse le niveau de vie des retraités, puisqu'aujourd'hui, le niveau de vie moyen des plus de 65 ans est supérieur de 6 points à celui de l'ensemble des Français. C'est le résultat d'un choix de société que nous avons fait depuis longtemps et dont nous sommes fiers. Avec notre réforme, nous le réaffirmons. En outre, le taux de pauvreté des retraités est de 7 % quand celui des Français est de 14 %. Nous avons l'ambition de conserver le même niveau consacré aux retraites, tout en opérant une redistribution en faveur de ces 7 % les plus pauvres. C'est ce que nous faisons en proposant de porter le montant minimum de la retraite à 85 % du SMIC net.
En résumé, votre amendement appauvrirait les retraités. Je ne pense pas que telle soit votre intention. Notre système est bien plus favorable, et je vous conseille de ne pas voter votre amendement.
Selon le rapporteur, les grands perdants de cette réforme des retraites seront les plus riches de ce pays, parce qu'ils vont devoir faire preuve de solidarité. Reprenons le cas concret de nos amis les avocats. Leur caisse autonome fonctionne sur le principe que plus ils gagnent, plus ils cotisent. Aujourd'hui, pour les avocats qui s'installent, pour les plus pauvres, le taux de cotisation est de 14 %. Avec votre réforme, il passera à 28 %. À l'inverse, les plus gros cabinets d'avocats, ceux qui ont un taux supérieur à 28 %, cotiseront moins demain. Je ne suis pas sûr que ce cas de figure faisait partie de l'étude d'impact.
En effet...
Vous parlez du meilleur taux de remplacement d'Europe. C'est vrai, et c'est pourquoi vous voulez faire en sorte qu'il soit moins bon. De fait, notre pays a une autre spécificité : son marché des retraites par capitalisation est assez peu dynamique. Pour libérer les énergies sur ce marché, quoi de mieux que d'appauvrir les retraités, faire en sorte que le taux de remplacement soit plus faible ? La voie sera ainsi toute tracée à votre assureur pour venir vous proposer un nouveau produit assurantiel offrant un meilleur taux de remplacement ou global. Ce sera génial !
Quant à la ressource dynamique du PIB si vous y incluez l'inflation et tout le reste, sachant que notre PIB n'augmente pas de 14 points ni même de 5 par an, je crains que l'on ne finisse par être plus pauvres à la retraite.
En réalité, votre objectif est d'abaisser le taux de remplacement. Une étude menée par l'économiste Henri Sterdyniak montre même qu'avec votre système, il baissera de 22 %. C'est pourquoi nous proposons que le niveau de vie des retraités soit comparable à celui des actifs, qu'il n'y ait pas de rupture dans l'existence. C'est le concept de la retraite comme salaire continué, la reconnaissance du salarié qui cesse d'avoir un travail prescrit.
Je vous le dis très tranquillement, l'écart entre le niveau de vie des retraités et celui des actifs va s'aggraver à grand pas, car toutes les réformes que vous avez produites continuent à dégrader le travail, le salaire. Aussi, je suis d'accord avec vous : faisons quelque chose pour nous attaquer à ce problème.
Je fais le pari que chacun ici est de bonne foi, mais notre discussion révèle une incompréhension majeure. Une députée de la majorité a dit que le projet permettra de maintenir durablement le niveau de vie relatif des pensionnés à 106 % de celui des actifs. C'est parfaitement faux au regard des études du COR et de ce que nous a dit son président lors de son audition, qui a fait état de 75 % : comme la part du PIB augmente, le taux de remplacement va baisser durablement. Le niveau de vie relatif des retraités va baisser fortement par rapport à celui des actifs. Et cela vaudra pour tout le monde, en particulier pour ceux qui perçoivent le minimum contributif. Avec votre projet, 30 % des pensionnés seront dans ce filet de sécurité. C'est une trappe à basses pensions. Cela concernera 40 % des femmes. Comment peut-on considérer que c'est un progrès ? Je ne crois pas que ça en soit un. Dire la vérité sur ces projections, c'est important, et cela montre l'indigence de l'étude d'impact. Je maintiens les chiffres que je viens de citer.
L'amendement est tout à fait théorique. La vérité, c'est que vous ne pouvez pas maintenir le niveau des pensions si vous ne repoussez pas l'âge légal de départ à la retraite. Celui qui pense le contraire a totalement tort.
La République en Marche réduit l'âge de départ à la retraite à taux plein en le faisant passer de 67 à 64 ans, ce qui est une grande première – aucun pays ne l'a fait. L'équilibre financier est la première des justices d'un système de retraite. Vous ne pouvez pas laisser les marchés financiers financer le déficit des retraites, ne rien dire et ne rien faire ou prendre des demi-mesures. Seul l'allongement légal, clair vis-à-vis des Français, permet de régler le problème. Vous pouvez toujours faire tourner un moteur social à l'intérieur du système de retraite – il tourne déjà à plein, à hauteur de 30 % des sommes engagées –, mais la seule question responsable que vous devez vous poser, c'est la capacité à le faire en acceptant l'idée qu'on travaillera plus longtemps avec, par correction, des systèmes de pénibilité qui ne créent pas de nouveaux régimes spéciaux.
La notion de revenu satisfaisant a dérivé sur un débat autour du produit intérieur brut. Que s'est-il passé ces dix dernières années ? Les dépenses liées aux retraites sont demeurées à un niveau relativement stable de 13,7 % du PIB, ce que chacun peut vérifier sur le site internet du COR. Autres éléments incontestables et vérifiables à la même source : sur la même période, il y a eu 2 millions de retraités supplémentaires, ce qui a porté leur nombre à 16,1 millions au 31 décembre 2017, contre 14,2 millions en 2008 ; en dix ans, la pension brute d'un retraité a augmenté de 20 %.
Nous venons de poser la simple réalité du fonctionnement de notre dispositif par répartition. Il fonctionne de façon dynamique ; le PIB se développe et notre pays est en situation d'avoir davantage de retraités, avec des niveaux de vie qui progressent. C'est ce que nous venons de démontrer collectivement sur les dix dernières années.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement n° 22553 de Mme Martine Wonner.
Cet amendement vise à affermir un système socialement juste en s'assurant que l'objectif soit bien de garantir un niveau de vie digne à tous les assurés du système universel de retraite.
Nous partageons la même intention, mais le débat me semble un peu sémantique. De mon point de vue, un « niveau de vie digne » suggère un niveau juste au-dessus de l'acceptable, tandis que « satisfaisant » renvoie au revenu perçu pendant la vie active. Voilà pourquoi je préfère, à titre personnel, le mot « satisfaisant » à celui de « digne ».
C'est sans doute un débat sémantique, mais c'est aussi un débat politique pour savoir si nous en restons à une conception de la retraite telle que je l'ai décrite – un droit garanti, un salaire continué – ou si nous n'en faisons plus qu'une sorte de droit minimum qui serait complété par d'autres dispositifs.
Je suis favorable à ce qu'on garantisse un véritable droit à la retraite et que cela soit énoncé dans les objectifs du système, d'autant que de nombreux retraités ont vu leur situation se dégrader ces dernières années. Les retraités ont manifesté à de très nombreuses reprises pour défendre leur pouvoir d'achat, ce qui a conduit notamment au bouillonnement social que nous connaissons.
Par ailleurs, je crois que l'on peut indexer les pensions sur l'évolution des salaires sans avoir recours à la machinerie que vous nous soumettez, et nous l'expliquons dans notre proposition de loi tendant à garantir le pouvoir d'achat des retraités. Nous défendons comme autre mesure de porter le minimum de pension au niveau du SMIC plutôt que de le laisser à 85 %.
Garantir un niveau de vie satisfaisant, décent ou digne, telle est la question que pose cet amendement. Je rejoins le camarade Vallaud du Parti socialiste qui vous interroge sur le taux de remplacement. De la même manière que les camarades Dharréville ou Jumel, je préférerais qu'on garantisse un niveau de vie, voire qu'on l'améliore. C'est un indicateur beaucoup plus fiable.
Par ailleurs, je suis blessé quand je vous entend dire que notre attitude abîme le Parlement, que nous ne travaillons pas sérieusement et que nous attentons à la dignité ou à la crédibilité de l'Assemblée nationale. Quel culot de votre part ! Passe encore que le Conseil d'État a montré que votre étude d'impact était bidon, qu'on nous soumet un texte à trous avec des ordonnances, et que nous devons étudier plus de mille pages en procédure accélérée. Mais c'était la commission des affaires sociales qui était chargée d'examiner la proposition de loi visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d'un enfant, qui a été discutée dans l'hémicycle il y a moins d'une semaine.
Je ne suis pas hors sujet. L'attitude crédible est de notre côté, le travail est de notre côté. Ce qui abîme le plus le Parlement, ce sont des votes de godillots !
La séance est suspendue de dix-huit heures vingt à dix-huit heures vingt-cinq.
La formule « niveau de vie satisfaisant » est utilisée dans le code de la sécurité sociale et la charte sociale européenne. C'est donc par cohérence que le Gouvernement souhaite employer ce terme. Nous devons discuter ici de la façon dont nous allons parvenir à garantir ce niveau de retraite satisfaisant et à accomplir des avancées telle la retraite minimum à 1 000 euros dès 2022, grâce à cette réforme.
Madame Gaillot, quel sens confère-t-on au mot « satisfaisant » ? Pour ma part, je regarde ce que promet le Gouvernement aux Français : un minimum de pension à hauteur de 85 % du SMIC, étant entendu que le SMIC est un élément dynamique, qui évolue de par la loi, chaque année. Il s'agit donc d'un minimum de pension évolutif.
Certes, j'entends que l'engagement pris par le Gouvernement pourrait s'élargir par les mots. Mais nous en sommes ici aux principes généraux, et j'entendais quelques députés exprimer leur envie de discuter du texte sur le fond. Le présent débat trouvera peut-être à se prolonger à ce moment-là. Comme l'a dit M. Michels, le terme « satisfaisant » est repris du code de la sécurité sociale. Je crois surtout qu'il renvoie à ce qui est attendu et qui est dans le texte. J'espère que nous allons pouvoir en débattre très rapidement ensemble.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle étudie les amendements identiques n° 21538 de M. Boris Vallaud et n° 22087 de M. Philippe Vigier.
Nous souhaitons améliorer le système actuel des retraites, qui se caractérise par un haut niveau de taux de remplacement puisqu'il est de 75 %, ainsi que par l'un des plus faibles taux de pauvreté au monde, autour de 7,5 %. Lors de son audition, la semaine dernière, le président du COR a indiqué que le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs était de 106 %, ajoutant que celui-ci allait évoluer avec ou sans réforme, et que d'ici à 2050, il baissera à 75 %, soit une perte de niveau de vie relatif de 30 %.
Comme l'a dit hier notre collègue Valérie Rabault, la part des pensions dans le PIB passera de 14 % aujourd'hui à 13 % demain, ce qui représentera 25 milliards d'euros en moins pour les retraités. Quant au minimum contributif, s'il est bien de 85 % au départ, comme l'a indiqué M. Boris Vallaud, au vu des règles d'indexation, il baissera à 75 %. Enfin, avec l'âge pivot et le recul de trois ans du départ à la retraite, et la baisse du taux de remplacement, on va vers une paupérisation des retraités. C'est pourquoi cet amendement vise à indexer le niveau de vie relatif des retraités sur celui des actifs.
Le nouveau système nourrit une angoisse chez nos concitoyens du fait que le montant de leur retraite est inconnu. Dans le système actuel, la base de calcul du taux de remplacement est fixée et connue – les salaires des vingt-cinq meilleures années pour les salariés du privé, 70 % du traitement au dernier indice pour les agents de la fonction publique. Le nouveau système ne fournit pas ce repère.
Pour sécuriser le dispositif et rassurer nos concitoyens, l'amendement n° 22087 introduit un lien entre le montant de la retraite et les revenus des actifs. En remplaçant la notion de niveau de vie satisfaisant, qui ne veut pas dire grand-chose, par celle de niveau de vie comparable à celui des actifs, on évite que des retraités ne se retrouvent avec des pensions trop faibles et que des actifs dont la carrière a été précaire ne soient obligés d'allonger leur période de cotisation, sachant que le taux d'emploi dans la tranche salariale des 55-64 ans n'est que de 52 %.
Je salue votre volonté d'établir une comparaison entre les revenus des retraités et ceux des actifs. Je rappelle toutefois que la notion de revenu satisfaisant figure, non seulement dans la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites qu'a fait adopter Marisol Touraine, mais également dans la Charte sociale européenne.
Actuellement, pour les salariés du régime général, par exemple, on retient 50 % du salaire moyen des vingt-cinq meilleures années, lesquelles, depuis la réforme Balladur en 1993, sont revalorisées tous les ans en fonction du taux de l'inflation. Aucune majorité n'est revenue sur cette indexation des salaires. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'inflation a augmenté de 40 % entre 1993 et 2018, tandis que les salaires moyens évoluaient de 70 % sur la même période. L'écart est donc de 30 points.
Dans le projet de loi, nous prévoyons de revaloriser les points suivant l'évolution des revenus pour que, au cours du temps, le nombre de points corresponde aux salaires. Un SMIC vaudra autant en 2025 qu'en 2050, et il n'y aura pas de perte relative du revenu dans le calcul, entre le début et la fin d'une carrière. Par ce biais, nous contribuons à garantir un calcul des retraites plus satisfaisant que la règle actuelle, qui se fonde sur une indexation sur l'inflation. Je maintiens que, dans ces conditions, le terme « satisfaisant » est préférable.
Avis défavorable.
Mesurez le miracle politique auquel on est en train de toucher ! Pendant des millénaires, pour les classes populaires, vieillesse signifiait pauvreté. On vieillissait dans l'indigence, dans les hospices ou en étant à la charge de sa famille. Cette malédiction millénaire a été brisée en 1945, lorsque le ministre des travailleurs Ambroise Croizat, dans son vaste plan de sécurité sociale, déclara que « la retraite ne doit plus être l'antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie ». Ses décisions ne se sont concrétisées que dans les années 1970, compte tenu du délai qui court entre les décisions que l'on prend sur les retraites et leurs conséquences visibles. Il en ira de même avec votre réforme : les décisions sont prises aujourd'hui, mais ce sont les générations à venir qui en subiront les conséquences.
Dans les années 1970, le taux de pauvreté des personnes de plus de 60 ans a été divisé par quatre, passant de 35 % à 7,5 % en une décennie. C'est ce miracle politique que l'on démantèle depuis les réformes Balladur, Fillon, Raffarin, et, maintenant, Macron. Il n'y a pas de doute sur ce fait puisque vous refusez les mots de « garantie » ou d'« amélioration » du niveau de vie. François Fillon le disait, quand on instaure un système à point – sans compter qu'en plus, vous inscrivez que vous entendez baisser la part des retraites dans le PIB –, l'objectif est clairement de baisser le niveau de vie des retraités.
Le rapporteur n'a pas pris le soin d'apporter certaines précisions. La majorité a, dit-il, décidé d'indexer la valeur du point sur les salaires. Or, avant 2045, l'indice sera compris entre l'évolution de l'inflation et celle des salaires ; durant cette période, il va donc se dégrader. Après 2045, la revalorisation s'effectuera selon l'évolution des salaires, sous réserve de l'équilibre financier du système – la seule véritable règle d'or.
Vous avez répondu à la question de savoir ce qu'est le niveau de vie satisfaisant pour les retraités. Pour vous, c'est le minimum contributif. La meilleure preuve en est que le nombre de ceux qui seront dans ce filet de sécurité, dans cette trappe à basses pensions, explosera : 30 % des pensionnés et 40 % des femmes.
Monsieur le rapporteur, nous vous parlons de taux de remplacement, et vous nous répondez par l'indexation. Ce n'est pas le sujet.
Aujourd'hui, l'absence de certitude sur la valeur du point inquiète les Français. Ils ne peuvent pas se projeter et évaluer le montant de leur retraite. Comme l'a dit Boris Vallaud, la seule donnée chiffrée fournie à ce jour, c'est le minimum de 1 000 euros pour une retraite à taux plein.
Je comprends que vous ne souhaitiez pas modifier la rédaction de l'alinéa. Je vous demande cependant de réfléchir à notre formulation. Nous ne faisons pas référence au niveau de vie des actifs pour le plaisir, mais pour que la réforme soit mieux comprise et mieux acceptée, et qu'elle crée moins d'incertitudes.
Les données du COR indiquent que, sans réforme, le taux de remplacement baisse fortement à l'horizon 2050. Or, d'après l'étude d'impact, la réforme permet de consolider ce taux, notamment du fait de l'indexation du point sur les salaires.
Cette indexation n'existe pas aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle, vous le savez, les pensions se réduisent comme peau de chagrin, de manière automatique, sans qu'on s'en rende compte. Nous allons changer les choses en les indexant sur les salaires mais aussi, et nous l'assumons, en demandant aux Français de travailler un peu plus pour consolider ce taux de remplacement.
Les chiffres existent donc : ils figurent dans les études du COR et dans l'étude d'impact.
Vous avez désindexé les pensions depuis trois ans, ne vous étonnez donc pas qu'il y ait un problème ! Vous proposez aujourd'hui de les réindexer autrement, sur les salaires, ce que nous proposons depuis des années. Cela figure dans une proposition de loi que j'ai déposée en novembre 2018.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 1390 de M. Adrien Quatennens.
Les Français se demandent avec quel niveau de pension ils pourront vivre à la retraite. À cette question, nous répondons : jamais en dessous du SMIC pour une carrière complète. Là où vous évoquez une hypothétique pension de 1 000 euros, avec toutes les difficultés à définir ce qu'est une carrière complète dans le système à point, nous considérons qu'en dessous du seuil de pauvreté, on ne vit pas, on survit. Par conséquent, un des objectifs politiques que nous pourrions nous fixer est de faire en sorte qu'aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté, quand bien même sa carrière aurait été très hachée.
J'en profite pour informer nos collègues qu'au lieu de l'étude d'impact truquée de mille pages qui nous a été remise, nous tenons à leur disposition un document d'une quarantaine de pages qui se veut un contre-projet sérieux, chiffré, financé, non truqué, permettant d'atteindre l'équilibre financier des retraites sans avoir besoin de faire travailler les Français plus longtemps, ce qui, admettez-le, est le seul dessein de votre projet de loi. Or cela ne correspond pas à ce qu'il convient de faire.
La productivité a augmenté ; le partage de la richesse produite n'a jamais été aussi inéquitable. Travailler plus longtemps, c'est aggraver le chômage, le Conseil d'État le confirme, comme il a confirmé l'essentiel des arguments de l'opposition parlementaire taillant en pièces l'ensemble de vos éléments de langage sur l'universalité, et tout le reste.
L'amendement vise à se doter d'un objectif qui est politique, non comptable, celui de soulager la vie des gens et de faire en sorte que, dans ce pays, aucun retraité ne vive sous le seuil de pauvreté. Voilà un objectif ambitieux et tout à fait raisonnable.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
La commission est ensuite saisie de l'amendement n° 749 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Je vous propose d'envisager la retraite sous un autre angle, non pas celui de la période de travail mais celui du souhait des Français d'accéder au paradis de la retraite, à une nouvelle tranche de vie longue et heureuse, vécue dans de bonnes conditions physiques et matérielles. Il s'agirait d'un moment heureux durant lequel les bénéficiaires ont une espérance de vie en bonne santé de dix à quinze ans, et un revenu correct.
Pour le concrétiser en termes législatifs, l'amendement introduit un âge pivot variable selon l'espérance de vie en bonne santé, et spécifique à chaque catégorie professionnelle. En la matière, en effet, les écarts sont énormes et connus. En France, les cadres de sexe masculin bénéficient d'une espérance de vie sans incapacité de 69 ans. Elle n'est que de 59 ans, soit dix années de moins, pour un ouvrier, alors que l'espérance de vie totale s'élève à 76 ans.
Ces inégalités sociales de santé n'ont pas reculé depuis le début des années 1970. Les actuaires d'assurance peuvent facilement, et sans se tromper, calculer le risque d'une personne qui souhaite souscrire une assurance ou une mutuelle, alors que le calcul de la pénibilité est bien plus difficile. Intégrer dans notre réflexion l'espérance de vie en bonne santé, sans incapacité, pour déterminer un âge de départ à la retraite permettrait de concilier deux impératifs : maintenir la pérennité de notre système par répartition et permettre à tous les Français de bénéficier du même nombre d'années de retraite dans de bonnes conditions physiques et matérielles.
Je sais que ce sujet vous tient à coeur, cher collègue Isaac-Sibille. Nous avons eu hier un débat assez similaire sur la difficulté d'intégrer les carrières des polypensionnés et sur l'effet de bord qui affecterait les femmes. Intégrer un tel indicateur reviendrait, en effet, à repousser l'âge de retraite des femmes, au motif que leur espérance de vie en bonne santé est supérieure à celle des hommes. L'intention est louable, mais la mise en oeuvre serait compliquée. Je vous demande de retirer votre amendement.
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement n° 21822 de M. Julien Aubert.
Je comprends que l'on veuille passer vite sur les amendements du groupe Les Républicains, mais ils méritent quand même un argument de la part du rapporteur et du secrétaire d'État. Il importe que nous puissions nous arrêter sur le niveau futur des pensions, la question fondamentale étant de savoir comment faire en sorte qu'il ne baisse pas à l'avenir. À cet égard, inscrire comme objectif le refus de toute baisse du pouvoir d'achat des retraités est essentiel.
L'article 55 du projet de loi indique clairement que « le coefficient de revalorisation annuelle des retraites [...] ne peut être inférieur à un ». Aucune baisse n'est donc possible et votre amendement est satisfait. Aussi vous demandé-je de le retirer.
L'article 55 interdit une baisse nominale, mais une diminution du pouvoir d'achat est possible.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie des amendements identiques n° 14659 de M. Sébastien Jumel et n° 21269 de M. Boris Vallaud.
La faculté qu'ont les libéraux de présenter les contraintes comme une nouvelle liberté ou un nouveau droit me déconcerte toujours un peu. En affichant la liberté de choix de partir à la retraite, vous faites l'impasse sur une réalité sociale majeure. Voyez les gars chargés de la collecte des ordures ménagères, qui ont rapidement le corps broyé par la difficulté de leur travail, et d'autant plus s'ils n'adoptent pas les bonnes postures ; les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, qui s'occupent de nos mômes – touchés par les congés maladie et les arrêts de travail, ils n'atteignent pas l'âge de la retraite en bonne santé ; les chaudronniers soudeurs des chantiers navals, qui sont atteints de cancers de l'amiante ; les ouvriers à la chaîne, dont la santé et les conditions de vie sont bousculées par les tâches répétées qu'ils effectuent. Je pourrais multiplier les exemples à l'envi. Pensez-vous que ces gens-là vous prendront au sérieux si vous leur dites qu'ils ont la liberté de choisir entre prendre leur retraite à 65 ans et partir avant ? Votre projet de loi ne leur laisse comme choix que de partir plus tard, donc de travailler plus longtemps et de s'abîmer encore davantage, ou de partir plus tôt, avec une décote sur le niveau de leurs pensions. Cette liberté de choix est une provocation, une humiliation !
L'amendement n° 21269 tend à supprimer l'alinéa 8, qui est une publicité mensongère : il n'y aura pas de liberté de choix pour les Français.
Avec votre réforme, nos concitoyens sont dans un brouillard épais. Nous l'avons vu tout à l'heure avec le taux de remplacement, qui est actuellement l'un des meilleurs au monde : vous êtes incapables de nous assurer qu'il restera à un haut niveau pour l'ensemble des Français. Nous l'avons aussi vu avec le taux de pauvreté, qui est actuellement l'un des plus faibles au monde. Aujourd'hui, les Français ne savent pas dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite et avec quel montant de pension. D'ailleurs, mettre, comme vous l'avez indiqué, un simulateur à la disposition de nos concitoyens seulement après l'adoption définitive du projet de loi, contribue grandement à nourrir le scepticisme.
La liberté de choix suppose une absence de contrainte. À l'évidence, l'âge d'équilibre ou l'âge pivot – c'est la même chose –, nous enferme dans une mécanique redoutable par laquelle le choix de partir à la retraite sera d'abord commandé par un calcul économique. Nous l'avons montré hier avec le cas de l'ouvrier qui commence sa vie active à 20 ou 21 ans : avec quarante-trois ans de cotisations, il devra attendre 65 ans pour partir à la retraite au taux plein ; s'il part avant, il subira une décote, de 5 % ou 10 %, alors que le cadre supérieur, qui commencerait sa vie active à 25 ans, pourrait obtenir une surcote s'il cotise au-delà de l'âge d'équilibre. Voilà l'inégalité majeure : il n'y aura pas de liberté de choix.
Les exemples cités par M. Jumel relèvent de la prise en compte de la pénibilité dans le droit du travail. La réforme de Mme Touraine l'a abordée. Nous proposons de faire de même pour la fonction publique, où la pénibilité n'était pas prise en compte. Il existe sûrement encore des injustices, mais ce sujet progresse tout de même.
On peut aussi faire valoir le compte pénibilité, qui donne la possibilité d'engranger, dès le début de carrière, des points permettant de suivre des formations pour se reconvertir et évoluer vers des métiers moins pénibles, ou partir jusqu'à deux ans plus tôt à la retraite.
Au-delà de ces aspects, la liberté s'exerce évidemment dans le cadre contraint de l'âge minimum de liquidation à 62 ans, avec une décote correspondant à la situation de la personne. Aujourd'hui, selon le déroulement de leur carrière, nos concitoyens font le choix, pour les uns, de partir plus tôt sans avoir le nombre de trimestres requis pour un taux plein, quitte à subir une proratisation, les autres, de partir plus tard parce que la proratisation est trop importante ou parce qu'ils veulent travailler plus longtemps.
Nous voulons à la fois laisser partir plus tôt ceux qui le souhaitent en sachant qu'ils auront des pensions réduites et inciter ceux qui le veulent et le peuvent à travailler plus longtemps, non seulement en rajoutant un bonus après l'âge d'équilibre, mais aussi en laissant la possibilité de cumuler emploi et retraite, et d'acquérir de nouveaux droits, ce qui n'était pas possible jusqu'à présent. Bien que le cadre reste contraint, les éléments de choix seront plus nombreux qu'aujourd'hui.
Reste qu'il subsiste des questions sur la qualité de vie au travail, notamment en fin de carrière. Ces sujets occuperont le ministère du travail dans les années qui viendront.
Si j'en crois les explications du rapporteur, cet alinéa présente finalement un objectif de liberté dans un cadre contraint de choix. C'est là la définition de la liberté en Macronie : vous êtes libre de choisir, mais le pistolet sur la tempe, sous une contrainte absolue.
Tout le monde a bien compris que tout en laissant le droit de partir à l'âge légal de départ de 62 ans, votre projet de loi touche à l'âge de départ effectif, puisqu'il vaudrait mieux ne pas partir à cet âge légal. On en revient donc toujours au fameux âge d'équilibre. Cet âge, qu'il soit d'équilibre ou pivot, n'a absolument pas disparu du projet de loi, même provisoirement. Seuls ne sont pas concernés par ce débat les Françaises et les Français qui ne se verront pas appliquer le système par points, c'est-à-dire la génération née avant 1975, puisqu'Édouard Philippe a renoncé à l'appliquer aux personnes nées à partir de 1963. Par contre, celles et ceux qui partiront à la retraite dès 2027 auront à se préoccuper d'un âge d'équilibre à 64 ans. La réalité, c'est que vous appliquez à ces Français la conséquence principale qu'aurait provoqué pour eux l'application de ce système par point. Tous les Français sont donc bien concernés, et tous y perdront.
Cet alinéa n'a donc pas lieu d'être : il n'y a pas de liberté dans ce cadre contraint. La liberté dans un cadre contraint, voilà bien un concept fumeux ! Le projet de loi l'est déjà beaucoup, du fait de l'étude d'impact truquée. Il n'y a pas de liberté dans ce contexte, puisque, tout le monde l'a compris, l'âge pivot se décalera, génération après génération. Plus on avancera, plus il faudra travailler, toujours plus longtemps, et au-delà de l'espérance de vie en bonne santé.
Comme le rapporteur, j'entends vos remarques, qui concernent davantage la prise en compte de la pénibilité en fonction des métiers exercés. Nous aborderons ce sujet plus tard dans le texte. La ministre du travail et les partenaires sociaux étudient ces aspects en ce moment même, pour voir comment mieux considérer ce qui relève de la prévention, de la reconversion ou de la réparation, et le traduire en points.
Le groupe La République en Marche estime que le système universel de retraite sera plus lisible et transparent pour chacun. À tout moment, un citoyen pourra savoir où il en est de ses points, et mieux choisir son parcours professionnel et sa vie. C'est pourquoi nous pensons que cette possibilité – pourquoi ne pas l'appeler liberté ? – donnée à chacun de faire des choix plus éclairés tout au long d'un parcours est un avantage.
Notre volonté est aussi de permettre aux personnes qui ont des carrières hachées, principalement des femmes, de pouvoir partir plus tôt. Aujourd'hui, une décote s'applique jusqu'à leurs 67 ans. Si elles travaillent trois ans de moins, c'est toujours ça de gagné.
Nous voulons aussi donner la possibilité – la liberté – aux retraités qui ont liquidé leur retraite, de travailler à nouveau. Travailler, ce n'est pas toujours la galère. C'est aussi pouvoir rencontrer des gens, créer du lien social, tout en bénéficiant de points supplémentaires.
Nous n'arrêtons pas d'évoquer l'âge pivot, alors qu'il ne figure pas dans le texte, mais plutôt dans la conférence de financement. Cela donne au débat une tournure assez baroque et caricaturale.
Notre système de retraite est fondé sur l'obligation, avec un régime et des cotisations obligatoires. Depuis toujours, en tout cas depuis plus de soixante ou soixante-dix ans, on pense que les Français ne mettront pas volontairement de l'argent de côté ou qu'ils ne pourront pas le faire, en tout cas, qu'ils ne le prévoiront pas. Le système obligatoire tend donc à préserver l'avenir des Français. D'une certaine manière, les cotisations sont des revenus différés.
La notion même d'âge pivot est contraire à ce principe. Fixer un âge légal de départ, tout en conseillant de ne pas partir à cet âge-là, c'est une fausse liberté qui est laissée aux Français, car ceux qui partiront à 62 ans – puisque c'est l'âge que vous conservez – subiront une super décote, bien plus qu'un prorata temporis ou un malus, qui fera d'eux des retraités super pauvres, pendant des années, vingt-cinq ou trente ans. L'idée, d'ailleurs, n'est pas nouvelle. L'âge pivot avait déjà été rejeté, il y a dix ans. L'étude d'impact du projet de loi indiquait alors : « le Gouvernement écarte toutefois une telle option car elle est incompatible avec l'objectif de ne pas baisser les pensions de retraite ». C'est pourquoi le présent texte est essentiellement orienté vers la baisse des retraites.
Je ne m'attendais pas à être, un jour, d'accord avec Éric Woerth ! Sa démonstration est imparable. Quant au rapporteur, il a inventé le concept de la liberté de choix sous contrainte. Je propose de l'inscrire tel quel dans la loi.
Revenons à des faits objectifs. Parmi la génération née en 1954, quatre personnes sur dix n'étaient plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite ; 19 % étaient au chômage – par liberté de choix, j'imagine ; 7 %, en arrêt maladie ou invalidité – là encore, je suppose qu'elles l'avaient choisi ; 3 %, en préretraite – un choix peut-être plus assumé ; 13 % étaient absentes du marché du travail, selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Cela renvoie au débat que nous avons eu sur le taux de faible employabilité des seniors.
En reculant l'âge de la retraite, vous n'augmentez pas la liberté de choix, vous aggravez les conditions de non-choix de celui à qui vous demandez, comme dans le sketch de Pierre Palmade, s'il préfère se couper l'oreille droite, c'est-à-dire accepter une décote lourde qui le conduira à être durablement pauvre pendant sa retraite. Et ce ne sera pas seulement pendant deux ans, contrairement à ce qu'a affirmé la porte-parole du Gouvernement, mais jusqu'à la fin, « jusqu'à la mort », pour reprendre François Morel, ou continuer de travailler plus longtemps.
Vous entendez mes remarques sur la pénibilité, dites-vous ; nous verrons. Mais il y a aussi un choix de société. Il faut convenir que des personnes en bonne santé, qui se plaisent dans leur travail, ont aussi envie, à un moment donné, après quarante-trois ans de cotisations, de s'occuper de leurs petits-enfants, de voyager, d'être utile à la vie associative, de s'engager dans la vie de leur commune, bref d'être des retraités actifs, et pas, comme vous le dites, des poids, une génération dorée qui coûte cher et dont il faudrait se débarrasser au plus vite.
Les parlementaires de la majorité nous ont rapporté l'extraordinaire travail qui était en train d'être accompli. Je rappelle tout de même que l'un de leurs actes fondateurs a consisté à supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité, et à en retirer quatre critères qu'ils n'entendent pas réintroduire dans le projet. Cela a fait sortir du bénéfice de la pénibilité tous les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, l'essentiel des ouvriers de l'industrie, les égoutiers et les caissières.
S'agissant de la pénibilité, le texte prévoit simplement de baisser de deux ans l'âge d'équilibre pour les salariés qui y auraient été exposés. La seule façon de partir plus tôt pour un salarié qui se trouverait dans un travail très pénible sera donc l'incapacité.
Pour les carrières longues, vous diminuez l'âge pivot mais, pour partir à 60 ans, le salarié devra consentir à une décote de deux fois 5 %. Pour avoir droit à la surcote, en revanche, il faudra travailler six ans de plus. Drôle de conception de l'égalité et de la liberté !
Au fond, en parlant de liberté de choix sous contrainte, vous faites la démonstration qu'il y aura deux libertés : celle de ceux qui peuvent être libres, et celle de ceux qui ne le pourront pas et qui devront travailler plus longtemps, à moins d'être des retraités pauvres.
Quelques mots de ce qui nous différencie du président Éric Woerth sur la façon de transformer notre système de retraite. Le programme du groupe Les Républicains préconise de porter l'âge légal à 65 ans. Ce n'est évidemment pas notre vision. Pour notre part, nous invoquons une liberté de choix, qui s'exprime, dans le projet de loi, à la fois par le maintien, conformément à l'engagement du Président de la République, de l'âge de départ à la retraite à 62 ans, et par la possibilité d'aménager autour d'un âge d'équilibre des surcotes ou des décotes. Cela peut certes paraître éloigné de la position des Républicains : cela tombe bien, nous n'avions pas le même programme !
Nous pensons qu'il est préférable d'inciter les Français à travailler un peu plus longtemps, en fonction de la progression de l'espérance de vie, plutôt que d'imposer à tous un âge légal à 65 ans. Ces mesures soulèvent des questions, notamment celle de la personnalisation de l'âge d'équilibre, qui nous ont été posées depuis plusieurs semaines. C'est le débat qui a pu se tenir entre les notions de durée comme référence collective, ou celle d'âge d'équilibre. Le Gouvernement a choisi l'âge d'équilibre, tout en précisant qu'il était disponible pour examiner les conditions de sa personnalisation, à la fois au travers de la pénibilité – nous pourrons en débattre lorsque nous aborderons ce chapitre – et des carrières longues.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 22452 de M. Pierre Dharréville.
Nous considérons que, dans sa rédaction actuelle, le projet va plutôt obliger ceux qui le peuvent à travailler plus longtemps. Vous l'avez, d'ailleurs, dit vous-même, monsieur le rapporteur, en parlant de liberté sous contrainte. Il n'est même plus question de « travailler plus pour gagner plus », mais de « travailler plus pour gagner pareil », autrement dit pour avoir droit à une retraite normale. C'est là une conception de la retraite profondément régressive.
Il faut, au contraire, établir un véritable droit car, une fois à la retraite, on peut être utile à la société autrement. Dans cette libération du travail prescrit, il y a pour autant du travail qui perdure sous d'autres formes. Un nouvel âge de la vie s'ouvre. C'est ce que nous souhaitons à tous.
Pour nous, la liberté de choix que vous proposez est en bois, puisque soumise à réelle punition à travers cette décote que vous imposez à celles et ceux qui ne voudraient pas travailler jusqu'à l'âge d'équilibre. La présentation très avantageuse que vous faites ne nous convient pas ; elle ne nous semble pas correspondre à la réalité.
Les amendements se succèdent autour des mêmes sujets. L'affirmation de Boris Vallaud sur l'incapacité permanente est fausse : l'âge d'équilibre sera évidemment abaissé à l'âge de départ de l'assuré. Il ne pourra pas y avoir de décote. La règle actuellement en vigueur continuera donc de s'appliquer.
S'agissant du fantasme des réformes qui font baisser le pouvoir d'achat des retraités, l'INSEE a réalisé une étude sur ce sujet à partir de 1996, soit trois ans après la réforme Balladur : alors que 10 % des retraités vivaient sous le seuil de pauvreté en 1996, ils n'étaient plus que 7 % en 2015, malgré les différentes réformes qui ont eu lieu ; par contre, le taux de précarité chez les jeunes avait progressé. On peut toujours mettre en doute les résultats, mais une autre étude insérée dans le rapport de Jean-Paul Delevoye a montré que, d'après un sondage, les actifs considéraient qu'en devant payer davantage pour financer les études de leurs enfants et les retraites, ils se trouvaient confrontés à de vraies difficultés financières. Les Français le comprennent bien, il n'est pas possible que la durée des études ou celle des retraites s'allonge sans qu'elle pèse sur leur propre pouvoir d'achat. Il faut travailler cet équilibre, pour que la situation de chaque catégorie sociale soit la plus favorable possible.
Avis défavorable.
S'agissant des départs anticipés, nous proposons de faire en sorte que ce qui existe aujourd'hui pour le régime général soit élargi à l'ensemble des bénéficiaires du système universel de retraite. J'en prendrai trois exemples très concrets, que vous retrouverez dans le présent projet de loi.
L'inaptitude, aujourd'hui réservée aux salariés du régime général, sera étendue à tous les assurés, et permettra de partir à 62 ans, à taux plein. De la même façon, l'incapacité permanente, avec une invalidité de 10 %, ainsi que le compte professionnel de prévention étendu, prenant en compte la pénibilité, permettront à l'ensemble des bénéficiaires du régime universel de partir en retraite dès 60 ans, à taux plein.
Monsieur le rapporteur, vous reprenez la thèse, que j'ai déjà lue ici et là, de la guerre des générations. Vous dites que le système coûte plus cher aux actifs, parce qu'il faut prendre en charge des études plus longues. Prouvez-le ! Trouvez une statistique montrant qu'avoir des retraités en bonne santé, qui peuvent participer à la vie commune, aider leurs enfants et leurs petits-enfants, coûte plus cher que la situation actuelle.
Pourquoi présenter comme une charge que nous aurions à regretter le fait que la pauvreté a été réduite parmi les retraités ? La vieillesse a été une malédiction pendant des générations. C'est par le système par répartition que les gens ont commencé à avoir une vie digne. Depuis les années 1970, nous avons divisé par quatre le taux de pauvreté des retraités, qui est passé de 13 % à 9 % entre 2009 et maintenant. C'est un immense succès de notre système !
Au contraire, chez nos voisins allemands, que l'on nous invite sans cesse à imiter, le nombre de retraités pauvres a explosé dans les dernières années. Bon sang, apprécions notre victoire ! Nous avons enfin réussi quelque chose en matière d'égalité, qui mérite qu'on ne la présente pas comme une charge pour nous.
J'entends bien que toute liberté est encadrée : une liberté absolue n'existe pas, hormis la liberté de conscience. Vous parlez d'une liberté de choix, sous réserve d'un âge minimum – ce n'est déjà pas rien, comme contrainte ! – et en fonction du montant de la retraite. Nous avons tous, si ce n'est notre situation personnelle, quelque parent, quelque ami dont nous savons qu'il n'a pas de liberté. Quand on doit choisir à 50 ou 100 euros près, on n'est pas libre ; on reste au boulot, dût-on y crever, pour avoir cette somme. Les gens serrent les dents, ils souffrent mais ne s'écoutent pas. C'est contre cela que nous allons, car le texte ne donne pas une liberté, mais seulement une double contrainte.
Nos débats sont suivis par des gens qui regardent, qui écoutent attentivement. C'est bon pour la démocratie parlementaire. Dans mon territoire, par exemple, il y a Nathalie, qui est trieuse de verres. En une journée, elle a calculé qu'elle peut manipuler pas loin d'une tonne de flacons de parfum de luxe. Même avec un poste de travail aménagé –c'est le cas dans sa boîte, parce que le syndicat y est puissant –, même avec des séances de kiné une fois par semaine, c'est « raide », c'est dur. Elle m'a demandé si le gros pavé dont on parle depuis le début tenait compte de ces situations. Je lui ai répondu que non.
Elle m'a également demandé si elle serait libre de choisir de ne pas trimer jusqu'à 65 ans en déplaçant quotidiennement une tonne de flacons de parfum : je suis bien en peine de lui répondre si elle disposera ou non de la liberté de vivre convenablement, dignement, en bénéficiant de conditions de vie – comment avez-vous dit ? – « satisfaisantes ».
J'ai donc besoin que vous m'éclairiez, monsieur le rapporteur : cette liberté de choix sera-t-elle possible, dans quelles conditions ? Nathalie Vasseur, trieuse de verres dans la vallée de la Bresle, aura-t-elle la liberté de choisir de ne pas mourir au travail ?
La commission rejette l'amendement
Puis la commission examine, en discussion commune, les amendements identiques n° 1444 de M. Alexis Corbière, n° 1445 de Mme Caroline Fiat, n° 1448 de M. Jean-Luc Mélenchon et n° 1452 de M. Adrien Quatennens, ainsi que l'amendement n° 14660 de M. Pierre Dharréville
Cet amendement est déterminant dans notre débat : il est temps, en effet, de fixer clairement dans la loi un âge de départ à la retraite et de refuser votre rhétorique consistant à laisser une pseudo-liberté de choix.
Avec les travaux du regretté M. Delevoye, nous avons tous bien compris que vous proposez un âge fluctuant, un âge mystère appelé à évoluer avec le temps dans le sens d'une augmentation de la durée du temps de travail. L'âge de départ de la génération qui partira à la retraite dans les années 2080 sera d'au moins 67 ans, ce qui constitue une régression totale.
C'est un débat de fond : toute l'histoire du mouvement ouvrier et de la République sociale a tendu à ce que le temps de travail ne soit pas augmenté pour bénéficier d'une retraite complète. En l'occurrence, il n'y a aucune « liberté » dans ce que vous proposez, non au sens d'un dirigeant du mouvement ouvrier mais au sens d'un père dominicain, Lacordaire, l'une des figures du catholicisme social, selon qui « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Il est temps que la loi affranchisse les travailleurs en fixant l'âge de départ à 60 ans, tel que nous le proposons, plutôt que de défendre la liberté de partir à 67 ou, pourquoi pas, demain, à 70 ans ! Légiférons en faisant taire cette ambiguïté et adoptons cet amendement qui dira à des millions de travailleurs qu'ils pourront enfin bénéficier, à 60 ans, d'une retraite bien méritée !
La semaine dernière, monsieur le secrétaire d'État, vous avez oublié de me répondre à propos du cas de Marie, exposé sur le simulateur que vous avez mis en ligne pour calculer le montant des retraites. Infirmière née en 2002, elle aurait commencé à travailler à 23 ans, en 2025, et prendrait sa retraite en 2068, son revenu équivalant à 30 000 euros annuels pendant toute sa carrière, soit 2 500 euros par mois. Je vous avais proposé un questionnaire à choix multiples avec trois propositions : a) vous nous mentiez pour que l'on croie que Marie aura une retraite digne en assurant qu'elle gagne 2 500 euros mensuels ; b) vous annonciez que Mme la ministre Buzyn augmenterait enfin les salaires des personnels hospitaliers en les payant 2 500 euros mensuels ; c) vous misiez sur l'arrivée au pouvoir de La France insoumise en 2025, de manière que les personnels hospitaliers soient payés dignement.
Vous n'aviez pas répondu. Reprenant le cas de Marie, je constate qu'elle prendra sa retraite en 2068, à 66 ans, après avoir subi les conditions de travail dont je vous parle depuis deux ans et demi : les patients sont maltraités, nous n'avons pas les moyens de travailler dignement, nous manquons de brancards, des moyens nécessaires aux soins. Onze mois que mes collègues sont en grève, vous savez, celles que vous ignorez parce qu'elles sont réquisitionnées et qu'on ne les voit pas dans la rue !
Pouvez-vous confirmer une telle simulation, monsieur le secrétaire d'État, et dire à mes collègues qu'elles partiront à la retraite à 66 ans ? Si tel n'est pas le cas, appelez donc à voter l'amendement n° 1445 proposant un départ à un âge digne après avoir travaillé dans des conditions dignes !
Je tiens à me montrer un peu solennel à propos de cet amendement visant à introduire à l'alinéa 8 l'âge minimum de 60 ans pour partir à la retraite. Il m'a en effet semblé qu'hier, vous avez été surpris et que vous n'avez pas pris cela pour une véritable proposition. J'affirme donc solennellement que deux formations politiques au moins, dans l'hémicycle – La France insoumise et les communistes – réclament la retraite à 60 ans après quarante annuités, ce qui, d'ailleurs, est encore trop. C'est en effet pour nous un objectif de civilisation.
J'étais bien jeune homme que j'allais, mon Programme commun à la main, en Franche-Comté, de porte en porte. Les gens qui me recevaient se félicitaient que, contrairement à eux, les jeunes croyaient à la retraite à 60 ans. Celle-ci était alors bien plus tardive et, parfois, leurs propres parents n'en avaient pas bénéficié. Et nous avons fini par avoir le dernier mot ! La retraite à 60 ans semblait si inimaginable, si magique que cela vaut la peine de l'avoir fait pour tous ces gens. Avez-vous entendu dire que le pays avait été ruiné ?
L'espérance de vie en bonne santé aujourd'hui est, dit-on, de 63 ans et quelques. Et c'est l'âge que vous voulez fixer pour qu'il soit possible de partir à la retraite ! Ces trois ans valent la peine d'être disputés, que l'on se batte pour eux ! Je le répète, rien n'oblige à faire travailler les gens plus longtemps ! Il vous suffirait de décider, par exemple, que les femmes sont payées comme les hommes, d'augmenter de un, deux ou trois points le niveau des salaires ou de répartir autrement la masse immense des richesses produites, et vous pouvez financer le départ à 60 ans ! La retraite à 60 ans reviendra dans ce pays, en même temps que nous, lorsque nous serons au pouvoir !
Cet amendement identique n° 1452 illustre la différence de nos logiques. La vôtre est comptable, austéritaire, budgétaire : il s'agit de faire chuter la part des richesses produites consacrée aux retraites, la variable d'ajustement pour ce faire étant la vie des gens en jouant sur l'âge de départ à taux plein. De surcroît, vous encouragez ainsi la capitalisation comme jamais. La nôtre est à l'opposé. Il s'agit de répondre à cette question fondamentale : à quel âge doit-on partir ? Quelle idée la France se fait-elle de l'âge décent pour partir en retraite après une vie de travail ?
Quand on sait que l'espérance de vie en bonne santé est de 63 ans, alors, oui, 60 ans est un objectif désirable, n'est-ce pas ? Je vous pose la question, en sachant qu'il en est une autre qui vous angoisse, qui concerne le financement. À celle-là, nous sommes, quant à nous, très à l'aise pour répondre.
Est-il donc désirable, du point de vue du progrès humain, de limiter le temps de travail ? L'histoire sociale de notre pays montre que oui. Rassurez-vous, la productivité a augmenté : un actif, aujourd'hui, produit bien plus qu'auparavant ! À quoi bon travailler plus longtemps que ce qui est nécessaire pour satisfaire nos besoins ?
J'en arrive à la question qui vous angoisse : comment financer ? Le président Mélenchon vous a dit à l'instant que la hausse de cotisations qu'induirait une égalité salariale entre les femmes et les hommes permettrait de financer la retraite à 60 ans à court terme. Pour les moyen et long termes, toutes les projections économiques montrent que l'augmentation des salaires et des cotisations – ces dernières augmentant moins rapidement que les premiers –financerait la retraite à 60 ans.
Oui, l'objectif doit être de soulager les gens et de libérer du temps ! Mais vous faites tout l'inverse : vous mettez la vie des gens au service d'objectifs comptables. Ce n'est pas cela un bon, un juste, un simple projet de réforme des retraites pour tous ! Avec vous, il ne reste rien.
Par l'amendement n° 14660, nous essayons de limiter la portée négative et les insuffisances de la loi.
L'alinéa 8 fait état d'« un objectif de liberté de choix pour les assurés, leur permettant, sous réserve d'un âge minimum, de décider de leur date de départ à la retraite en fonction du montant de leur retraite ». Au passage, nous remarquons que vous ôtez toute pertinence à l'âge légal de départ, qui est de 62 ans, avec la création d'un âge d'équilibre qui finira par le supplanter. Dans ces conditions, l'âge légal n'est pas autre chose qu'un âge de départ anticipé avec une décote.
Nous proposons, quant à nous, d'inscrire dans la loi, non pas un âge minimum, mais un « âge garantissant un départ en bonne santé ». J'en conviens, c'est assez bancal – nous avons d'ailleurs formulé d'autres propositions –, mais nous réintroduisons cette notion, car vous avez essayé de la balayer.
Je suis d'accord avec vous sur un point, monsieur Mélenchon. Le système de répartition tel que nous le connaissons a remporté un immense succès, depuis l'après-guerre, en réduisant la pauvreté des retraités. C'est justement parce que nous le constatons que nous tenons à le pérenniser. Cependant, si succès il y a, d'importantes poches de pauvreté demeurent dans certaines catégories, car ce système par répartition et par corporations crée des difficultés pour toutes celles qui connaissent des problèmes démographiques. Nous voulons donc mutualiser ces différentes corporations afin que la nation assure un système solidaire à l'ensemble de nos retraités.
Vous avez également déclaré, monsieur Mélenchon, qu'il suffit de fixer l'âge de départ à 60 ans, qu'il suffit d'augmenter la proportion des impôts et là, je ne suis évidemment plus d'accord. Nous considérons, quant à nous, qu'il suffit d'un peu de bon sens. Il permet de constater que l'âge d'entrée dans la vie active recule, que l'espérance de vie augmente.
Vous allez me dire que vous n'avez pas eu le temps de prendre connaissance de l'intégralité de l'étude d'impact, mais vous trouverez, à la page 39, un diagramme sur l'espérance de vie après la sortie du marché du travail dans tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques : la France y est la mieux placée, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, ce dont nous pouvons être fiers. Il est compliqué, alors que de nombreux pays engagent un certain nombre de réformes, que la France soit la seule à s'en exonérer. Je souhaite que nous conservions cette première place, mais il faut aussi regarder ce qui se passe chez tous nos voisins. Nous réformons pour tenir compte de l'augmentation de l'espérance de vie.
Dernier constat de bon sens à travers une observation personnelle, ce dont je ne suis pas coutumier. J'ai perdu ma dernière grand-mère il y a un mois. Mon épouse et moi avions observé, quelque temps auparavant, que tous nos enfants font des études, que nos parents respectifs sont à la retraite et que c'était aussi le cas de ma grand-mère, qui représentait alors la génération d'avant. Deux actifs, ainsi, supportaient trois générations. Le système solidaire en vigueur dans notre pays nous donne la chance de pouvoir le faire en offrant à ces dernières un niveau de vie satisfaisant, mais un certain nombre de nos concitoyens comprend bien qu'il peut être difficile pour eux-mêmes, s'ils n'ont pas la chance d'avoir le même niveau de vie que nous, d'assumer le maintien d'un niveau de vie correct de trois générations.
Un peu de bon sens permet donc de constater la nécessité d'un partage équilibré entre l'augmentation de l'espérance de vie et l'augmentation de la durée de la vie active.
Avis défavorable à l'ensemble des amendements.
Il serait certes possible d'inscrire un âge dans la loi – 63 ans dans trois ans, 64 ans, plus tard, etc. –, mais fixer un retour à l'âge de 60 ans me semble un peu démagogique et, surtout, anachronique et dangereux pour un système par répartition. Cela reviendrait à faire porter sur les actifs une charge qu'ils ne doivent ni ne peuvent supporter, et cela reviendrait à diminuer le montant des pensions.
Comment les autres pays procèdent-ils ? Ils y arrivent plutôt bien. Nous avons suffisamment de dispositifs, que nous pouvons améliorer – comme l'ont fait tous les gouvernements et comme le fera celui-ci, car cette réforme comporte des points positifs en matière de justice et d'équilibre. Chaque Gouvernement y contribue donc, mais il faut aussi qu'il y contribue en trouvant des financements.
Toutes ces questions se posent en raison d'une bonne nouvelle : nous vivons plus longtemps ! Il convient simplement d'en tirer les conclusions en trouvant un équilibre entre le temps de travail et le temps de la retraite. Il y a quelques années, le temps de la retraite, grossièrement, était le temps de mourir. Vous rendez-vous compte de ce qui a été fait depuis lors ? Vous rendez-vous compte à quel point on peut désormais profiter de ce temps ? La question n'est pas uniquement celle, sur laquelle vous vous arc-boutez, d'une bonne santé ou non. Vous semblez totalement ignorer les dispositifs liés à la pénibilité ou aux carrières longues !
Vous méconnaissez le système de retraite, de même que la nécessité du travail, et vous voulez anéantir toute justice intergénérationnelle alors qu'elle est très importante. Vous n'avez pas le droit de mettre autant de charges sur le dos des générations qui nous succèderont.
Cet alinéa 8 est-il bien rédigé ? Je ne le crois pas.
Nous évoquons un âge minimum mais, avec les quarante-deux régimes existants que nous connaissons, il est déjà très différent en fonction des catégories ! L'avis du Conseil d'État illustre excellemment qu'en l'état du texte, le régime universel est un ensemble de régimes particuliers. Il serait donc préférable d'inscrire dans la loi « d'un âge minimum différencié », d'autant plus que telle est l'intention du Gouvernement – si je l'ai bien comprise. Il ne faudrait pas que le texte interdise une telle possibilité, n'est-ce pas, monsieur le secrétaire d'État !
Je lis l'amendement de notre collègue Corbière a contrario : il vise à montrer qu'il est impossible de fixer un âge minimum standard. Il serait donc préférable d'évoquer un âge minimum « différencié ».
Nous finissons par nous dire des choses et peut-être, à la fin, nous comprendrons-nous, quitte à faire des choix différents.
Selon notre rapporteur, si je l'ai bien compris, le système en vigueur a permis de parvenir à un beau résultat : l'éradication progressive de la pauvreté chez les retraités – nous étions en effet sur le point d'en venir à bout –, même si les disparités sont considérables. Je vous ferai remarquer, à ce propos, que ces disparités ont-elles-mêmes une histoire. Les corporations qui ne voulaient pas participer au régime général se sont rendu compte en cours de route de leur immense erreur. À l'époque, on leur prêchait la liberté individuelle et tout le bla-bla. Au final, les salariés, c'est-à-dire les ouvriers des villes, ont pris en charge les retraites des autres ce qui, d'une certaine manière, ne me dérange pas parce que la justice y avait sa part : pendant des générations, les paysans français ont payé par la baisse des produits agricoles la majoration du pouvoir d'achat des ouvriers. C'est la vérité vraie, et c'est comme cela que cet amortisseur social a permis de contenir la situation.
Deux collègues ont dit qu'il n'était pas possible de charger les actifs par une prise en charge écrasante, mais à revenus constants ! Si vous déplacez le curseur, il en sera tout autrement ! Aujourd'hui, un salarié français produit trois fois plus qu'en 1970, mais le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital est passée de 70 %-30 % en 1982, à l'acmé de notre politique, à 60 %-40 % – j'admets que 1982 fut une année extraordinaire en raison de l'application du Programme commun. Si l'on déplace le curseur d'un ou deux points, le problème est réglé ! Ce ne sont pas les actifs qui ont à prendre cette charge sur le dos : c'est la répartition de la plus-value entre le capital et le travail !
De grâce, ne faisons pas comme si la taille du gâteau était invariable !
Monsieur le rapporteur, vous avez reconnu que le système en vigueur a fait reculer la pauvreté et sans doute même permis d'augmenter l'espérance de vie en bonne santé – vous avez fait part des chiffres de l'INSEE. Il est donc incompréhensible de l'attaquer alors qu'il avait quelques vertus !
Le problème, cet alinéa en témoigne, c'est que le texte ne comporte aucune assurance quant au taux de remplacement et à l'âge de départ. Ce que vous proposez, ce sont deux variables d'ajustement. Or vous oubliez l'antagonisme qui existe dans la société et qui sépare, grossièrement, ceux qui possèdent et ceux qui travaillent. Vous ne voulez pas vous attaquer à toute une masse d'argent qui échappe à la contribution aux besoins communs. Vous raisonnez à périmètre constant et vous voulez même le réduire pour que la propriété de quelques-uns continue de s'accroître. Nous, nous disons qu'il est possible de financer un véritable droit à la retraite si l'on s'en donne les moyens, au lieu de continuer à assécher les ressources de la sécurité sociale, de la protection sociale et de la retraite.
Le désaccord entre nous est total : nous pensons qu'il est possible de garantir le droit à la retraite à 60 ans.
Dans ce débat passionnant, notre rapporteur considère, me semble-t-il, que l'important c'est de protéger notre système de retraite et de tout faire pour qu'il perdure. À cette fin, il faut regarder notre société telle qu'elle est aujourd'hui et pas telle que l'on voudrait qu'elle soit.
Oui, c'est une réalité, nous sommes confrontés à un vieillissement de notre population, de l'ensemble des populations des pays occidentaux. J'ajoute que ce vieillissement, contrairement à ce que j'ai entendu à plusieurs reprises, ne s'explique pas uniquement par l'abaissement de l'âge de la retraite mais aussi par des progrès médicaux, dans le monde entier. C'est cela qui a accru l'espérance de vie et il faut le prendre en compte pour améliorer notre système, tout en luttant contre les inégalités qui l'affectent.
À entendre les uns et les autres, notamment à gauche, j'ai l'impression que tout le monde, aujourd'hui, part à 62 ans. Ce n'est pas le cas ! C'est en effet l'âge légal, mais l'âge moyen de départ se situe à 63,5 ans, si on exclut les départs anticipés ; 25 % de nos concitoyens partent à la retraite entre 64 et 67 ans, 67 ans étant l'âge d'annulation de la décote – notre système tel qu'il est aujourd'hui en contient bel et bien déjà une.
Dans le système que nous instaurons, en revanche, nous voulons abaisser l'âge de la décote à l'âge d'équilibre qui sera défini, ce qui permettra aux 30 % de nos concitoyens qui, souvent, ont connu les carrières les plus difficiles et ont les pensions les plus basses – les études, en tout cas, l'attestent –, de partir plus tôt avec une pension à taux plein.
La commission rejette successivement les amendements.
Nous suspendons nos travaux pour tenir la réunion de bureau dont nous avons décidé en début de séance.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 4 février 2020 à 17 heures
Présents. – M. Didier Baichère, M. Thibault Bazin, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, Mme Corinne Vignon, M. Éric Woerth
Assistaient également à la réunion. – M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Ugo Bernalicis, M. Julien Borowczyk, M. Jean-François Cesarini, M. Alexis Corbière, M. Charles de Courson, Mme Caroline Fiat, M. Philippe Gosselin, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Jean-Luc Mélenchon, M. François Ruffin, Mme Martine Wonner