Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (n° 3246)
La séance est ouverte à 15 heures.
Présidence de M. Rodrigue Kokouendo, vice-président.
Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen et le vote du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale du 20 mars 2018 entre la France et le Luxembourg.
Notre commission a examiné le 6 février 2019 cette convention qui vise à éviter les doubles impositions et prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, et la loi autorisant son approbation a été promulguée le 25 février de la même année. Nous sommes à présent saisis d'un avenant qui apporte une modification, certes technique mais importante et attendue.
Mme Isabelle Rauch est la rapporteure qu'il nous fallait puisqu'elle a contribué à l'élaboration de cet avenant – nous pouvons vous en féliciter, chère collègue.
Nous avons, par ailleurs, le plaisir d'accueillir parmi nous M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, qui s'était également saisie pour avis du projet de loi relatif à la convention de 2018.
Nous avons adopté en février 2019, vous l'avez dit, le projet de loi autorisant l'approbation de la convention fiscale signée en 2018 par la France et le Luxembourg. Ce texte a fait l'objet d'un examen attentif par notre commission, au cours duquel nous avons eu l'occasion de souligner les progrès apportés par la convention, qui est conforme aux dernières normes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d'échange d'informations et de prévention de l'érosion de la base d'imposition et de transfert de bénéfices.
Cependant, cette convention comporte, à son article 22, des ambiguïtés sur les modalités d'élimination des doubles impositions des revenus d'activité des travailleurs frontaliers et de certains revenus immobiliers. En effet, dans sa rédaction actuelle, cet article laisse craindre que ces revenus soient imposés deux fois : concrètement, la France pourrait prélever un reliquat correspondant à la différence entre l'impôt acquitté au Luxembourg et celui dû en France. L'alerte est venue de ma circonscription frontalière avec le Luxembourg où de nombreuses personnes m'ont saisie, ce qui a favorisé un travail conjoint avec Bercy.
Cette disposition aurait des conséquences fiscales très concrètes pour les 107 000 résidents français qui travaillent au Luxembourg et représentent près de 25 % de la masse salariale du Grand-Duché. Les inquiétudes étaient d'autant plus grandes que le Luxembourg a adopté, en 2017, une réforme de l'impôt sur le revenu, favorable aux travailleurs les plus modestes, qui a accru le différentiel de fiscalité entre les deux pays. Les principales personnes concernées seraient les contribuables ne bénéficiant pas du quotient familial ou de réductions ou déductions d'impôts, en particulier les célibataires et les couples sans enfant ayant une rémunération nette annuelle par personne comprise entre 18 000 et 36 000 euros, qui sont les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale luxembourgeoise.
Les conséquences importantes qui pourraient en résulter pour un grand nombre de nos compatriotes sont une nouvelle illustration de l'importance de l'examen attentif, par le Parlement, des conventions fiscales signées par le Gouvernement.
Les dispositions relatives aux modalités d'élimination des doubles impositions des revenus d'emploi ont été fortement contestées dès l'adoption de la convention, ce qui a conduit à la signature du présent avenant, un peu plus d'un an après celle de la convention.
Le texte qui nous est soumis a pour objet de revenir, pour les modalités d'élimination des doubles impositions des revenus d'emploi et de certains revenus immobiliers, à un système équivalent à celui qui prévalait avant l'entrée en vigueur de la convention de 2018. Conformément au principe de l'imposition des revenus d'emploi dans le pays d'activité, les travailleurs frontaliers ne paieront pas d'impôts en France sur leurs revenus d'emplois s'ils s'en sont acquittés au Luxembourg.
Par cohérence avec le réseau conventionnel de la France, cette modification de la méthode d'élimination des doubles impositions s'appliquera également aux revenus immobiliers : les détenteurs de revenus issus de biens immobiliers situés au Luxembourg ne devront pas payer en France d'impôt sur ces biens s'ils se sont acquittés de leur impôt au Grand-Duché.
Conformément au principe de l'imposition partagée, ces revenus seront néanmoins pris en compte pour la détermination du taux applicable aux autres revenus du contribuable, ce qui préserve la progressivité du système fiscal français.
Concrètement, l'administration fiscale octroiera aux travailleurs frontaliers et aux détenteurs de revenus issus de biens situés au Luxembourg un crédit d'impôt égal au montant qu'ils auraient dû acquitter en France pour les revenus concernés, dans la limite de l'impôt effectivement payé au Luxembourg.
Ces dispositions, conformes au modèle de l'OCDE, sont couramment utilisées par la France dans les conventions signées depuis la fin des années 1980 : on retrouve les mêmes clauses pour les revenus d'activité relevant d'une imposition partagée dans les conventions fiscales signées avec l'Allemagne, l'Italie, la Chine, la Suisse ou encore le Royaume-Uni. La disposition qui figure dans l'avenant est, à cet égard, plus « standard » que celle qu'elle remplace.
L'avenant prévoit que les nouvelles dispositions s'appliqueront aux périodes d'imposition commençant à compter du 1er janvier 2020. Ainsi, les travailleurs frontaliers pourront en bénéficier dès la première année de l'entrée en vigueur de la convention, avant même que les modalités initiales aient à s'appliquer. L'impact sur les finances publiques du présent avenant est donc nul.
Enfin, je tiens à préciser, pour la clarté des débats, que l'avenant ne vise qu'à préciser les modalités d'élimination des doubles impositions : les questions relatives à l'harmonisation fiscale, qui relèvent davantage de la législation européenne, à la participation du Luxembourg au développement des territoires frontaliers – dans le cadre du codéveloppement – ou au statut du télétravail frontalier n'entrent pas dans le champ de la convention de 2018, ni dans celui de son avenant. Ce sont, néanmoins, des sujets importants dont nous aurons à nous saisir.
Compte tenu de ces différentes remarques, je vous propose d'adopter le présent projet de loi.
Je vous remercie de m'accueillir parmi vous. La commission des finances a donné ce matin un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi, et j'aimerais me faire l'écho de certaines remarques qui ont été formulées par mes collègues.
Bien que le Parlement ne puisse qu'approuver ou refuser les accords internationaux négociés par le Gouvernement, il est nécessaire de réaliser un examen approfondi de tous ceux qui portent sur les questions fiscales.
La convention du 20 mars 2018, dont nous avons autorisé l'approbation en février 2019, a modernisé les relations fiscales entre la France et le Luxembourg, jusque-là régies par une convention datant de plus de soixante ans – elle avait été signée en 1958.
Cette nouvelle convention s'inscrit dans le contexte plus large de l'instrument multilatéral relatif à la prévention de l'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices. Je rappelle que le Projet BEPS (base erosion and profit shifting) détaille de nouvelles règles fiscales internationales destinées à favoriser une plus grande transparence et à lutter contre l'évasion fiscale.
Rapporteur pour avis du projet de loi autorisant l'approbation de la convention de 2018, j'ai eu l'occasion de souligner les avancées qu'elle apporte, notamment la souplesse prévue par le protocole qui lui est annexé quant à l'imposition des revenus des frontaliers exerçant une partie de leur activité en télétravail. La crise sanitaire de la covid-19 a conduit de nombreux frontaliers français, restés à leur domicile, à découvrir l'usage du télétravail et a montré la nécessité d'adapter en conséquence les règles d'imposition. Si le nombre de jours de télétravail n'est pas supérieur à vingt-neuf, alors le salarié reste imposé dans l'État où il exerce son activité.
J'en viens à l'avenant, qui réécrit le premier paragraphe de l'article 22 de la convention de 2018, lequel avait suscité, sur plusieurs points, des commentaires de la part des commissaires aux finances. Il s'agit de lever toute ambiguïté sur la version initiale du texte, qui laisse planer la possibilité que certains contribuables soient imposés à la fois en France et au Luxembourg sur le même revenu, du fait des réformes fiscales qui ont eu lieu successivement dans ces deux pays. La manière dont cet article est rédigé a provoqué des inquiétudes au sein des frontaliers du Pays-Haut et des Mosellans : ils craignaient que cela entraîne pour eux un surplus d'imposition.
Deux méthodes existent pour éviter une double imposition des contribuables. La méthode dite d'exemption voit l'État de résidence renoncer à assujettir à l'impôt les revenus imposables dans l'État où ils trouvent leur source. C'est la méthode retenue par la convention de 1958. La méthode dite d'imputation consiste, pour l'État de résidence, à neutraliser l'imposition déjà acquittée dans l'État source des revenus, grâce à un crédit d'impôt.
L'avenant ne change pas la méthode suivie : il modifie simplement le mode de calcul du crédit d'impôt. La version initiale prévoit qu'il peut être égal au montant de l'impôt acquitté au Luxembourg. Dans le cas où l'impôt dû en France serait supérieur à celui acquitté au Luxembourg, le travailleur pourrait donc être imposé une seconde fois dans notre pays.
Les négociations portant sur la convention ont débuté en 2016. L'année suivante, le Luxembourg a adopté une réforme visant à réduire la fiscalité sur les bas revenus. La méthode de calcul initialement prévue conduirait à neutraliser cette réforme pour les travailleurs frontaliers : leur impôt global ne diminuerait pas. En France, la loi de finances pour 2020 a prévu un ajustement des tranches du barème de l'impôt sur le revenu se traduisant par une baisse de 5 milliards d'euros de cette imposition pour près de 17 millions de foyers. Ajoutons à cela que le Luxembourg planche sur une prochaine réforme structurelle qui pourrait intervenir en 2021 ou en 2022, car celle de 2017 a été jugée insuffisante – elle exigerait des ajustements. Vous comprendrez aisément pourquoi il faut un cadre, une méthode pérenne et imperméable aux aléas des réformes fiscales menées dans les deux pays.
Le choix qui a été fait consiste à accorder aux personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg un crédit d'impôt égal au montant qu'elles auraient à acquitter dans notre pays.
Cet avenant, dont je me réjouis, est essentiel pour sécuriser la situation fiscale de plus de 100 000 Français qui franchissent chaque jour la frontière pour travailler au Luxembourg.
Bien que je ne sois pas autorisé à voter dans cette commission, je vous invite vivement à adopter le projet de loi, qui sera examiné en séance publique le 21 janvier prochain.
Vous avez réalisé un superbe travail, madame la rapporteure. On voit bien que vous êtes une députée de terrain : vous avez été attentive aux attentes de nos concitoyens, que vous avez relayées auprès de Bercy. Je veux vraiment mettre l'accent sur tout ce que vous faites au quotidien pour répondre aux femmes et aux hommes de votre circonscription qui se tournent vers vous. Le groupe La République en Marche ne peut qu'être favorable au fruit de votre action.
Je tiens également à évoquer la beauté du masque que vous portez, ainsi que le rapporteur pour avis. Ces masques sont fabriqués dans ma circonscription… Les députés de La République en Marche sont décidément des députés de terrain, investis auprès de nos concitoyens !
Cet avenant permettra d'éviter toute double imposition sur les revenus des travailleurs transfrontaliers et les revenus immobiliers, y compris lorsque l'imposition au Luxembourg est plus favorable que celle résultant des règles fiscales françaises. Le texte qui nous est soumis préservera, par ailleurs, les acquis de la convention de 2018 en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, s'agissant d'un voisin qui, il faut le dire, a souvent des pratiques s'apparentant à du dumping fiscal voire à une certaine désinvolture au sujet de la fraude fiscale. Le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de ce projet de loi.
La commission adopte, à l'unanimité, l'article unique du projet de loi sans modification.
Je vous souhaite à toutes et tous de bonnes fêtes, et j'ai une pensée toute particulière pour notre présidente, Marielle de Sarnez. Nous lui souhaitons un bon rétablissement. Courage à vous, madame la présidente, dans ces moments difficiles. Nous vous envoyons tous nos flux positifs. Et prenez soin de vous, chers collègues.
La séance est levée à 15 heures 20.