La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 17 novembre 2021

La séance est reprise à seize heures vingt.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête procède à l'audition de M. Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h.

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Nous poursuivons nos auditions en recevant M. Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h. Monsieur le président, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez publié plusieurs ouvrages dont le dernier est intitulé Sortir de l'ornière. Comment la France peut s'inspirer des dix pays phénix, ainsi qu'un article dans Réalités industrielles, intitulé « Politiques granulaires versus vision globale : pour une action enfin stratégique ».

Je vais vous passer la parole pour que vous puissiez nous exposer vos analyses dans une intervention liminaire, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé qui serait éventuellement de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

M. Henri Lagarde prête serment.

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Je vais présenter les dix pays phénix. Au-delà de tout système de pensée, je préfère exposer des exemples qui fonctionnent très bien. Huit sur les dix sont situés en Europe.

Selon moi, la compétitivité de nos entreprises est anéantie par la fiscalité.

Prenons trois entreprises qui font vingt millions d'euros de chiffre d'affaires chacune.

(image non chargée)

Nous observons une fiscalité à 35,2 % sur les salaires, tandis que les Allemands sont à 16,5 % et les Danois à 0 %. Les impôts de production sont perçus sur le résultat courant avant impôt (RCAI), ce qui implique qu'une entreprise peut perdre de l'argent, mais être astreinte à ces impôts de production. Ce n'est pas le cas en Allemagne ou au Danemark. En France, l'impôt sur les sociétés représente 30,1 %, alors qu'il est bien plus faible dans les deux autres exemples. Nous constatons, par conséquent, que les profits nets sont très différents. Les prélèvements totaux s'élèvent pour l'entreprise française à 2 915 000 euros, soit 106,4 % du RCAI. Si nous mettons maintenant ces trois entreprises sur un pied d'égalité pour comparer les fiscalités, nous obtenons 92 % en France, 39,9 % en Allemagne et 29,9 % au Danemark. L'écart est très important et explique quasiment à lui seul la disparition de l'industrie française.

En 1973, notre industrie représentait 23,4 % du PIB contre 10 % aujourd'hui. Le chômage était de 3 à 4 % et il est passé à 8,4 % en 2009, pour atteindre aujourd'hui un taux de chômage réel de 19,2 %, puisque les classes A à E de Pôle emploi reçoivent une indemnité mensuelle, et je ne prends pas en compte les formations et les arrêts maladie. Notre pays est donc démoralisé et champion des transferts sociaux, qui représentent 32,1 % du PIB quand la moyenne européenne est 19,2 %, et celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 23,2 %.

Il existe au sein de l'Europe des pays culturellement très différents, Danemark, Finlande, Suède, Norvège et Irlande, mais également dans l'hémisphère Sud, Nouvelle-Zélande et Australie, qui étaient en crise grave avant d'être, aujourd'hui, en budget positif. Leurs taux de croissance sont supérieurs au nôtre.

En 1973, toujours, nous étions le quatrième pays au monde en termes de PIB par habitant. Nous avons rétrogradé à la quinzième place depuis. Dans les pays les mieux classés, le choix n'a pas été fait de relancer la consommation pour soutenir l'offre, mais plutôt de relancer les conditions générales de fonctionnement de l'industrie.

L'Allemagne, le Danemark, notamment, ont pratiqué une baisse de l'impôt sur les sociétés, de 55 % à 15 % aujourd'hui. En France, nous sommes à 28 %. Ces baisses ont été financées par la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de l'impôt sur le revenu des particuliers (IR), par la suppression des niches fiscales et celle des dépenses publiques.

En France, il est nécessaire de préparer l'opinion publique, notamment en envoyant des journalistes, des salariés, des patrons et des syndicats observer sur place le fonctionnement des pays que je cite en exemple. Il est également essentiel de faire preuve de pédagogie en expliquant ce que signifie la création de richesses. Quand nous consommons de la richesse, nous la détruisons. Nous devons, absolument, engager les salariés et l'opinion publique dans une nouvelle relation sociale.

Je propose donc de limiter à 15 % les cotisations sociales, à 15 % du RCAI les impôts de production et à 15 % l'IS. De nombreux pays fonctionnent avec ces chiffres. Le financement de cette proposition est chiffré entre 85 et 100 milliards d'euros. Nos prélèvements obligatoires seraient donc de 45 %, proches du 39 % allemand, mais bien supérieurs aux 29 % danois.

Ces pays ont beaucoup moins de prélèvements obligatoires sur leurs entreprises, mais ils vont payer la même TVA que nous sur le marché français. En d'autres termes, nous subventionnons les importations.

Une baisse de la TVA pourrait sembler induire une diminution de l'inflation, mais les prix, contrairement à ce nous pourrions croire, ont tendance à baisser. J'en veux pour preuve l'exemple de Woodrow Wilson, en 1916, pour sa réélection. Quand l'Allemagne a, par deux fois, augmenté sa TVA, les prix ont baissé, mais les Allemands pensent, à tort, qu'abaisser de nouveau la TVA réduira les prix. Le Danemark a un taux moyen de TVA de 23,5 % et n'a aucun problème d'inflation.

Mes propositions s'appliquent sur dix ans avec tout d'abord la préparation de l'opinion publique, puis la baisse des prélèvements obligatoires, la hausse de la TVA et enfin la baisse des dépenses collectives.

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Que convient-il de faire pour développer la recherche, indépendamment du crédit d'impôt recherche (CIR) ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Ce n'est pas vous qui l'augmentez. Ce sont les chefs d'entreprise, pour de grands projets nationaux majeurs (TGV, nucléaire, etc.). Les Allemands font beaucoup plus de recherches non aidées. Je ne fais pas référence à la recherche nationale subventionnée à hauteur de 2 % environ, tandis que la France est à 1,49 %. Nous avons perdu 0,2 % depuis que le CIR est en place.

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Je comprends, dans votre réponse, qu'il appartient aux entreprises de prendre leurs responsabilités et de financer, davantage qu'elles ne le font aujourd'hui, la recherche.

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Oui ! Un fonctionnaire, tout énarque qu'il est, peut être trompé très facilement quand il arrive dans une entreprise qu'il ne connaît pas. En conséquence, de nombreuses entreprises abusent.

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Vous avez évoqué la nécessité d'avoir de nouvelles relations sociales et vous appeliez à une pédagogie de l'industrie. Pourriez-vous développer ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Nous voulons la codétermination. Le conseil d'administration doit être partagé à égalité de parts avec les salariés, plus une pour la direction.

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Pensez-vous que la gouvernance globale des entreprises est un facteur qui peut expliquer la désindustrialisation ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Bien sûr ! Nous sommes encore marqués par la sortie d'après-guerre. Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) est bloqué dans son dialogue avec la base. Il est indispensable de changer ces relations. Cela passe par des conseils d'administration auxquels assistent des salariés et des réunions spécifiques pour la stratégie et le marché. Il est important d'ouvrir la participation et l'intéressement. Écouter les salariés est essentiel.

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Avez-vous le sentiment que des erreurs stratégiques ont été commises dans l'industrie française ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Le climat social est terrible, notamment en raison des grèves.

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Vous avez proposé une hausse de la TVA en France. Par ailleurs, cette position est très souvent jugée antiredistributive. Elle frapperait principalement l'ensemble des classes les moins aisées et serait en grande partie procyclique. Allez-vous jusqu'au bout de votre réflexion sur la TVA, en la proposant sur l'ensemble des produits financiers, les dividendes et les successions ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Je n'ai pas de réponse à votre question, mais je peux affirmer que les entreprises seront peu impactées par la hausse que je propose, puisqu'elles récupèrent la TVA quand elles sont financées, à la différence des particuliers.

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Quelles propositions pourriez-vous formuler en ce qui concerne les impôts de production, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE), notamment ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Je ne souhaite pas les garder. Quand la taxe professionnelle a été supprimée au profit de la contribution économique territoriale (CVAE et CFE), nous avons payé davantage. Les fabricants paient plus que les importateurs. Cette contribution n'existe pratiquement pas dans d'autres pays. Plutôt qu'un discours, un voyage dans ces pays serait plus instructif. Nous subissons en France les pires impôts du monde et nous sommes déficitaires sur le budget depuis 1974.

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Vous nous avez parlé d'un sursaut que nous devrions avoir et vous appelez un nouvel état d'esprit de l'opinion publique. De votre point de vue, comment peut-on faire ?

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Henri Lagarde, chef d'entreprise, ancien président du groupe Thomson Électroménager et du groupe Guyomarc'h

Envoyons des journalistes réputés dans ces pays, afin qu'ils puissent faire un retour aux Français sur ces modèles de gestion. Je souligne que l'Irlande et la Hollande sont des paradis fiscaux, pourtant, dans l'Union européenne. J'ajoute que, désormais, aucune industrie de l'UE ne paiera moins de 15 % d'impôt.

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Je vous remercie. Si vous avez des compléments d'information à nous envoyer, nous les intégrerons à nos travaux.

L'audition s'achève à dix-sept heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 14 heures 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, Mme Marie Lebec, M. Gérard Leseul

Excusés. – M. Éric Girardin, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian