La commission des affaires économiques a auditionné, conjointement avec la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire et la délégation aux collectivités territoriales, M. Philippe Varin, président de Suez et M. Bertrand Camus, directeur général.
J'ai le plaisir de souhaiter en notre nom à tous la bienvenue à MM. Philippe Varin, président du conseil d'administration de Suez, et Bertrand Camus, directeur général.
Comme vous le savez, le président-directeur général de Veolia, que nous auditionnerons tout à l'heure, a annoncé vouloir procéder à l'achat d'une grande partie des titres de Suez détenus par Engie et, par la suite, à une offre publique d'achat (OPA) sur les autres titres de Suez. Si cette décision ne relève pas d'un texte de loi, d'une part, Engie est en partie propriété de l'État, d'autre part, les incidences économiques et financières de cette opération sont telles que presque tous les députés ont été sollicités par les deux groupes industriels. Chaque partie mettant en avant des arguments puissants, il importe que chacun puisse se faire sa propre opinion. En outre, ce dossier étant entré dans le débat public, il apparaît normal que l'Assemblée nationale s'en saisisse. C'est pourquoi nous avons tenu à auditionner les principaux protagonistes.
Notre objectif est de mieux comprendre les stratégies de ceux-ci. Il s'agit de compagnies extrêmement connues et largement présentes dans nos territoires, les collectivités territoriales étant souvent – quoique pas systématiquement – clientes d'un des deux groupes. Cette opération pose beaucoup de questions aux élus locaux et aux représentants des territoires que nous sommes aussi, et c'est pourquoi, avec M. Roland Lescure, nous avons décidé d'associer la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation à ces auditions.
La présente audition durera une heure et demie au maximum. Chaque groupe pourra prendre la parole durant deux minutes par l'intermédiaire de son représentant, puis chaque parlementaire qui le souhaitera aura une minute pour poser d'éventuelles questions. Nous marquerons ensuite une minute de silence en mémoire de Jacques Chirac à l'occasion de la cérémonie organisée en son honneur dans l'hémicycle.
Chers collègues, lorsque vous vous êtes brossé les dents ce matin, il y a une chance sur deux pour que l'eau que vous avez utilisée vous ait été fournie soit par Veolia, soit par Suez. Quant à la poubelle que vous avez mise sur le trottoir en sortant de chez vous, il y a 40 % de chances qu'elle soit collectée soit par Veolia, soit par Suez. On voit l'importance qu'ont prise ces deux entreprises dans le quotidien des Françaises et des Français.
Quand les grandes manœuvres ont commencé, nous nous sommes accordés, M. Éric Woerth et moi, sur le fait que l'Assemblée nationale ne pouvait rester muette sur le sujet. C'est pourquoi nous avons décidé d'organiser ces auditions communes et de lancer un groupe de travail rassemblant 6 députés de la majorité et de l'opposition, afin d'auditionner les autres parties prenantes que sont les syndicats, les fournisseurs, les acheteurs, etc.
Ce que, de mon point de vue, l'Assemblée nationale ne doit pas faire, c'est donner son avis sur une opération commerciale et financière qui, en fin de compte, concerne deux entreprises privées. Ce que l'Assemblée doit, en revanche, faire, c'est éclairer le débat public, parce que les activités de ces deux groupes ont de très fortes répercussions sur des questions d'intérêt général, à commencer par l'emploi dans nos territoires et le rapport qualité-prix, qui ne devra en aucune façon être dégradé – nul doute que M. Jean-René Cazeneuve insistera sur ce point.
Un dernier mot : ayant eu, dans le cadre de mes précédentes fonctions, l'occasion de monter, il y a maintenant plus de cinq ans, une opération avec Suez, à savoir l'acquisition d'une filiale de General Electric (GE) – comme quoi ces opérations vont parfois dans le bon sens –, je me garderai bien d'émettre quelque avis que ce soit sur celle-ci.
Monsieur le président de Suez, Monsieur le directeur général, bienvenue dans notre assemblée. Je vais relayer auprès de vous les inquiétudes des collectivités territoriales.
Suez et Veolia représentent environ 60 % des approvisionnements en eau des collectivités territoriales ; c'est un service public absolument essentiel pour nos concitoyens. La crainte que nous avons, c'est que l'on porte atteinte à la concurrence sur un marché qui est déjà extrêmement concentré.
Je souhaiterais par conséquent connaître votre opinion sur l'opération qui est proposée, à savoir isoler l'activité eau du groupe Suez et la revendre à un autre groupe. Ce découpage de l'activité vous semble-t-il viable ? Le nouveau groupe aura-t-il la capacité de faire face à un mur d'investissements ? Le réseau de distribution d'eau a en effet impérativement besoin d'être rénové et renforcé, ce qui suppose que des capitaux importants soient disponibles dans les prochaines années.
D'autre part, il existe aujourd'hui de réelles synergies au sein du groupe Suez entre l'activité eau et les autres services proposés aux collectivités territoriales. L'opération proposée y mettrait-elle fin ?
Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les députés, avant toute chose, je tiens à saluer l'intérêt que porte la Représentation nationale à ce sujet, qui est d'une importance majeure. Notre pays a été pionnier en matière d'hygiène publique et de santé des populations. La France fut l'un des premiers pays à se doter de réseaux d'eau potable et d'assainissement. Il fut mis en œuvre un système inédit de gestion déléguée à des entreprises privées, ce qui est une exception française, 90 % de la gestion de l'eau et de l'assainissement dans le monde relevant du secteur public.
Notre expertise, l'étroite relation de confiance tissée entre notre groupe et les pouvoirs publics et cette gestion partagée permettent de garantir des services essentiels aux habitants et sont le gage d'une qualité de service inégalée. Forts de leur expérience dans un secteur stratégique, Suez et Veolia ont profité de la croissance démographique de la planète et ont développé des solutions. Ils se sont implantés sur les marchés internationaux et sont devenus des leaders mondiaux des services à l'environnement.
L'hypothèse d'une fusion entre Suez et Veolia ne date pas d'hier. Nos entreprises construisent en parallèle, depuis cent cinquante ans, une histoire unique au monde. La tentation de faire de ces deux leaders un « superchampion » français peut séduire. Elle est d'ailleurs de nouveau à l'ordre du jour depuis que Veolia a proposé à Engie, le 30 août dernier, de racheter les 29,9 % de parts que cette dernière détient dans le capital de Suez.
Cette proposition est valable un mois, soit jusqu'au 30 septembre. Franchement, je ne vois pas pourquoi Engie, dont l'État est actionnaire à 23,6 % et dispose d'un tiers des droits de vote au conseil d'administration, accepterait un ultimatum de quatre semaines sur une question aussi fondamentale et qui détermine, de manière structurante, l'avenir des 90 000 salariés du groupe Suez, en particulier celui des 29 000 salariés français ! Nous avons besoin d'un peu de temps pour proposer d'autres solutions qui soient respectueuses de l'intérêt social de toutes les parties prenantes – actionnaires, salariés, collectivités territoriales et acteurs de l'environnement –, en cohérence avec un cadre que vous connaissez bien, à savoir celui de l'intérêt social élargi déterminé par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE.
Il faut savoir qu'en 2006, l'électricien Enel avait déjà lancé avec Veolia un raid contre Suez. L'État, qui était opposé à l'entrée d'un groupe étranger dans le capital de Suez, avait monté une fusion avec l'opérateur public Gaz de France, débouchant sur la création de GDF Suez, devenu Engie. En 2012, il y eut une tentative de rapprochement entre Suez et Veolia, réellement amicale pour le coup ; toutefois, la nécessité de vendre des actifs, de sacrifier des équipes et de priver certains clients de leur relation étroite avec Suez ou Veolia avait poussé les dirigeants de l'époque à renoncer au projet. À la différence de la précédente – malgré ce qui a pu être dit –, l'opération montée aujourd'hui est hostile ; elle a été préparée sans concertation ni négociation.
À l'heure où le pays doit faire face à la crise sanitaire et économique que l'on sait, cette démarche pose de nombreuses questions, premièrement quant à sa structure, deuxièmement quant à son intérêt stratégique, troisièmement quant aux nombreux risques qu'elle fait peser sur l'activité et les emplois en France – M. Bertrand Camus y reviendra.
En premier lieu se pose la question de la conformité de cette opération avec la jurisprudence de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et celle de l'Union européenne. Elle est présentée comme comportant deux étapes : d'abord, le rachat des 29,9 % du capital détenus actuellement par Engie, puis une offre publique d'achat sur le reste des actions, assortie, afin de se conformer aux règles du droit de la concurrence, d'une déclaration d'intention de céder l'activité eau de Suez en France – et probablement pas uniquement celle-ci ; cela, afin de s'affranchir des contraintes pesant sur une offre publique faite d'un bloc. Cette proposition ne respecte pas le principe d'égalité de traitement des actionnaires, puisque certains – Engie, tout spécialement – ont droit à un traitement particulier.
On peut en outre s'interroger sur la conformité de l'opération avec le droit de la concurrence. Pour y remédier, Veolia s'engage, dès la première étape, à céder l'activité eau de Suez en France.
Enfin, et peut-être surtout, cela soulève une difficulté de gouvernance. Ni le conseil d'administration de Suez, que je préside, ni son management, ni les représentants du personnel ne sont mis dans la boucle au stade de la première étape, puisqu'il s'agit d'une transaction entre Veolia et Engie. Nous ne le serons qu'à la deuxième étape ; ce sera trop tard, puisque Engie aura, en vendant, enclenché un processus comprenant l'engagement de démanteler Suez en France. C'est d'ailleurs pourquoi certaines prises de position se font par voie de presse, notamment de la part des représentants du personnel, qui ne peuvent pas s'exprimer dans le cadre des instances habituelles. Il s'agit là d'une procédure inédite, qui me semble une anomalie. Nous ne pouvons pas en rester là.
Permettez-moi de recourir à une analogie pour décrire ce démantèlement : c'est comme si quelqu'un se présentant comme votre « ami » sonnait à votre porte, qu'un des propriétaires lui ouvrait, qu'il s'installait chez vous et qu'il se mettait à vendre un par un les précieux meubles que votre grand-mère vous a légués et auxquels vous tenez. En l'espèce, il s'agit de l'activité eau et d'une part importante de l'activité de gestion des déchets en France. Je vous laisse apprécier le caractère amical de cette démarche.
Deuxième point : quel serait l'intérêt d'une telle fusion ? J'ai moi-même, par le passé, participé à des regroupements de ce type dans l'automobile, dans l'acier ou dans l'aluminium. Autant je comprends leur intérêt dans le secteur de l'industrie, où les acteurs sont déjà très concentrés, autant, dans le secteur des services, l'agilité prime. Il est tout à fait possible de garder plusieurs « champions » français. C'est le cas dans la communication, avec Havas et Publicis, dont on n'imagine pas qu'ils fusionnent demain, ou dans les services informatiques, avec Atos, Capgemini et d'autres, ou encore dans les services à l'environnement.
Si l'on fait le bilan des projets de fusion, on s'aperçoit que la moitié d'entre eux échouent et que, dans beaucoup de cas, 1 + 1 font beaucoup moins que 2. En l'occurrence, je suis sceptique quant à la pertinence du modèle économique et stratégique proposé par Veolia.
Enfin, ce projet fait peser des risques importants sur l'emploi et sur le service à nos clients – lesquels sont en grande partie des collectivités territoriales.
Au cours de mes quarante-deux ans de carrière dans l'industrie, j'ai suivi avec attention de nombreuses fusions entre grandes entreprises. Il y a toujours des synergies et je puis témoigner que celles-ci se soldent presque automatiquement par des réductions d'effectifs. On peut toujours prendre des engagements, mais ils ne valent qu'un temps. Je citerai deux exemples récents. Lors du rachat d'Alcatel-Lucent en 2016, Nokia avait pris des engagements en matière d'emploi, d'ailleurs similaires à ceux que Veolia dit prendre aujourd'hui ; eh bien, en juin 2020, le groupe a annoncé la suppression d'un tiers de ses effectifs, dont 1 200 postes en France. De même, l'achat de la branche énergie du groupe Alstom par General Electric en 2014 était assorti d'une promesse de 1 000 créations d'emplois d'ici à la fin 2018 ; aujourd'hui, le groupe américain présente un plan social visant à supprimer 700 postes.
Nous ne pouvons pas admettre que Suez et Veolia, qui sont des fleurons industriels de notre pays et sont soumis à des dynamiques de croissance forte, subissent des conséquences similaires en matière de bilan social, de surcroît dans un contexte de crise. Nous jouons un rôle essentiel dans les territoires ; le maintien de l'emploi est, pour nous, essentiel. Plus largement, je suis choqué par la perspective d'un démantèlement de nos services essentiels, dommage collatéral d'une opération stratégique, au moment même où la transition écologique est un enjeu majeur pour tous et où notre pays s'emploie à faire renaître une industrie grâce à un plan de relance – à la préparation duquel j'ai contribué, au titre de mes fonctions de président de France Industrie.
Vous l'aurez compris, ce projet ne m'enthousiasme pas. J'ai pris le 12 mai dernier la présidence du conseil d'administration de Suez. Le plan Suez 2030, proposé par M. Bertrand Camus, le directeur général, propose une vision ; il a une ambition, créer de la valeur ; il répond à l'impératif de proximité exigé par les territoires. Si nous avons bien compris le besoin d'Engie de céder sa part dans le capital de Suez, nous sommes convaincus que, comme cela avait été suggéré à la fin du premier semestre, nous pouvons proposer une autre solution, avec un pool d'investisseurs. En tout état de cause, une offre assortie d'un ultimatum fixé au 30 septembre ne nous paraît pas acceptable.
J'ai été nommé à la direction générale de Suez en mai 2019 après vingt-cinq années de carrière dans le groupe. J'ai passé beaucoup de temps à l'international, en Asie, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord et j'ai aussi dirigé l'activité eau de Suez en France. Ce parcours fait que je connais intimement nos métiers, leurs spécificités, leur immense potentiel et leur importance vitale, que ce soit en matière de santé, de qualité de vie ou de protection de l'environnement. Je connais aussi intimement nos clients, que ce soit en France ou à l'international, et la vigilance qu'ils mettent à choisir un partenaire privé pour gérer des services essentiels. Surtout, je connais très bien mes équipes, leur force, leur engagement. Vous avez tous vu le travail admirable qu'elles ont réalisé pendant la crise sanitaire ; personne n'a exercé son droit de retrait. Leur savoir-faire est internationalement reconnu. Avec les équipes de Suez, nous avons toujours su trouver des solutions adaptées aux défis économiques, environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes confrontés.
Suez va bien : le groupe se développe, investit, recrute. Quelques chiffres pour l'illustrer : nous sommes aujourd'hui le premier opérateur privé du secteur dans le monde, avec 145 millions d'habitants desservis en eau potable et en assainissement. Nous maîtrisons l'ensemble des technologies nécessaires pour affronter les défis climatiques et environnementaux qui sont devant nous ; l'acquisition en 2017 de GE Water & Process Technologies a été de ce point de vue un tournant pour l'entreprise. Nous sommes un opérateur d'importance vitale en France et à l'étranger. Nous sommes présents à Alger, à Dakar, au Chili. Notre chiffre d'affaires est passé de 12 milliards à 18 milliards d'euros en l'espace de dix ans. Nous employons environ 30 000 personnes en France et recrutons chaque année quelque 5 000 personnes : 2 000 salariés en CDI, 2 000 salariés en CDD et 1 200 apprentis. Nous avons investi plus de 3 milliards d'euros en France au cours des cinq dernières années. Nous investissons chaque année 120 millions d'euros en recherche et développement, soit deux fois plus que notre principal concurrent.
La France est au cœur du plan stratégique Shaping Suez 2030. Elle est au fondement de notre savoir-faire et de notre innovation ; les activités en France sont notre patrimoine commun et c'est grâce à elles que nous obtenons aujourd'hui des succès à l'international. J'ai coutume de dire à nos équipes que Suez n'existe pas sans elles. Notre ambition est de contribuer à accélérer la transition écologique et développer la vitalité de nos territoires. C'est pourquoi notre projet consiste à faire de Suez une entreprise agile, innovante et partenariale.
Je voudrais, en partant de quelques exemples de nos activités sur le territoire national, illustrer le fait que la force du groupe Suez, c'est avant tout l'innovation.
L'innovation technologique et financière, avec l'usine de Thau Maritima à Sète, qui protège l'industrie conchylicole de l'étang de Thau grâce au traitement des micropolluants et des hormones, au moyen de membranes d'ultrafiltration. Un montage financier innovant a permis de limiter l'impact financier de ces innovations sur les redevances des usagers.
L'innovation contractuelle, avec la création des premières sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP) en France, à Dole, Vendôme, Sète, La Seyne-sur-Mer et Dijon.
L'innovation pour rendre du pouvoir d'achat à nos concitoyens : éliminer le calcaire dans l'eau, c'est utiliser moins de produits chimiques et d'énergie pour chauffer l'eau. Résultat : nous avons restitué l'équivalent d'un tiers de la facture d'eau en pouvoir d'achat direct à nos concitoyens, à Valenciennes ou dans l'Ouest parisien par exemple.
L'innovation digitale, avec les premières smart city à Dijon et Angers : demandez aux élus de Dijon comment cela leur a permis de mieux gérer les services urbains pendant la crise sanitaire !
L'innovation dans la collecte et la propreté urbaine – nous nous occupons de l'hyper-centre de Bordeaux et de Marseille – ainsi que dans le recyclage et la valorisation des déchets : d'ici à 2030, nos usines recycleront six fois plus de plastique.
Suez, c'est encore le traitement de l'air, grâce à l'élimination des particules fines – à Poissy, nous venons d'inaugurer un dispositif innovant pour purifier l'air des cours de récréation – et des projets de recherche en vue de capter le carbone émis par les incinérateurs de déchets ménagers.
Ce que vous savez peut-être moins, c'est que Suez est aussi le premier acteur en outre-mer : nous fournissons plus de la moitié des habitants ultramarins, de Papeete à Cayenne.
Ce qui fait la force des équipes de Suez, c'est de maîtriser les technologies et les solutions de pointe au niveau mondial, puis de les déployer au plus près du terrain dans des projets locaux, irriguant l'ensemble des territoires.
L'opération lancée par notre principal concurrent est clairement hostile – et c'est là une première et fondamentale différence, d'ordre culturel, entre nous. Elle pose un problème stratégique, car, en l'occurrence, 1 + 1 ne feront pas 2. La fusion conduirait immanquablement à démanteler le groupe en France, par la cession de 75 % de nos activités, à savoir l'ensemble de l'activité eau et les deux tiers de l'activité de gestion des déchets. Nos clients dans le monde sont comme nos clients en France : ils veulent pouvoir choisir ; un seul acteur français, c'est deux fois moins de chances de gagner des contrats à l'international. Enfin, un à deux ans d'attente pour obtenir l'ensemble des autorisations anti-trust à un moment où nombre de contrats sur le territoire national sont à renouveler et où il y aura des retours en régie par suite des élections municipales, c'est autant de temps de perdu face à la concurrence internationale, qui aura la possibilité de nous enlever des parts de marché.
D'autre part, des réductions de coûts à hauteur de 500 millions d'euros ne se feront pas sans toucher à l'emploi. Nous estimons que plus de 10 000 emplois dans le monde, dont 4 000 en France, sont menacés par ce projet de fusion. Cela va en outre poser un problème de concurrence en France, avec probablement une augmentation des prix des services essentiels que sont la fourniture en eau et la gestion des déchets. Meridiam est une société de gestion d'actifs qui n'a aucune expérience dans nos domaines et ne semble pas avoir les moyens financiers de ses ambitions. Nos succès en France sont liés à la maîtrise de savoir-faire à rayonnement mondial : la construction d'usines, les technologies que nous a apporté GE Water, le digital, la recherche et le développement. Soit ces activités seront transférées à notre concurrent et celui-ci sera le seul acteur français à maîtriser ces technologies, soit elles seront reprises, en totalité ou en partie, par Meridiam et elles ne seront pas viables, car le marché français n'a pas la taille critique pour qu'on puisse développer ces savoir-faire. Les mêmes problèmes se posent s'agissant de la gestion des déchets, secteur appelé à connaître une transformation très importante si nous voulons atteindre les objectifs fixés par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
En résumé, cette opération risque tout simplement d'aboutir au démantèlement de l'un des deux fleurons industriels des services à l'environnement. Pour moi, transformer deux champions mondiaux en un seul champion affaibli et endetté, c'est de l'alchimie à l'envers, c'est transformer l'or en plomb.
Comment expliquer une telle urgence, alors que nous avons un projet, une dynamique, un ancrage territorial ? Il n'y en a strictement aucune à décider de l'avenir d'un fleuron industriel mondial comprenant 90 000 collaborateurs, dont près de 30 000 en France, et d'engager, en l'espace de quelques jours, le démantèlement de ses activités en France. Alors que l'épidémie de covid-19 se poursuit, que nous traversons une crise économique majeure et que les défis environnementaux sont plus nombreux que jamais, il serait important de rester fidèle à l'esprit de la loi PACTE. L'avenir de notre entreprise, un fleuron industriel français, doit être envisagé avec sérénité, dans toutes ses composantes.
Vous opposez, Monsieur Varin, agilité et taille, estimant que la notion de superchampion vaut davantage pour l'industrie que pour les services et qu'en l'occurrence 1 + 1 fera moins que 2. Vous évoquez notamment des risques sociaux pour la France. Pourriez-vous développer ce point ? À votre avis, cette fusion risquerait-elle de dégrader la qualité du service en France, de provoquer une hausse des prix ou de remettre en question les progrès technologiques ? Est-ce que ce serait fondamentalement différent pour le client final – à savoir, pour l'essentiel, les collectivités territoriales ?
Monsieur Camus, vous dites que l'on aura deux fois moins de chances d'emporter des marchés à l'international. Comment expliquez-vous cela ? Une très grande entreprise ne serait-elle pas mieux armée pour répondre à la demande de pays très peuplés, comme la Chine ou l'Inde ?
D'autre part, vous affirmez dans l'entretien que vous avez accordé aux Échos que Suez vaut davantage que le prix de ses actions. Qu'entendez-vous par là ?
Enfin, nous aurons probablement à auditionner son président, mais si Engie veut effectivement vendre ses titres dans Suez, avez-vous déjà un plan B pour le rachat de ces titres ou, à défaut, dans quels délais pensez-vous pouvoir en proposer un ?
Je voudrais tout d'abord souligner que si la commission des finances et la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale auditionnent l'ensemble des protagonistes de ce dossier, ce n'est pas parce que nous aurions notre mot à dire sur une opération de cession de titres entre groupes privés, mais parce que cette opération comporte des externalités importantes, qui touchent notamment les collectivités territoriales. Il est de notre devoir de parlementaires de veiller à maintenir la qualité du service dans les collectivités, à conserver dans notre pays des actifs stratégiques et à préserver les emplois, tout particulièrement en temps de crise. C'est pourquoi il sera à mon sens nécessaire, Monsieur le président de la commission des finances, d'auditionner également le vendeur, à savoir le président d'Engie, afin qu'il nous explique ce qui le conduit à céder ces actifs.
Je voudrais revenir sur les autres actionnaires de Suez. Pouvez-vous nous donner des informations sur les échanges que vous avez eus avec eux depuis le 30 août ? Ils sont extrêmement nombreux et divers, mais que disent-ils de cette opération ? Veolia a été très clair : l'acquisition de 30 % des actions n'est qu'une étape, il y a aussi la volonté d'acquérir l'ensemble de l'entreprise et donc de racheter les parts des autres actionnaires.
Un fonds, Meridiam, intervient dans l'opération, pour la partie concernant l'eau. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous percevez l'objectif de ce fonds ? Il en existe plusieurs types, en effet : certains viennent pour restructurer et repartir avec un profit ; d'autres accompagnent les entreprises, les font croître, améliorent la qualité du service et revendent ensuite. Nous auditionnerons tout à l'heure le président de Meridiam, M. Thierry Déau.
Le président Woerth en a déjà parlé, mais je voudrais insister sur ce point : quelle autre solution pourrait-il y avoir ? Quelle pourrait être l'alternative ?
Vous avez été nommé assez récemment à votre poste, Monsieur le président, comme vous l'avez rappelé ; et même si vous connaissez extrêmement bien votre maison, Monsieur Camus, vous avez également été promu directeur général assez récemment. Y a-t-il un lien, selon vous, entre cette direction renouvelée et l'opération annoncée par Veolia ?
Les acteurs industriels de l'environnement portent une lourde responsabilité dans la réussite de la transition écologique de notre pays. Toutes leurs décisions stratégiques sont prises d'une façon souveraine par leur gouvernance et elles ne peuvent être débattues dans cette enceinte. Toutefois, ces acteurs ne peuvent pas s'affranchir d'explications sur les conséquences de leurs décisions pour ce qu'on pourrait appeler le bien commun ou la qualité de la vie. La Représentation nationale pourrait appeler l'attention sur certains points de vigilance.
Je ne reviendrai pas sur les nombreuses questions qui ont déjà été posées. Vous avez déclaré, Monsieur Camus, que l'opération proposée par Veolia était – ce sont les mots que vous avez employés – aberrante pour Suez et funeste pour la France. Nous ne jugerons pas de l'aberration, mais il est important de mieux comprendre en quoi l'opération peut être funeste pour la France. Je vais vous poser des questions allant à rebours de celles qui vous ont été adressées jusqu'à présent.
Pourriez-vous nous expliquer les avantages qu'il y aurait, pour notre pays, à ne pas encourager la création d'un champion français de l'environnement alors que la concurrence internationale se structure, qu'elle a déjà montré sa puissance et qu'elle s'est révélée plutôt agressive dans un certain nombre de pays, compte tenu de sa taille ?
S'agissant de l'emploi, on a observé dans le passé que des fusions en détruisaient. N'a-t-on pas, néanmoins, des capacités techniques de s'assurer que les emplois seront conservés ? Ce sera certainement un des arguments que Veolia mettra en avant. Que pouvez-vous nous dire de la structure de l'emploi ? Au-delà des différences entre les fusions industrielles et celles des services, pourquoi les emplois devraient-ils être détruits par nature ?
Dernière question, le regroupement des équipes ne permettrait-il pas d'avoir davantage de brevets et de recherche et ainsi de gagner en souveraineté dans ce secteur stratégique ?
J'ai d'abord une question sur le « plan B », qui est un point essentiel. À partir du moment où Engie veut céder sa participation et où le développement de Suez implique des besoins capitalistiques très importants – tous les projets que vous avez évoqués vont nécessiter des apports en fonds propres –, comment imaginez-vous l'avenir ? Par ailleurs, je vous pose la même question que le rapporteur général sur le comportement de vos autres actionnaires.
Les procédures – devant l'AMF et l'Autorité de la concurrence – sont très longues. Les deux étapes – acquisition par Veolia de la participation d'Engie, d'abord, puis OPA – vont s'accompagner de beaucoup de délais et de difficultés. Y a-t-il déjà eu des contacts avec l'AMF ou avec l'Autorité de la concurrence ?
Vous avez évoqué très rapidement, Monsieur Camus, la question de l'instabilité qui pourrait affecter les contrats et leur renouvellement. Quelle est l'ampleur de ce risque ?
Vous connaissez très bien, Monsieur Varin, les relations avec l'État, que vous avez eu à solliciter à plusieurs occasions. Il est très présent dans Engie, mais la collectivité publique, à travers la Caisse des dépôts et la CNP, est aussi présente dans Veolia, à hauteur de près de 6 %. Quelles relations avez-vous aujourd'hui avec l'Agence des participations de l'État (APE) ? Avez-vous eu des contacts ? Je pense qu'il faudra que nous ayons une réunion avec l'APE. Outre la question des collectivités territoriales qui sont vos clientes, la collectivité publique – l'État et la Caisse des dépôts – est présente dans chacune des deux parties. Il faut voir où en est l'État, sans s'arrêter à la seule déclaration du Premier ministre.
Le groupe de travail, qui fera quelques auditions, pendant une période très brève, et ne publiera pas de rapport – tout au plus une simple communication – recevra l'APE. Je ne suis pas sûr qu'elle soit très loquace dans cette période, mais on peut toujours recevoir un haut fonctionnaire qui ne dit rien – on a déjà vu cela… Il faudrait plutôt auditionner le ministre de l'économie ou le Premier ministre : on changerait ainsi de dimension.
Par ailleurs, nous allons organiser une audition de M. Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie, dans les jours qui viennent, si Engie l'accepte.
Je me suis intéressé aux chiffres clefs que vous avez publiés au titre du premier semestre 2020. Le chiffre d'affaires a baissé de 490 millions d'euros par rapport à juin 2019, l'excédent brut d'exploitation (EBE) de 325 millions et, surtout, le résultat net part du groupe était de 538 millions d'euros de pertes – et je ne parle pas de l'endettement. Ces pertes sont dues principalement, je suppose, à la crise sanitaire que nous continuons à traverser. Y a-t-il néanmoins d'autres explications ? Comment envisagez-vous de redresser la barre dans le contexte actuel ?
Vous vous êtes engagés hier, par voie de communiqué, à doubler la valeur du titre pour les actionnaires d'ici à 2022, et vous avez évoqué le versement d'un dividende exceptionnel, un rachat d'actions et des économies annuelles de 1,2 milliard d'euros à l'horizon 2023. Pouvez-vous nous dire grâce à quels leviers vous comptez atteindre ces objectifs, et pouvez-vous nous assurer que personne ne se retrouvera au chômage pour y arriver ? Y aura-t-il ou non un plan social ? Si oui, à quelle échéance ?
Je souhaite vous faire part de l'inquiétude du groupe Socialistes et apparentés à propos des conséquences qu'aurait le projet d'OPA du groupe Veolia en matière économique, sociale et de droit des consommateurs. La France compte aujourd'hui les deux principaux champions mondiaux du secteur des services collectifs. Or les lois anti-trust européennes et internationales risquent d'obliger l'entité fusionnée à céder une grande partie de ses actifs à ses concurrents, ce qui fragiliserait de fait un champion mondial tricolore. Dans le secteur des déchets, le projet prévoit une cession d'actifs à divers concurrents de votre groupe.
Ne craignez-vous pas, comme l'intersyndicale de Suez, qui nous en a parlé, que cela se traduise par une casse sociale, compte tenu des objectifs de retour sur investissement ? Les salariés craignent de voir leurs conditions sociales se dégrader s'ils intègrent des sociétés moins protectrices que Suez et Veolia.
Vous avez émis des doutes sur la capacité de Meridiam à absorber Suez Eau France, à assumer ses délégations de service public, à en conquérir de nouvelles et à demeurer dans une situation de concurrence effective sur le marché de l'eau face à un acteur cinq fois plus gros, comme l'est Veolia. Pouvez-vous être plus précis ? Veolia se trouverait en situation de monopole. Quel risque y voyez-vous pour la France et pour la transition énergétique ?
Par ailleurs, et c'est le point de départ pour nous, nous ne comprenons pas les raisons de l'empressement d'Engie à céder ses parts dans Suez, ce qui laisse peu de temps pour préparer une offre alternative, notamment la vôtre.
Avez-vous eu écho d'une étude d'impact sur les conséquences de l'opération ? Si oui, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Comme d'autres collègues, nous demandons que le groupe Engie soit également auditionné et que le Gouvernement soit amené à préciser ses intentions dans ce dossier.
Quand il y a eu cette offre publique, la réponse de Suez a été de dire aux actionnaires que la valeur de l'entreprise serait doublée et que la rentabilité serait accrue. Êtes-vous sûr que c'était la bonne réponse ? S'adresser uniquement aux actionnaires, au lieu d'aborder des aspects techniques ou de se placer sur le terrain social – il y a une vraie inquiétude en matière d'emploi –, était-il la bonne solution ? À titre personnel, je n'en suis pas sûr.
En cas de fusion, comment voyez-vous l'avenir du personnel du groupe ? Alors que nous traversons une crise sociale sans précédent, ne risque-t-il pas d'y avoir encore plus de casse et de problèmes ?
À votre connaissance, le Gouvernement français et son représentant au conseil d'administration d'Engie, qui n'est autre que le directeur de l'APE, et le conseil d'administration de Veolia ont-ils donné leur accord au président de ce groupe quant à la cession des parts détenues par Engie dans Suez ?
Vendre la partie française des activités de Suez dans l'eau tout en conservant la partie étrangère au sein du groupe a-t-il un sens du point de vue industriel ? Même question pour les activités liées au traitement des déchets dans l'hypothèse où cette branche subirait le même sort.
En matière de concurrence, ce projet est-il conforme au droit communautaire et au droit français, d'après vous ? Les instances chargées de faire respecter le droit de la concurrence en Europe et en France ont-elles été saisies ?
En matière de droit boursier, le projet a-t-il été soumis au moins pour consultation à l'AMF ?
Sur le plan social, si le rapprochement a lieu, n'y a-t-il pas un risque qu'une partie du personnel, notamment des cadres, quitte le groupe ?
Je voudrais dire au préalable que l'eau, c'est l'or bleu, et qu'elle sera encore plus précieuse dans les années à venir. Pour nous, que ce soit en France ou à l'international, à Dakar ou au Chili, l'eau ne doit pas être laissée entre les mains de spéculateurs.
Je vous remercie d'être venus, Messieurs, mais je me demande si ce n'est pas M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, que nous devrions surtout auditionner. L'État est actionnaire d'Engie à hauteur de 26 % et il détient 34 % des droits de vote. Pourtant, l'État laisse faire depuis des années dans le dossier Engie, il laisse se dérouler une dérive financière.
Ce sont les 30 milliards d'euros de dividendes versés en dix ans, même quand il y a des pertes – et c'est toujours plus que les bénéfices. C'est un pillage qui est effectué, avec un laisser-faire de l'État, voire un État qui engrange. C'est la fermeture de toutes les agences, du côté du gaz, et des centres d'appel qui déménagent au Portugal et au Maroc, mais l'État se tait, l'État laisse faire. C'est Mme Isabelle Kocher, qui est à peu près la seule PDG du CAC40 à s'être engagée en faveur d'une transition écologique, qui se trouve virée par les actionnaires – elle était la seule à parler de décarbonation. Et, là encore, l'État laisse faire, l'État laisse passer le projet financier devant le projet industriel. S'agissant d'Endel, filiale d'Engie qui compte 6 000 salariés, qui intervient dans l'industrie, l'énergie, le nucléaire et l'agroalimentaire, et qui pouvait être un bras armé pour la transition écologique, l'État laisse faire, là encore.
Comment expliquer qu'on ait affaire à un État « Ponce Pilate » ? Savez-vous s'il y a eu un accord donné par l'État au rachat par Veolia ?
Il est difficile d'auditionner un ministre en quarantaine, mais nous l'entendrons bientôt sur le projet de loi de finances pour 2020, et j'imagine qu'il y aura beaucoup de questions.
Vous nous avez expliqué qu'il s'agissait d'une opération hostile. Nous comprenons tout de même qu'il y a, derrière cette opération à l'initiative de Veolia, une volonté d'Engie. Une cession de cette envergure va se traduire par un apport de liquidité pour ce groupe, qui a certainement une volonté de développement autre, qui ne nous est pas connue à ce stade. Je rejoins mes collègues : nous souhaitons auditionner le président d'Engie et, pourquoi pas, le directeur général de l'APE. Comme l'a rappelé M. François Ruffin, il a un rôle à jouer et il doit nous expliquer les choses.
Je ne reviens pas sur les inquiétudes déjà exprimées à propos du marché de l'eau et de la dégradation des conditions de la concurrence, notamment pour les collectivités locales, ainsi qu'au sujet de la préservation de l'emploi en France. Même si je sais bien qu'il est difficile de poser cette question à la cible d'une opération, quelles peuvent être les garanties dans ce domaine ?
Vous avez évoqué des irrégularités financières. Qu'en dit l'AMF ? Pouvez-vous nous éclairer sur les premiers échanges que vous avez avec elle ?
Enfin, y a-t-il une probabilité que la Commission européenne s'oppose à une telle acquisition, à la création d'un tel géant en matière d'eau et de déchets ?
Toute cette histoire me fait penser à Feydeau. Engie est en train de sortir par la fenêtre, Veolia, qui voit là une bonne occasion, entre dans le salon où Suez regarde la télé, tandis que Meridiam attend dans la cuisine. Je ne vois pas comment on peut arrêter une OPA, même agressive, et j'ai un peu le sentiment que nous sommes là, aussi, pour faire monter les enchères.
Mais à vouloir mieux vendre, y compris au détriment des employés, on risque d'avoir de la casse sociale, on risque de licencier. Par ailleurs, on nous dit qu'il s'agit de créer un géant international : très bien, mais Suez va abandonner l'eau à Meridiam et le groupe va se séparer des déchets. Un géant nu n'est pas un géant. Cela ne représentera qu'entre 3 et 5 % du marché au plan international. Alors, va-t-on licencier ou non ? J'ai entendu ce que vous avez dit mais j'aimerais avoir des certitudes. Et comment peut-on arrêter une OPA ?
L'eau, c'est la vie. Nous considérons qu'elle devrait être sous maîtrise publique, en tant que bien commun – pas seulement pour se laver les dents mais pour vivre.
Deuxième préalable, pendant que les Français se prennent la crise en pleine face, il y en a qui jouent au Monopoly. Force est de constater que le soleil ne brille pas de la même façon pour tout le monde.
J'ai le sentiment que nos commissions, réunies, jouent d'une certaine manière un rôle : il s'agit de faire monter les enchères, de défendre les actionnaires plutôt que les territoires et les salariés qui en assurent l'irrigation.
Vous évaluez l'impact de cet Anschluss à 4 300 suppressions d'emplois en France. Quelles précisions pouvez-vous apporter sur ce point ?
La création de ce monopole privé, de ce mastodonte, de ce monstre va aboutir à une augmentation unilatérale des prix. Quel est votre pronostic ?
Troisième risque majeur, l'Union européenne, qui est pour la concurrence libre et non faussée, risque d'exiger des ventes d'actifs en cas de fusion, ce qui impliquera des cessions de compétences et de savoir-faire à des concurrents mondiaux et le sacrifice d'emplois supplémentaires. Avez-vous réalisé des simulations ?
La marchandisation accélérée du bien commun qu'est l'eau produit, on le sait, des dégâts colossaux en matière de pertes de volumes et, en outre-mer, où vous avez insisté sur votre présence, des difficultés d'accès qui sont une catastrophe sanitaire.
Enfin, comme l'a demandé M. François Ruffin, l'État se contente-t-il de laisser passer les trains, la Représentation nationale se contente-t-elle d'auditionner poliment des gens qui ne sont pas des bisounours – vous n'êtes pas des enfants de chœur, et il en est de même chez Veolia –, ou bien l'État joue-t-il son rôle d'État stratège, d'État qui protège, qui prend soin, qui régule et qui empêche les logiques financières, de Monopoly, qui se servent toujours des hommes et des femmes et de la planète comme s'il s'agissait de variables d'ajustement ?
Il y a beaucoup de demandes d'auditions. Nos deux commissions seront extrêmement occupées en raison du calendrier législatif dans les semaines qui viennent. C'est pour cette raison que nous avons décidé de créer un groupe de travail qui procédera à toutes les auditions nécessaires. Elles seront évidemment ouvertes à toutes et à tous. Vous aurez l'occasion de poser toutes les questions que vous souhaitez à toutes les parties prenantes. Il y aura ensuite une communication devant les commissions, ce qui permettra d'avoir un débat un peu plus instruit.
Pas du tout ! Aucune question de nature législative ne se pose. Pour autant, nous avons tout de suite choisi de nous intéresser à ce sujet, et visiblement nous ne sommes pas les seuls. Nous nous sommes organisés pour pouvoir discuter du plan de relance et des projets de loi importants qui passeront en commission. Venez aux auditions qui auront lieu.
Je vais laisser la parole au directeur général pour répondre aux questions posées par M. le président Woerth à propos de l'agilité, des risques sociaux et des services en France, ainsi que des grands contrats au niveau mondial. À cela s'ajoutent les questions de M. Bruno Bonnell sur l'emploi et la recherche. Je parlerai ensuite de l'AMF et de l'offre alternative.
La concurrence est vraiment au cœur du sujet. Si nos groupes ont réussi durant tant d'années en France et à l'international, c'est fondamentalement grâce à la concurrence. Nous faisons en sorte de nous différencier pour être en mesure de gagner des appels d'offres.
En ce qui concerne le marché français, les technologies que nous offrons aux collectivités reposent sur des développements s'inscrivant dans un réseau mondial. La construction de stations d'épuration, de traitement d'eau potable, n'est pas rentable sur la base de l'activité en France ; elle le devient au niveau mondial. Nous avons beaucoup d'ingénieurs, de bureaux d'études installés en France qui travaillent sur des projets à l'export. Nous arrivons à mutualiser les coûts.
L'achat de GE Water aux États-Unis a nettement renforcé notre portefeuille de technologies, notamment en ce qui concerne le membranaire – ce seront des technologies critiques pour répondre aux besoins des collectivités, indépendamment des modes de gestion.
La Saur est un bon exemple. Ce sont de grands professionnels – les équipes ont fait un travail admirable pendant la crise du covid-19. Néanmoins, quand on regarde où en est la Saur après avoir changé de mains trois fois, on voit qu'elle n'a pas été capable d'investir dans la technologie et l'innovation. C'est désormais un opérateur qui fait certes bien son travail mais qui n'est présent dans aucune agglomération de plus de 100 000 habitants.
Au niveau international, c'est aussi la concurrence qui fait que nous avons réussi à nous développer. Je vais reprendre l'exemple du Sénégal, où l'on retrouve la Saur. C'est elle qui était l'opérateur historique, mais elle est sortie progressivement lorsqu'elle a été cédée. Les eaux du Sénégal se sont ensuite retrouvées entre les mains d'un fonds d'investissement, Eranove, qui a toutes les certifications. Néanmoins, l'État du Sénégal a lancé en 2017 un appel d'offres, considérant que l'opérateur n'était pas capable, techniquement, de faire face aux défis. Nous avons été en mesure de réduire de 20 % la facture pour l'État. Détail intéressant, Veolia s'était présenté aussi mais coûtait 20 % de plus.
La capacité à concurrencer à l'international est très importante. Nos clients veulent avoir le choix. Parfois ils choisissent Veolia et c'est très bien, parfois ils nous choisissent et c'est tant mieux pour nous.
On agite l'épouvantail chinois. Les opérateurs de ce pays sont grands par leur taille, parce qu'ils servent des millions d'habitants, mais ce sont d'énormes régies qui ne connaissent pas la concurrence : elles sont détenues par l'État, et elles augmentent les tarifs quand elles en ont besoin pour investir ; elles ne savent pas ce qu'est notre modèle de délégation de service public (DSP), si particulier à la France.
Il y a aussi l'exemple du Royaume-Uni. À la suite des privatisations, les grandes régies de ce pays se sont lancées à la conquête de l'international, mais elles sont toutes retournées au Royaume-Uni car elles ne connaissaient pas le monde concurrentiel.
Je reviens sur le terme « funeste ». C'est le rayonnement de la France qui me préoccupe. Quand le Sénégal choisit un opérateur tel que Suez, c'est sur la base de nos savoir-faire et de nos technologies, mais c'est aussi l'expression de la confiance dans la relation avec notre pays. Je pourrais également parler de l'Ouzbékistan ou du Qatar.
La question de l'emploi a été présentée d'une façon assez caricaturale. Le groupe de M. Frérot comptait 315 000 employés en 2010 ; il en a aujourd'hui 178 000. Suez est passé de 80 000 à 90 000 employés. Nous faisons aujourd'hui des cessions prévues, autorisées par le conseil d'administration. Il ne faut pas faire des amalgames avec des questions de recentrage qui ont tout à fait leur légitimité dans une entreprise afin d'accélérer son développement dans les domaines qu'elle considère comme stratégiques pour son avenir. Cela ne veut pas dire que les cessions ne sont pas faites dans le respect des salariés. L'ensemble des projets que nous avons annoncés au cours des dernières semaines ont obtenu toutes les autorisations des représentants du personnel. Nous nous sommes bien assurés, à chaque fois, de trouver des repreneurs garantissant non seulement l'emploi mais aussi l'intégrité de l'activité.
Sur le plan social, la question qui se pose n'est pas tellement le transfert d'une activité d'un opérateur à l'autre, à partir du moment où on a choisi le bon. Dans la vie des DSP, nous perdons parfois des contrats : nous transférons des équipes à Veolia et inversement. Tout cela est réglementé, codifié. Ce qui n'est pas traité à l'heure actuelle est la conséquence d'un démantèlement. Comme plusieurs d'entre vous l'ont bien souligné, il y a la question des synergies.
Le dispositif en France n'est pas fait seulement pour notre pays, mais aussi pour soutenir notre développement à l'international. Quand nous reprenons les eaux du Sénégal, dix expatriés partent faire le démarrage, avant un transfert aux cadres sénégalais, et des techniciens vont aider au démarrage. C'est vrai pour l'ensemble des contrats.
Par ailleurs, notre dispositif institutionnel dans les régions est fait pour soutenir les activités eau et déchets. Un démantèlement du groupe amènerait inexorablement à des réductions d'effectifs dans les fonctions support, de recherche, de développement et commerciales, que nous estimons à environ 4 000 personnes.
Dernier point qui me paraît très important sur le plan social, le fait d'avoir une concurrence entre les deux groupes tire vers le haut les conditions accordées aux salariés, parce que nous avons besoin de garder les meilleurs, les plus engagés – on les a vus pendant la crise du covid-19. S'il n'y avait qu'un seul acteur de taille mondiale et beaucoup de petits acteurs en matière d'eau et de déchets, il en résulterait inévitablement une dégradation des conditions accordées à nos salariés, ce qui est naturellement leur inquiétude. Ils s'interrogent sur le maintien de leur statut. Nous essayons plutôt de les associer, de les motiver, de les engager et de partager la création de richesse.
Je vais vous dire quelques mots sur le processus de l'offre et sur l'offre alternative.
Des contacts ont été noués avec l'AMF, Monsieur Carrez. Nous avons adressé une saisine au président Robert Ophèle en début de semaine, considérant que le sujet devait être réexaminé. À notre connaissance, il y aura très prochainement une réunion du collège.
Nos équipes techniques ont travaillé avec celles de Bruxelles, qui sont en train de regarder très sérieusement la question. Néanmoins, vous savez que tout prend un peu de temps à Bruxelles. Nous n'avons pas encore de retour, mais il y en aura un.
Je signale aussi, pour être complet, que le comité social et économique (CSE) de Suez a demandé à s'entretenir avec le président d'Engie. Il faut bien trouver quelqu'un avec qui discuter du problème du démantèlement de l'activité eau.
Voilà où nous en sommes en ce qui concerne les procédures. Je ne suis pas du tout certain que tout cela aboutisse avant le 30 septembre.
J'en viens au point de vue des actionnaires. Il faut savoir que nous avons des fonds dits longs, mais il y a toujours des hedge funds, plutôt basés à Londres, et d'une manière plus récente ce qu'on appelle des « arbitrageurs », qui viennent quand un prix d'offre est annoncé – ils jouent sur la réalisation ou non de l'opération. Il existe donc différents points de vue.
Ce qui m'importe, c'est de regarder ce que pensent les fonds longs, qui restent le temps qu'il faut. Ils ont deux préoccupations, dont une a désormais été traitée.
La première est l'égalité de traitement des actionnaires. Ils nous demandent pourquoi ceux d'Engie sont gratifiés d'une certitude alors que les autres actionnaires ont devant eux deux ans d'incertitude, quelle que soit la proposition faite, compte tenu de toutes les questions qui ont été évoquées, notamment celle de la concurrence – cela jouera sur la valeur finale de l'objet acquis, s'il l'est. Avec deux ans de déstabilisation, une vraie question se pose pour les actionnaires.
Il y avait également le souhait que nous nous exprimions sur notre vision du plan Suez 2030. Cela a été fait hier matin par l'équipe de management. Le premier point, qui a obtenu le soutien du conseil, concernait la très forte augmentation de la valeur de la société compte tenu des plans qui ont été lancés. Ils ne sont pas nouveaux : ce qu'a fait M. Bertrand Camus est de réactualiser ce qui avait été présenté l'année dernière. La bonne nouvelle est que la performance est meilleure que prévu. Il faut rendre hommage à l'ensemble des équipes. C'est le résultat positif d'une démarche. Ensuite, la décision avait été prise, il y a un an, de se défaire d'un certain nombre d'actifs non stratégiques afin de réinvestir dans les éléments que M. Bertrand Camus a mentionnés. Le résultat des ventes est très positif, et nous avons fait une actualisation.
Voilà ce que je peux dire sur les retours des actionnaires.
S'agissant de l'offre alternative, je rappelle le contexte dans lequel nous nous trouvons. À compter du mois de juin ou de début juillet, le président d'Engie savait qu'il présenterait à son conseil d'administration une option de sortie du capital de Suez. Il m'avait alors indiqué que nous chercherions ensemble des solutions faisant consensus – je reprends ici les termes employés – entre Suez et Engie. Du reste, le 30 juillet, après que son conseil d'administration a formellement décidé de céder sa participation dans Engie, nous nous sommes donné rendez-vous le 7 septembre. De fait, cette question n'a aucun caractère d'urgence pour Engie, qui souhaite simplement être assurée que les choses se passeront à une échéance pas très lointaine. Au début du mois de septembre, une fois l'offre sur la table, l'État a d'abord adopté une position plutôt favorable à Veolia, par la voix du Premier ministre, position qui a été ensuite corrigée par les propos de M. Bruno Le Maire. Les fonds d'investissement étaient donc préoccupés, d'autant plus que la reprise du bloc est soumise à la condition que l'actionnariat soit français à hauteur de 50 %. Il était ainsi techniquement impossible de trouver une solution en deux semaines. Le « plan B », pour reprendre votre expression, consiste, pour nous, à trouver des investisseurs prêts à reprendre cette participation, ce qui nous paraît tout à fait faisable sur la base du plan proposé par M. Bertrand Camus. Mais, encore une fois, nous ne pouvons pas y parvenir en deux semaines.
Quant au profil de Meridiam, il s'agit d'un fonds d'infrastructure qui, jusqu'à présent, est intervenu avec un succès indéniable dans des partenariats public-privé, mais qui n'a jamais agi en tant que private equity, en rachetant une activité pour la gérer dans la durée. Ce type d'opérations n'est pas son genre de beauté, et cet élément nous inquiète.
L'innovation ne dépend pas de la taille ; c'est une question de vision, de volonté et, d'une certaine façon, d'ADN. Actuellement, les investissements de Suez représentent 0,7 % de son chiffre d'affaires, contre 0,2 % pour Veolia. Nos démarches sont donc différentes : Suez est véritablement tournée vers l'innovation – et la fusion des deux entreprises ne garantit pas que celle-ci sera plus importante – et fait des choix technologiques différents, pour se différencier.
Enfin, en présentant, hier, les chiffres de Suez, nous avons voulu indiquer à nos actionnaires que nous étions capables de leur donner à peu près le même montant par action que celui que Veolia offrirait à Engie seule et qu'en définitive, le groupe serait repositionné, agile, innovant et capable de se développer. J'ajoute que nous nous sommes toujours engagés à ne pas recourir à un plan social pour réaliser des économies ; elles sont, elles aussi, le fruit de l'innovation. Du reste, le track record de l'entreprise en témoigne : au cours des dix dernières années, elle n'a fait aucun plan social alors qu'il y en a eu quatre chez Veolia.
Après l'échec de cette Blitzkrieg nommée « opération Sonate », je souhaite vous interroger sur la symphonie que Veolia souhaite jouer chez Suez grâce à Engie.
Premièrement, Suez tente de trouver un chevalier blanc pour faire échouer la prise de contrôle de Veolia. Avez-vous des pistes crédibles s'agissant des repreneurs, sachant qu'il vous faudrait trouver un fonds souverain, idéalement tricolore, prêt à garder Suez pendant au moins cinquante ans et à payer 15 euros par action ?
Deuxièmement, Suez est en position de faiblesse, puisque son plan de redressement n'en est qu'à ses débuts, la crise du covid-19 se poursuit et nous assistons à une récession mondiale. Engie n'a-t-elle pas choisi le pire moment pour se séparer de Suez ?
Ma dernière question a trait au prix de l'eau. Une fusion avec Veolia réduirait les marges de manœuvre des communes, des communautés de communes et des communautés d'agglomération et pèserait sur les tarifs de l'eau par la constitution d'une position dominante.
Souhaitez-vous que, à l'instar de ce qui avait été fait pour PSA en son temps, l'Agence des participations de l'État monte au capital de Suez afin d'assurer la jonction dans la perspective de votre « plan B », si celui-ci existe ? La demande en a-t-elle été faite au Gouvernement ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous en dire davantage sur les cessions d'actifs que vous avez réalisées en Allemagne, car leur ampleur et leur timing m'étonnent ?
De combien de temps avez-vous besoin pour présenter une alternative à la proposition d'achat de Veolia et vers quel type d'investisseurs envisagez-vous de vous tourner ? Recherchez-vous des investisseurs français ?
Je ne comprends pas ce que vous attendez de l'État français, premier actionnaire d'Engie, face à ce rachat inamical et risqué pour l'emploi et les territoires. Ce dossier soulève la question de la stratégie industrielle du Gouvernement au moment où les questions d'indépendance et de souveraineté sont au cœur des débats.
La méga opération dont il s'agit crée bien des incertitudes. Tout d'abord, le groupe Suez dit essayer d'élaborer avec d'autres investisseurs un projet alternatif, mais, à ce jour, aucune proposition concrète n'a été mise sur la table. Ensuite, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'un groupe unique réaliserait des économies d'échelle et qu'un nombre important de salariés se retrouveraient donc sur le carreau. Par ailleurs, quelles seraient les conséquences de la fusion en matière de réindustrialisation et de relocalisation ? Enfin, quel serait le rapport de force entre un groupe monopolistique et les collectivités, qui sont relativement protégées par la situation de duopole actuelle ?
En cas de fusion, les citoyens français paieront-ils plus cher leur eau et le traitement de leurs déchets ? Je crains qu'ils ne soient le dindon de la farce ; si tel est le cas, c'est auprès des élus locaux qu'ils exprimeront leur mécontentement.
Quelles pourraient être les conséquences d'une fusion sur les territoires d'outre-mer et sur le prix de l'eau ?
Cette opération, dont les motivations sont exclusivement financières, me paraît indécente à l'heure où toutes les énergies devraient se mobiliser en faveur de la planète et de la qualité des services rendus aux consommateurs.
Quel est, selon vous, le délai des procédures administratives et juridiques nécessaires pour la réalisation de cette opération de fusion-acquisition ? Quelles seraient les conséquences de ladite opération sur le renouvellement des marchés et sur l'évolution des prix pour les collectivités, dans un environnement où la concurrence serait presque réduite à néant ? Enfin, pensez-vous obtenir du Gouvernement le délai nécessaire, d'une part, pour consolider l'offre alternative que vous souhaitez présenter et, d'autre part, pour réaliser une étude de l'impact de cette opération sur les collectivités et l'emploi ?
La gestion quotidienne, nous avez-vous dit, est assurée, les actionnaires, ainsi que le personnel et la direction, sont satisfaits. Permettez-moi d'adopter le point de vue des collectivités territoriales. Depuis de nombreuses années, sans que rien ne change, 30 % de l'eau potable n'arrive pas aux robinets. C'est une catastrophe économique et environnementale ! Dans le modèle proposé pour les décennies à venir, l'innovation que vous avez évoquée sera-t-elle mobilisée pour remédier à ce problème ?
Plutôt que du prix de l'eau, il convient de parler du coût du service, car il faut tenir compte d'éventuels transferts ou subventions, au niveau national ou européen. Les trois facteurs qui permettent de maîtriser ce coût sont la concurrence, l'innovation, c'est-à-dire la capacité à faire mieux avec moins, et la qualité du service. Dès lors que les coûts sont maîtrisés grâce à l'innovation et à la concurrence, l'opération de fusion serait contre-productive.
J'en reviens à l'exemple du calcaire : dans le cadre d'appels d'offres, Suez a proposé, à Valenciennes et dans l'ouest de la France, pour un prix légèrement inférieur pour l'usager final, une technologie qui permet d'éliminer le calcaire. Cela a changé la vie des habitants ! Ils ont d'ailleurs souffert de l'arrêt de ces unités de traitement pendant la crise. Et l'absence de calcaire permet des économies qui représentent un gain de pouvoir d'achat de 120 euros à 150 euros sur une facture moyenne de 400 euros.
S'agissant de l'outre-mer, nous sommes présents dans l'ensemble des départements ultramarins, à l'exception de Mayotte et de La Réunion – où nous intervenons néanmoins dans le domaine du traitement des déchets. Cela permet d'avoir accès à l'ensemble des ressources disponibles du groupe dans des territoires très exposés au changement climatique. Nous y développons ainsi des solutions adaptées telles que la réutilisation des eaux usées ou, dans les atolls du Pacifique, le dessalement solaire de l'eau de mer. L'innovation permet donc à la fois de faire baisser le prix de l'eau et de développer des solutions outre-mer.
Nous avons cédé un ensemble d'activités entièrement intégrées en Allemagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Pologne. C'est un choix que l'entreprise a fait dès le mois de janvier pour recentrer son portefeuille sur des activités davantage porteuses de croissance et de différenciation et pour accélérer la réalisation de ses objectifs en matière d'impact carbone, car ce portefeuille est très carboné. Surtout, il s'agit d'une décision stratégique car, si nous voulons atteindre les objectifs de l'économie circulaire, les métiers du déchet devront se transformer entièrement d'ici à dix ans, qu'il s'agisse de la collecte, du tri ou du recyclage. Actuellement, on recycle 2 % à 3 % du volume de plastique pour fabriquer des bouteilles d'eau ; le reste n'est pas traité. Le traitement final est également concerné : faut-il privilégier l'enfouissement ou l'incinération et la conversion en énergie, qui soulève la question des émissions de carbone et des fumées ? Des investissements massifs sont donc nécessaires. Nous préférons réduire notre périmètre et avoir véritablement les moyens de mener, dans le domaine des déchets, une transformation identique à celle que nous avons su réaliser dans celui de l'eau au cours des dix dernières années.
Nous avons rencontré, hier, la ministre de la transition écologique pour évoquer ce sujet. Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 30 milliards sont consacrés à la transition écologique. À ce titre, les deux filières, eau et déchets, se sont regroupées pour présenter un plan d'investissement pour les cinq années à venir. Il représente un investissement total de 5 milliards d'euros par an, dont 2 milliards consacrés au réseau. Cet investissement porte non seulement sur les canalisations mais aussi et surtout sur les technologies « smart », et a pour objectif de ramener le taux de perte moyen de 25 % à 20 %. Telle est, en tout cas, la demande que nous avons présentée ; des discussions sont en cours pour savoir si le plan de relance est susceptible de nous apporter le soutien nécessaire, ce dont, à ce stade, je ne suis pas absolument certain.
Qu'attendons-nous de l'État ? Nous attendons tout d'abord qu'il adopte une position neutre vis-à-vis des sociétés commerciales et qu'il encourage les investisseurs qui sont plus ou moins sous sa responsabilité à concourir s'ils le souhaitent ; jusqu'à présent, ceux-ci ont fait montre d'une grande prudence, ne sachant pas très bien dans quel sens le vent tournait. Nous souhaitons ensuite qu'il indique au conseil d'administration d'Engie, dont il est actionnaire, la manière dont il entend définir le cadre du processus, car nous ne pouvons pas élaborer une offre alternative en quelques jours. Nous serons évidemment prêts à concourir, dans ce contexte.
S'agissant du profil des investisseurs, je ne vais pas vous en dresser le portrait chinois, car ce ne serait pas très bienvenu. Mais nous maintenons que la solution réside dans un mixte d'investisseurs français, notamment des investisseurs institutionnels – si mon assurance-vie était en partie investie dans Suez, cela me conviendrait très bien – et d'investisseurs étrangers, dont certains sont déjà nos partenaires, industriels ou financiers. Encore une fois, il nous faut quelques semaines pour mettre cela au point.
En conclusion, notre objectif est d'aboutir à une solution qui optimise l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes. Celui de nos actionnaires, bien entendu. C'est pourquoi l'offre en deux étapes de Veolia ne nous convient pas. Si nous trouvons le moyen de reprendre les actions d'Engie avec des investisseurs, le plan présenté hier par M. Bertrand Camus offre une visibilité aux autres investisseurs. Outre celui de nos actionnaires, l'intérêt social de nos collaborateurs, d'un côté, et des collectivités, de l'autre, doit être respecté. Cet équilibre, conforme à la loi PACTE, n'est pas facile à atteindre, mais nous sentons que nous en avons la pleine responsabilité. Et nous sommes déterminés.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9 h 30
Présents. – Mme Edith Audibert, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Anne Blanc, M. Bruno Bonnell, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Pascale Boyer, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, M. José Evrard, M. Olivier Falorni, Mme Laurence Gayte, M. Philippe Huppé, M. Sébastien Jumel, Mme Frédérique Lardet, M. Roland Lescure, M. Richard Lioger, M. Jérôme Nury, Mme Sylvia Pinel, Mme Nathalie Porte, M. Dominique Potier, M. Richard Ramos, M. François Ruffin, M. Denis Sommer, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. – M. Alain Bruneel, Mme Anne-France Brunet, M. Antoine Herth, Mme Anne-Laurence Petel
Assistaient également à la réunion. – M. Frédéric Barbier, Mme Danielle Brulebois, M. Pierre Cordier, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Monique Limon, Mme Monica Michel, M. Christophe Naegelen, Mme Natalia Pouzyreff, M. Boris Vallaud, M. Jean-Luc Warsmann